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Les autres siècles suivirent le quatorzième, à de longues distances, ce qui nuisit beaucoup au succès. Le dix-huitième siècle n'a vu le jour qu'en 1844, par les soins de W. Coquebert, le seul éditeur qui ait bien compris Monteil.

Chacun de ces ouvrages a une forme à part, curieuse, pittoresque, anecdotique, entraînante, et spirituelle pardessus tout. Nous y reviendrons.

Retournons à l'auteur.

Monteil avait une mémoire prodigieuse; il a décrit minutieusement, dans son histoire, un intérieur gothique qu'il avait vu à l'âge de six ans, et il a consigné quelque part les récits qu'il avait entendus, au même âge, de son père, protégé du duc de Choiseul, et de sa grand'mère, élevée sur les genoux d'une duchesse d'Arpajon.

Il se faisait laboureur pour décrire l'agriculture; financier, pour traiter des impôts; négociant, pour révéler le commerce; soldat, pour raconter la guerre.

Carnot, à qui il parlait de fortifications depuis six heures, lui dit un jour :

Amans-Alexis Monteil,

Mais vous êtes militaire, monsieur !

ll a vécu cinquante ans de ses économies de professeur et du commerce des manuscrits qu'il déterrait jusque chez les épiciers. Il en a sauvé ainsi des milliers qui sont rentrés par ses mains dans nos archives. Son excellent fils l'aidait dans ses recherches et dans ses travaux. En 1835, il eut la douleur de le perdre, et il fut alors obligé de vendre sa bibliothèque. Heureusement, il trouva un second fils dans son secrétaire, M. Charguerraud, digne élève d'un tel maître, par l'esprit comme par le cœur. Monteil l'appelait son grand ami, et M. Charguerraud justifiera ce titre par quelque ouvrage remarquable.

L'auteur de l'Histoire des Français des divers états urait dû figurer à l'Académie française ou à l'Académie

des Inscriptions et Belles-lettres. Il n'y est point entré, parce qu'il ignorait l'art de parvenir, et parce que son livre était la critique implacable de toutes les histoires précédentes. Aussi, une conspiration du silence était organisée contre lui parmi les savants. On le pillait sans cesse, on ne le citait jamais. Il est le véritable auteur de toutes les histoires des anciennes classes de la société, qui ont paru depuis trente ans. La postérité rendra à César ce qui appartient à César.

On n'avait pu cependant lui refuser le second prix Gobert; mais on le lui enleva peu de temps avant sa mort. Lorsqu'il s'est éteint, le mois dernier, à son ermitage de Céli, près Fontainebleau, il vivait de la rente de sa petite terre, et d'une pension que M. Guizot lui avait faite, à l'instruction publique.

Il fallait si peu de chose à ce bénédictin de notre siècle! Quand nous avons eu le bonheur de le connaître, à Passy, il habitait un grand appartement tout plein de livres et de manuscrits. Il avait supprimé les portes intérieures pour gagner le temps qu'on met à les fermer et à les ouvrir; il n'allumait jamais de feu l'hiver; il s'entortillait les pieds de ses vieux habits pour écrire à son bureau; ou bien, il dictait enfermé dans un paravent, d'où sortait sa tête blanche et spirituelle. Pendant ce temps-là, son diner cuisait tant bien que mal. Il se composait d'eau, de viande et de pain, jetés pêle-mêle dans une marmite. Le soir, il soupait de quelques tranches de pommes crues, saupoudrées de cassonnade; après quoi, il errait la moitié de la nuit dans le bois de Boulogne, où il rencontrait souvent des larrons fort mystifiés d'une si pauvre capture. Dans le monde, ce sauvage de la science était un type de la politesse d'autrefois, toujours gai, prévenant, aimable et gracieux au possible. Nul ne fut jamais plus fidèle et plus dévoué à ses amis. On ferait un recueil charmant des lettres qu'il leur adressait de sa solitude.

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LES PRÉDICATEURS DE PARIS (1).

L'ABBÉ BAUTAIN.

Les prédicateurs du carême de 1850 sont descendus de la chaire; mais les paroles de quelques-uns retentissent encore dans les âmes. Parmi ceux-là, et en première ligne, est M. l'abbé Bautain, qui prêchait à l'église de Saint-Vincent-de-Paul. Nous saisissons cette occasion de le faire figurer dans notre galerie, où, depuis longtemps déjà, son illustre place était marquée.

Vers la fin du dernier siècle, il y avait dans le quartier Saint-Merry, un confiseur, suivant les uns, un maitre de danse et de maintien, suivant les autres. Peu importe! cet homme s'appelait Bautain. Il eut un fils qu'on baptisa à la paroisse, sans signature de prêtre, de parrain, ni de marraine, comme le voulait encore un souvenir de ter

reur.

Le jeune Bautain fut élevé dans un college universitaire, où il n'eut bientôt plus de chrétien que le nom. Cela s'est vu depuis, et se voit encore. Enthousiaste de la philosophie éclectique, notre écolier, après des études brillantes, entra à l'Ecole normale, où il ne jura que par ses doctes maîtres, et fut récompensé d'une chaire de philosophie à l'Académie de Strasbourg.

Les philosophes ne songèrent pas qu'éloigner leur dis

(1) Voyez t. XII, p. 186, 299; t. XIV, p. 231, ett. XVI, p. 155.

ciple, c'était s'exposer à le perdre. Ils oublièrent l'aventure arrivée au fameux marquis de Bièvre, et depuis au comédien Potier.

On avait annoncé à une dame que M. de Bièvre ne lançait pas un mot qui ne fût un calembour, et on l'avait invitée à dîner avec lui, pour lui en donner la preuve. Elle court la première au rendez-vous, et, voyant arriver le marquis, elle se met à rire de confiance. Au premier bonjour qu'il prononce, voilà notre dame pâmée. M. de Bièvre s'étonne et reste interdit. Il reprend bientôt la parole, et la dame de rire de plus belle !...

- C'est prodigieux! s'écrie-t-elle enfin, c'est incroyable!

- Quoi donc, madame?

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Vos calembours, marquis; vous n'en manquez pas un !

Or, M. de Bièvre, n'en ayant pas fait un seul, resta abasourdi, fut stupide toute la soirée, et perdit sa réputation de beau parleur !

Quant à Potier, voici son histoire : On l'avait peint à un grand seigneur comme homme du monde aussi grave dans un salon qu'acteur ébouriffant sur le théâtre. Le grand seigneur l'invita donc à une soirée aristocratique et le présenta à ses meilleurs amis. Potier sembla en effet trèsconvenable au premier abord. Mais bientôt un fanatique de son talent, qu'il avait fait rire tout l'hiver aux Variétés, l'aperçoit au milieu d'un groupe, l'aborde gaiement, et se met à l'écouter. Potier discourait le plus sérieusement du monde. Au premier mot qu'il entend, notre fanatique éclate de rire: Satané farceur, va! s'écrie-t-il en applaudissant le comédien. Potier se retourne vers lui et l'interroge du plus grand sang-froid. L'amateur le trouve alors d'un comique sublime, et répète de plus belle : -Satané farceur! Potier lui tourne le dos et va dans un autre groupe. Le séide, qui ne veut pas perdre un de ses bons mots, le rejoint bien vite et reprend son refrain er ses contorsions d'hilarité: - Satané farceur, va!-Bref, Potier eut beau faire pour garder son rôle d'homme du monde... il ne put être autre chose qu'un farceur pour le rieur obstiné; si bien que, poussé à bout, perdant patience, il finit par lui chercher querelle et lui demander raison! Ce fut pour l'autre le comble de la charge. Il répondit par un fou rire et des bravos, qui entraînèrent tout le monde à crier avec lui: Satané farceur, va!

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Potier n'en put obtenir davantage; il se retira furieux, et ne remit plus les pieds dans les salons.

Le jeune Bautain, à l'Ecole normale (qu'il nous pardonne aujourd'hui cette comparaison), était comme les fanatiques de M. de Bièvre et de Potier. Il admirait, applaudissait et croyait de confiance. Installé dans sa chaire de Strasbourg, il attira toute la province par son talent, se fit promptement une réputation considérable, mais ne put amener ses auditeurs à croire de confiance comme lui. On ne lui disait point: Satané farceur! - Mais on lui criait : - Philosophe sans foi! De sorte que, ses maîtres n'étant plus là, et leur prestige tombant jour par jour, sa propre conscience éleva aussi la voix, et le poussa du mensonge à la vérité, de la philosophie à l'Evangile.

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Et un beau jour, le professeur, descendant de sa chaire, emmena ses meilleurs élèves à Molsheim, et se fit prêtre catholique avec eux, « pour défendre la religion qu'ils avaient méconnue. >>

Ceci se passait avant la Révolution de 1830. Cette révolution força bientôt M. Bautain à quitter de nouveau la tribune académique, où il était remonté avec la soutane et la foi. Les doctrines de ses anciens maîtres, devenus

ministres, lui fermaient la bouche..., au nom de la liberté d'enseignement. Il se résigna et s'enferma dans la direction de son petit séminaire. Il n'avait d'ailleurs que le choix des titres, car il était à la fois chanoine, professeur et docteur en médecine et en droit.

Pourquoi une disgrâce plus cruelle lui était-elle réservée? Pourquoi, de supérieur d'un séminaire, devint-il bientôt simple maître d'école à Strasbourg? Sa réconciliation avec son évêque, sa générosité de caractère, son voyage à Rome et sa soumission filiale, répondent mieux que toutes les apologies.

Ce fut à son retour d'Italie que M. Bautain parut dans les chaires parisiennes. Il y conquit le premier rang sans difficulté.

Il n'est peut-être pas d'orateur sacré qui manie avec plus d'aisance et de force la métaphysique religieuse, et qui réussisse mieux à la rendre palpable et populaire. Il mène à la foi par la science, sans jamais dérouter ni l'auditeur ni lui-même.

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Il est petit, mais vigoureux. Sa tête large, carrée, superbe, a une expression saisissante. Son nez allongé, son ceil profond, ses lèvres minces et déliées, composent une physionomie mêlée d'austérité, de finesse et de douceur. Sa voix, sortant d'une vaste poitrine, remplit, sans tonner, l'église entière. Sa facilité d'élocution le sert sans l'entraîner. Son abondance de parole est toujours lucide et positive. Le seul reproche à lui faire, si c'en est un, c'est qu'il est moins orateur que dialecticien, plus professeur que prédicateur.

Mais comment ne pas admirer un logicien qui a converti tant de juifs en Alsace, notamment les frères Level, et MM. Goschler et Ratisbonne, dont il a fait, non-seulement des chrétiens, mais des prêtres éminents!

REVUE LITTÉRAIRE ET MUSICALE.

C'en est fait! Charlotte Corday a paru sur notre première scène, escortée de Marat, de Danton et de Robespierre! On a applaudi M. Ponsard, parce que ses vers sont assez beaux. On a applaudi Danton, parce qu'il réfute Marat! La grande conquête! et le bon moyen de calmer les passions! Nous laisserons Paris courir à ce spectacle, que la police est réduite à faire surveiller par un bataillon de sergents de ville; et nous nous Fornerons à livrer à la curiosité de nos lecteurs une courte analyse de la pièce et quelques citations.

Au premier acte, Mme Roland donne une fête. Danton, qui hésite dans le crime, propose un pacte aux Girondins; ceux-ci repoussent sa main tachée de sang. La guerre est déclarée.

Au second acte, les Girondins proscrits et fugitifs rencontrent dans les plaines de Caen une jeune fille qui dirige des faneuses. C'est Charlotte Corday. Barbaroux, reconnu par elle, reçoit la promesse de son faible secours. Elle rentre dans sa famille, où l'on s'apprête à quitter la France; quant à elle, elle songe déjà à la venger.

Au troisième acte, Charlotte assiste à la revue des Fédérés, passée par les Girondins. Barbaroux lui trace les portraits des Montagnards.

BARBAROUX.

Certes, je hais Danton: septembre est entre nous.
Tout lui semble innocent, par la victoire absous;
L'audace et le succes, voila sa loi supreme;
De sa propre vigueur il s'enivre lui-même,
Et montant d'un excès à des excès plus grands,
Il sert la liberté comme on sert les tyrans.
Mais enfin, ce n'est pas un homme qu'on méprise,
Madame. Il est puissant dans les moments de crise.

Cruel et généreux, il connait la pitié;

Il frappe sans remords, mais sans inimitié :
De crime et de grandeur formidable assemblage,
La Révolution l'a fait à son image...

Et Robespierre?

CHARLOTTE.

BARBAROUX.

Oh! lui, c'est chose différente: Ame sèche et haineuse, et vanité souffrante, Dans tous ses ennemis il voit ceux de l'État, Et dans sa propre injure un public attentat. En ce point seulement à Danton il ressemble Qu'auprès du sang versé l'un ni l'autre ne tremble, Ignorant tous les deux que le péril pressant N'excusera jamais la mort d'un innocent. Ils different d'ailleurs d'esprit et d'apparence, Comme la passion de la persévérance.

Quel sera le plus fort, Robespierre ou Danton?
La médiocrité l'emportera, dit-on.

En somme, quoique l'un souille son énergie,
Quoique de plus de sang il ait la main rougie,
Que sa soif des plaisirs puise partout l'argent,
Au lieu que l'autre est pur au point d'être indigent,
Quoiqu'il ne croie à rien, si ce n'est à lui-même,
Au lieu que Robespierre a foi dans son système,
On aura pour Danton une moindre rigueur :
Arrivé à Marat, Barbaroux continue ainsi :

Tantôt il cherche l'ombre et tantôt la lumière.

Selon qu'il faut combattre ou qu'il faut égorger, Présent pour le massacre, absent pour le danger.

Les caves d'un boucher et celles d'un couvent,
Pendant des mois entiers, l'ont enterré vivant.
Là, seul avec lui-même, aux lueurs d'une lampe,
Devant l'encre homicide où sa plume se trempe,
N'ayant d'air que celui qui vient d'un soupirail.
Dix-huit heures penché sur son méchant travail,
Il entasse au hasard les visions qu'enfante
De son cerveau fiévreux cette veille échauffante;
Puis un journal paraît qu'on lit en frémissant,
Qui sort de dessous terre et demande du sang.

CHARLOTTE.

Dieu puissant! c'est un fou!

BARBAROUX.

C'est un fou; mais, madame,
C'est un fou qui s'adresse aux passions en flamme.
On l'a hué, flétri, bafoué, confondu ;

A chaque flétrissure un crime a répondu.
Vainement les soufilets sont tombés sur sa joue;
Le crime allait croissant, le sang lavait la boue.
Ceux qui l'ont offensé sont tous morts ou proscrits,
Et l'épouvante enfin l'a sauvé du mépris.

Au quatrième acte, Charlotte achète un poignard chez un coutelier devant le Palais-National... Elle hésite encore cependant; mais les sanglants propos des sans-culottes la décident.

Que si, tout pur qu'il est, mon dévouement s'abuse,
Si le meurtre jamais ne peut avoir d'excuse,
Si le droit qu'admettait toute l'antiquité
Fut un long attentat contre l'humanité,

Si Dieu, guide incertain, nous offre dans son livre
L'exemple de Judith et défend de le suivre,

Si je ne dois laisser qu'un renom criminel
Et chargé justement d'un opprobre éternel,
C'est affreux; l'échafaud est au moins un supplice.
N'importe! je puis faire encor ce sacrifice.
Braver la mort n'est rien; mais le mépris bravé
Est un effort plus rare et qui m'est réservé.
Que je sauve la France et que je sois flétrie!
La honte soit pour moi, le fruit pour ma patrie!
Puisse l'acte feroce auquel je me résous
Rendre quelque énergie aux gens de bien trop mous:
Qu'ils exècrent mon nom, qu'ils m'appellent infâme ;
Mais, rougissant d'avoir moins de cœur qu'une femme,
Qu'ils apprennent de moi, sauf à l'employer mieux,
Le courage d'agir contre les factieux.

Au cinquième acte, la scene est chez farat. Rolespierre et Danton veulent s'entendre avec lui pour diriger la révolution; mais l'Ami du peuple leur annonce ausi ieur maitre :

Je ne pense pas, moi,

Que tout soit terminé dès qu'on n'a plus de roi.
C'est le commencement. Je sais que chez les nôtres
Quelques-uns ne voulaient que la place des autres,
Et tiennent que chacun doit être satisfait
Quand ce sont eux qui font ce que d'autres ont fait.
Leur révolution se mesure à leur taille.

Ce n'est pas pour si peu, Danton, que je travaille.
Ami du peuple hier, je le suis aujourd'hui.
J'ai souffert, j'ai lutté, j'ai haï comme lui.
Misère, oubli, dédain, hauteur patricienne,

Ses affronts sont les miens, sa vengeance est la mienne.

Il le sait, il défend celui qui le défend;

Or, je porterai loin son drapeau triomphant.
Il ne me suffit pas d'un changement de forme;
Au sein des profondeurs j'enfonce la réforme.
Je veux, armé du soc, retourner les sillons.
A l'ombre les habits, au soleil les haillons!
Je veux que la misère écrase l'opulence;
Que le pauvre à son tour ait le droit d'insolence;
Qu'on tremble devant ceux qui manqueront de pain,
Et qu'ils aient leurs flatteurs, courtisans de la faim.
Chapean bas ! grands seigneurs, bourgeois et valetaille !
Vos maitres vont passer: saluez la canaille!

Là-dessus, il se met au bain, où Charlotte Corday vient le tuer.

Au dernier tableau, elle marche au supplice, et Danton glorifie la Révolution « qui doit survivre à Marat. » Tel est ce drame. Jugez-en le mérite et l'à-propos. C'est assez pour nous d'en avoir rendu compte.

Mme SONTAG, COMTESSE DE ROSSI.

Le 13 mai 1805, une fille naissait à Coblentz dans une famille de comédiens ambulants, c'est-à-dire au degré le plus infime et le plus douloureux de l'échelle sociale. Cette pauvre enfant pouvait devenir, sans invraisemMince, danseuse de corde en plein air, avaleuse de sabres, ou quelque chose de pis encore. Cependant sa mère, qui était une femme honnête et bonne, consulta, dit-on, une bohémienne sur sa destinée. La sorcière examina les astres et les mains de la petite; puis, formant une couFonne d'un oripeau théâtral, la posa, sans autre explication, sur la fragile tète qui lui était soumise. Qu'est-ce que cela voulait dire? Henriette (tel était son nom) seraitelle un jour reine du théâtre ou reine véritable, ou tout au moins comtesse ou marquise?

La mère, on le conçoit, n'éleva pas son ambition maternelle au-dessus des tréteaux, et fit apprendre la musique à sa fille. A six ans, Henriette débuta à Darmstadt, dans le rôle de Salomé de la Fille du Danube. Elle chanta juste, et parut charmante. Trois ans après, sa mère la conduisisit à Prague, où Weber, chef d'orchestre du théâtre, lui confia les emplois d'enfant. Elle s'en acquitta si bien, qron Penvoya au Conservatoire avant Page fixé par la i. Elle y étudia quatre ans.

Un jour, la première cantatrice du théâtre eut une de ces indispositions subites qui font le désespoir des directeurs. Comment la remplacer du matin au soir? Weber proposa Henriette, qui avait alors quinze ans. Elle fut acceptée, répéta à la hate, et joua la Princesse de Navarre tans Jean de Paris, avec un succès d'improvisation merveilleux.

De Prague elle se rendit à Vienne, où Mme MainvielleFodor acheva de la former. Elle chanta l'italien et l'allemand avec la même perfection. Elle devint la plus belle, la plus applaudie, la plus célèbre virtuose de l'Europe, Sous le nom de Henriette Sontag.

Ainsi la prédiction de la bohémienne semblait réalisée. Elle ne l'était pas encore cependant. Bientôt une nouvelle etourdissante remplit les théâtres et les salons diplomatiques. La fille des comédiens nomades ne s'appelle plus Henriette Sontag; elle s'appelle la comtesse de Rossi. Elle stambassadrice, et elle va quitter la scène pour la cour. On crut rêver: c'était la vérité même ! La couronne promase par la sorcière venait de tomber, devant l'autel de l'hyménée, sur la tête de la pauvre enfant de Coblentz...

Mme de Rossi méritait cette couronne; car elle l'a portée avec une noblesse et une dignité parfaites, à la cour de Bruxelles, de La Haye, de Francfort, de Berlin.

On ne l'avait plus entendue chanter, depuis ce jour, que devant les rois, les princes et les ambassadeurs.

Pourquoi donc est-elle revenue cet hiver à Paris, non sur le théâtre, mais au Conservatoire, redemander au public les bravos et les applaudissements d'autrefois ? Parce que les révolutions ont détruit sa fortune, et ne lui ont laissé que son talent pour garder son rang dans le monde. La couronne de la comtesse avait renversé celle de la cantatrice; la couronne de la cantatrice vient de relever celle de la comtesse.

Au premier concert, tout Paris s'était donné rendezvous. Mme de Rossi s'est avancée, cachant son émotion sous son courage. Elle a déployé le cahier de musique, orné de ses armoiries en or, et elle a chanté le grand air de la Semiramide, comme elle le chantait il y a vingt ans. Son succès a été un triomphe, grandissant de concert en concert; et, voyant son ancienne fortune revenir, elle a voulu la corsacrer, en la partageant avec les pauvres. Noble expiation et noble tribut, auxquels toutes les grandes dames de Paris se sont associées, et qui a versé un flot d'or aux bureaux de bienfaisance.

Mme de Rossi en restera-t-elle la ? Nous le lui conseil lons, et sa dignité le lui conseillera mieux encore. Elle a conservé tout son talent; qu'elle le remporte intact à son pur foyer; ou du moins qu'elle se borne à donner des concerts dans quelques capitales. Tous les directeurs da théâtre sont à ses pieds, avec des monceaux d'or. Qu'elle les dédaigne et ne remonte point sur le théâtre. Quatre concerts lui ont rendu la fortune, sans lui enlever la considération; une seule représentation dramatique lui enlèverait la considération, et peut-être la fortune en même temps. Il est des positions d'où l'on ne descend jamais impunément.

S'il faut en croire M. Guinot, l'indiscret conteur de la Revue de Paris, les ovations de Mme Sontag-Rossi auraient mis la diplomatie en révolution. Cette rentrée si heureuse, dit-il, donne la fièvre à toutes les anciennes cantatrices retirées du théatre. Elles veulent toutes tenter la même épreuve et courir la même chance; les unes sous prétexte qu'elles ont éprouvé aussi des revers de fortune, les autres parce qu'elles sont en proie à cette nostalgie dramatique qui s'empare tôt ou tard des artistes exilés de la scène.

Déjà l'on cite Mlle Taccani, que Paris n'a sans doute pas oubliée, qui abandonna la scène il y a une dizaine d'années pour épouser le comte Tasca, et qui, revenant au théâtre, débute par des concerts qu'elle donne dans les principales villes du midi de la France. Me la comtesse Tasca se fera entendre à Paris avant la fin de la saison.

On dit aussi que Mme Monbelli, devenue comtesse Gritti, s'ennuie de passer l'hiver dans son hôtel de Venise et l'été dans son château des bords de la Brenta, et qu'elle a fait officiellement annoncer sa prochaine rentrée au théâtre de la Fenice, où elle s'essayerait avant de reparaître à Paris, ainsi que l'a fait Mme Sontag.

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Les diplomates, les comtes, les grands seigneurs qui ont épousé des chanteuses, sont dans un grand émoi, par suite de ces circonstances nouvelles.

Diverses impressions les agitent. Les uns, ceux qui, revenus des illusions d'autrefois et guéris de la passion jalouse qui les fit enlever leur femme à la scène, trop sages aujourd'hui, savent calculer et peser les avantages de la fortune, sont les premiers à célébrer l'heureuse idée et le grand succès de Mme Sontag, pour encourager l'imitation de ce retour à l'art.

Les autres, ceux à qui l'orgueil du rang ferait redouter de voir leur nom ou celui de leur épouse figurer sur une affiche de spectacle, sont dans des transes mortelles, et leur frayeur est largement mise à contribution.

Il y a dans la diplomatie parisienne une dame jeune encore et toujours jolie, qui appartint jadis à un théâtre ly

ON.S0

Mme Sontag, comtesse de Rossi. rique. On ignore généralement ce détail dans le monde; mais elle, qui n'a pas oublié son origine, feint, depuis l'apparition de Me Sontag, un irrésistible entraînement vers son ancienne carrière. Le mari est furieux. Il a le droit d'opposition, mais la femme a le droit de persistance et de scandale. De là, des scènes qui se terminent toujours par quelque concession magnifique : un ameublement renouvelé; trente mille francs de mémoires acquittés; une parure de diamants; une maison de campagne à une lieue de Paris; voilà ce que la rentrée de Mme Sontag a déjà coûté à notre diplomate.

ARVA, OU LES HONGROIS.

SYMPHONIE DRAMATIQUE, PAR LOUIS LACOMBE. Nous sortons, tout ému encore, de cette fête musicale donnée au Conservatoire par M. Louis Lacombe, au profit des ouvrières sans travail. Toutes les sommités parisiennes, qu'avait attirées une bonne œuvre, ont été récompensées

par un chef-d'œuvre. Le mot n'a rien d'exagéré. L'auteur de Manfred était un de nos meilleurs symphonistes, l'auteur d'Arva est un de nos meilleurs compositeurs dramatiques. Ce n'est plus de l'Opéra-Comique, c'est du Grand-Opéra qu'il doit attendre un libretto. M. Scribe, qui assistait à son triomphe, n'a qu'à lui ouvrir son portefeuille. Arva est la simple histoire de deux fiancés hongrois, séparés par des racoleurs, menacés par des Bohémiens, et sauvés par le courage et la fidélité. M. Lacombe a jeté, sur les quatres parties de ce petit poëme, des flots d'harmonie savante, d'inspiration originale, de fantaisie poétique. C'est tout un opéra. Il faudrait l'entendre vingt fois, pour en apprécier les détails. En attendant que ce plaisir nous soit donné, voici les passages qui ont surtout enlevé les bravos. Dans la 1re partie, le chœur des Fidèles et la Fête du village; dans la 2e partie, la Marche des racoleurs, une des plus belles que nous connaissions, et les couplets: Au régiment, on vit gaiement, etc.; dans la 3 partie, Souvenir et Prière, chant délicieux et pur de la fiancée; et dans la 4 partie, le Calme de la nuit, symphonie d'un effet sublime, le premier Chœur des Bohémiens, le duo de leur chef et d'Arva; le second chœur, Ah! quelle aubaine! etc.; la Marche guerrière, qui ramène le fiancé, - digne pendant de la Marche des racoleurs, et le final, qui est d'un éclat véritablement formidable.

M. Lacombe dirigeait l'orchestre, animé d'avance de son souffle puissant, et qui l'a secondé avec cette justesse proverbiale au Conservatoire. M. Dietsch conduisait les chœurs. Les solos étaient chantés par Mlle de Rupplin, voix pénétrante et sympathique, et par MM. Guyemard et Portheaud, du Grand-Opéra,-deux talents qui n'ont plus besoin d'éloges.

Répétons-le: il est impossible qu'une œuvre si belle, si désintéressée, montée à si grands frais, applaudie avec un aussi juste enthousiasme, s'évanouisse sans échos, après une seule représentation. A quoi serviraient alors nos théâtres de musique, subventionnés pour élever l'art et populariser le talent?

-M. Léouzon Leduc, notre collaborateur, vient de commencer, chez l'éditeur Gide, la publication d'une Histoire littéraire du Nord, par la traduction des œuvres de Tegner, le grand poëte suédois, accompagnées des notes les plus curieuses sur les mœurs et les traditions septentrionales. Nous recommandons à nos lecteurs cet excellent ouvrage, et notamment le poëme de la Première communion, le chef-d'œuvre religieux de Tegner.

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-Vous souvenez-vous des vers si énergiques de M. Jules de Francheville, que nous citions dans notre Voyage en Bretagne (tome XIV, page 139)? Vous les retrouverez, avec deux mille vers, tout aussi remarquables, dans le recueil: Foi et Patrie, que le noble poëte breton vient de faire paraître chez les éditeurs à la mode, MM. Michel Lévy frères. Voilà un des rares volumes de poésie qu'on peut lire en famille, et qui élèvent l'intelligence sans dégrader le cœur. Nous y reviendrons.

-L'Académie française, après vingt tours de scrutin inutiles, où M. de Musset a eu 5 voix, M. de Montalembert 12, et M. Nisard 16, a renvoyé à septembre prochain l'élection du successeur de M. de Feletz.

LOTERIE NATIONALE.

Le numéro qui a gagné le service de 70,000 francs, au tirage de la Loterie Nationale, le 28 mars, est le numéro 71,922. (Voyez notre Mercure de France pour les détails.)

Typographie HENNUYER et C, rue Lemercier, 24. Batignolles.

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