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M. DE VERAC, se levant avec colère. Ah! c'est trop fort!... Et décidément...

MARTIN, à part. Voilà les symptômés! Jé les réconnais maintenant. Toutes les fois qu'il mé bourré, c'est lé sang qui lui porte au cœur! Il vaut mieux lé foudroyer d'un seul coup. (Haut.) Au nom du Ciel, monsieur lé baron, prénez sur vous-même et résignez-vous aux terribles nouvellés...

M. DE VERAC, à part. Ah çà! il m'inquiète à la fin!... (Haut et hors de lui.) Que veux-tu dire, morbleu?

MARTIN. Eh bien, voici... mais, par pitié, gardez votré sang-froid!... Les emportéments vous tuent! M. lé marquis vient d'écrire à M. d'Arnaud qu'il est ruiné dé fond en comblé...

M. DE VÉRAC. Ruiné!

MARTIN. Sans douté par ia perté dé son fameux procès. M. DE VÉRAC. C'est impossible! Tu as vu la lettre? MARTIN. Ecrité dé sa main... La soubretté vient dé mé la montrer en la portant à Mme d'Arnaud.

M. DE VERAC, tombant accablé sur un siége. Pauvre marquis!...

MARTIN. Pauvré baron!

M. DE VERAC. Il s'agit bien de moi !

MARTIN, s'attendrissant. Mais sa ruine est notré ruiné, sandis! Et cé n'est qué lé moindré dé nos désastrés... Lé marquis ajouté: (Né vous agitez pas, monsieur! né vous faités pas dé mal :) «Qué votré santé réclamé les plus grands soins, qué les plaisirs dé la cour et du mondé vous mèneraient au tombeau (Avec des larmes dans la voix.), et qué nous dévons y rénoncer pour vivré dans l'humblé paix du ménagé.

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M. DE VERAC. Une maladie du cœur? Eh bien, tant mieux! je vivrai enfin selon mes goûts, et ferai de mes devoirs mes plaisirs.

MARTIN, confondu. Comme il prend céla! Moi qui craignais une explosion! J'y perds lé resté dé mon latin.

M. DE VERAC, se levant. Tu as fini, n'est-ce pas? Va donc seller mon cheval. Le ciel annonce une orage... Je veux être ce soir près de mon oncle.

MARTIN. Nous y sérons, monsieur, nous y sérons! (A part.) O abîmé du cœur humain! (En sortant par le fond, il se croise avec Mine d'Arnaud qui entre radieuse, parée de sa robe de soie puce à queue et faisant ses plus belles révérences.) Mme d'Arnaud, dans cet appareil et avec cetté figuré! Louisé né lui a pas rémis la lettré, et si M. lé baron voulait encoré!... (Bas à Vérac, se frappant le front.) Uné planché dé salut, monsieur ! Il est temps dé rattraper votré mariagé ! (Vérac le congédie d'un geste. Il sort.)

SCÈNE II.

M. de VÉRAC, Mme d'ARNAUD, puis LOUISE. Mme d'ARNAUD fait trois révérences gracieuses, auxquelles Vérac répond par trois saluts glacés.

Mme D'ARNAUD. Monsieur le baron, toute la maison

est à vos ordres pour les distractions qui pourront vous agréer...

M. DE VERAC, à part. Elle ne sait rien encore! Dieu soit béni! Je ne partirai pas sans revanche. (Haut, et d'autant plus fièrement que Mme d'Arnaud est plus obséquieuse.) Vous êtes trop bonne, madame, d'avoir pris des soins... inutiles.

Mme D'ARNAUD. J'espère qu'ils ne le seront pas, monsieur, et qu'ils prolongeront votre séjour ici.

M. DE VERAC. Je dois l'abréger, au contraire, et je venais prendre congé de vous.

Mme D'ARNAUD, effrayée. Déjà! (Coquettement.) Nous punir de nos torts, sans nous laisser le temps de les réparer! ah! vous n'aurez pas cette cruauté, monsieur!

M. DE VERAC. N'ayant point ressenti ce que vous appelez vos torts, je n'ai point à m'en venger, madame. J'obéis à une nécessité toute particulière, et qui m'appelle ailleurs...

Mme D'ARNAUD. Mais le carrosse est attelé pour votre promenade, monsieur?

M. DE VERAC. J'épargnerai cette fatigue à vos chevaux; le mien m'attend pour m'emporter (montrant le ciel.) avant cet orage.

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Mme D'ARNAUD. Nous avons invité à dîner avec vous toutes les notabilités de la ville.

M. DE VERAC. Elles remplaceront avantageusement celui qui ne méritait point tant d'honneur.

Mme D'ARNAUD. Personne ici ne peut vous remplacer, monsieur... (Cherchant à sourire.) Mais vous plaisantez très-agréablement..., comme ce matin... Ah! M. d'Arnaud disait vrai vous êtes un original, monsieur le baron...

M. DE VERAC. Je vous jure, madame, que je parle trèssérieusement.

Mme D'ARNAUD, à part. Alı çà, mais est-ce une rupture? Emilie lui a-t-elle déplu? (Haut.) Enfin, monsieur, Mae de Léris elle-même s'habille pour la réunion dont vous êtes l'objet.

M. DE VÉRAC, SOuriant. Rassurez-vous à cet égard, madame; les soins de votre propre toilette vous ont empèchée d'apprendre...

Mme D'ARNAUD, plus effrayée. Quoi donc ? que notre pupille ne vous a pas semblé digne...

M. DE VERAC, interrompant. Brisons là, madame, et veuillez me dire si elle peut recevoir mes adieux.

Mme D'ARNAUD, consternée, à part. Ses adieux !... Plus de doute! voilà ce que c'est que de m'avoir refusé les repentirs! Comment renouer l'affaire, mon Dieu! (On voit un éclair, et la pluie tombe.) Ah! la Providence vient à mon secours! (Haut.) L'orage éclate, monsieur, il sera terrible; vous ne sauriez vous mettre en route...

M. DE VÉRAC. Je voyage par tous les temps...

Mme D'ARNAUD, de plus en plus pressante. Mais nous ne souffrirons pas...

M. DE VERAC, à part. Elle va me faire prisonnier! Mme D'ARNAUD. Vous êtes notre hôte, nous répondons de votre tête !... Dieu! quels éclairs!... Vous ne partirez pas! c'est le Ciel qui s'y oppose !

M. DE VÉRAC. Je vous jure, madame... (Il salue pour sortir.)

Mme D'ARNAUD. Impossible, monsieur !

M. DE VERAC, regardant à la fenêtre. Je vois justement Martin, avec mon cheval...

LOUISE, entrant par le fond, à part. Enfin, je la trouve! (Elle tire la lettre de sa poche et va pour la donner à Mãe d'Arnaud; mais elle s'arrête en apercevant Vérac.) M. le baron!... Je ne puis remettre devant lui...

Mme D'ARNAUD. Louise, vous arrivez à propos... Dites à Martin que M. de Vérac demeure...

M. DE VERAC. Mais, madame...

Mine D'ARNAUD. Qu'il peut loger son cheval dans notre grande écurie...

M. DE VÉRAC. Mais, madame, je vous répète...

Mme D'ARNAUD. Point d'excuses, monsieur... Cette écurie est énorme ! il y tiendrait dix bêtes comme la vôtre ! M. DE VERAC. Pour la dernière fois, madame...

Mine D'ARNAUD, avec une grâce irrésistible. Pas un mot... avant la dernière goutte de pluie... Que diantre! monsieur, nous savons vivre; nous ne sommes pas des Iroquois, à Caudebec!... Ainsi, voilà qui est arrangé. (A part.) Et ce n'est pas sans peine ! Ah! si elle avait mis les repentirs!

M. DE VERAC, à part. Décidément, je suis en prison... (Bas et vivement à Louise.) Dites à votre maîtresse que je lui demande l'honneur de la saluer; et à Martin, qu'il tienne mon cheval prêt et vienne me chercher dans dix minutes. (A part.) C'est le seul moyen d'échapper à cette vieille Armide!

(Comme Louise sort par le fond, M. d'Arnaud entre, le visage defait, la toilette interrompue, le jabot de travers, une manchette et une jarretière pendante, un pet-en-l'air mis à la hâte sur ses culottes gorge de pigeon.)

Louise, bas à M. d'Arnaud, lui rendant la lettre. Ma foi! monsieur, voici le poulet du marquis; je n'ai pu le

faire lire à madame devant le baron... Chargez-vous-en, s'il vous plaît.

!Elle sort.

SCENE III.

M. de VERAC, Mme d'ARNAUD, M. d'ARNAUD. (Il salue négligemment Vérac.) Sa froideur contraste avec l'enthousiasme de Mme d'Arnaud.

Mme D'ARNAUD, triomphante. Arrivez donc, monsieur d'Arnaud! j'ai vaincu monsieur, qui allait nous quitter. A vous de profiter de la victoire!

M. D'ARNAUD, bas à Mãe d'Arnaud. Vous l'avez retenu? Mais vous ne savez pas...

Mme D'ARNAUD, sans l'écouter, et tournée vers M. de Vérac. Prouvons à M. le baron que Caudebec est moins ennuyeux que la pluie...

M. D'ARNAUD, de même. Mais il faut le laisser partir, au contraire...

Mme D'ARNAUD, de même. Nous avons de quoi remplacer la promenade, monsieur : les gazettes de Paris, le boston, le loto-dauphin... (Montrant son mari.) Tenez, voilà le plus intrépide joueur de France et de Navarre !

M. D'ARNAUD, de méme. Mais écoutez-moi donc, et apprenez...

Mme D'ARNAUD, de même. Sans compter les surprises que nous vous ménageons au dîner les beautés de Caudebec et son poëte ordinaire, car nous avons un poëte à Caudebec!

M. D'ARNAUD, de méme. Mais, au nom du Ciel!... (Tirant Mãe d'Arnaud par la manche.) Il n'est plus bon à rien !... il est ruiné!

Mme D'ARNAUD, étourdie du coup. Hein?... vous dites... M. D'ARNAUD, de même. Lisez! (Il lui remet la lettre du marquis.)

Mme D'ARNAUD, de méme. Qu'est-ce que c'est?
M. D'ARNAUD, de même. Lisez!!!

M. DE VERAC, les observant, à part. C'est la lettre de mon oncle! je suis sauvé! ils vont me mettre à la porte ! (Il prend une attitude fière et digne.)

Mme D'ARNAUD, à part, lisant : « Ruine complète... une maladie de cœur... un ménage modeste... » (Après avoir lu, tombant de son haut, à part.) Miséricorde' qu'ai-je fait! (Revirement complet dans sa personne. Elle toise Vérac avec dédain; puis elle sonne vivement. Louise parait. Elle lui donne la lettre, sans étre vue du baron, en disant: Portez cela tout de suite à Me de Léris.)

(Louise sort.)

(Pendant ce temps-là, M. de Vérac, d'un air ironique, a essayé de parler à M. d'Arnaud, qui pour toute réponse a porté la main à sa gorge, comme repris de son extinction de voix.)

Mme D'ARNAUD, à part, se jetant dans un fauteuil. Ah! j'ai envie de me trouver mal!

M. de Verac, à M. d'Arnaud, avec un sourire railleur. Mme d'Arnaud est terriblement aimable, monsieur! Vous voyez un captif de ses bonnes grâces... (Point de réponse de M. d'Arnaud. Mêmes gestes.) Votre extinction de voix est intermittente... Je vous indiquerai un remède pendant notre partie de loto. (Mémes gestes. Ce jeu de scène se prolonge quelques instants. Emilie paraît. Vérac s'écrie :) Enfin! voici ma liberté!

SCÈNE IV.

M. de VÉRAC, M. d'ARNAUD, Mme d'ARNAUD, ÉMILIE, coiffée en repentirs, entrant par la droite, avec une émotion contenue. (Elle tient encore, en la pressant dans sa main, la lettre qu'elle vient de lire.) Puis MARTIN et LOUISE.

Mme D'ARNAUD, se levant à la vue d'Emilie, à part. Les repentirs à cette heure! Il est bien temps !

EMILIE, très-empressée et cachant sa tristesse. Que viens-je d'apprendre, monsieur! Vous voulez déjà nous quitter!

M. DE VERAC. C'est ce que j'allais faire, madame..., à mon grand regret..., et je n'attendais que l'honneur de vous saluer... (Observant ironiquement Mae d'Arnaud.) lorsque Mme la conseillère m'a fermé la retraite avec une insistance et une habileté...

Mme D'ARNAUD, de moins en moins polie. Dont je vous demande pardon, monsieur, puisqu'elles vous ont été importunes... (Bas à Emilie.) Vous avez lu la lettre?

EMILIE, bas, avec sentiment. Hélas! oui. (Examinant Vérac avec intérêt.) Il ignore encore, j'espère... Si je pouvais lui adoucir...

M. de Vérac, à Mine d'Arnaud, regardant Emilie. Je me félicite au contraire, madame, de m'être laissé enchaîner par vous.

Mme D'ARNAUD. A Dieu ne plaise, monsieur, que j'entrave vos projets !... Je vous ai prié d'attendre la fin de l'orage... et... (Elle jette un coup d'œil impertinent à la fenêtre.)

EMILIE, à part. Va-t-elle le renvoyer parce qu'il est malheureux !

M. DE VÉRAC, ouvrant la fenêtre. Et il fait maintenant un temps magnifique! (On entend une pluie battante et des coups de tonnerre. Un silence.)

M. D'ARNAUD. En effet, le ciel se débrouille. (Il frissonne et met son second pet-en-l'air.)

EMILIE, à part. Quelle indignité! (Elle regarde sévèrement ses tuteurs.)

MARTIN, entrant par le fond, tout ruisselant d'eau, et suivi de Louise.) Lé chéval dé M. lé baron est à ses ordrés. Il n'aura, pour s'ensévélir, qué lé choix des fondrières.

M. DE VÊRAC, saluant Mme d'Arnaud. Recevez mes adieux, madame, et comptez sur une gratitude.égale à vos bontés...

Mme D'ARNAUD, faisant une profonde révérence. J'ai l'honneur, monsieur, de vous souhaiter un bon voyage. (Emilie s'avance avec un mouvement d'indignation.)

M. DE VÉRAC, à Emilie, d'un ton pénétré. Et vous, madame, pardonnez-moi d'être venu troubler vos rêves, et soyez plus heureuse que moi, en oubliant la folie du mien.

EMILIE, de même. Je ne vois que la folie de votre départ, monsieur, et, au nom de mes devoirs les plus chers, au nom des vôtres à mon égard, je m'y oppose à mon tour sérieusement. (Elevant la voix.) Vous êtes ici l'hôte de Mme de Léris, et non de Mme d'Arnaud. (Elle lance un regard à cette dernière.) Or, Mue de Léris n'abandonne point ses hôtes par un temps comme celui-ci. Si mon insistance n'est pas habile, elle est sincère et cordiale; ne me faites pas le chagrin de la repousser.

M. DE VERAC, à part. Quel changement! (Haut.) Vous me comblez, madame; j'attendrai près de vous la fin de l'orage, et je désire maintenant qu'il se prolonge. (Emilie et Vérac continuent de se parler bas. Emilie semble s'excuser pour Mme d'Arnaud.)

Mme D'ARNAUD, bas et sèchement, à M. d'Arnaud. C'est une leçon dans les règles. Retirons-nous. (Ils saluent froidement et sont salués de même. Bas et impérieusement à Louise.) Louise, vous décommanderez le diner, le vidame et les Kerkarainville... (Elle sort brusquement avec M. d'Arnaud, qu'elle entraîne en lui prenant le bras.)

LOUISE, Bas à Martin. Eh bien! que pensez-vous de ceci?

MARTIN, de même, observant Emilie et Vérac. Qu'à votré placé jé né décommandérais rien du tout, car vous pourrez voir encoré dé quoi nous sommés capablés! LOUISE, à part, l'observant avec admiration. Ce Martin est vraiment un grand politique !

SCÈNE V.

(Tous deux sortent.)

ÉMILIE, M. de VÉRAC. Aussi naturels, l'un et l'autre, qu'ils avaient été affectés dans leur première entrevue.

EMILIE. Que vous êtes aimable, monsieur, de m'avoir comprise et d'être resté... (Elle lui offre un siège.) C'est renvoyer la leçon à qui de droit. Votre départ l'eût fait tomber sur moi-même...

M. DE VERAC. Sur vous, madame! quand je suis confus de surprise et de reconnaissance !... (A part.) C'est incroyable! La voilà redevenue ce qu'elle était à Versailles. (Ils s'asseyent. Emilie prend une broderie.)

EMILIE. Laissons là les grands mots, et parlons simplement en bons amis, maintenant que nous ne sommes plus... (Souriant.) que des futurs passés... (Elle lui tend la main.)

M. DE VERAC, la prenant, à part. Hélas! (Haut.) C'est vous qui l'avez dit, madame.

EMILIE, à part. Je le trouve pâli..... Lui aurait-on annoncé sans précaution?... (Haut.) Vous étiez depuis quelque temps avec Mme d'Arnaud?... Elle ne vous a pas fait de... confidences?...

M. DE VERAC. Lesquelles?

EMILIE, avec joie. Bien ! c'est tout ce que je voulais savoir. (A part.) Je le préparerai du moins à son malheur... (Haut, souriant avec bonté.) Ne vous effrayez pas, monsieur, il s'agit d'une petite morale, que je désire vous adresser la première... Vous connaissez le proverbe : Le plus jeune prédicateur...

M. DE VERAC. Fait le meilleur sermon... Je crains seulement que vous ne prêchiez un converti...

EMILIE. Non pas ! car vous m'avez confessé vos défauts, et je vais les attaquer en trois points.

M. DE VERAC. Trop heureux de mériter encore vos reproches, j'y verrai des ordres pour moi.

EMILIE. J'en prends acte, comme dirait mon tuteur, et je monte résolument en chaire... Premier point... Vous vous croyez invulnérable, comme tous nos jeunes gens, et vous menez si rudement votre santé qu'elle vous abandonnera en route. Par exemple, voyager à cheval par le temps qu'il fait, n'est-ce pas une folie digne des PetitesMaisons?...

M. DE VERAC. C'était pour être près de vous plus tôt... EMILIE. Alors, vous devez tenir à vous en éloigner lentement. Vous accepterez donc mon carrosse pour repartir... quand vous repartirez... (Mouvement de Vérac.) Pas d'objection, monsieur! je serais aussi obstinée que Mme d'Arnaud ! Et notez bien que mes ordonnances s'étendent jusqu'à Paris et à Vérac! Oui, vous allez me trouver un docteur bien sévère !... je vous interdis ce

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que vous aimez par-dessus tout : les veilles et les courses prolongées, l'abus de la chasse, (du jeu, de la danse, de toutes ces fatigues que vous nommez les plaisirs de Versailles, et qui, pour arriver à mon second point...

M. DE VERAC, Souriant. Mille pardons, madame, de vous interrompre; mais les plaisirs de Versailles sont le dernier de mes soucis.

EMILIE, étonnée. Vraiment! vous ne retournerez pas (imitant le ton de Vérac au premier acte, mais suns ironie.) « à l'hallali du roi, au cercle de la reine, au grand Opéra ? »

M. DE VÉRAC, sans façon. Moi! je compte achever la saison chez mon oncle ou dans mon petit manoir.

EMILIE. Ah! c'est juste. Vous y retrouverez, jusqu'à Fhiver (imitant Vérac,), « votre cour provinciale, la comédie de société, vos joyeux amis pour hôtes, et vos beaux-esprits pour commensaux. »

M. DE VERAC. Dieu me préserve d'une telle cohue! Je retrouverai les beaux-esprits de ma bibliothèque, les spectacles variés de la nature, la tranquillité dans la solitude, un cercle intime et sans gêne après diner, et quelques pauvres soulagés pour courtisans.

EMILIE, à part. Qu'entends-je? (Haut, effrayée.) Vous ne plaisantez pas?

M. DE VERAC, trés-rondement. Je vous jure que non ! EMILIE, avec joie. Alors mon sermon fait des miracles, ou vous êtes un pénitent sans égal. Une si brusque réforme dans vos habitudes! c'est admirable à vous, monsieur.

M. DE VÉRAC. Je suis désolé, madame, de vous désenchanter sur mes défauts, et de vous avouer des qualités qui vous déplairont, sans doute: mes goûts simples et modestes ont toujours été les mêmes...

EMILIE, à part. Il se pourrait? (Haut.) Cependant, monsieur, l'existence que vous me traciez ce matin (L'imitant.): « un hôtel à Paris et un appartement à Versailles. »

M. de Vérac. C'était pour vous, madame.

EMILIE. « Les matinées au grand couvert ou à Trianon, et les soirées au bal et aux fêtes de la Cour. » M. DE VERAC. Encore pour vous, madame! EMILIE. « L'été, les voyages et les eaux, ou la vie de château, dans vos terres, au milieu des réceptions, des piqueurs et des chiens. »

M. DE VÉrac. Toujours pour vous, madame!
EMILIE. Et telle n'est point votre manière de vivre?

M. DE VERAC, à part. Au fait, n'ayant plus rien à prétendre, je n'ai plus rien à perdre; je puis me dédommager de mon rôle de ce matin! (Haut.) Voulez-vous que je vous fasse naïvement le tableau de ma vie, — dût-il vous sembler ridicule, auprès de celui qui n'a obtenu que vos dédains?

EMILIE, vivement. Volontiers, monsieur. Ce contraste m'intéressera plus que vous ne pensez. (Elle quitte sa broderie pour écouter avidement.)

M. DE VERAC, avec tout l'abandon de la franchise. El bien! madame, je déteste cordialement ce que vous m'interdisez, et j'aime par-dessus tout ce que vous me croyez si antipathique le calme intérieur et l'indépendance personnelle. Le monde est un despote bruyant dont les caprices m'amusent parfois, sans me captiver jamais. Ayant placé mes jouissances dans mon esprit et dans mon cœur, je regarde les titres comme une décoration de bon goût; la fortune, comme une bague au doigt; les honneurs, comme une bulle de savon, fort brillante au soleil des bougies. Quand je chasse, un paysage me

fait manquer un chevreuil. Je vais rarement à l'Opéra, parce qu'on y pose, au lieu d'écouter la musique; plus rarement à la cour, parce qu'on y rencontre moins d'hom mes que de pantins, et moins de femmes que de marionnettes. Lorsque Martin m'accommode pour le bal, j'oublie souvent de m'y rendre, en lisant un beau livre, ou en recevant un bon ami. Je vis, l'été, en gentilhomme campagnard; et l'hiver, en observateur gentilhomme. J'aime mieux voyager à cheval qu'en carrosse ; à pied, qu'à cheval; demeurer en place, que voyager. Je préfère un louis donné à l'indigent, à cent pistoles gagnées au pharaon; une poignée de main d'un homme de cœur, à tous les hommages d'une multitude; un sourire franc sur les lèvres d'une femme, à tous les diamants du Pérou sur ses épaules; l'aisance avec l'honneur et la liberté, dans une maisonnette, à l'opulence avec tous ses embarras, dans un palais. Voilà, madame, quels sont mes goûts et mon existence. Excusez l'audace d'une telle profession de foi.

EMILIE, contenant son émotion. J'avoue qu'elle m'étonne, après votre langage de ce matin. Vous parliez en habitué de l'OEil-de-Bœuf, et voilà que vous raisonnez en philosophe. Lequel dois-je croire?

M. DE VERAC. Croyez le philosophe, il est désintéressé. EMILIE. Mais alors, monsieur, pourquoi... m'avoir trompée sur votre compte?

M. DE VÉRAC, Ah! pourquoi ?... Ce sera mon dernier med culpá. Ce matin, madame, j'étais un prétendu; je posais... contre mon gré, Dieu m'en est témoin ! On m'avait prévenu de vos ambitions mondaines. Elles m'affligeaient (pardonnez-le-moi); mais j'ai cru devoir les flatter pour vous plaire, et je m'y serais soumis par dévouement, sûr de vous en guérir un jour par raison; car je les regarde comme une maladie (pardonnez-le-moi encore).

EMILIE, Souriant. Je vous pardonne. Continuez.

M. DE VERAC. Je vous ai donc offert le bonheur tel que vous l'entendez: la cour, les salons, les honneurs, les fêtes, le bonheur extérieur enfin... Vous m'avez puni par où je péchais, en trouvant mes offres trop mesquines. J'ai, certes, mérité mon sort, et je m'en tiendrai à ce début dans la comédie. La franchise, d'ailleurs, m'eût réussi moins encore; car, si je vous avais dit, madame... EMILIE. Si vous m'aviez dit?...

M. DE Vérac. A quoi bon, maintenant?...
EMILIE. Je vous en prie, allez toujours...

M. DE VERAC. Eh bien! si je vous avais dit : « Le bon« heur que je désire est tout intérieur; la femme que je « rêve est une femme belle et spirituelle comme vous, << naïve et modeste comme moi; la vie que j'ambitionne « est une vie simple, libre et paisible. A Paris, un refuge « élégant à l'abri de la foule, un nid que nous retrouve<< rions plus doux après les agitations du dehors ; des amis « qui nous rechercheraient pour nous-mêmes; la causerie, « les livres et les arts au coin du feu; la solitude, pour « mieux apprécier le monde, et le monde, pour mieux ai« mer la solitude; en province, un petit castel entre bois « et jardin, l'étude de la nature et le soin de nos fleurs, « les promenades du printemps au soleil, les repos de « l'été sous l'ombrage, les fêtes de la récolte en automne; « la vie de famille et de voisinage, offerte à des hôtes de « choix, le moins de fâcheux possibie chez nous, et quel«ques heureux à notre porte... »

EMILIE, attendrie, à part. Tout mon rêve, hélas!... (Haut.) Si vous m'aviez parlé ainsi, monsieur, je vous aurais répondu Vos goûts sont précisément les miens.

Cette existence est celle que je me suis faite, et je n'en veux point, je n'en voudrai jamais d'autre !

M. DE VERAC, se levant, comme ébloui. Grand Dieu !... (D'une voix tremblante.) Mais alors, madame, je vous demanderai, à mon tour, l'explication...

EMILIE, se levant aussi. De mon langage de ce matin?... M. DE VERAC. « Qu'est-ce qu'un marquisat dans le siècle où nous sommes? quelle figure ferais-je dans le monde avec un revenu de 30,000 livres?» Et « pourquoi pas nos chasses, au lieu de celles du roi ? » Et « Versailles par le petit bout de la lorgnette!... >>

EMILIE. Ma justification sera la même que la vôtre... Vous avez fait de la prétention, j'ai fait de l'ironie; vous posiez en fat, j'ai posé en coquette..., et, pour vous donner une leçon, j'ai renchéri sur vous. N'était-ce pas ma défense naturelle?... Mettez-vous à ma place... Nous nous sommes intrigués, comme à l'Opéra, sans nous reconnaître sous le masque...; et ce n'est pas ma faute..., c'est la vôtre.

M. DE VERAC, avec douleur et passion. Il est trop vrai, madame! mais puisque nous nous reconnaissons enfin, pardonnez-moi! (Il fait un mouvement pour se jeter à genoux; puis il s'arrête, comme frappé au cœur... et détourne la téte.) Ou plutôt, oubliez-moi, car j'entrevois le ciel trop tard! (Il essuie une larme.)

EMILIE, très-émue. Trop tard! Pourquoi donc ?

M. DE VERAC. Parce que..., moi qui vous parlais de fortune, je ne puis plus même vous offrir...

EMILIE, stupéfaite. Vous savez... le malheur... de votre oncle! (Elle lui montre la lettre du marquis.)

M. DE VERAC, de même. Vous le saviez aussi! (Il prend vivement la lettre et y jette un coup d'œil rapide.) Ah!

M. de Vérac, Émilie, le petit laquais.

madame, je vous comprends!... Excusez une illusion téméraire... Votre intérêt, si touchant, pour ma santé. Votre toute charmante leçon de philosophie... c'était pour me disposer à cette nouvelle ! Vous êtes un ange de bonté, madame... et mon éternelle reconnaissance. . EMILIE. Toujours les grands mots ! Vous me demandiez pardon; je vous pardonne, en effet, mais c'est de ne pas me comprendre encore. Et puisqu'il faut m'expliquer... indiscrètement, ma fortune suffit à deux, avec nos goûts... Mme d'Arnaud, sans me consulter, et avant cette lettre qu'elle maudit, avait préparé, au neveu de M. de Francville, un dîner de fiançailles... J'y invite, à mon tour, le baron de Vérac, sans l'aveu de Mme d'Arnaud, et

après cette lettre que je bénis... Comprenez-vous, enfin?... (Elle lui tend la main.)

M. DE VERAC, d'une voix étouffée et lui prenant la main. Oh! oui, madame, et j'en mourrai de douleur... car le baron de Vérac, dépouillé de la dot de M. de Francville, et menacé d'une vie solitaire et souffrante, ne peut accepter votre sacrifice, sans devenir indigne de vous... Voici la fin de l'orage..., c'est celle de mon bonheur... Adieu, madame, adieu... (Emilie, sans pouvoir dire un mot, étouffe un soupir... Vérac se dirige vers la porte. Un petit laquais paraît, effaré.)

SCÈNE VI.

ÉMILIE, M. de VÉRAC, un LAQUAIS, puis M. de FRANCVILLE.

LE LAQUAIS. Monsieur, madame, un gros monsieur dans un grand carrosse, introduit par le valet de monsieur, vient parler à monsieur et à madame. Je lui ai demandé son nom, il m'a ri au nez. Alors, je suis accouru vers madame et monsieur. Voilà ce monsieur, madame.

(Le laquais sort, le marquis de Francville entre, d'un pas résolu, et riant encore. Tenue de grand seigneur, mais sans prétention. Exclamations de Vérac et d'Émilie.)

M. DE VERAC. Mon oncle, ici!

ÉMILIE. Le marquis de Francville!

M. DE FRANCVILLE. En personne. (Saluant Emilie.) A vos pieds, belle dame. (Pressant la main de Vérac.) Bonjour, baron. Vous ne m'attendiez pas? (Il prend une prise de tabac avec le plus grand sang-froid.)

M. DE VERAC, balbutiant. En effet.

EMILIE, rassurée. Vous n'en serez que mieux venu, monsieur le marquis. (A part.) Quelle gaieté dans son malheur !...

M. DE FRANCVILLE. Que voulez-vous! je suis un original. Prenez-moi comme tel. Il m'eût été difficile de m'annon cer, car je ne savais pas hier soir que je viendrais ce ma tin. C'est un rayon de soleil qui m'a décidé.

M. DE VERAC, à part. Quelles sont ses intentions?
EMILIE, de même. Il est charmant!

M. DE FRANCVILLE. Eh bien! quoi de nouveau à Caudebec? (A part, les observant du coin de l'œil.) Nous avons pleuré? Martin à raison, cela va bien. (Haut.) Sy accorde-t-on? S'y brouille-t-on?... S'y... marie-t-on?

M. DE VERAC, à part, très-embarrassé. Je le reconnais là! Il va casser les vitres. (Un silence.)

M. DE FRANCVILLE. Pas de réponse? Qui ne dit rien... EMILIE, rougissant. Vous appelez les choses par leur nom, monsieur !...

M. DE FRANCVILLE. Je suis un original; je vous en ai pré

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venue.

EMILIE. J'aime les originaux... comme vous. (Elle lui tend la main.) Touchez là, marquis, et venez à mon secours... contre le baron.

M. DE FRANCVILLE. Contre mon neveu!

EMILIE. Oui, il veut nous quitter... Il refuse un diner de... famille, préparé en son honneur.

M. DE FRANCVILLE, à part. Je comprends. C'est à merveille!

M. DE VERAC. Mon oncle appréciera les motifs... qui me rappelaient vers lui.

M. DE FRANCVILLE. Parfaitement; mais puisque nous voilà réunis chez madame...

M. DE VERAC, dans la plus vive perplexité. Vous reste donc?

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