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Mae D'ARNAUD. Pendant que nous gouvernerons ses affaires. Quel sort brillant pour Emilie! (Elle court vivement à la sonnette. Louise paraît au fond. Louise! disposez tout le premier étage pour M. de Vérac.

LOUISE. Oui, Madame. (Elle disparaît.)

Mme D'ARNAUD, lisant. « Unique héritier de la fortune du vieux marquis de Francville. » Du vieux marquis! comme c'est galant!

M. D'ARNAUD. Je reconnais le talent de notre collègue pour le madrigal.

Mme D'ARNAUD, lisant. « Fortune estimée à trente-six mille livres de rentes au soleil. >>

M. D'ARNAUD. Presque le double des nôtres.

Mme D'ARNAUD, lisant. « Sans compter sa petite baronnie de Vérac... »

M. D'ARNAUD. Qui formera nos épingles.

Mme D'ARNAUD. Nous y établirons notre fils, le garde-faisandier, qui n'a jamais rien pu faire. A propos! (Elle sonne. Louise parait.) Louise! qu'on enlève tout le gibier de Caudebec pour le dîner de M. le baron! Préparez ma jupe de soie-puce à queue, avec mon pardessus à grands ramages. LOUISE. Oui, Madame.

M. D'ARNAUD. Et mon habit gorge-de-pigeon, avec mes culottes à boucles de vermeil.

LOUISE. Oui, Monsieur! (Elle disparaît.)

M. D'ARNAUD. Cette chère pupille!

Mme D'ARNAUD, lisant. « Enfin, mon bon ami, si ce mariage se fait, vous êtes sûr, non-seulement de garder votre position, mais de l'arrondir considérablement. >> M. D'ARNAUD. Il y a considérablement?

Mme D'ARNAUD. Con-si-dé-ra-ble-ment. (Elle sonne. Louise paraît.) Louise, vous inviterez M. le bailli et Mme la baillie, et leurs enfants; et les cinq demoiselles de Kercarainville, pour le clavecin, et M. le vidame, avec son poëme du Langage des Fleurs.

M. D'ARNAUD, bas à Mme d'Arnaud. Tu ne crains pas, madame d'Arnaud, que Miles de Kercarainville ne semblent jolies au futur?.....

Mme D'ARNAUD, de même. Jolies !... auprès de nous! J'aurai l'œil sur elles, d'ailleurs. (Haut.) Enfin, Louise, si M. le baron est à pied, nos chevaux seront attelés tout le jour à sa disposition.

LOUISE, à part. Attelés tout le jour! La tête n'y est plus! (Haut.) Oui, Madame !

Mme D'ARNAUD. Et si M. le baron amène son carrosse, on lui livrera l'écurie de la basse-cour.

LOUISE. L'appartement de vos chiens, madame?

Mme D'ARNAUD, avec force. Vous chasserez mes chiens! (Plus doucement.) Je les logerai dans ma chambre.

LOUISE. Qui, madame! (A part.) Décidément, c'est une révolution! (Elle sort.)

M. D'ARNAUD. Cette chère pupille!

Mme D'ARNAUD. Elle ne dira pas que nous sommes indifférents à son bonheur !

M. D'ARNAUD. Je m'y suis intéressé si chaudement, que j'en ferai une maladie. (Il change de pet-en-l'air, s'assied en tirant sa montre et garde le silence.)

Mme D'ARNAUD, vivement. Dieu! j'allais oublier l'essentiel. Il faut prévenir Emilie, il faut qu'elle se fasse superbe, il faut... Justement, la voilà!

SCÈNE VI.

M. d'ARNAUD, Mme d'ARNAUD, ÉMILIE, entrant par la droite.

EMILIE. Qu'avez-vous donc, mes amis? Je vous trouve dans un émoi..

M. D'ARNAUD, se levant pour lui donner la main, puis se rasseyant. C'est mon extinction. (Il fait signe qu'il ne peut plus parler.)

Mme D'ARNAUD. Nous nous occupions de vous, chère belle. (Elle la baise au front et la regarde.) Plus belle que jamais, et fort à propos, (Confidentiellement.) car voici un grand jour.

EMILIE. Un grand jour ?

Mme D'ARNAUD, à part. Ne perdons pas une minute, elle n'aura que le temps de s'habiller. (Haut.) Oui, la veille d'un mariage, peut-être.

EMILIE, à part, souriant. Nous y voilà! (Haut, avec incrédulité.) Oh! la veille!... Ces veilles-là sont comme celles de Don Quichotte, elles peuvent durer indéfini

ment.

Mme D'ARNAUD. M. d'Arnaud et moi, chère enfant, nous nous faisons vieux...; nous pouvons vous manquer au premier jour, et notre devoir est d'assurer votre destin; non pas pour vous quitter, Emilie, au contraire...

M. D'ARNAUD, avec effort. Au contraire. (Il met la main à son gosier.)

Mme D'ARNAUD. Ah! nous avons passé en revue bien des futurs! Nous croyons avoir enfin trouvé celui qui vous convient.

EMILIE, un peu confuse. Je reconnais là vos bontés, ma cousine.

Mme D'ARNAUD. L'on aime, ou l'on n'aime pas, que diantre! Et je vous aime, moi, je veux votre bien.

M. D'ARNAUD. Nous voul..... (Il s'interrompt. Méme geste.) EMILIE. Mais une telle affaire est grave, et exige d'abord...

Mme D'ARNAUD. Votre agrément? Sans doute; ne sommes-nous pas en tout vos dévoués serviteurs ?... Nous vous soumettons un parti..., un parti magnifique, et vous serez juge...

EMILIE. Je vous remercie encore, ma bonne cousine; mais, à parler franchement, j'aimerais mieux qu'on ne me soumit personne, quitte à rencontrer moi-même...

Mme D'ARNAUD. Enfant ! vous croyez qu'on rencontre des maris..., sur les grandes routes..., comme dans les contes de fées!... Non; fiez-vous à notre expérience... (Avec insinuation.) Il arrive aujourd'hui, tout à l'heure!... EMILIE. Juste ciel ! mais c'est une surprise...

Mme D'ARNAUD. Dont vous n'aurez pas à vous plaindre; nous sommes bien renseignés; ce n'est pas notre zèle qu'on tromperait! Vingt-cinq ans, un beau nom, un ti tre, une tournure charmante, de la faveur en cour... (Appuyant.) Et le double de votre fortune!...

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M. D'ARNAUD, se levant. En terres de Normandie !... EMILIE, avec froideur. C'est magnifique, en effet, trop magnifique pour moi, sans doute...

Mine D'ARNAUD. Allons donc !... Mais ces yeux valent une couronne de duchesse...

EMILIE. Ce n'est point là ce qui m'occupe, et peut-être suis-je plus ambitieuse que vous ne croyez. On marie les cœurs et non les patrimoines... J'exigerai beaucoup d cœur qui me plaira.

Mme D'ARNAUD. Vous pourrez tout exiger de celui-ci. Ses qualités passent encore sa richesse.

EMILIE. Prenez garde de trop le vanter; les éloges sont dangereux d'avance...

Mme D'ARNAUD, finement. Songez plutôt, coquette, à vous montrer digne de lui. Je vous conseille vos deux jupes de taffetas vert; c'est la couleur de la circonstance; avec les garnitures de point d'Alençon et les repentirs à la Polignac.

EMILIE. Oui, oui, tout l'attirail des premières entrevues..., la chose que je déteste le plus au monde... J'espère m'affranchir de cet ennui sans impolitesse.

Mine D'ARNAUD, effrayée. Juste ciel!

EMILIE. Nous avons pour cela la Providence et la migraine...

Mme D'ARNAUD, scandalisée. La migraine !

EMILIE. Tenez, elle me prend déjà, rien que d'y penser! Mais enfin, si je ne puis détourner ce calice, je m'épargnerai du moins le ridicule et les frais... M. le futur... conditionnel..., me verra telle que je suis, et d'autant plus simple qu'il aura fait plus d'apprêts.

Mme D'ARNAUD, à part. Elle va tout perdre. (Haut, avec amphase.) Mais, malheureuse enfant, apprenez donc que c'est une solennité pour notre hôtel!...

EMILIE. Une solennité !

Mme D'ARNAUD. Que nous avons invité tout Caudebec au dîner des fiançailles...

EMILIE. Des fiançailles !... et sans me prévenir !

Mme D'ARNAUD. Que nous aurons les Kercarainville au clavecin !...

M. D'ARNAUD. Et M. le vidame avec son Langage des fleurs!

EMILIE, fáchée. Mais c'est un guet-apens, une tyrannie! Je me retire alors et ne paraîtrai point. (Elle fait un mouvement pour sortir.)

Mme D'ARNAUD, sans l'écouter. Apprenez enfin qu'il s'agit de recevoir le neveu de M. le marquis de Francville!...

M. D'ARNAUD. M. le baron Charles de Vérac ! EMILIE, à part, s'arrétant court. M. de Vérac! (Elle revient sur ses pas.) C'est... M... de Vérac?

Mme D'ARNAUD. En personne !

EMILIE. Je lui croyais plus de tact et de discrétion; lui que j'avais vu si modeste et si simple à Versailles, je m'étonne qu'il se présente ici avec tant de fracas...

Mme D'ARNAUD. Jour de Dieu! n'en vaut-il point la peine, et ne mérite-t-il pas... le taffetas vert et les repentirs?

EMILIE. Je m'en garderai d'autant plus... (A part.) Ce serait condamner trop tôt son goût. (Haut.) Mais je consens à le recevoir... de mon mieux..., par déférence pour vous, ma cousine.

Mme D'ARNAUD. A la bonne heure! (A part.) J'étais sûre de l'amener à mes fins! (On entend sonner à la porte de l'hotel.) (Tressaillant.) On a sonné ! N'a-t-on pas sonné? M. D'ARNAUD. Je crois qu'on a sonné...

Mme D'ARNAUD. Si c'était lui! (Ilors d'elle-même, et se regardant.) Miséricorde! un tel négligé!... et rien de prêt! (Appelant.) Louise! (Elle va et vient, et sonne précipitamment.) Monsieur d'Arnaud, sacrifiez-vous! courez le retenir. (A Emilie.) Et vous, ma chère, à votre toilette! (L'arrétant à la porte.) Accordez-moi les repentirs, c'est sitôt fait! (Appelant plus fort et ressonnant.) Louise! Émilie se retire en riant par la droite. Pendant que Mme d'Arnaud reprend ses chiens, M. d'Arnaud change de pet-en-l'air. Puis, comme il s'élance à la porte du fond, Louise, entrant brusquement, le heurte et le fait pirouetter. Il retombe étourdi dans un lauteuil, Martin arrive derrière Louise.

SCÈNE VII.

M. d'ARNAUD, Mm. d'ARNAUD, LOUISE, MARTIN, puis M. de VÉRAC.

M. D'ARNAUD. Maladroite! (Martin s'empresse près de M. d'Arnaud.)

LOUISE. Pardon, monsieur! Je vous ai fait mal? Mme D'ARNAUD. Non, ça n'est rien! (Vivement.) Est-ce M. le baron?

LOUISE. Quel baron?

Mme D'ARNAUD, de même. Le baron de Vérac? Avezvous vu des chevaux, des laquais?

LOUISE, riant. Ah! ah! ah! Des laquais? C'est un monsieur seul, quelque homme de loi, je pense, qui vient parler d'affaires à monsieur et à madame.

MARTIN, bas à Louise. Très-bien!

Mme D'ARNAUD, reposant ses chiens. Je respire!

M. D'ARNAUD. Je suis remis. (Avec dédain.) Un homme de loi!

Mme D'ARNAUD. Nous n'y sommes pas. - Qu'il revienne demain, dans huit jours.

LOUISE. Ma foi, madame, il est trop tard.— J'ai prié co monsieur de me suivre... Et...

(M. de Vérac entre par le fond. Mise, tenue et manières fort simples, mais très distinguées. MARTIN lui dit à l'oreille Ce sont les tuteurs. Vous n'êtes point connu. N'oubliez pas mes notes.)

Mme D'ARNAUD, criant avec humeur, à Louise. Nous n'y sommes pas, vous dis-je! (En se retournant, elle aperçoit le nouveau venu, elle s'interrompt avec une grimace, et fait une révérence contrainte.-Vérac la salue poliment. Un silence.)

M. DE VERAC, à part. Voilà une réception qui promet! Mme D'ARNAUD. Excusez-moi, monsieur... Ce n'était point... J'ignorais...

M. DE VÉRAC, souriant. Que j'étais derrière vous... C'est la faute de vos gens, madame, et je vous demande pardon de ma présence. Je vois qu'elle vous est importune.

Mme D'ARNAUD, redevenant hautaine à mesuré que Vérac est plus poli. En effet, nous sommes fort empêchés, nous attendons une personne.

M. DE VERAO, à part. Et je ne suis pas une personne. (Haut.) Je venais, madame.

Mme D'ARNAUD, sans l'écouter et lui tournant le dos, ὰ Martin très-gracieusement. Ah çà mon cher, quand votre maître arrivera-t-il positivement?

MARTIN, riant sous cap. Ma foi, jé né puis plus répondre...

M. DE VERAC. Madame, je venais...

Mme D'ARNAUD, à Martin, de même. Vous avez déjeuné? Vous n'avez manqué de rien? L'appartement est à votre gré? (Martin répond par trois saluts.)

M. DE VERAC. Madame, je venais pour...

Mme D'ARNAUD, à Martin, de même. Vous qui avez l'habitude des bonnes maisons, mettez donc ce fàcheux à la porte. (Mouvement comique de Martin.)

MARTIN, à part. Mon maître à la porte!

Mme D'ARNAUD. Je vous en conjure, mon amį

M. DE VERAC, à part. Rien ne manque au contraste. Toutes les bonnes grâces pour mon valet, toutes les impolitesses pour moi! Pardieu, Martin avait raison. Ce jeu m'amuse; achevons la partie! (Elevant la voix.) J'ai l'honneur de vous dire, madame...

Mme D'ARNAUD, sechement. Je ne puis vous écouter, monsieur, adressez-vous au conseiller. (Elle montre son mari.)

M. DE VERAC, à M. d'Arnaud. Eh bien, monsieur, je venais pour vous proposer l'achat.

M. D'ARNAUD, d'une voix inintelligible. Impossible de vous répondre... Une extinction de voix périodique... (1 achève par des signes.)

M. DE VERAC, qui ne l'a point compris. L'achat d'un pâturage...

M. D'ARNAUD, à part. Est-ce qu'il se moque de moi? (Point de réponse, mêmes signes.)

M. DE VERAC. Ce pâturage est tout à fait... à votre convenance. (Point de réponse, mêmes signes.)

M. D'ARNAUD, à part. Ah çà! décidément, il m'envoie paître! (Mémes signes.)

M. DE VERAC, ironiquement. Monsieur, vous allez perdre une excellente affaire...

M. D'ARNAUD, d'une voix forte. Je ne perdrai que la patience, monsieur; je vous ai dit que je ne puis parler. Adressez-vous à Mme la conseillère...

M. DE VERAC, à part. De Caïphe à Pilate. C'est à merveille. (Haut, saluant.) Monsieur et madame, j'ai compris! Mille remerciements de votre accueil... Je vais voir si j'en trouverai un autre près de la maîtresse de la maison. (A Louise, au fond de la scène.) Veuillez m'annoncer à Mme de Léris...

Mme D'ARNAUD, à part. Il donne des ordres, je crois?

SCÈNE VIII.

Me d'ARNAUD, M. d'ARNAUD, M. de VÉRAC, MARTIN, LOUISE, ÉMILIE (entrant par la droite). Elle a rajusté sa coiffure et ajouté à sa toilette quelques ornements de bon goût.

EMILIE, riant, sans voir M. de Vérac. Eh bien, mes bons amis, vous avez fait de l'émotion en pure perte, ce n'était point le baron? (Apercevant Vérac.) Que vois-je ? M. de Vérac! (Ils se saluent.)

MARTIN, bas à Louise. Voilà lé quart d'heuré dé Rabélais.

Mme D'ARNAUD ET M. D'ARNAUD, confondus. M. de Vérac!.. Monsieur est...

M. DE VERAC. Lui-même, aimables hôtes.

Mme D'ARNAUD, tombant, au milieu de sa révérence, dans un fauteuil. Nous sommes perdus! Je suffoque... M. D'ARNAUD. Alors, monsieur, cet incognito... Ce pâturage.

M. DE VERAC. Une idée de Martin... Un prétexte pour vous rendre la voix. (M. d'Arnaud tombe, au milieu de son salut, dans un autre fauteuil.)

Mme D'ARNAUD, à part. Une idée de Martin! Je réchauffais donc un serpent! (Elle lance à Martin un regard féroce.)

M. DE VERAC. Excusez le moyen, (Regardant Emilie.) en faveur du but. (A part.) Plus charmante que jamais!

à nous, monsieur, de vous demander pardon. (Une révérence.)

M. D'ARNAUD, de même. Mille fois pardon. (Un salut.) Mme D'ARNAUD. Si nous avions pu croire... (Nouvelle révérence.)

M. D'ARNAUD. Si nous avions soupçonné. (Nouveau salut.)

Mme D'ARNAUD. Mais vous conviendrez que cette idée de votre valet... (Se reprenant.) Du reste, adoptée par vous, elle est.., très-ingénieuse. (Une révérence.)

M. D'ARNAUD, visant à l'esprit. Nous ne vous savions pas si original. (Un salut.)

M. DE VERAC. Je puis vous en dire autant. Ainsi, manche à manche, et sans rancune. (Il tend la main.) Mnie D'ARNAUD, la prenant. Ah! monsieur, votre bonté. (Une révérence.)

M. D'ARNAUD, de même. Egale votre esprit. (Un salut.) MARTIN, bas à Louise. C'est tout dé même. L'oncle avait raison. Voilà les tuteurs jugés !

LOUISE, de méme. Je m'en flatte.

M. DE VERAC, à Emilie. Et vous, madame, excuserezvous aussi ma brusque visite, qui n'en était pas moins préméditée depuis notre rencontre à Versailles?

EMILIE. Je vous rends grâces, monsieur, de cet aimable souvenir.

M. D'ARNAUD, bas à Me d'Arnaud. Si nous réparions notre faute, en les laissant tête à tête?

Mme D'ARNAUD, de même. Vous avez là une idée majeure, monsieur d'Arnaud! (A Vérac.) J'espère, monsieur le baron, que votre séjour ici finira moins soudainement qu'il n'a commencé. (M. de Vérac s'incline.) Permetteznous de nous mettre en mesure... de vous faire les honneurs de Caudebec, de vous montrer nos environs qui sont charmants. Vous nous avez surpris dans un négligé! M. DE VÉRAC. Madame, je vous prie...

Mme D'ARNAUD, l'interrompant. Nous savons ce qui est dû à monsieur le baron.

M. D'ARNAUD. Monsieur le baron trouvera son déjeuner servi dans quelques instants.

Mme D'ARNAUD. Le carrosse et les chevaux seront au service de monsieur le baron.

Environs de Caudebec..

Mme D'ARNAUD, à part. Il faut nous relever à tout prix. (4 Vérac, avec des efforts croissants d'amabilité,) C'est

M. D'ARNAUD. A Martin conduira monsieur le baron

0 à son appartement.

Mme D'ARNAUD. Enfin, monsieur le baron voudra bien

nous faire l'hon

neur d'agir comme chez M. le baron. M. D'ARNAUD, saluant. Monsieur le baron...

Mme D'ARNAUD, de même. Mon

sieur le baron... (Bas à Louise, sèchement.) Emmenez mes chiens! (Bas à Martin, de même.) Et vous,

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suivez-moi! (M. et Mme d'Arnaud sortent.) MARTIN, bas à Vérac. Jé rappelle à monsieur les conseils dé son onclé. Il a vu par ses yeux, cé qué valent ici

son titré et sa fortune et les plaisirs qu'ils promettent. Qu'il se souvienne aussi du mot dé la suivanté: Ma maîtressé né vit loin du mondé qué pour s'y lancer avec plus d'avantage. » C'est lé cas dé poser en conséquence et d'enléver l'affairé par un grand coup. (11 sort.)

M. DE VERAC, à part. Je crois vraiment qu'il a raison. Ces travers de province sont si contagieux! Mais poser? Diable! ceci ne me va guère, et j'y serai assez gauche, moi qui aimerais tant ouvrir mon cœur à une femme toute naïve. Enfin, puisqu'il s'agit de plaire, essayons... ne fût-ce que pour m'assurer personnellement... Après avoir hurlé avec les loups, j'aurai le temps de revenir à mes moutons, et j'espère qu'elle me fera la surprise de m'y ramener elle-même.

(Pendant ces à parte, Emilie a donné des or

dres à Louise, qui

est sortie la der-
nière avec les
chiens.)

SCÈNE IX.

M. de VÉRAC, EMILIE. (M. de Vérac s'est regardé dans la glace en homme qui va jouer un rôle, et a quitté de son mieux ses façons naturelles pour prendre les grands airs.

M. DE VÉRAC, affectant un ton dégagé. Savezvous, madame, que vous êtes une reine bien gardée, qu'il est difficile d'arriver jusqu'à vous à travers vos gens? EMILIE, à part. Quel ton! je ne le reconnais plus. Croit-il n'avoir qu'à se baisser?... Mettons

FÉVRIER 1850.

Émilie, Louise. La leçon d'astronome.

Les instructions de M. d'Arnaud. Emilie, Louise.

nous sur nos gardes : (Haut.) Ce ne sont point

ce

mes gens, monsieur, sont mes anciens tuteurs, mes amis.

M. DE VERAC, à part. Elle les justifie? (Haut.) J'imite votre générosité. Leur retraite me dédommage de leur accueil.J'oublie tout en vous voyant.

EMILIE. Chacun ici a besoin de votre indulgence. Versailles, je le crains fort, a trop d'esprit pour Caudebec. (4) part.) Caudebec se défendra pourtant!

M. DE VÉRAC, à part. Elle veut voir si je le prouverai! (Haut.) J'ai pu le croire tout à l'heure. En ce moment, je redoute le contraire. Aussi, vous parlerai-je autrement qu'à vos... tuteurs. Toute la diplomatie que j'ai déployée près d'eux abdique à vos pieds, et se borne à vous dire sans détour ce qu'un ami s'est chargé d'écrire aux vô

tres, ce que ma
démarche vous
annonce mieux
encore que le
bonheur de ma
vie dépend d'un
mot de vous,
madame...

EMILIE, voilant son trouble d'un sourire. En effet, monsieur, ce secret a été. comme de coutume, le secret de la comédie. Celle qui devait l'apprendre la dernière a été des premières à le savoir. (Sérieusement.) Mme d'Arnaud m'a fait comprendre vos intentions, trop flatteuses

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pour

que ma modestie

pût les deviner.

Du reste, ces détours me plaisaient moins que votre franchise.

et la mienne y

-20-DiX-SEPTIÈME VOLUME.

répondra sans détours aussi. Je ne quitterai la libre solitude où le veuvage m'a replongée si vite, qu'à certaines conditions arrêtées d'avance.

M. DE VERAC, à part. Oh! oh!

EMILIE. Et la première de toutes est la connaissance parfaite... (Elle s'interrompt.)

M. DE VERAC. De l'homme appelé à vous rendre heureuse! C'est justement cette condition que je viens remplir en me confessant à vous, madame. Quant à ma personne, elle n'aspire qu'à votre absolution; (Rentrant dans son role.) mais quelques avantages de naissance et de fortune, ces avantages qui font les heureux d'ici-bas, me rendent peut-être moins indigne de vous. (Avec suffisance.) D'abord, un titre, dont on fait certain cas à la cour et à la ville. (A part.) Martin serait content de moit EMILIE, à part. De la fatuité décidément? Renchérissons par la coquetterie, et donnons-lui la leçon qu'il mérite. (Haut, avec une prétention bien jouée.) C'est ce que me disait M. le marquis d'Henneville, quand je me suis permis de refuser son marquisat, comme chose de trop peu dans le siècle où nous sommes !

M. DE VERAC, à part. Est-ce qu'elle veut être duchesse? (Haut, même ton, crescendo.) Un patrimoine assez médiocre, il est vrai, mais qu'un excellent oncle veut bien tripler dans mon contrat...

EMILIE, de même. Quelle figure ferais-je dans le monde avec vos revenus? répondais-je, cet hiver, au fermier des eaux, qui m'offrait ses trente mille livres de rentes.

M. DE VERAC, à part. Il lui faut donc un millionnaire? Haut, quittant son rôle.) Madame, j'avais cru remarquer, à Versailles, parmi toutes vos qualités...

EMILIE. La simplicité de mes goûts. Ils seront toujours conformes à ma situation.

M. DE VÉRAC, à part. Tout ou rien... C'est clair! Martin avait raison!

EMILIE, à part. Poussons-le jusqu'au bout! (Haut, avec une hauteur et une ironie croissante.) Veuillez, monsieur, tracer à mon ignorance le tableau des félicités que présentent votre titre et votre fortune.

M. DE VERAC. Je crains de plus en plus, madame, que ce tableau ne soit trop au-dessous de vos prétentions. EMILIE. Et moi, trop au-dessus. Gardez-vous donc surtout de l'exagérer.

M. DE VERAC, à part. Est-ce du sarcasme ou de la fausse modestie? Allons toujours, et jetons nos derniers feux! (Haut, reprenant son rôle et s'animant.) Eh bien ! madame, l'hiver, un petit hôtel à Paris et un appartement à Versailles. Les matinées à Trianon ou à la chasse du roi; vous, dans votre carrosse, au milieu du cortége de la beauté; et moi à l'hallali ou à la curée, avec mes piqueurs et mes chiens. Au retour, le grand couvert ou le cercle de la reine... Les soirées aux réceptions de la cour, au bal ou à l'Opéra, où je vous prierai de ne pas faire trop de jalouses ni trop de malheureux.

EMILIE, précieusement. J'avoue que c'est assez convenable.

M. DE VÉRAC, à part, avec espoir. Enfin ! EMILIE. Cependant, pourquoi un petit hôtel à Paris et un simple appartement à Versailles? Pourquoi les chasses du roi au lieu de nos propres chasses? Passons, du reste, et voyons si l'été serait à la hauteur de l'hiver.

M. DE VERAC, à part. A mon secours, Martin. (Haut, s'échauffant de plus en plus.) L'été, madame, nous aurions le choix entre nos manoirs et le château de mon on

cle, entre les voyages, les eaux et la vie de campagne, où il ne tiendrait qu'à vous d'être reine au centre d'une cour provinciale, d'avoir vos levers, votre couvert, votre comédie, nos amis de Paris à titre d'hôtes et nos beaux es prits pour commensaux.

EMILIE. Versailles en abrégé?

M. DE VERAC. Vous l'avez dit.

EMILIE, avec dédain. Mais par le petit bout de la lorgnette!

M. DE VÉRAC. Je sais beaucoup de... baronnes, de duchesses même, qui se contentent à moins, et qui n'ont pas, au milieu de ces plaisirs, un mari occupé uniquement de leur bonheur, un serviteur ardent de toutes leurs volontés, un esclave soumis à leurs moindres caprices. (Il fait un mouvement pour se mettre à genoux.)

EMILIE, se levant. Relevez-vous, monsieur! (A part.) Quel désenchantement! (Haut.) Je ne cherche point un serviteur; encore moins un esclave... Et je suis obligée de vous répondre comme au marquis et au fermier des eaux: toutes ces belles choses ne suffiraient pas à mon ambition!

M. DE VERAC, blessé, à part. Ah! c'est trop fort, et je n'y tiens plus! (Haut, avec aigreur.) Je vois, madame, que c'est Caudebec qui est au-dessus de Versailles; je regrette d'avoir pu me juger assez mal pour me croire à la hauteur de vos exigences.

EMILIE, piquée, de même. On s'instruit tous les jours, monsieur. C'est moi qui suis désolée d'avoir été si peu comprise.

M. DE VÉRAC, avec sarcasme. La faute en est à vous, madame. Vous aviez omis, dans vos conditions, de réclamer un sceptre et une couronne.

EMILIE, de méme. C'est plutôt vous, monsieur, qui m'avez soumis une cour incomplète, en oubliant d'y ajouter Triboulet.

M. DE VERAC, à part. Martin était trop bon; ce n'est qu'une folle coquette de Normandie.

EMILIE, à part. Mon cœur s'était abusé; ce n'est qu'un petit fat de l'Oil-de-Bœuf. (Reprenant sa gráce.) Sans rancune d'ailleurs, et à bientôt, monsieur; je vais m'occuper à mon tour de mes devoirs d'hospitalité. (Elle l'interrompt dans ses excuses, salue et sort.)

SCÈNE X.

M. de VERAC, seul.

Quel songe et quel réveil! Mon oncle me conduit l'hiver dernier à Versailles. Nous y rencontrons une jeune femme dont la grâce et la modestie me captivent.-Voilà l'épouse qu'il te faut..., me disent à la fois mon cœur et mon oncle. Va la trouver, ajoute celui-ci, mais ne te fie pas trop à sa simplicité. Je la crois passablement ambitieuse Fais donc valoir assez haut les avantages que tu lui apporterais au contrat. J'arrive ici, suivant ses instructions, avec Martin, notre factotum. Et moi, le gentilhomme le moins prétenticux du monde, je m'ingénie à poser en grand seigneur;-pour quel résultat? Pour me voir congédier comme un vilain! J'offre à cette petite veuve de Caudebec de m'exterminer pour en faire une grande dame, et ma récompense est de l'entendre déclarer net que tout cela ne suffit point à son ambition! (Cherchant à rire.) Ah! ah! ah! Vit-on jamais impertinence plus adorable! (Reprenant son sérieux.) Hélas!

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