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oui, adorable! car ce qu'il y a de pis, c'est que je n'ai pas cessé de la trouver telle! C'est que je l'aime peut-être encore, Dieu me pardonne, malgré ses étranges prétentions que j'eusse réformées par mes exemples. Allons! allons, c'est une provinciale désespérée ! N'y pensons plus, et quittons-la, elle et les absurdes tuteurs qui l'ont faite à leur image! (Comme il va sortir, Martin entre.)

SCÈNE XI.

M. DE VÉRAC, MARTIN.

MARTIN, joyeusement. Eh bien! monsieur, la prémière entrévue ?...

M. DE VÉRAC. Sera la dernière. Nous partons! MARTIN, abasourdi. Comment! nous partons?... Pour acheter la corbeille, alors?

M. DE VÉRAC. Pour ne plus revenir. Tu trouveras mon Cheval au Lion-d'Or.Cours le faire seller... Je prends congé de mes chers hôtes et je t'attends... (Martin reste pétrifi¿.) Eh bien! qu'ai-je dit?

MARTIN. Pardon, monsieur, uné pétité minuté, né fûtcé qué pour rétrouver mes jambés... Uné tellé surprisé mé coupé les articulations.

M. DE VÉRAC. Je ne suis pas d'humeur à rire.

MARTIN. Ni moi, jé vous lé jure! (A part.) Et mon mariagé, sandis! Comment lé réténir? (Haut.) Vous vous ètes donc brouillés, monsieur, commé si vous étiez déjà en ménagé?

M. DE VERAC, s'impatientant. Je t'ai dit d'aller...
MARTIN. J'y volé, monsieur lé baron.

M. DE VÉRAC. Tu me retrouveras ici ou dans le jardin. J'ai besoin du grand air. (Il sort. Au moment où Martin le suit, Louise entre, tout effarée, une lettre à la main.)

SCÈNE XII.

MARTIN, LOUISE.

Louise. Ah! monsieur Martin, quelle nouvelle!
Martin. Vous savez déjà notré malheur?

LOUISE. C'est vous qui ne le savez pas, et j'accours vous Lannoncer.

Martin. Hélas! jé lé savais avant vous...

LOUISE. Vous connaissez la lettre du marquis?

MARTIN. Comment! du marquis? Est-ce qu'il y a deux malheurs au lieu d'un?

LOUISE. Duquel parlez-vous donc?

MARTIN. Et vous? Nos maîtres sont brouillés!... LOUISE. Brouillés! Ce n'est pas cela! c'est M. le baron qui est ruiné!

MARTIN. Ruiné! Ah çà! expliquons-nous, sandis, car brouillés, ruiné! jé n'y vois qué des chandellés.

LOUISE, lui donnant la lettre qu'elle tient à la main. Lisez cette lettre du marquis de Francville, que M. d'Arnaud vient de recevoir à l'instant.

MARTIN, lisant. « Monsieur lé conseiller, lé baron de « Vérac, mon néveu, est parti pour aller solliciter la main « dé madamé dé Léris, votre ancienne pupillé. Je l'ai au«torisé à dire à elle et à vous que je lui donnais, en « l'établissant, la moitié de ma fortune, et qu'il pouvait « compter sur lé reste après ma mort. Ne sachant si cetté «lettré lé réjoindrait en routé, et né voulant pas plus qué « lui-même vous tromper involontairément, jé mé hâté « de vous annoncer directement, par la présenté, qué jé

« réçois sur l'heuré la nouvellé dé ma ruiné complèté, et « qu'à mon grand désespoir, M. dé Vérac né peut plus « être épousé qué pour lui-mêmé et pour sa modesté << baronnie. « Agréez..

« Marquis DE FRANCVILLE. »

LOUISE. Y voyez-vous clair enfin?

MARTIN, tombant sur une chaise et se frottant les yeux. Ruiné complèté, il y a bien: ruiné complèté! · C'est la perté dé cé procès dont il mé parlait quelquéfois! — Il né nous manquait plus qué cé coup dé gràcé! (La lettre lui échappe des mains.)

Louise, la lui rendant. Mais ce n'est pas tout. Lisez le post-scriptum.

MARTIN. Il y a encore un post-criptum! (Lisant.) « Pour «< êtré loyal et franc jusqu'au bout, jé dois vous avouer, «< commé médecin, (et ce sera un motif de résignation « pour mon néveu) qu'il est sérieusément ménacé d'uné « maladie du cœur, avec laquelle il peut sans douté méner «uné vie longue et heureusé dans un ménagé tranquille « et modesté, loin des plaisirs et des émotions bruyantés, « mais qui lé conduirait promptément au tombeau, à travers « l'existence agitée dé la cour et du monde, etc., etc. »> LOUISE. Eh bien?

MARTIN, d'une voix langoureuse. Eh bien, donnez-moi un flacon! - Jé mé trouvé mal...

LOUISE, lui faisant respirer des sels. Pauvre garçon! c'est comme M. d'Arnaud, que j'ai laissé les quatre fers en l'air, et qui m'a envoyée porter cette lettre à sa femme. Mais je tenais à vous consulter auparavant.

MARTIN. Qué voulez-vous qué jé vous disé? Sous uné pareillé tuile, la plus hauté comédie reste atterrée ! Nous avions élévé des châteaux dé cartés... il né nous reste, commé dit l'onclé, qu'à nous enterrer... pour vivre (Un silence.)

LOUISE, repliant la lettre. C'est une triste vie... MARTIN, frappé d'une idée et se retournant tendrement. Dont vous seulé pourriez mé consoler...

LOUISE. Moi! comment cela?

MARTIN, tendant les deux mains. En vous enterrant avec nous, angé dé bonté!

LOUISE, à part. Merci!

MARTIN. Cé sérait mé prouver qué vous m'aimez pour moi-mêmé (d'un ton de philosophie profonde), et non pour ces méprisables biens qu'uné lettré fait envoler.

LOUISE. Méprisables! vous en parliez autrement tout à

l'heure.

MARTIN. J'en parlais sans philosophié !... Profitez dé mon expériencé, (avec entraînement) et faisons nos adieux aux pompés du mondé.

LOUISE. C'est facile à dire quand elles vous ont planté là.......; mais, tant qu'on les voit à portée de sa main... MARTIN. La philosophié n'en sérait qué plus sublimé!

LOUISE. Ma foi! monsieur Martin, gardez votre philosophie; j'aime mieux vos principes de ce matin. J'emporte mes espérances; je reprends ma parole, et suis votre servante très-humble. (Elle sort.)

SCÈNE XIII.

MARTIN, seul, d'abord accablé, puis se levant tout à coup, avec explosion.

MARTIN. Voilà les hommés, sandis! voilà les femmés surtout!... A vos pieds, si votré boursé est pleiné; lé pied

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M. de Lamartine vient de tenir sa promesse aux souscripteurs de ses OEuvres choisies, en publiant la magnifique édition, revue, corrigée et augmentée par lui-même. Parmi les pièces inédites dont il a enrichi ses Méditations et ses Harmonies poétiques, il en est qui rappellent de la manière la plus heureuse les premières inspirations de sa muse. Nous citons, au hasard, le Grillon, que nos lecteurs diront avec charme au coin du feu, et qui est tellement musical, que les compositeurs ne tarderont pas à le noter. On y reconnaît, avec attendrissement, la voix de quelque jeune orpheline, qui pleure « l'aïeule, la mère et les sœurs avec le rossignol « triste et sans ailes » du foyer désert. Rarement la poésie de M. de Lamartine a trouvé des accents plus tendrement naïfs et plus harmonieusement mélancoliques.

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Tu me dis des choses, Des choses au cœur Comme en dit aux roses Leur oiseau rêveur.

Qu'il chante pour elles
Ses notes au vol!
Voix triste et sans ailes,
Sois mon rossignol.

LAMARTINE.

Le Journal l'Illustration vient de promettre un prix de 10,000 fr. à l'auteur qui lui remettra le meilleur Voyage en France, pour être inséré dans ses colonnes. L'idée est excellente, mais elle n'est pas neuve. Depuis de longues années, nous publions dans chaque volume du Musée des Familles quelques portions d'un Voyage en France (tel est justement notre titre général); nous le continuerons dans notre tome dix-septième et dans les suivants. Et ces articles formeront un jour, dans la collection du Musée, le Voyage en France le plus détaillé, le plus complet et le plus soigneusement illustré qui aura jamais paru. Le grand vice du projet de l'Illustration, très-louable d'ailleurs, c'est que la France entière sera décrite par la même plume. Nous avons paré à cet inconvénient en confiant la description de chaque province à l'écrivain qui la connaît le mieux, réalisant en ceci, comme en toute chose, une de nos devises: la variété dans l'unité.

Si nos Révolutions d'autrefois vous ont mis en goût d'études rétrospectives du même genre, nous vous recommandons la curieuse et savante histoire de l'Insurrection de Naples en 1647, par M. de Saavedra, duc de Rivas, ambassadeur d'Espagne en Sicile, histoire très-bien traduite par M. le baron Léon d'Hervey de Saint-Denys, et précédée d'une introduction qui annonce un talent prêt à voler de ses propres ailes. Ce récit, contemporain du Médaillon d'argent, est plein de révélations remarquables, et nous y reviendrons quelque jour dans une étude sur Mas-Aniello, le héros si étrange et si peu connu de la Révolution de Naples.

-La Comédie-Française, qui attend toujours l'arrêt du Conseil d'Etat sur son avenir, a célébré le 138° anniversaire de la naissance de Molière, par un à-propos de M. Alexandre Dumas. Le célèbre metteur en scène (il s'est intitulé ainsi) a fait revivre une représentation sous Louis XIV, avec les marquis installés sur le théâtre, causant avec les acteurs, et cachant, de leurs grands fauteuils, la scène au public du parterre. On a beaucoup ri et un peu sifflé; c'est tout ce que réclamait l'ouvrage. Le plaisant de la chose, c'est qu'on a sifflé par mégarde la prose de Molière! O siècle de Louis XIV, qu'en penses-tu? Les Deux Célibats ont été moins gais. M. Arsène Houssaye ne les avait point reçus... C'est le plus grand éloge qu'on puisse faire... de M. Arsène Houssaye. Enfin, Mile Rachel a franchi le Rubicon de la comédie; elle a joué Made

moiselle de Belle-Isle! Tout son talent n'a pu rendre morale cette pièce trop spirituelle. Nous attendrons donc une autre occasion de l'applaudir.

- Encore un succès à l'Opéra-Comique : les Porcherons. On appelait ainsi autrefois un des plus curieux quartiers de Paris, sur lequel le Musée vous donnera un jour des renseignements plus précis que l'Opéra-Comique. La musique de M. Grisar n'en mérite pas moins tous les éloges.

- Qui a osé dire que M. Rossini était à Paris? Ce n'est point M. Rossini, c'est M. Rossin. Voici l'histoire : les habitants de Bologne voulaient faire de l'auteur de Guillaume Tell un représentant du peuple. Rossini, qui ne vit plus que pour faire la cuisine et pêcher à la ligne, a

eu une telle peur de se voir condamné à faire des lois,
qu'il a pris la fuite et s'est réfugié à Paris. Mais pour s'y
cacher aux Bolonais, qui le poursuivent, il a ôté un i à
son nom, et il court d'hôtel en hôtel sous le nom de Ros-
sin. Quelques amis sûrs ont été seuls admis à le voir pour
lui parler musique. Cette fugue nous vaudra peut-être un
grand opéra.

Voilà justement Lablache qui vient de rentrer aux
Italiens dans les chefs-d'œuvre du maestro: Cenerentola
et le Barbier. Et la voix de ce stentor du chant est plus
puissante, son jeu est plus mirobolant que jamais. Le té-
nor Lucchesi le seconde avec une grâce qui devient rare
chez les ténors. Que Rossini reprenne donc la plume, et
M. Ronconi n'aura plus besoin de subvention.

FOR INST

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Printemps: Le Jeu des Quatre coins, d'après le tableau de Lancret.

-Les petits théâtres n'attendent point le carnaval pour abuser des travestissements. Le Vaudeville est allé plus loin que de raison dans les Saisons vivantes, singulière exagération du genre de Lancret. En attendant que la morale publique le rappelle à l'ordre, qu'il nous permette de lui donner une leçon illustrée, en vengeant Lancret, ici même, par la reproduction d'un de ses plus gracieux tableaux Le Jeu des quatre coins. Voilà comment le peintre du dernier siècle figurait le printemps. Cette ai

mable scène n'a rien de commun avec le spectacle dé-
braillé du Vaudeville.

M. le comte Alexis de Saint-Priest s'est tiré avec
honneur de sa séance de réception à l'Académie française.
Il avait deux éloges à faire, celui de M. Ballanche et celui
de M. Vatout, mort sans avoir été reçu. Il a dignement
apprécié l'auteur d Antigone, l'ami de Chateaubriand; et
il a fait aimer le cœur de M. Vatout, en renonçant à faire
admirer son génie : « Dans une position où il pouvait ser-

yir et nuire, a-t-il dit, il servit toujours et ne nuisit jamais. » Quant à lui-même, M. de Saint-Priest a été d'une modestie charmante: « Ce n'est point le temple des lettres, c'est un salon que vous m'ouvrez», a dit le grand seigneur, avec d'autant plus de succès, que son discours est d'un écrivain. Ce n'est donc point à lui que s'appliquera la fable suivante, décochée à l'Académie par un de nos malins collaborateurs, comme simple avertissement pour l'avenir, dont nous lui laissons la responsabilité.

LE ROSSIGNOL ET LE CORBEAU.
Phoebé sur l'horizon élevait son flambeau;
Des rossignols commençaient leur ramage;
Et non loin d'eux flânait un vieux corbeau,
Le même qui, jadis, laissa choir son fromage.

Quand chaque ténor emplumé

Terminait ses langoureux trilles,

- Bien! disait l'autre. Mais... pourquoi suis-je enrhumé? J'en remontrerais à ces drilles.

Il s'éloignait insoucieux,

Quand, par hasard, sous la ramée,

Il avise, en baissant les yeux,

Une troupe d'enfants semblant d'aise pâméc...
Assis en rond dans le bosquet,

Ce public aux lèvres de roses
Envoyait à nos virtuoses

Des baisers, faute d'un bouquet...
A l'aspect d'un tel auditoire,
Le corbeau rêve une victoire...
Que de lauriers lui seront dévolus
Si, de l'art musical surpassant les élus,
Des amateurs fameux il peut grossir l'histoire!
Sans doute, il a juré qu'on ne l'y prendrait plus;
Mais qu'importe!... Aussitôt, imprévu coryphée,
Dans les rangs des chanteurs il vient résolument;
Et par un long croassement

Du chœur mélodieux la voix est étouffée...
Un fou rire accueillit d'abord le baryton...

Mais comme, à qui mieux mieux, partaient les philomèles,
L'un s'arme d'une pierre, et l'autre d'un bâton...

-

-A nos concerts ainsi, noir faquin, tu te mêles? Attends!... Or, de la guerre en voyant les apprêts, L'amateur s'effarouche..., et, du haut d'une branche, Où prudemment il se retranche, Il tient ce discours à peu près:

O troupe de Midas! fils de la Béotie, De qui l'intelligence à peine dégrossie Méconnaît la voix d'Apollon, Parlez-moi toupie ou ballon...

Mais, s'il vous plaît, en moi respectez la musique Dont, sans la pratiquer, j'eus le don en naissant... A l'avođer ma franchise consent,

Je n'y suis point peut-être assez classique,
Mon timbre est un peu fort, et veut être dompté.
Mais apprenez, mes petits drôles,
Que, pour remplir partout nos rôles,

A nous autres corbeaux suffit la volonté...
A filer ces doux sons dont votre âme est ravie
Si, comme ces oiseaux, j'avais passé ma vie,
En m'écoutant on serait stupéfait...
Parmi les rossignols le Ciel marqua ma sphère...
Et j'y veux prendre rang, non pour ce que j'ai fait,
Mais pour ce que j'aurais pu faire.

Ainsi parlent nos grands seigneurs
Quand de l'Académie ils briguent les honneurs.
Chacun d'eux au berceau fut Molière ou Corneille.

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Le Musée vous a raconté, l'année dernière, l'origine de la Californie, l'invasion des chercheurs d'or, leurs travaux et leurs plaisirs, leurs conquêtes et leurs désenchantements (1). Il faut revenir à ce riche sujet, car les détails nouveaux y abondent, et il est plus que jamais à l'ordre du jour. Son actualité palpitante fait le succès du nouveau drame de la Porte-Saint-Martin: Les Chercheurs d'or du Sacramento. Nous craignons que ce drame ne lance beaucoup trop de badauds sur le chemin de la Californie nous les prions de lire, avant de faire leurs paquets, la petite histoire suivante :

Il y a huit jours, nous dinions chez un banquier de la chaussée d'Antin. Un de nos commensaux était un capitaine de navire, qui revenait d'une expédition en Californie. Grande fut notre surprise de trouver un homme triste, cassé avant l'àge, nullement cousu d'or, et balafré, en revanche, de plusieurs cicatrices. Nous lui demandâmes le récit de ses aventures, et voici ce qu'il nous rapporta de plus intéressant. Ce témoignage naïf d'un chercheur d'or vous fera mieux connaître la Californie que tous les drames du boulevard et toutes les réclames de l'Echo du Sacramento..

«L'an dernier, dit notre capitaine, j'avais une petite fortune de cent mille francs, et je ne songeais guère qu'à me marier et à me reposer. J'hésitais entre dix héritières fort agréables, qui m'offraient une dot égale dans leurs jolies mains, lorsqu'un ami ambitieux me persuada de faire un voyage en Californie pour décupler mes capitaux en quelques mois. Je me laissai séduire, j'équipai an brick et je partis.

«Aux approches du but, à Valparaiso, à Taïti, aux iles Sandwich, j'appris des faits qui ébranlèrent mon enthousiasme et m'inspirèrent des doutes fàcheux.

« Mais toutes mes espérances se ranimèrent à la vue de San-Francisco.

<«< Figurez-vous un étroit goulet qui rappelle celui de Brest, puis une immense rade qui contiendrait tous les vaisseaux du monde; un îlot, élevé près de l'embouchure, semble attendre une citadelle et des batteries ! Ce port sera un jour une des plus grandes et des plus fortes positions maritimes.

«San-Francisco (ou Herba-Buena) s'étend à droite, par delà l'ancien fort espagnol. Pauvre bourgade hier, c'est aujourd'hui une ville de 50,000 âmes, bordée de plus de mats et animée de plus de bruit que le Havre et Bordeaux. Je traversai quatre cents navires de commerce, tous abandonnés par leurs équipages et gardés par le drapeau d'une corvette américaine. Mais ici, on ne vole point les (1) Voyez le t. XVI, p. 159, et les Mercures de France.

flottes; on ne prend que l'or. Les vaisseaux à trois ponts ne seraient bons qu'à apporter des hommes et qu'à emporter des lingots.

«San-Francisco est un abrégé du globe. Français, Anglais, Espagnols, Allemands, Américains, Chinois, insulaires de toute latitude, y réalisent une nouvelle tour de Babel. Le haut du pavé est tenu par les Malais et les aventuriers de Botany-Bey et des archipels de l'Océanie, coupeurs de bourse, voleurs de grand chemin, pirates, flibustiers et assassins fugitifs, galériens vomis par les bagnes, banqueroutiers de haut et de bas étage, en un mot, toute l'écume des deux mondes. Je ne sais quel sera le destin de la Californie, mais elle commence absolument comme l'empire romain. J'y ai vu l'ancien ministre du roi Kamehameha, que les sociétés bibliques protestantes avaient proclamé le plus grand législateur contemporain, et qui est aujourd'hui le plus formidable brigand des rives du Sacramento. Ses aventures et celles de ses compagnons fourniraient cent volumes à nos romanciers et à nos dramaturges. Les Mousquetaires et Monte-Christo ne sont que des idylles en comparaison, n'en déplaise à M. Alexandre Dumas.

« Cette étrange population s'agite comme une fourmilière dans la ville improvisée. C'est un va-et-vient de tous les types, de tous les costumes, de tous les véhicules imaginables, depuis le wagon jusqu'à la brouette. C'est un mélange pittoresque de maisons de pierre et de bois, bien alignées cependant, toutes blanchies ou peintes, et dominées par des églises de tous les cultes, un théâtre, une bourse et des tripots.

Des tripots surtout! car la vie n'est qu'un jeu à SanFrancisco. Les salons manquent aux roulettes. Dès que quatre murs sont élevés, un banquier se présente, les loue à tout prix, et s'y installe avec un tapis vert. De là le taux exorbitant des locations. Elles varient de 150,000 à 300,000 fr. par an. J'en connais qui ont monté jusqu'à près d'un million. Sous beaucoup de rapports, la vie matérielle est à l'avenant. J'ai payé des pommes de terre 3 francs pièce, et des œufs 60 francs la douzaine. L'habileté des Indiens Yankee maintient cette hausse effroyable. Ces Yankee sont les charlatans par excellence; ils jouent les plus adroits Américains, qui se vengent par le proverbe Play a Yankee trik (jouer un tour de Yankee).

«Et il faut voir la fureur de ces jeux californiens. On y accourt des mines, la ceinture pleine de pépites d'or. On s'attable bruyamment. On change ses lingots contre des onces de 85 franes, et malheur aux banquiers ou aux partners si quelques querelles s'engagent sur un tour de roulette! On la vide ordinairement à coups de pieds et à coups de poing. Souvent même, c'est le pistolet qui fait justice au plus hardi. Alors, pour toute répression, le menager (président du jeu) crie d'une voix forte: Pas tant de bruit, silence là-bas! Quand l'esclandre se prolonge, le président arme à son tour un pistolet: allez vous tuer dehors, reprend-il, ou je fais un trou dans votre individu. (I'll make a holle in you.) Il va sans dire qu'au sortir du tripot, les coups de pistolet recommencent d'autant mieux que la plupart des ceintures jaunes ne conservent plus que la couleur de l'or, absorbé par la banque. Dn reste, je n'ai joué qu'une fois dans ces roulettes, le président m'ayant rendu avec dédain l'argent que je jetais sur le tapis: «Monsieur est étranger, me dit-il avec un Sourire; nous jouons ici des onces d'or, et non des pièces de cent sous.» Lorsque les banquiers n'ont gagné que cent mille francs dans une séance, ils disent, comme Titus, qu'ils ont perdu leur journée. Vous comprenez que

toutes les débauches sont à la hauteur du jeu. Les femmes manquent d'ailleurs à San-Francisco, et le commerce le plus fructueux en ce moment, est d'y amener des car→ gaisons féminines. C'est ce qu'on appelle la traite des blanches.

« Un seul vice est réprimé à San-Francisco, c'est le vol. Chacun est tellement intéressé à conserver son bien, qu'il se fait gendarme pour défendre celui des autres. Le fripon qui toucherait aux marchandises étalées sans gardiens dans les rues, serait frappé de cent balles parties de toutes les fenêtres et de toutes les tentes voisines.

« Je dis tentes, car les deux tiers de la ville sont encore un camp, dont les pavillons s'étendent à perte de vue sur le rivage. C'est ce que représente notre gravure, d'après un dessin fait sur les lieux.

« Pour vous donner une idée de l'administration californienne, je vous citerai le mot d'un alcade, qui la contient tout entière.

«Les attentats se multipliaient dans son district, dont les bandits avaient fait leur quartier général. A chaque dénonciation, l'alcade répondait : Pendez. Là se bornaient les débats, la défense et le jugement. Les intéressés l'exécutaient sur l'heure, et retournaient à leur besogne. Il y a toutefois çà et là des jurys, mais qui ne font guère honneur à la loi. Ce sont, par exemple, douze ivrognes qui en condamnent un autre, et achèvent de se griser avec lui au pied de la potence.

« On mendie à San-Francisco, comme dans le roman de Gil Blaz, le pistolet au poing. J'y ai rencontré un émigré de Paris, qu'un brigand couchait régulièrement en joue en venant lui demander à boire. Il se plaignit au magistrat qui, pour toute réponse, lui prêta son pistolet. « Puisque vous vous laissez insulter, dit-il, c'est que vous n'avez pas d'armes. Le lendemain, le Parisien se rembarquait pour la France,

« Il arrive environ 2,000 personnes par jour en Californie. Chaque navire américain s'y annonce par des acclamations de triomphe. On a exagéré cependant la cherté des vivres essentiels. La viande fraîche coûte 1 fr. 25 cent. la livre. Le biscuit et la viande salée, qui abondent, se vendent à peu près le même prix qu'en Europe. Il y avait dernièrement tant de vin de Bordeaux, faux ou vrai, qu'on ne pouvait plus s'en défaire qu'à moitié perte. Les marchands s'en débarrassèrent en faisant croire aux mineurs que tout autre liquide leur donnait la fièvre.

« Ce qui est hors de prix à San-Francisco, c'est la maind'œuvre Un portefaix y gagne 800 francs par mois; un cuisinier. 2,000 francs; un ouvrier, plus encore. Aussi, les millionnaires y font leur ménage, et les grands seigneurs y cirent leurs bottes.

« Et l'or, m'allez-vous demander, comment et en quelle quantité le trouve-t-on? C'est ici que ma confession devient instructive. Sans doute, la Californie est une terre d'or. Il suffit parfois d'en prendre une poignée, et de la laver au ruisseau voisin, pour en extraire des pépites. On est resté à cet égard au-dessous de la vérité. Mais ce qu'on n'a pas écrit, c'est le chapitre des frais, des dangers et des peines. S'il n'était allé que quelques milliers d'émigrants au Sacramento, tous s'y seraient enrichis vite et sans labeur. Mais la concurrence effrénée y a produit ses effets les plus désastreux.

« Ainsi, j'étais parti avec trente hommes vigoureux et déterminés; mais, arrivés à San-Francisco, il nous a fallu d'abord nous y établir chèrement, acheter les instruments de travail au poids de l'or, puis nous lancer dans les ter

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