LE SPECTACLE EN FAMILLE (1). LA PIERRE DE TOUCHE, OU A QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON. inséré dans notre livraison d'août 1849, et joué au salon par nos lecteurs sur divers points de la France; enfin les imitations de notre idée auxquelles nos concurrents se sont livrés avec plus d'empressement que de bonheur, nous font une loi de répéter aussi souvent que possible les distractions honnêtement joyeuses du SPECTACLE EN FAMILLE, excellente application de notre devise: Moraliser les plaisirs. Pour varier cette fois, en le développant, notre répertoire, nous commençons dans ce numéro, et nous achèverons dans le numéro suivant, une comédie-proverbe, en deux actes et à costumes. En cédant néanmoins, par cette addition du costume, aux réclamations d'un grand nombre de nos souscripteurs, nous prévenons ceux qui désireraient jouer la Pierre de touche en habit contemporain, qu'il leur suffira pour cela de placer la date en 1850, et de changer avec intelligence quelques détails spéciaux à l'époque de 1788. Le fond du proverbe, les situations, les caractères, les ridicules surtout, sont malheureusement de tous les siècles, LOUISE, rangeant le salon. ÉMILIE, entrant par le fond. EMILIE. Ecoute, Louise. Quel est ce messager qui a passé une heure avec toi, et qui t'a remis, avec tant de précaution, une lettre pour M. d'Arnaud, mon tuteur? LOUISE. Je ne puis vous le dire, madame; je suis censée l'ignorer. EMILIE. Des secrets pour moi, ta sœur de lait, ton amie plus que ta maîtresse! Je te préviens que ces mystères commencent à me sembler étranges. LOUISE, avec un étonnement naïf. Est-ce que vous voulez enfin vous occuper de vos affaires? EMILIE. C'est assez naturel. LOUISE. Sans doute; et j'en louerais Dieu! Il sait que j'aimerais mieux vous obéir qu'à M. et à Mme d'Arnaud, Mais, sous prétexte qu'ils ont été jadis vos tuteurs, vous leur avez laissé une telle autorité dans la maison... EMILIE. Tu me connais, Louise. Rien ne m'intéresse moins... que mes intérêts. Veuve, avant d'avoir pu les connaître, un mois après mon mariage, je les ai mis en dignes mains, pour n'y plus songer. Cependant, ma philosophie a ses bornes. Je ne veux pas être seule à ignorer ce qui se passe chez moi. LOUISE. A la bonne heure, c'est un commencement! Et rien que pour cette parole de raison... EMILIE. Tu vas me dire le secret du message? LOUISE. Non pas! EMILIE. Méchante! LOUISE. Je vais vous le faire deviner... Pensez-vous quelquefois à vous remarier, madame? EMILIE. Est-ce qu'on pense à cela? LOUISE. Ma foi, la chose en vaut la peine. Telle que vous me voyez, mon établissement est chez moi une idée fixe... EMILIE. Tu es drôle. LOUISE. Je suis franche. EMILIE. Eh bien, je le serai aussi! C'est chez moi une idée vague, LOUISE, Idée vague..., idée fixe..., ça se ressemble, dans le cœur des femmes, comme les étoiles et les planètes dans le ciel. EMILIE. Comment! tu sais l'astronomie? LOUISE. C'est vous qui me l'avez enseignée, dans nos promenades, avec le livre de M. de Fontenelle. EMILIE. Tu as trop d'esprit, Louise, LOUISE, faisant la révérence, Pour vous servir, madame. EMILIE, lui prenant la main, Pour me comprendre. Revenons à... ton idée fixe... LOUISE. Et à votre idée vague... Eh bien, quand elle vous prend, vous arrive-t-il.., ce qui nous arrivait l'autre jour, pendant notre leçon d'astronomie, quand nous tronvions une figure humaine à la lune ?..... EMILIE, Décidément, tu es trop savante pour moi. LOUISE. Enfin, votre planète ressemble-t-elle à quelqu'un? Astronomie à part, avez-vous jeté votre dévolu sur un épouseur? EMILIE, Fi donc, Louise! LOUISE, Dame! vous voulez qu'on parle net. Je vous parle d'après moi, qui ai déjà toisé vingt partis, sans me!tre la main sur le bon. Vertudieu! c'est une marchandise qui ne se trouve point sous le pas d'un cheval, Il est vrai qu'elle ne vous manquera pas, à vous. Belle, riche et libre comme vous l'êtes, vous n'aurez qu'à tendre le filet; chacun viendra mordre à l'hameçon... Voilà pourquoi je vous demandais si on a déjà mordu, si vous avez distingué quelqu'un, comme on s'exprime en beau langage. (Mouvement d'Emilie.) Soit dit sans vous offenser, madame! moi jen suis à mon vingt et unième coup de filet, et j'espère mettre aujourd'hui le poisson dans la nasse. EMILIE. Où pourrais-je avoir distingué quelqu'un, moi qui vis seule en cette petite ville, veuve et orpheline à vingt-deux ans, sans famille, ignorée du monde entier, n'ayant d'autre compagnie que mes livres, d'autres joies que mes promenades, d'autres fêtes que le chant de mes oiseaux? LOUISE. Et notre voyage de cet hiver à Paris, et notre séjour à Versailles? EMILIE. Versailles est une foule, Paris est une cohne, où nul n'a remarqué une provinciale comme moi..., (lésitant.) si ce n'est peut-être... LOUISE, a part. Ah! (Haut.) Si ce n'est? EMILIE. Un jeune homme, dont j'ai retenu à peine le EMILIE, vivement. Tu le connais? LOUISE. Moi! (Avec une bonhomie maligne.) pas plus que vous, madame. (A part.) Laissons-lui le plaisir de la surprise, puisqu'il y a une étoile pour les galants comme pour les ivrognes. (Haut.) Avez-vous deviné maintenant le secret du message? EMILIE. Oui. C'est un prétendu qui s'annonce à mon tu teur. LOUISE. Vous êtes témoin que je n'en ai rien dit. EMILIE. D'autant mieux que je le soupçonnais avant de savoir. LOUISE. Oui-dà? Et vous plaidiez le faux pour connaître le vrai? J'en fais mon compliment à votre... idée vague. EMILIE. Et je plains d'avance ce prétendu, car j'ai horreur des prétentions en général, et en particulier des sentiments par recommandation. LOUISE. Vous êtes pour les coups de sympathie? EMILIE. Tu sais que je ne suis point romanesque... Mais dans ma position d'indépendance absolue, et dans une affaire aussi personnelle que le mariage, je pense que l'homme doit être jugé sur lui-même, et que la femme doit choisir d'après son cœur. LOUISE. Sans oublier le solide, madame! - Dis-moi ce que tu possèdes, je te dirai ce que tu vaux! - Telle est ma devise à moi! MARTIN. Ma bellé démoiselle, (Désignant Emilie.) c'est là l'objet dé mon ambassade? LOUISE. Précisément, monsieur Martin. MARTIN. Charmant objet, sandis! Et mon pétit protocole est arrivé à bon port? LOUISE. Vous allez en voir l'effet. M. d'Arnaud a grandi et grossi d'une coudée à chaque ligne. A la dernière, il éclatait d'aise, et il touchait au plafond. Il met son jabot et ses manchettes pour venir vous parler en personne. Il paraît que M. le baron de Vérac, votre maître, est un brillant parti. MARTIN. Jé m'en flatté, madémoiselle; c'est moi qui ai eu l'honneur dé lé former, moi, Haut-Gascon greffé sur Bas-Normand! Jé vous lé dis sans orgueil, parcé qué vous né l'auriez pas déviné. Dépuis six ans qué j'habité lé château dé Vérac, jé mé suis défait de l'accent dé la Réolle, LOUISE. Il vous en reste bien quelque chose. MARTIN. La finé fleur seulément, par pur esprit national. Mais à propos d'esprit, c'est ici lé cas dé déployer lé notre. Êtes-vous allée quelquefois à la comédie? Louise. Oui, quand le théâtre de la foire passait à Caudebec. MARTIN. Pouah! jé parlé dé la hauté comédie, qui est, commé dit cet autre, l'écolé des mœurs. LOUISE. Des mauvaises mœurs. MARTIN. Sandis: il y a du bon ! Par exemplé, les rôlés dé valets. Cé sont eux qui gouvernent leurs maîtres, qui conduisent les intrigues, qui font et défont les mariagés. Céci est dé rigueur dans le beau mondé. Ainsi, madamé dé Léris et monsieur lé baron dérogéraient, si, avec mon entrégent et votre minois, leur union né sé faisait par nos talents. LOUISE. Il faut d'abord qu'ils se voient. MARTIN. C'est notre affairé dé tantôt. MARTIN. Très-bien, très-bien; mais il y a autré chosé! Nos pétits profits d'abord, notre avenir ensuité, et enfin lé dénoûment. Jé m'expliqué dans la hauté comédie, lé laquais passé prémier valet du marié, la suivanté femmé dé chambré dé l'épouse; et tous deux font commé leurs maîtres, qui les dotent: ils sé marient au cinquième acte. Vous mé comprénez, madémoiselle? LOUISE, à part. Il a mordu! Attention à ma devise! (Haut.) Parfaitement, monsieur Martin; mais je vous répondrai à ceci que... (Cherchant à se rappeler.) dans ma position d'indépendance absolue, et dans une affaire aussi personnelle que le mariage, l'homme doit être jugé sur luimême, et la femme choisir d'après son cœur. (A part.) Voilà exactement ce qu'a dit madame. MARTIN. Sandis! vous parlez d'or! LOUISE, à part. Je crois bien. MARTIN. Jugez-moi donc commé jé vous jugé. Trentédeux ans, sans gasconnade; bàti dé la manièré qué vous voyez; quatré cents livres dé gages; deux cents livres dé profits; quinzé cents livres d'épargne; augmenté du doublé lé lendémain dé la noce; cela vous convient-il pour concluré la nôtré? Jé né vous démandé en échangé qué cetté jolie main. LOUISE, à part. C'est à prendre au vol; jamais je ne trouverai mieux! (Haut.) Monsieur Martin, vos qualités me vont à l'âme; si les gages et l'augmentation tiennent, je ne dis pas non. (Elle tend la main.) MARTIN, la prenant. C'est la méilleuré façon dé dire oui dans la hauté comédié. (Ouvrant un agenda.) Là-dessus, naviguons dé conserve, et orientons-nous pour l'expédition dé cé jour: car si la barqué dé nos futurs chavirait, sandiou! la nôtré chavirérait à la suite. Mettez-moi d'abord au courant du fort et du faible, des figures et des masques dé céans. LOUISE. Ce sera bientôt fait. Primo: Mme de Léris. Ah! c'est la perle du logis! Le cœur d'un ange et l'esprit d'un démon. De l'estime pour tout ce qui est bon, de l'aversion pour tout ce qui est mauvais, du goût pour tout ce qui est relevé, du mépris pour tout ce qui est ridicule. Seule depuis l'enfance, hórs ses trente jours de mariage, elle est majeure avant l'âge, douée de tous les talents, savante comine les livres, généreuse comme la Providence; elle ne songe à sa fortune que pour donner, et elle dédaigne tout haut les plaisirs du monde. (Avec importance.) Mais je crois, à vrai dire, qu'elle les apprécie tout bas, et qu'elle attend l'occasion d'en jouir à son avantage, car elle est faite, et elle le sait bien, pour mettre vos Parisiennes en échec. 148 MARTIN. Surtout au bras dé monsieur lé baron. Nous férons sonner, en conséquence, nos titrés, notré gousset et notré faveur à la cour. LOUISE. C'est justement à Versailles que nous l'avons rencontré. Il a été aimable pour nous, et (Confidentiellement) l'on s'en souvient un peu. MARTIN. Point capital, cadédis! J'ai pris bonné note. Passons au numéro 2. LOUISE. Numéro 2: M. d'Arnaud, ancien conseiller au présidial, qui a dormi vingt ans sur son siége, et qui s'est réveillé tuteur de ma maîtresse, sous prétexte d'un cousinage au dixième degré. Il s'est posé en père dévoué de sa pupille, et a refusé noblement cent louis d'honoraires, pour mieux jouir de nos vingt mille livres de rente, de notre maison, de nos terres, de notre carrosse et de nos chevaux. C'est ainsi qu'il en parle, depuis qu'il en a repris possession après notre veuvage. Chicaneur, capricieux, maniaque, pince-maille, à genoux devant l'opulence, mené en laisse par sa femme, qu'il tutoie pour avoir l'air de la dominer;-dur à cuire envers tous les autres ;-au demeurant, le meilleur homme du monde. Signes particuliers: il a placé ses délices dans le loto Dauphin. Il juge tout perdu quand la salière tombe. Il a des systèmes pour manger, boire, dormir, éternuer. Il passe la moitié de sa vie à régler nos pendules, à consulter nos baromètres, et à faire des doses de tabac dans ses tabatières. Comme il se porte à merveille, il se croit menacé de toutes les maladies: il a un pet-en-l'air pour chaque température et chaque appartement. Il fait trois milliers de pas par jour, et parle vingt-cinq minutes par heure. La dernière minute arrivée, il ne répondrait pas au roi. MARTIN. C'ést cé que nous appélons un Géronte croisé dé Perrin-Dandin. Noté. Continuons. LOUISE. Numéro 3: Mme la conseillère d'Arnaud. Ne pas oublier l'apostrophe! Elle y tient d'autant plus qu'elle l'a inventée. Vous pourrez même la qualifier de présidente, quand vous aurez à porter les grands coups. C'est la domination en chair et en os, surtout en os, car l'ambition l'a desséchée. Elle dit vous à son mari pour lui commander plus sûrement. Elle gouverne ici tout le monde, y compris Mme de Léris, qui la laisse faire par amour de la paix. Il faut la voir disposer de la bourse, de la table, des meubles et des chevaux de sa pupille, comme elle l'appelle toujours! Des chevaux ? distinguons. Elle a la manie de les épargner, même à ses amis, même à leur propriétaire, à qui elle fait gravir les côtes à pied, pour ménager des animaux qui périssent de gras-fondu. Il n'y a que ses quatre chiens, épagneuls et griffons, dont elle fasse plus de cas que de nos chevaux. Toutes ses caresses sont pour ces T.G MARTIN. C'est un compté dé gimblettes à établir jusqu'au jour où nous extirpérons tuteurs et chiens. Cette exécution féra partie du dénoûment. LOUISE. Elle n'est pas facile, hélas! Les d'Arnaud ont jeté leurs racines au cœur de madame, si bien qu'il faudra les séduire pour l'épouser. MARTIN. Jé comprends. Cé sont dé ces tyrans domestiques d'autant plus dangéreux qu'ils en ont moins l'air, et qui vous entortillent dans les chaînés dé l'habitude. On voit céla dans toutes les familles. LOUISE. Ils n'appuieront qu'un mari assez riche pour ne pas entamer leur position par des économies. Votre maître remplit apparemment ces conditions, à en juger par l'effet de la lettre qui l'annonce. MARTIN. Jé la connais, sandis, commé si jé l'avais dictée; elle est d'un ami dé M. d'Arnaud, qué j'ai déniché à Rouen. Ellé présenté M. le baron comme unique héritier dé son oncle, M. lé marquis dé Francville, qui a douzé mille écus dé rente, mais qui est bien lé plus grand original dé haute et bassé Normandie. Jé lé connais mieux qué personne, car il se sert dé mes pétits talents et paye la moitié dé mes gages. Philosophé dé la nouvellé modé, disciplé dé Cagliostro, hommé dé cour par naissance, et médécin par amusément, savant qui dévine tout, né livré qué les sécrets des autres et mystifie les gens à l'occasion. Heureusément il adoré son néveu, qui réçoit en dot la moitié dé sa fortune, avec l'espérancé du resté, commé disent charitablément les héritiers. C'est lui qui, dé làbas, lé gouverné par ma main, dans toutes ses démarchés! Il fallait l'entendre lui donner ses instructions, lé jour dé notré départ pour Caudebec! Il a flairé dé vingt lieues tout cé qué vous mé contez des tuteurs et dé la pupille. Il partagé vos soupçons sur l'ambition sécrété dé la jolie veuve. Laissé ta philosophie à sa porte, disait-il au baron, né crains pas d'être un peu fat, et saché té présenter en mari de cour. LOUISE. Ce marquis, ma foi, me semble un habile homme! MARTIN. Quant aux majordomés, il a lé capricé dé les voir vénir, et m'a chargé, à cet effet, du pétit complot qué voici. Mon maître arrivéra incognito pour ces bonnés gens, et ils féront, jé gagé, quelqué sottisé, qui nous donnéra barré contre eux. LOUISE. C'est parfait! Silence! Voila justement M. d'Arnaud! Me d'Arnaud dans sa voiture. est ici leur très-humble valet, car il faut leur plaire vilaines bêtes, et chacun pour plaire à madame la tutrice! dessus. Réglez-vous là MARTIN, après avoir composé son visage. 11 peut ouvrir le feu, nous sommes en forcé! Il n'y a pas dé conseiller qui tienné contré des valets qui savent leur monde! (Vivement.) Si M. lé baron sé présenté, n'oubliez pas l'incognito, et faites qué jé lui parle avant tous, et lui communiqué ces agenda qu'il remet dans sa LOUISE. Soyez tranquille, j'y aurai l'all! SCÈNE III. MARTIN, LOUISE, M. d'ARNAUD, entrant par le fond. (M. d'Arnaud a un pet-en-l'air à ramages sur son habit, et un autre sur le bras. En entrant, il observe le baromètre, le thermomètre, la pendule, sa montre; puis il se mouche, prend une prise de tabac, tire une lettre de sa poche, met ses besicles et regarde Martin.) MARTIN, bas à Louise. Vous n'avez pas chargé lé portrait, sandis! M. D'ARNAUD, à part, avec embarras. Ma femme n'est pas au salon? (Haut.) C'est vous qui êtes le sieur Martin, valet de M. le baron de Vérac, et porteur de cette lettre? MARTIN. C'est moi, monsieur lé conseiller, pour vous servir. M. D'ARNAUD, après l'avoir regardé encore; à part. Il a très-bonne façon. Je croyais que ma femme était là... (Haut.) Soyez le bienvenu, mon ami. Vous êtes fatigué sans doute? (A Louise.) Où est Mme d'Arnaud? LOUISE. A l'office, pour la pâtée de ses chiens, monsieur. M. D'ARNAUD. En effet, c'est l'heure. Eh bien, menez-y ce brave, et faites-le déjeuner. (Avec un effort solennel.) Vous lui servirez une bouteille de bordeaux. (Martin salue.) LOUISE, à Martin. Du bordeaux! Ça va bien. M. D'ARNAUD. Mais non, attendez un peu, Mme d'Arnaud va venir, et elle donnera ses ordres. Cette lettre nous annonce M. de Vérac. Vous suit-il de près? MARTIN. Jé pensé qu'il arrivéra ce soir, peut-êtré plus tôt. M. D'ARNAUD. Plus tôt, diantre! Mais il faut lui préparer... Louise! LOUISE. Monsieur. M. D'ARNAUD. Rien. (A part.) Que fait donc ma femme? Morbleu! cette affaire est plus intéressante que ses chiens. Et moi qui me morfonds ici. (Après avoir jeté un coup d'œil au thermomètre, il óte le peten-l'air qu'il avait sur son habit, et revét celui qu'il portait sur le bras; puis avec humeur.) Louise! allez dire à Mme d'Arnaud, (Se radoucissant.) que je la supplie de venir au salon. LOUISE. (Fausse sortie.) Monsieur, la voici. M. D'ARNAUD. Ah! c'est heureux! Martin. Mae D'ARNAUD. (Elle s'assied, pose son chien sur ses genoux, prend son binocle et lil. A chaque ligne, elle écarte son binocle et observe Martin.) De notre collègue de Rouen? Ce cher ami... (A part, lisant, avec une émotion croissante.) C'est très-bien !... c'est parfait! c'est à merveille! (Se levant et laissant tomber son chien.) Mais c'est superbe! (Bas à M. d'Arnaud.) Mais c'est une affaire d'or, monsieur le conseiller! M. D'ARNAUD. Je le pense, et voilà pourquoi... Mme D'ARNAUD, à Martin, lui faisant la révérence. Vous êtes le messager? MARTIN. A Vos ordrés, madamé la présidenté... Mme D'ARNAUD. Et vous attendrez ici votre maître? MARTIN. Comme il plaira à madamé la présidenté. Mme D'ARNAUD, à part. Il s'exprime fort bien, et il a l'air de bonne maison. (Haut, de l'air le plus aimable.) Eh bien! mon cher, faites comme chez M. de Vérac... Louise est à votre service. Déjeunez d'abord... Reposezvous, promenez-vous... Conduis-le, Louise; et disposez tous deux la grande chambre verte pour M. le baron. LOUISE, étonnée. La grande chambre verte! Mme D'ARNAUD. Car j'espère que M. le baron nous accordera quelques jours... MARTIN. Jé l'espère aussi, et jé rémercie madamé la présidenté. (Bas, à Louise, en sortant avec elle par le fond.) Lui en ai-je assez donné dé cette présidencé? SCÈNE V. M. d'ARNAUD, Mme d'ARNAUD. M. d'Arnaud tire sa montre et ouvre sa tabatière. Mme D'ARNAUD. Monsieur d'Arnaud, je vous trouve d'un sang-froid magnifique ! M. D'ARNAUD, tranquillement. Je suis fort ému, au contraire. (Prenant sa prise.) La dépêche m'a paru tellement capitale, que, sans vous attendre, j'ai offert du bordeaux au courrier. Mme D'ARNAUD. Et vous avez bien fait. (Rouvrant la lettre.) Il nous apporte l'accomplissement de tous nos rêves... (Relisant.) « Mon cher conseiller, je vous recommande M. le baron de Vérac, qui va solliciter la main de Mme de Léris. C'est un parti excellent... pour vous.»> M. D'ARNAUD, s'attendrissant. Cette chère pupille! Mme D'ARNAUD, lisant. « Un des gentilshommes les plus généreux de la province.» (Parlant.) Les plus généreux! Nous resterons tuteurs, sous le nom d'intendants. M. D'ARNAUD. Cette chère pupille! Mme D'ARNAUD, lisant. A chaque interruption et à chaque reprise, elle ôte et remet son binocle. « Une figure charmante, des habitudes de grand seigneur, une santé par faite.»> M. D'ARNAUD. Il passera sa vie à chasser. |