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les deux oreilles au charlatan-poëte, qui, suivant la mode italienne, amusait les oisifs sur la place de Castelfranco. L'improvisation plongea l'enfant dans une telle extase, que son compagnon fut obligé de l'arracher de sa place, pour le ramener à la forge hospitalière.

Pendant toute la soirée, il récita à la famille les vers qu'il avait entendus, et qui s'étaient fixés dans sa mémoire comme s'ils eussent été son propre ouvrage.

Le lendemain, il se pendit à la chaîne du soufflet, la fumée du charbon noircit ses joues fraîches et vermeilles; mais il se consola de ce rude labeur en se berçant des rimes sonores qui bourdonnaient dans sa tête comme une musique d'en haut.

Il vécut ainsi jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Il devint alors maître forgeron, parcourut les villages, le marteau à la main, et s'établit à Bologne, où deux mariages lui donnèrent quatorze enfants.

Quelques années plus tard, un seigneur passait, avec des dames et une suite nombreuse, devant une forge bolonaise. Il s'y arrêta pour renouveler les fers de ses chevaux, et pendant l'opération il fit causer le maréchal. Quelle fut sa surprise d'entendre cet homme parler littérature, citer Virgile et Horace, raisonner enfin comme eût pu le faire un académicien della Crusca!

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César Croce (car c'était lui) ouvre alors une grande armoire, et en tire une vingtaine de cahiers, pleins de vers et de prose de sa façon.

L'inconnu feuillette ces pages griffonnées d'une main lourde, et noircies çà et là par le charbon et la ferraille... Il lit quelques lignes, pousse une exclamation, dévore des pièces entières, passe d'un manuscrit à l'autre, - et demande avec admiration à l'ouvrier comment il a trouvé le temps et les moyens de composer de tels ouvrages.

-Les moyens? répond celui-ci en se frappant le front, le bon Dieu les avait mis là. C'est mon amusement depuis mon enfance. Le temps? ma foi, je l'ai pris sur mon repos. Quand la pratique n'abonde pas, ou quand ma famille a du pain pour quelques jours, je lis de vieux manuscrits et des livres nouveaux. Les riches dont je ferre les attelages in'en prêtent; les érudits m'en donnent en payement, et les deux grands livres du bon Dieu, la nature et l'humanité, sont ouverts pour moi comme pour tout le inonde. Si le travail de la forge remplit la journée, il me reste la nuit. Je m'installe devant cette table avec une petite lampe, un grand pot de vin, et je laisse courir mon imagination et ma plume jusqu'au lever du soleil...

L'inconnu n'en demanda pas davantage. Passant de l'admiration à l'enthousiasme, il déclara qu'il était le premier libraire de la province, offrit une pension au maréchal de la part du seigneur qui l'avait envoyé, et ne réclama en retour que le droit de faire imprimer les manuscrits de l'artisan...

Mon état suffit à mon existence, répondit Croce avec une dignité naïve. Je refuse la pension, et je vous donne ces manuscrits; s'ils vous rapportent de l'argent, vous m'en réserverez ma part... Ils m'ont occupé une centaine de jours..... A vingt scudi par journée, cela fait

deux mille scudi. Je vous en fournirai à ce compte tant qu'il vous plaira.....

Le libraire emporta les œuvres du maréchal, et quelques mois après toute l'Italie les lisait avec délices. D'antres œuvres leur succédèrent. Le nom de Croce devint populaire de Naples à Venise. On accourut en pèlerinage à sa forge. Vingt personnages le sommèrent de quitter le marteau. Il s'y refusa obstinément, et continua de frapper en même temps le fer et la rime.

Le seul loisir qu'il se permit, fut de chanter le soir et le matin ses vers, sur le seuil de sa porte, en s'accompagnant de la viole ou de la lyre, comme les improvisatori qui avaient révélé la poésie à son enfance.

Le seul trésor qu'il amassa fut la collection des nombreuses éditions de ses ouvrages, rangée, d'année en année, sur les tablettes de son arrière-boutique.

Il fallut que la vieillesse paralysât ses membres pour lui faire accepter enfin une rente modeste des cavaliers de Bologne.

Bref, il s'éteignit, rimant toujours, en 1609, et sa gloire fut chantée sur sa tombe par un noble Bolonais, dans un lamento qui fit, comme son nom, le tour de l'Italie.

Jules-César Croce, populaire au delà des Alpes, est complétement inconnu en France; ne méritait-il pas d'être placé au premier rang de nos curiosités littéraires? On va en juger par quelques traits de son plus célèbre ouvrage, les Finesses de Bertoldo, continué depuis par les académiciens della Crusca, et illustré par l'habile peintre bolonais Crespi, surnommé l'Espagnol.

Rabelais et nos plus ingénieux conteurs du seizième siècle n'ont point dépassé l'imagination, la délicatesse l'originalité du forgeron de Bologne.

LE CONTE DE BERTOLDO.

Portrait de Bertoldo. Bertoldo à la cour d'Alboin. - Enigmes et logogriphes. Noms et qualités. - Comment Bertoldo prend les lièvres sans courir. - Comment il apporte de l'eau dans un crible. Comment il voyage sur la monture des monches. Comment il donne aux femmes des droits politiques. La bolte et l'oiseau. - Comment il échappe aux chiens et aux sbires. Comment il paraît nu et habillé, visible et invisible, etc. Comment il évite d'être pendu. - Sa mort.Bertoldino. Dessin de Crespi.

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Et comment m'apporterais - tu de l'eau dans un crible?

- J'attendrais qu'elle fût glacée.

Les courtisans de rire, et le monarque aussi.

Quant à Bertoldo, il rit de son côté, mais à leurs dépens. Il plaisante les flatteurs, élève les paysans au niveau des rois, et s'émancipe à tel point que Sa Majesté le met à la porte.

-Je m'en vais, mais je reviendrai, dit le héros, car je ressemble aux mouches. Quand on me chasse par la porte, je rentre par la fenêtre.

-Soit, reprend Alboïn ; je te permets de revenir comme les mouches, mais à cheval sur leur monture; si tu reparais autrement devant moi, je te fais pendre haut et

court.

- J'accepte la condition. Au revoir, Sire.

Bertoldo regagne sa chaumière, écorche son âne, remonte dessus, en compagnie d'un millier de mouches attachées aux blessures, et rentre ainsi, véritablement sur la monture des mouches, à la cour du roi Alboïn.

Au lieu de faire pendre un si habile homme, le roi vaincu le prend pour conseiller intime.

Arrivé au pouvoir, comme tant d'autres, par le chemin de l'opposition, Bertoldo, chose prodigieuse! ne dément point ses antécédents. Il a d'autant plus besoin de son adresse, qu'il subit l'opposition à son tour. Ses plus terribles ennemis sont les femmes, qui réclament des droits politiques et veulent être électrices, députées, générales, sénatrices, etc.

Ne croyez pas que nous inventions, au moins! Nous traduisons très-scrupuleusement. Les fous sont de toutes les époques et de toutes les contrées; Bertoldo nous en fournit une nouvelle preuve ; et yous voyez que les fous du temps et du pays d'Alboin valent bien ceux de notre pays et de notre temps.

Voici comment Croce les met en scène :

Deux femmes se disputent un panier devant le tribunal du roi. Celui-ci, renouvelant le jugement de Salomon, ordonne le partage du panier en deux parts. L'une des femmes consent; l'autre se récrie, se lamente, et aime mieux renoncer « à son cher panier » que de le voir mis en pièces.

Alboin reconnaît la véritable propriétaire et lui adjuge le panier entier.

Mais la plaideuse, qui savait comme lui l'histoire de Salomon, l'a trompé par de fausses larmes et a réellement Volé sa rivale. C'est ce que Bertoldo découvre et révèle au monarque. « Menteuses du cœur, menteuses de la langue, dit-il, telles sont les filles d'Eve. » De là grande emeute des femmes contre le nouvel Esope. Elles font entrer la reine dans leur complot, et le chancelier de celle-ci porte leur ultimatum à Alboïn. Elles prétendent gouverne, élire, administrer, commander tout comme les portebarbes. Bertoldo se charge de tirer son maître de ce mauvais pas, et de renvoyer les citoyennes libres à leurs fuseaux. Il les assemble gravement, leur annouce que leur demande est prise en considération, et leur remet une boite qu'elles s'engagent à n'ouvrir que le lendemain. Elles recevront alors le brevet de leurs droits politiques...

Restées seules, les femmes n'ont plus qu'une idée.
-Que peut-il y avoir dans cette boite?
- Si nous l'ouvrions de suite?
- Nous la refermerons après.
-Et Bertoldo n'en saura rien...

On regarde la boîte; on la tourne, on la retourne... Bref, on lève le couvercle... Et un oiseau s'envole!...

Vos droits se sont envolés avec lui, mesdames, s'écrie Bertoldo, qui guettait les curieuses. Vous voulez entrer dans les conseils de l'Etat, et vous n'avez pas me heure de patience et de discrétion! Allez! vous n'êtes bonnes qu'à écumer le pot, à rosser vos enfants et à bavarder sur vos portes!

Que de femmes, et même que d'hommes aujourd'hui mériteraient encore cette leçon !

La reine venge son sexe par les tours qu'elle joue à Bertoldo, ou du moins qu'elle essaye de lui jouer.

Un jour, elle fait làcher contre lui des chiens affamés; mais le bossu s'est muni de lièvres vivants, et se sauve en les livrant aux chiens, l'un après l'autre.

Un autre jour, la reine charge un shire de l'enfermer dans un sac. Mais Bertoldo persuade au sbire de s'y mettre à sa place, pour aller épouser sous son nom une femme très-riche, à qui on veut le marier malgré lui. Le shire donne... dans le sac, et n'épouse que des coups de bâton.

Une autre fois encore, il est sommé par Alboin de comparaître à la fois nu et habillé, visible et invisible, et portant avec lui le potager, l'étable et le moulin.

Bertoldo arrive couvert d'un filet, coiffé d'un crible, et tenant une tourte à la main.

Ce filet m'habille sans m'habiller, dit-il; vous me voyez sans me voir, à travers ce crible; et le potager, l'étable et le moulin sont dans cette tourte, faite de betterave, de beurre, d'œufs et de farine.

Alboin et la reine elle-même sont obligés de convenir que les trois problèmes sont résolus.

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Un autre est trop jeune, un antre trop vieux..., et ainsi de suite, jusqu'à la fin du jour et aux limites des bois.

Les exécuteurs rient... Le roi est désarmé, la reine est vaincue. Bertoldo rentre encore en triomphe au palais......., où il meurt bientôt d'une indigestion...

Tout Capitole a sa roche Tarpéienne. Notre bossu n'avait oublié que celle-là.

Après avoir fait des morales à tout le monde, il subit la sienne à son tour.

A ce conte philosophique sous sa forme burlesque, les académiciens della Crusca ont ajouté une suite assez puérile, dans le genre de nos traditions de Gribouille et de Cadet-Roussel. C'est le fils de Bertoldo (Bertoldino), voulant couver des œufs, et faisant une omelette sous lui (voyez la page suivante); - ou bien se fouettant de verges jusqu'au sang, pour se délivrer de la piqûre des mouches (voyez la page précédente). C'est le petit-fils, plus niais encore, chevauchant à reculons et tenant la queue de la bete en guise de bride, etc., etc.

Le peintre Crespi a illustré cette seconde partie comme

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Un jeune ormeau disait à son écorce :
-Tu m'aimes, je le sais..., je t'aime aussi beaucoup;
Mais tu me tiens les bras, et me serres le cou...
Rend-on les gens heureux par force?
Entre le monde et moi je te trouve toujours...
Je raffole de la rosée;

Et lorsqu'à l'espérer j'ai passé de longs jours,
Je t'en vois, d'abord, arrosée...

Les cieux m'ont-ils créé tortue ou limaçon

Pour vivre ainsi dans ma cuirasse?

Un bel amour, vraiment! qui me tient en prison!
J'étouffe... Lâche-moi, de grâce!

--Chut! En les exauçant, Dieu punit les ingrats,
Dit l'écorce, aussitôt redoublant son étreinte;
Point de sécurité sans un peu de contrainte!
Malheur à toi, si tu sors de mes bras!
Elle parlait encor, qu'un bizarre caprice
D'un enfant sur l'ormeau guida le couperet...
Pendant que sous les coups tombe la protectrice,
Le protégé sent un plaisir secret...

Il va de surprise en surprise...

A moi les rayons du matin!

A moi les eaux du ciel! à moi la douce brise!
Que vivre et mourir libre est un heureux destin!...
Hélas! il changea de langage.
L'hiver, précoce en nos climats,
Vint bientôt avec son bagage
De tempêtes et de frimas...

Et, dans ce deuil de la nature,

De l'arbre à demi mort les membres dépouillés,
Dispersés sur le sol, et de fange souillés,

Des vers devinrent la pâture.

Quand, l'œil fixé sur toi, je prévois tes besoins,
Folle enfant, quand mon sein toujours t'offre un asile,
Ton humeur, parfois indocile,

Tout bas murmure de mes soins.

Mais vois comme en créant des êtres sans défense, Le Ciel, pour les soustraire au noir essaim des maux, Met l'écorce sur les ormeaux,

Et les parents près de l'enfance.

EDMOND SAINTE-MARIE.

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Tao-Kwang, 270me empereur de la Chine, d'après un portrait authentique, fait à l'aquarelle sur papier de riz.

«Le

gouverneur général vient de recevoir du ministère des Rites une dépêche annonçant que, le 14 de la première lune, l'empereur suprême, monté sur le dragon, est parti pour les régions éthérées. Le matin, à l'heure mao, Sa Majesté céleste a transmis la dignité royale à Son quatrième fils Se-Go-Ko, et le soir, à l'heure hai, elle est partie pour le séjour des dieux.

Il est ordonné, en conséquence, que le deuil de l'impératrice douairière, qui allait bientôt finir, soit immédiatement repris par tous les fonctionnaires civils et militaires, sans que, dans l'intervalle, il soit permis de sc faire raser la barbe ou les cheveux. Un décret posté

JUILLET 1850.

rieur fera connaître la durée du grand deuil impérial. »

C'est en ces termes que la mort de l'empereur de la Chine était annoncée à toutes les provinces de ses immenses Etats. L'événement date du 25 février, et le mois dernier seulement la nouvelle en arrivait en Europe par la malle de l'Inde.

Tao-Kwang (Raison brillante) est le deux cent soixantedixième souverain du Céleste Empire.

Si l'on estimait la puissance d'un roi d'après l'antiquité de sa race, l'étendue de ses possessions et le nombre de ses sujets, Tao-Kwang serait le plus grand monarque des temps anciens et modernes. L'histoire de ses ancêtres reDIX-SEPTIEME VOLUME.

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monte à 4,000 ans. Il régnait sur 650,000 lieues carrées de France (le cinquième du globe), et il commandait à 341,486,294 âmes (1).

Né en 1780, de l'empereur Kia-King, fils de l'empereur Kien-Loung, il resta, sous le nom de Mien-Ning, dans le nuage qui enveloppe les enfants du Soleil, jusqu'à l'àge de trente-six ans. Il se signala alors par un acte de courage qui retentit jusqu'au bout du monde.

Le favori Lin-Tsing, gouvernant sous le nom de KiaKing, avait résolu de détrôner son maître et de joindre le titre d'empereur au pouvoir qu'il exerçait de fait.

Un jour que le prince chassait l'éléphant avec ses deux fils, Lin-Tsing rassemble à Pékin les troupes gagnées par lui, et leur livre secrètement les issues et les environs du palais. Lui-même, avec quelques agents déterminés, en occupe la porte principale et attend le retour de l'empereur pour le massacrer avec ses deux fils. Kia-King arriva au milieu de son escorte de mandarins et de gardes d'honneur. Il franchit sans défiance le grand portail de porcelaine, et entre dans sa demeure impériale, au bruit des instruments et à travers les génuflexions. Lin-Tsing, maître de son prisonnier, s'élance aussitôt pour le frapper avec toute sa race... Mais au moment où il violait le seuil sacré, un jeune homme qui avait suivi la chasse en habit plébéien, et qui s'était attardé de quelques pas devant le palais, reconnaît en s'approchant le traître et ses complices. Il arrache les boutons de métal de sa tunique, en charge son fusil d'une main rapide, couche en joue le favori assassin, et l'étend raide mort à la porte de l'empereur... Les agents de Lin-Tsing se retournent épouvantés, et qui aperçoivent-ils dans la personne du chasseur? Mien-Ning, le second fils du roi, qu'ils croyaient aller tuer avec son père !... Ils s'enfuient éperdus, jetant leurs armes; ils entraînent toute l'armée rebelle dans leur déroute, et Mien-Ning court annoncer à Kia-King son péril et son salut en même temps.

,,*,,

Kia-King ayant perdu son fils aîné peu de temps après, désigna son jeune sauveur pour lui succéder au trône. Cette désignation de leur héritier est l'acte suprêine et solennel des empereurs de la Chine.

Quand le fils du Soleil se sent près de monter sur le dragon, il convoque autour de son lit de mort sa famille et son grand Conseil. En leur présence, il écrit avec une plume d'or et de diamant, sur une feuille de papier de riz, le nom de son successeur. Il le choisit comme il l'entend, sans considération de primogéniture. Il dépose ce nom dans une cassette d'or, dont il remet la clef au premier ministre. Celui-ci, dès que l'empereur a rendu le dernier soupir, fait ouvrir toutes les portes du palais, et, sous les yeux des grands et du peuple accourus à la nouvelle fatale, il tire le papier de la cassette d'or, et proclame le nom du nouveau maître de l'empire.

Il paraît que Tao-Kwang n'a pas en le temps de remplir cette formalité, et qu'il s'est borné à désigner de vive voix son successeur. C'est, comme on l'a vu, son quatrième fils, Se-Go-Ko, ou Se Hing (mot à mot quatrième frère). On ne connaîtra qu'après les funérailles impériales le nom sous lequel il gouvernera, et que tout le monde alors devra substituer à son petit nom.

Nous supposons que ce quatrième fils de Tao-Kwang n'aura pas le sort de l'héritier de Kang-Hi, contemporain de Louis XIV. Kang-Ki avait aussi désigné son quatrième fils sur le papier royal. Mais son quatorzième fils, d'accord avec le premier ministre, usurpa la couronne en ajou

(1) Dénombrement de l'Asiatic Journal, en 1815.

tant une dizaine au chiffre, au moment où l'on paraphait l'acte suprême.

Revenons au règne de Tao-Kwang. Les deux principaux événements de ce règne furent la conspiration de Tchankor et la guerre de l'opium. Tchankor, officier du Turkestan, avait soulevé les provinces d'Ili. Après de longs combats, il fut arrêté et brûlé vif. Ses cendres furent jetées dans le fleuve au milieu de Pékin; et tous ses parents jusqu'à la quatrième génération subirent la même peine. Telle est la rigueur du Code chinois. Il ne fait grâce qu'an révélateur du complot. On devine le but et l'effet de cette loi. Les conspirateurs sont tenus étroitement en bride ou livrés immédiatement par leurs familles. C'est peu morai, mais très-adroit.

Quant à la guerre de l'opium, on en connaît l'origine, les péripéties et le dénoûment. L'Angleterre, voyant la passion des Chinois pour ce narcotique, et des millions à gagner dans le Céleste Empire, établit sur la côte, suivant son usage, une boutique, un marchand de Bibles et un pavillon. Les autorités chinoises résistèrent, l'empereur fit déployer ses drapeaux illustrés de monstres effrayants...; mais les canons anglais ne reculèrent point devant ces épouvantails. Vainqueurs à Canton, au Fo-kien, au Tchée-kiang, ils arrachèrent à l'Empire, intact depuis quarante siècles, le lambeau de l'île de Hong-kong. C'était tout ce qu'il leur fallait pour inonder la Chine d'opium. Aujourd'hui l'affaire est consommée... Tous les Chinois s'empoisonnent à l'envi, et leur or, échang contre l'essence de pavot, s'en va par cargaisons dans les coffres-forts, de la Grande-Bretagne.

Le plaisant de la chose, c'est qu'un seul homme en Chine est mort sans connaître la victoire des Anglais et la cession de l'île de Hong-kong. Cet homme est l'empereur Tao-Kwang. Ses mandarins et ses généraux, qu'il eut fait étrangler, lui ont caché leur défaite jusqu'au dernier moment. On voit que tout n'est pas rose et laurier dans la vie des fils du Soleil.

Le nouvel empereur, qui en sait plus long que son père, empêchera-t-il, ou régularisera-t-il l'empoisonnement de ses peuples? Il est probable qu'il se bornera à çe dernier rôle, et qu'il dormira content, après avoir mis l'empoisonnement en coupe réglée. Alors la légalité tuera les Chinois comme les Européens, et tout sera pour le mieux dans le plus grand empire possible.

Se-Go-Ko est l'élève du célèbre commissaire impérial Ki-In, aujourd'hui ministre d'Etat et sage partisan des réformes chinoises. Si son nouveau maître lui laisse ses pouvoirs, il entr'ouvrira sans doute l'inexorable muraille, et permettra au monde civilisé de jeter un coup d'œil dans l'Empire du Milieu.

Nous ferons profiter nos lecteurs des révélations curieuses qui pourront en résulter.

Une des premières et des plus belles actions de Se-GoKo sera de conduire de sa main impériale la charrue, et d'ouvrir publiquement un sillon dans les champs de Pékin, suivant l'antique usage de la Chine, pour rappeler à ses sujets que l'agriculture est le plus noble travail et la plus précieuse industrie d'une nation.

Espérons surtout qu'il protégera contre la cruauté des mandarins ces sublimes laboureurs des Missions catholiques et de la Sainte-Enfance, dont le Musée vous a raconté le dévouement admirable, et qui vont, à travers tant de périls et de souffrances, semer le bon grain de l'Evangile dans les derniers champs du paganisme et de l'esclavage.

PITRE-CHEVALIER.

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