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Nord s'abattre sur l'empire romain, en apprécièrent les avantages. Nous les voyons s'y arrêter, et mettre fin à leur vie aventureuse. Mais aux premiers en succèdent d'autres, et ceux-ci à leur tour subissent une troisième invasion, et de même pendant plusieurs siècles. Chose rare et peut-être unique dans l'histoire, ces populations ne se mêlent point; elles ne perdent ni ne gagnent au voisinage; chacune conserve sa physionomie, son caractère, sa religion, son langage. Les vieilles haines de vainqueurs à vaincus ne sont point éteintes ; les institutions ont pris soin de les perpétuer. Les signes extérieurs, et plus encore la loi, distinguent les deux races l'une de l'autre ; June, toujours à cheval et en armes, maîtresse du sol qu'elle a conquis; l'autre, forcée d'obéir, attachée à la glèbe, sans droits, sans existence légale, nulle.

Voici d'abord les derniers venus, les Hongrois ou Magyars, qui donnent leur nom au pays; puis les Slaves et les Croates, anciens propriétaires du sol; les Valaques, fiers de s'appeler Roumains; les Allemands, les Bohémiens ou Zingares, ces fils de la malédiction; enfin les Français venus au temps de Marie-Thérèse. Ils ont fondé quelques villages, et leur ont donné des noms qui rappellent leur patrie.

Et parva simulacra Trojæ.

La religion du souvenir est si douce en exil!

L'étude de quelques-uns de ces peuples donnera la clef des événements dont la Hongrie vient d'être le théâtre.

LES MAGYARS.

Ils apparaissent, au neuvième siècle, sous la conduite d'Arpad. Sortis des montagnes du Thibet, ils ont fait trois grandes stations, dont il est facile de retrouver la trace; au nord de la Chine, qui se protégea contre eux par sa longue muraille; dans la Perse et dans le Caucase. Ils s'annoncent comme descendants des Scythes, et comptent Attila au rang de leurs ancêtres. Les apparences sont en faveur de cette opinion nationale.

On aura beau faire pour leur assigner une autre origine; jamais on n'effacera de leurs habitudes, de leurs traits, de leur langue, cette vive empreinte et ce cachet qui font voir à quelle race d'hommes un peuple appartient. Croyez-vous que ces Magyars grands, élancés, musculeux, aux yeux et à la moustache noirs, au nez aquilin, aux traits réguliers et beaux, à la démarche militaire, à la physionomie calme et réfléchie, soient venus d'ailleurs que de TOrient? Entendez-les parler! Quelle magnificence de langage! Non-seulement les termes sont nobles et sonores; mais les images abondent, et la pensée se colore vivement. Le paysan appelle sa femme csillagom (mon étuile), gyongom (ma perle); quand il vient demander la protection de son seigneur, il lui dit : «Je me place sous vas deux ailes étendues.» Même hyperbole, même exagéalion que les peuples de l'Asie; même culte pour la beauté hysique, et même pressentiment d'une haute destinée. Entre le Magyar opulent et noble et le Magyar paysan, quoique l'intervalle soit immense, le fond est toujours le ne. Tous deux se reconnaissent aisément.

Ce dernier est, pour le voyageur, un souvenir du neuVe siècle vivant au dix-neuvième. Il a conservé le Costume national, nous ne disons pas dans toute sa pureté, Texpression serait risible, mais dans toute sa barbarie et sa Santé primitives. Dix siècles ont passé sur ce peuple sans effacer son caractère; le Magyar d'aujourd'hui est le digne fils da barbare d'autrefois; comme son père, il a une phy

sionomie dure, mais pleine d'expression; il unit la force nerveuse à une grande insensibilité physique; comme son père, il porte une chevelure longue et huileuse, et n'a pour costume qu'une veste de cuir enduite de graisse (ce qui, pour lui, remplace souvent la chemise); de larges pantalons, et une peau de mouton presque séculaire, enrichie de couleurs voyantes, et qu'il porte avec dignité, le bunola. Race dure et indifférente, il méprise les habitudes casanières, et croirait s'efféminer en acceptant tout ce cortége de petites nécessités qui se sont peu à peu introduites dans la vie moderne; c'est le lazzarone du désert, acceptant la vie telle que la Providence la lui a jetée; dormant où le sommeil le prend, au milieu des pustas, sous un hangar, sous un chariot, à la pluie, au vent, à un soleil de 30 degrés, jamais dans une auberge.

Il ne peut être que cultivateur, berger ou soldat: pour toute autre profession, son aversion égale son mépris. Il a un respect profond pour la terre et la cultive avec orgueil. Berger, il passe des mois entiers hors de son toit. On le voit, enveloppé dans son grand manteau blanc, assis, à la tartare, sur le bord des routes, béant aux horizons lointains, ou suivant de l'œil la fumée de sa pipe, caressant ses longues moustaches, menant par excellence la vie contemplative. Il n'aime pas le gouvernement autrichien; mais ses instincts guerriers l'emportent souvent, et volontiers il se fait soldat. Hier, lorsqu'il combattait pour sa liberté et sur le sol de sa patrie, son courage avait grandi encore. Le nombre l'a écrasé enfin; il a été vaincu, mais comme on l'est aux Thermopyles.

Le paysan magyar a la dignité des Orientaux. Il est grave comme le Turc. Il faut qu'il danse au son de la musique nationale, ou qu'il boive quelque peu des excellents vins de son pays, pour qu'une gaieté bruyante l'entraîne. Toutefois cette gravité ne lui vient qu'après le mariage, lorsqu'il est le chef de la maison.

«En Orient, dit quelque part Mme de Staël, quand on n'a rien à se dire, on fume du tabac de rose ensemble, et de temps en temps on se salue, les bras croisés sur la poitrine, pour se donner un témoignage d'amitié. » Ainsi fait le Hongrois. Il est sobre de ses paroles, et ne devient jamais familier; mais il est franc et loyal, et s'il reconnaît en vous un ami, il s'ouvrira avec sincérité.

La famille du paysan magyar n'est jamais nombreuse. Il se croit d'un sang qu'on ne saurait prodiguer. «La noble jument, dit-il, n'a qu'un poulain par an; c'est l'ignoble truie qui met bas une multitude de petits. >>

Il est généreux, mais dissipateur. Donnez-lui un écu que l'Allemand ramasserait avec soin, il ira chercher un ami pour le boire avec lui; ou s'il le garde, ce sera pour acheter quelque parure de son goût; car il est ami d'une sorte de braverie orientale qui recherche le clinquant et les ornements fastueux. Qu'il est facile aux recruteurs de le séduire par l'aspect de l'uniforme du hussard! Un de ces brillants cavaliers est mis à la porte d'une auberge et bat la caisse. La foule accourt; et les jeunes filles les premières poussent les jeunes gens à signer un engagement. Ils acceptent avec joie et les vins coulent. Mais qu'au réveil ils se trouvent dragons ou fantassins, et non plus hussards, ils désertent ou se tuent.

Passons au noble magyar, ce lion royal de la Hongrie, dont la gravure suivante vous montrera le charmant cos-. tume, en attendant que nous vous décrivions son caractère et ses habitudes.

(La suite prochainement.)

H. DAVID.

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Tu es jeune, mon frère, et tu as confiance dans la vie. Prépare-toi cependant à l'injustice. Par exemple, ne t'avise pas de quitter ce trou humide pour aller jouer parmi les oiseaux qui se promènent là-bas sur l'étang. L'homme trouve ces oiseaux jolis, et il nous trouve horribles. C'est le nom qu'il me donne à moi, crapaud des forêts: (Horridus). Il ne pardonne pas à nos beaux yeux, d'ont l'iris couleur d'or, nuancé de rouge, entoure une pupille noire, si étincelante et si pure. De plus, il nous croit venimeux et malfaisants, ce qui est une erreur cruelle. Ce fluide écumeux que rejette notre corps est notre seule défense contre nos ennemis. Plus innocent que les armes humaines, il repousse, sans les blesser, ceux qui nous attaquent. Le chien qui nous mord est quitte pour une enflure d'un moment. Mais l'homme nous dit venimeux, pour encourager sa haine à nous détruire. Ses calomnies sont allées plus loin encore elles ont fait de nous des suppôts du diable, et nous avons péri par millions dans les philtres des sorciers. Crains donc les hommes, mon frère. Quand tes petits seront éclos des globules noirs enfermés à double rang dans leurs cordons de glu transparente, quand ils auront traversé la série de leurs métamorphoses et qu'ils essayeront leurs jeunes forces à l'entrée de l'automne, recommande-leur de fuir les hommes qui ne les apercevraient que pour les écraser. Quand toi-même tu appelleras leur

mère, au tomber du jour, n'élève pas trop ta voix douce et mélancolique; si elle trahit ton humble retraite, tu seras exterminé avec ta famille.

Et pourtant, si les hommes ne nous méconnaissaient pas, nous serions les hôtes familiers de leurs demeures. Les savants qui nous aiment nous apprivoisent à tel point que nous nous laissons prendre et porter autour de leur chambre, pour attraper les mouches contre la muraille. L'un d'eux raconte, et c'est la vérité, qu'un crapaud domestique montait chaque soir, à l'apparition des lumières, l'escalier d'une habitation dans le Devonshire. Il se laissait enlever jusqu'au cabinet où l'attendait son repas d'insectes. Des dames, surmontant l'horreur que nous inspirons, accouraient le voir manger. Il suivait, en marchant, les vers sur une table, les guettait du regard, les saisissait d'un coup de langue et les avalait en un clin d'œil. Il fut ainsi l'ami de la maison pendant de longues années; jusqu'au jour où un corbeau, privé comme lui, mais plus méchant, le blessa mortellement au sortir de son trou.

Quant aux histoires que font les hommes sur des pluies de crapauds, et sur des crapauds vivants trouvés, après des siècles, au cœur des rocs ou des troncs d'arbres, ne croyons que la moitié des premières, et ne croyons rien des secondes.

HORRIDUS.

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L'ART ET LES ARTISTES ITALIENS".

L'élève qui corrige son maître.

LES SOUFFRANCES DE MICHEL-ANGE (2).

Pourquoi Michel-Ange avait le nez de travers. Le coup de poing de Torregiani. Espiéglerie du grand artiste. Pierre de Médicis. Le colosse de neige. Dissections anatomiques à San-Spirito. Boutades de Michel-Ange.-Sa Bataille de Pise.-Trait de génie. Lâcheté de Bandinelli. Benvenuto Cellini. Le pape Jules II.. Plan et histoire de son tombeau. Rêves gigantesques de Michel-Ange. - Petites intrigues de ses ennemis.Sa fuite de Rome. Jules II le poursuit à la tête d'une armée. L'entrevue de Bologne. Réconciliation.

Michel-Ange débuta dans la boutique de Ghirlandajo par un coup qui ne pouvait appartenir qu'à lui. Au lieu de se laisser corriger, comme la plupart des élèves, il corrigea les dessins de son maître. Sa copie valait toujours mieux que l'original. Ghirlandajo, en homme supérieur, au lieu de se fàcher d'une telle hardiesse, en sourit doucement et encouragea son apprenti par de nobles louanges. Mais si le maître lui pardonna, ses apprentis lui gardèrent rancune, et il dut comprendre bientôt qu'on n'est pas impunément un grand artiste à treize ans !

Un compatriote, un élève, un ami, un des plus grands admirateurs du divin Buonarroti (c'est la seule épithète qu'il lui donne dans ses mémoires), Benvenuto Cellini enfin, cet homme étrange et puissant, qui avait tant de rapports de génie et de caractère avec le grand MichelAnge, nous initic aux mystères de cette haine aveugle et jalouse que lui avaient vouée en secret ses compagnons d'apprentissage.

Voici le récit textuel de l'orfévre florentin:

« Vers ce temps (c'était en 1518, trente ans après l'é«vénement; Cellini n'en avait que dix-huit, et il ressen<< tait, avec toute la vivacité de la jeunesse, l'outrage fait << à Michel-Ange); vers ce temps-là, écrit Benvenuto Cel<< lini, arriva à Florence un sculpteur nommé Pierre Tor<< regiani; il venait d'Angleterre où il avait passé plusieurs « années. Cet homme, en voyant mes dessins et mes << travaux, me dit: Je suis venu à Florence pour enlever « le plus de jeunes gens que je puis. Je dois faire un << grand ouvrage pour mon roi (le roi d'Angleterre), et je << ne veux pour mes aides que mes compatriotes; et comme «ta manière de travailler et de dessiner est plus celle « d'un sculpteur que d'un orfévre, je t'emmène, et je te « rendrai du même coup savant et riche.

« C'était un homme hardi et fier que Torregiani, d'une << grande beauté et d'une noble tournure. Son air, ses « gestes, sa voix sonore étaient plus d'un soldat que d'un « artiste; il avait un froncement de sourcils à effrayer les « plus résolus, et tous les jours il me venait raconter quel«ques-uns de ses exploits avec ces bêtes d'Anglais « (textuel). Un jour, nous causions de Michel-Ange Buo<< narroti; Torregiani, en tenant à la main un dessin que « je venais de copier d'après le grand artiste (il divi«nissimo), me dit ainsi :

« Le Buonarroti et moi, nous allions travailler tout en«<fants à l'église du Carmine, dans la chapelle de Masaccio, « et comme il avait l'habitude de railler tous ceux qui

(1) Voyez la Table des dix premiers volumes, et t. XII, p. 23; t. XIII, p. 33, 112; t. XIV, p. 373; t. XV, p. 322, 366; t. XVI, p. 24, 137, 225, 356.

(2) Cet article complète la Biographie de Michel-Ange, par M. Alex. Dumas, publiée dans le tome XV du Musée, p. 1.

<«< dessinaient avec lui, un jour, m'étant fàché plus que « de coutume, je serrai la main et lui donnai sur le visage << un si violent coup de poing, que je sentis se briser sous « mes doigts l'os et le cartilage du nez, si bien qu'il en << portera la marque toute sa vie.>>

« Ces paroles, ajoute le jeune homme indigné, me ré« voltèrent tellement, moi qui avais constamment sous les << yeux les œuvres du divin Michel-Ange, que j'en conçus « pour Torregiani une haine si implacable, que non-seu«<lement l'envie me passa de le suivre en Angleterre, << mais encore que je ne pouvais plus ni le voir, ni le << sentir. >>

Noble et généreuse colère ! digne à la fois de celui qui l'inspire et de celui qui la ressent! Il est vrai que MichelAnge, à son insu peut-être, commettait tous les jours un nouveau crime qui devait attirer sur lui la vengeance de ses camarades et la jalousie de ses maîtres, le malheureux enfant ne pouvait parvenir à se corriger de son génie! – Un jour, on lui donne un portrait à copier; la copie achevée, il la rend à celui qui lui avait prêté le portrait, au lieu de l'original. C'était, je crois, un peintre de ses amis. Le brave homme, tout connaisseur qu'il était, ne s'aperçoit pas de la ruse. Jugez de sa confusion lorsque l'anecdote vint à s'ébruiter! Le maudit espiègle avait un peu enfumé sa peinture, afin de lui donner cet air antique qui ajoute tant de prix aux tableaux, pour ceux qui jugent un tableau d'après la date et non d'après le mérite.

-A peine Michel-Ange avait-il eu le temps de commencer quelques travaux de sculpture, qu'on conserve encore aujourd'hui comme de précieuses reliques : un bas-relief représentant, à ce que prétend Vasari, le combat des Centaures, une Vierge dans le style de Donatello, une statue d'Hercule suivant les uns en marbre, suivant les autres en bronze, que personne n'a vue, ses biographes exceptés; que tout à coup Laurent le Magnifique, frappé d'une maladie mystérieuse et incurable, alla s'éteindre à Carreggi, au milieu de ses rhéteurs. Il finit, comme il avait vécu, plus en poëte qu'en chrétien. Les arts, les lettres perdirent un Mécènes; Michel-Ange, lui, perdait plus qu'un protecteur, il perdait un ami.

Il rentra chez son père, accablé d'un profond chagrin. A dix-huit ans, il voyait déjà se briser sa carrière, et tant de magnifiques espérances s'envolaient en un seul jour.

Pierre de Médicis, l'héritier, le successeur de Laurent, débuta par jeter dans un puits le médecin de son père. Cela promettait pour ceux qui resteraient au service du nouveau prince.

Cependant Michel-Ange fut appelé un matin à la cour. Il neigeait fort ce jour-là, et le frère de Léon X s'était éveillé avec de grands projets. On n'est pas Médicis pour rien.

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!

La matière, répondit Pierre en riant, tu en trouveras dans la cour tant que tu en voudras. Il doit y avoir au moins trois pieds de neige.

C'est juste, dit Michel-Ange avec amertume. Je suis à vos gages comme j'étais aux gages de votre père; seulement, lorsqu'il commandait des statues, il préférait le marbre à la neige. Chacun ses goûts, monseigneur !

Puis il ajouta tout bas en s'éloignant: A tel prince, tel monument. Va, pauvre esprit, lâche cœur, ta grandeur ne durera guère plus que ta statue.

Il n'en remplit pas moins les ordres de Pierre avec une scrupuleuse exactitude, et laissant son colosse avant qu'un rayon de soleil vint le fondre, il se retira dans une cellule de San-Spirito, où il passait les jours et les nuits, sombre, triste, isolé, pleurant son bienfaiteur et méditant sur les destinées de sa pauvre patrie.

C'est dans cette retraite austère, entouré de cadavres provenant d'un hôpital attaché au couvent, à la lueur d'une lampe, que Michel-Ange se livra à cette longue et persévérante étude de l'anatomie qui devait être sa passion dominante.

Armé de son scalpel, il interrogeait les muscles, étudiait les fibres, mettait à nu la charpente du cœur humain. Le fruit de ses veilles fut un crucifix en bois un peu plus grand que nature, dont il fit don au prieur du monastère qui lui avait ouvert un asile, où il avait pu du moins travailler en paix et se dérober à la honte de ces tristes jours. -Michel-Ange tira d'un énorme bloc de marbre, massacré par Simon de Fiesale, une statue colossale de David. Il avait alors vingt-cinq ans, et déjà son caractère absolu et hautain ne pouvait supporter aucune observation. Malheur à ceux qui se permettaient une remarque, il les accablait de sa colère ou les raillait impitoyablement.

Le trop célèbre Soderini, tout gonfalonnier qu'il était, en fit à ses frais l'expérience. Le brave homme, aussi habile connaisseur qu'il était bon politique, voulut dire son mot sur le David: le nez lui semblait trop gros.

-Qu'à cela ne tienne, seigneur illustrissime, répond l'artiste de son air le plus hypocrite. Et ayant pris dans le creux de sa main un peu de poussière de marbre, il donne deux ou trois coups de marteau sans toucher la statue.

- A la bonne heure, s'écria le gonfalonnier transporté, voilà un David! Vous lui avez donné la vie.

- C'est à vous qu'il la doit, monseigneur.

Après cela étonnez-vous que Machiavel, en parlant du même Soderini, l'ait bien traité dans ces quatre vers où il raconte que le bon gonfalonnier s'étant présenté par mégarde au seuil des enfers, Pluton lui ferma la porte au nez et lui dit : Que viens-tu faire ici, âme stupide? Va-t'en aux limbes des enfants.

-Cependant, si le pauvre gonfalonnier était bête, comme cela paraît historiquement démontré, il n'était pas avare. Il donna quatre cents écus de Florence à Michel-Ange et le chargea de peindre à fresque une partie de la salle du Conseil. Léonard de Vinci était chargé de l'autre moitié. Léonard avait choisi pour sujet de sa fresque la victoire remportée sur Piccinino, général du duc de Milan. On voyait au premier plan une mêlée de cavaliers et une prise d'étendards.

A Michel-Ange était échu un épisode de la guerre de Pise.

Ordinairement une bataille, surtout à une époque où les soldats sont bardés de fer, offre peu de ressources à un artiste qui excelle dans le nu.

Le génie de Michel-Ange ne s'arrêta pas pour si peu. Un incident qui, pour tout autre peintre, serait passé

inaperçu, illumina soudainement les idées du grand artiste, et son carton fut composé.

Accablés par une chaleur étouffante, les soldats florentins se baignaient dans l'Arno, lorsque les Pisans font tout à coup une sortie. L'ennemi paraît; on crie aux armes, on se presse en foule : les uns, à moitié nus, sautent sur leurs épées; d'autres, par des efforts inouïs, s'empressent de faire glisser leurs vêtements sur leurs membres mouillés. Le tambour bat; l'impatience et le désespoir se peignent sur les traits des malheureux fantassins qui ne peuvent rejoindre leur drapeau. L'apparition de ce chef-d'œuvre jeta les premiers artistes de l'époque dans une stupéfaction profonde. De tous les points de l'Italie on vint l'admirer, le copier, l'étudier à l'envi. San Gallo, Ghirlandajo, Granani, André del Sarto, San Jovino, le Rosso, Perin del Vaga; tous tant qu'ils étaient alors, enfants ou vieillards, maîtres ou élèves, s'inclinèrent en silence devant l'artiste souverain qui, d'un seul pas de géant, franchissait la carrière et touchait aux dernières limites du sublime, au delà desquelles Dieu a dit à l'art: Tu n'iras pas plus loin.

Je laisse parler Benvenuto Cellini; car ce fut à l'occasion de ce même dessin, copié par lui, comme par tous les autres, que le brutal Torregiani jugeait à propos de se vanter de son affreuse anecdote.

«Tant que le carton resta debout, dit textuellement << Cellini dans ses Mémoires, il fut l'école du monde ; quoi« que le divin Michel-Ange ait fait depuis la grande cha<< pelle du pape Jules, il n'atteignit jamais à la moitié du << talent qu'il avait montré dans ce chef-d'œuvre. Il ne re<< monta jamais à l'éclat de cette première étude. »>

C'était le moment ou jamais de poignarder MichelAnge.

Ce n'eût point été assez. La haine a des calculs atroces, et l'envie a ses inspirations diaboliques. On pardonna à l'artiste, mais l'œuvre paya pour lui; tôt ou tard on aurait raison de l'homme, tandis que l'œuvre était immortelle.

L'an 1512, au milieu de l'émeute, au moment où la république expirait, où les Médicis rentraient en vainqueurs, Baccio Bandinelli, de lâche et exécrable mémoire, se glissa à pas de loup, traîtreusement, un poignard à la main, dans la salle où était exposé le chef-d'œuvre, et tandis qu'on s'égorgeait dans la rue, le misérable, assassin à la fois et voleur, enfonça plusieurs fois le couteau dans le carton, le mit en lambeaux, le foula aux pieds et en emporta les débris.

Pourquoi faut-il que la lâcheté de cet homme l'ait protégé contre les coups de Cellini?

« J'étais bien décidé, raconte Benvenuto, de le jeter par « terre et de le fouler aux pieds partout où je l'aurais ren«contré. Arrivé à la place Saint-Dominique, j'aperçus << Bandinelli qui entrait dans la même place par le côté « opposé. Rempli plus que jamais de mon sanglant projet, « je me jetai à sa rencontre; mais je n'eus pas plus tôt « jeté les yeux sur ce misérable, que je le vis sans armes, « monté sur un méchant mulet, qui avait bien moins l'air « de mulet que d'âne, et se traînant après un petit gar« çon d'une dizaine d'années. Bandinelli, en me voyant, «< pâlit comme un mort, et tremblait de la tête aux pieds. « Je compris que ce serait trop de lâcheté que de tuer ce « lâche; et je lui dis: N'aie pas peur, vil poltron, tu n'es « pas digne de mes coups!»

-A peine Jules II fut-il sur le trône, qu'il appela MichelAnge. Un tel artiste était digne de comprendre un tel pape.

Jules II réfléchit plusieurs mois sur l'ouvrage auquel il

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