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d'Italie et d'Angleterre. Elle raconta l'étrange destinée de Cromwell et de Mas-Aniello de Cromwel, simple brasseur anglais, à qui une femme annonça dans son enfance qu'il deviendrait le premier homme du royaume, et qui, ruiné deux fois, puis député au Parlement avec son habit sale et déchiré, puis capitaine de cavalerie, combattant de sa plume, de sa parole et de son épée, vainqueur à Marston-Moor et à Newbury, était en ce moment plus roi d'Angleterre que Charles Ier, dont il tenait à sa merci la couronne et la tête; de Mas-Aniello, pauvre pêcheur de Naples, élevé par une émeute au-dessus du vice-roi espagnol; revêtu de la pourpre et porté en triomphe sur le trône, où il serait resté peut-être, si le vertige ne l'en eût précipité...

-Pourquoi n'en ferais-je pas autant? se dit le secrétaire, enflammé d'émulation. La France est déchirée par les factions, comme l'Angleterre et l'Italie. La monarchie, soutenue par un enfant et par une femme, tremble sur sa vieille base, sapée par les grands seigneurs et par le Parlement. Il ne faut qu'un Cromwell ou qu'un Mas-Aniello pour lui porter le dernier coup, par la rude main du peuple. Je serai le Cromwell ou le Mas-Aniello français ! Et malheur alors aux princes qui m'auront foulé aux pieds! Ils connaîtront le poids des miens, et recevront à leur tour mon pardon!

Vous reconnaissez l'homme qui parlait ainsi : c'était maître Guillaume Deboile, courtisan manqué, comme tous les révolutionnaires.

Le lendemain, il quittait le prince de Condé, sans lui demander ses gages; il se jetait à corps perdu dans les tumultes de la basoche, et il devenait l'orateur fougueux des bornes du Pont-Neuf. Sa mâle beauté, sa virulente éloquence, sa vie romanesque et désordonnée, ses manières à la fois hautaines et triviales, en firent bientôt le héros et le tribun favori du peuple. Le Parlement et les princes se servant également des masses, Deboile fut pris pour instrument de côté et d'autre; et, maître des secrets des deux partis, sans leur avoir révélé le sien, il résolut de les exploiter à son profit et d'être le troisième larron, comme il disait. Allant et venant de la coterie de Mme de Longueville à celle de M. Broussel, il cimentait dans l'ombre son propre piédestal, avec les discours ronflants du conseiller et les écus sonnants des grands seigneurs. C'est avec ces écus qu'il payait, on s'en souvient, les ovations du père Broussel; et c'est par le crédit en cour de M. de Marcillac qu'il avait empêché le ralliement du magistrat à la régence, · en faisant arriver si à propos chez lui le refus de la reine à sa demande de la grande noblesse. La cauteleuse politique de Mazarin avait promis ces graces opportunes au comte d'Amalby, mais Marcillac avait sans peine arraché un contre-ordre aux rancunes violentes d'Anne d'Autriche contre le Parlement.

L'ambition de Deboile avait trouvé un aiguillon de plus dans sa passion pour Louise Boucherat, la nièce du vieux conseiller au Parlement, beauté supérieure encore à la duchesse de Longueville, puisqu'elle ressemblait à l'immortelle Joconde de Léonard de Vinci! Armé, comme on a vu, de son image, qu'il portait sur le cœur dans un médaillon d'argent, Guillaume l'opposait avec une joie superbe à celle de la fille des Condé, que les frondeurs avaient prise pour emblème et déguisée en Pallas (1). Sa Pallas, à lui, était comme lui-même, une fille du peuple; il la faisait saluer d'avance par le peuple, comme une fu

(1) Voyez notre gravure, faite d'après un portrait contemporain de Me de Longueville, conservé à la Bibliothèque nationale.

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ture reine; bref, il se flattait de l'élever avec lui sur le pavois du peuple, le jour où la révolution l'y placerait comme Mas-Aniello, et de dire, ce jour-là, à la duchesse de Longueville, plus humiliée par lui qu'il ne l'avait été par elle : « Celui que vous avez repoussé du pied, vous repousse à son tour pour une femme plus belle et plus adorée que vous. Que vos larmes expient votre éclat de rire, et vous obtiendrez aussi votre grâce!

A la vérité, le comte d'Amalby, avec son épée de lieutenant aux gardes, s'était jeté en travers des beaux projets de Guillaume; mais ce gentilhomme ne serait-il pas emporté, comme tous les autres, par la tempête qui allait faire surgir l'avocat?

Allons maintenant voir comment il la préparait à la taverne du Bien public.

VIII. - LA TAVERNE DU BIEN PUblic.

La taverne du Bien public était située dans un carrefour obscur de la rue Dauphine. La salle basse, où les complices de Guillaume l'attendaient, méritait le choix qu'on en avait fait pour une œuvre ténébreuse. A peine éclairée par des jours de souffrance, garnie de tables et de bancs crasseux, elle avait pour tout ornement les caricatures et les placards lancés, malgré la police, contre la reine et le Mazarin. Deux cents hommes la remplissaient lorsque l'avocat y fit son entrée. Il y fut accueilli comme un roi dans son empire; et, sauf quelques poignées de main à ses lieutenants, il salua son peuple avec une majesté toute royale.

Ce peuple, il faut le dire, ne lui faisait pas honneur. Quelques chefs de corporations en formaient l'élite. Ils n'avaient pas les doigts trop sales, et leurs vêtements semblaient assez honnêtes; mais leurs figures, altérées par la débauche, trahissaient les désordres d'une vie qui cherchait issue dans les aventures publiques. Le reste se composait des bras-nus du port, des vagabonds de la Cité, des mendiants de la Cour-des-Miracles, des représentants de toutes les industries nomades et de toutes les pratiques du lieutenant de police. C'est avec ces messieurs qu'on a toujours fait les révolutions. Quand on veut s'en servir, il faut mettre la délicatesse de côté. Guillaume Deboile en avait pris son parti. Il savait que chacun de ces hommes en avait mille à sa suite, et il les comptait sans les peser, en les touchant le moins possible.

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L'état-major est digne d'une mention à part. On y distinguait les principaux libellistes et gazetiers de l'époque : Carpentier de Marigny, qui, après avoir cherché fortune de cour en cour, chansonnait pour le moment la royauté, et venait de prouver, dans son Traité politique (1), par l'exemple de Moïse et autres, que tuer un tyran de nom ou de fait n'est pas un crime; Guy-Patin, qui déjemait au cabaret d'épigrammes contre les princes, jusqu'à ce qu'il dinât d'épigrammes contre le peuple, en trouvant chez les princes une pistole dans sa serviette; — Mézeray, le futur historien, dont le Musée vous a raconté la vie (2); qui décriait Mazarin entre cinq pots, afin de gagner de quoi décrier un jour Colbert entre dix bouteilles; Chapelle, le joyeux viveur de l'époque, prêt à se griser avec les bateleurs ou les ducs et pairs; il se grisait alors avec les bateleurs, et fabriquait des mazarinades à deux pintes le couplet; Dubosq-Montandré, le publiciste incendiaire, qui vendait d'une main des sermons aux curés, et de l'autre des libelles aux frondeurs, le matin des diatribles contre Condé, et le soir des dithyrambes à sa gloire, jusqu'au jour où le prince rétablit l'équilibre en le faisant (1) Réimprimé à Paris en 1795. Date notable: (2) Voyez François Mézeray, t. XVI, p 277.

bâtonner par ses laquais (1); les auteurs prudemment anonymes du Donjon du droit naturel contre les ennemis de Dieu et du peuple: programme communiste de ce tempslà; les traducteurs du Franco-Gallia et du Junius Brutus, qui affichaient partout les maximes républicaines, prouvaient en trois points « que la monarchie était trop vieille, qu'il était temps qu'elle finit », et engageaient la France à imiter Naples et l'Angleterre, en usant comme elles du droit de changer son gouvernement, de déposer et de chasser ses rois et ses ministres » ; les factieux qui avaient arraché, la veille, aux archers et au gibet, l'imprimeur de l'infàme satire : la Custode du lit de la reine, etc. Après s'être assuré que chacun avait donné les mots d'ordre: - Mas-Aniello, Res-publica, et qu'il ne pouvait s'être glissé aucun loup dans la bergerie, Deboile monta sur une table, retroussa ses moustaches, et raconta les événements de la journée.

- Vous voyez que tout marche à nos souhaits, ajoutat-il le Parlement est en pleine révolte, les seigneurs vont s'y mettre, et les uns et les autres vont y appeler le peuple; c'est-à-dire que chaque parti compte se servir de nous pour triompher, et nous récompenser ensuite en nous opprimant de plus belle. Halte-là, messieurs! nous entendons la chose autrement! Puisque rien ne peut se faire sans nous, il faut que tout se fasse pour nous ! Cependant, cachons encore nos projets, pour en mieux assurer le triomphe. Voici notre plan de conduite. Au premier jour, la reine répondra au Parlement par un coup d'Etat. Le Parlement tiendra bon, s'il est appuyé par les seigneurs et par nous. Par les seigneurs, il le sera; c'est leur intérêt et c'est convenu. Par nous, il le sera aussi, mais aux intentions suivantes : Nous nous soulèverons d'abord contre le ministère en criant: Vive la réforme de l'Etat! à bas le Mazarin! Moyennant ce cri, tout Paris sera de notre bord, et chacun fera nos affaires, quand nous paraîtrons faire celles (1) On jugera des écrits de Dubosq par quelques extraits de sa brochure: Le Point de l'Ovale:,

«Si dès les premières barricades les Parisiens poussent l'affaire jusqu'au bout..., si d'abord nous faisons main basse et de Mazarin et des Mazarins et des Mazarines, il n'en sera que cela... En matière de soulèvement, on n'est coupable que d'avoir trop de modération... Il ne faut jamais ébranler un Etat que pour faire tomber tous ceux qui se sont élevés sur les ruines du pauvre monde... N'imitons point les médecins qui n'ordonnent que de pelites saignées...; il n'en faut qu'une seule, mais qui soit bonne... Le fer sera notre juge. Le plus fort sera le plus juste... Levons le masque, le temps le demande. Voyons que les grands ne sont grands que parce que nous les portons sur nos épaules. Nous Davons qu'à les secouer pour en joncher la terre, et pour faire un coup de partie duquel il soit parlé à jamais... C'est une folie au pauvre peuple de se laisser ainsi sucer jusqu'à la derniere goutte de son sang, pendant qu'il ne tient qu'à lui qu'il ne $ engraisse de celui de ses tyrans. Les sujets n'ont jamais meilleure justice que lorsqu'ils se la font eux-mêmes. Il faut qu'ils soient les juges de ceux qui les ont jusqu'à présent jugés... Après avoir remarqué lequel des deux partis nous sommes en dessein de renforcer par un soulèvement général, faisons carnage de Tautre, sans respecter ni les grands, ni les petits, ni les jeunes, ni les vieux, ní les males, ni les femelles; alarmons tous les quartiers, tendons les chaines, élevons les barricades, mettons Tepée au vent, tuons, saccageons, brisons, sacrifions à notre tengeance tout ce qui ne se croisera pas pour marquer le parti de la liberté... Il n'est rien de plus facile, et, si nous le voulons, ce west pas l'affaire d'un jour... Paris est le chef de l'Etat... Le thef préside sur tous les membres... C'est donc à Paris de donner le branle. Mettons donc promptement la main à la pâte, nous qui avons l'honneur d'être dans le chef de l'Etat, etc., etc. »

Voilà ce qui s'imprimait sous la Fronde, au commencement du regne de Louis XIV! C'est à n'y pas croire, et pourtant rien nest plus vrai! (Voyez la Bibliothèque historique du père Lelong : Mazarinades, et l'Histoire de la Fronde, de M. de Saint-Aulaire, Peres justificatives, t. III, p. 380.) Marat et ses successeurs ent-ils dit et fait autrement depuis 1793 jusqu'à 1849; et les révolutions modernes ne sont-elles pas des plagiats des anciennes revolutions?

des autres. On tendra des chaînes, on dressera des barricades, on remettra au vent les épées de la Ligue. On armera la garde bourgeoise, c'est-à-dire tous ceux qui vou dront des armes... Enfin, le roi, la reine et le ministre ne seront plus rien pendant une heure. Le gouvernement tombera dans la rue et appartiendra au plus fort. Le Parlement et les princes se jetteront dessus et se le disputeront à belles dents. C'est alors que nous démasquerons nos batteries et que nous mettrons les gourmands d'accord en disant: A nous le gâteau! «Qui a fait le Parlement « et les seigneurs? ce sont les rois; mais qui a fait les « rois? c'est le peuple (1)! » C'est donc au peuple de les défaire, s'il lui plaît, et le moment en est venu! Là-dessus, nous crierons, non plus: Vive la réforme de l'Etat! et à bas le Mazarin! mais: A bas la monarchie! et vive la répu→ blique! Les poltrons nous feront écho, en nous voyant les plus résolus... Les autres seront frappés de surprise, d'ad miration ou de terreur. Bref, roi, régente, ministre, seigneurs, Parlement, seront culbutés « en un tour de main; » et nous nous installerons à l'Hôtel-de-Ville, où nous arborerons le drapeau que voici!

Deboile fit un signe ; Montandré se leva et déploya sur les têtes, au milieu des trépignements d'enthousiasme, un drapeau rouge portant ces inscriptions: Bien public, Vox populi, vox Dei, République de France (2).

Puis on procéda à l'organisation du futur gouvernement, et Deboile en fut proclamé chef, à l'unanimité.

Une éblouissante vision lui montra en ce moment Louise Boucherat trônant avec lui, et la duchesse de Longueville suppliante à ses genoux...

L'union des conjurés devint moins touchante dans la discussion qui suivit, sur les conséquences de la victoire. L'un proclamait la liberté, l'égalité et la fraternité sociales, comme Van-den-Enden les professait alors à Amsterdam (3). L'autre demandait une confédération, comme dans les Provinces-Unies; un troisième le protectorat, comme en Angleterre. Les ouvriers réclamaient la suppression des maîtres, et entendaient rester maîtres cependant. Les mendiants comptaient aller en carrosse, et per

(1) Paroles textuelles de l'avocat Deboile. Il les adressa en pleine rue, du haut des barricades, au président de Novion (SaintAulaire, Histoire de la Fronde, 1827, t. Ier, p. 537; Journal du Parlement, Histoire du temps et Mémoires déjà cités).

(2) Voyez l'Histoire de France d'Henri Martin, t. XIV. p. 360362. « La révolte victorieuse prit pour sceau la figure de la Liberté, avec l'exergue: Vox populi, vox Dei,... et arbora sur tous les clochers un drapeau rouge, etc. » Nous n'inventons rien.

(3) Il vint les professer à Paris vers 1674, à l'Hôtel des Muses, dans le faubourg Saint-Antoine, près du convent de Piquepus. Voici quelques détails de son plan d'organisation sociale, que nous traduisons du latin :

« Le but est de fonder une République populaire, toujours florissante et progressant par l'accord et la liberté générale. Les citoyens seront convoqués sans armes dans les paroisses pour discuter leurs droits, choisir leurs chefs au suffrage secret, et se gouverner en peuple libre d'après des lois fondées par eux et modifiables à leur gré, par une assemblée civile composée de trois cents membres, douze membres par paroisse. Cette assemblée réglera les finances, les travaux publics, l'assistance, les emplois, la justice, l'instruction, les alliances extérieures, etc. Un conseil militaire, en rapport avec elle, s'occupera de ce qui est du ressort des armes. Rien ne sera imposé au peuple sans le consentement des deux assemblées. Personne n'est admis au rang de citoyen avant l'âge de vingt-un ans, et s'il n'a été trois ans soldat. Il n'y aura aucune différence entre les religions, les classes, etc.» (Bibliothèque nationale, manuscrits: Procès de Rohan.)

Ne voilà-t-il pas tout notre régime constitutionnel et représentatif, nos chambres, nos chartes, nos constitutions, notre recrutement, notre budget, etc.? Qu'on dise encore qu'il y ait rien de nouveau sous le soleil! Du reste, Van-den-Enden, ayant voulu joindre l'application à la théorie et fonder sa république sociale en Normandie, avec Rohan, Latréaumont, et Des Préaux, ful exécuté en leur compagnie le 27 novembre 1674.

sonne ne voulait plus faire de carrosse... Tel désirait que chacun travaillât de ses mains; tel, que personne ne fit rien de ses dix doigts. Celui-ci exigeait que l'Etat nourrit tout le monde à la même gamelle; celui-là, que chacun devint ministre, fermier général, gouverneur, etc. L'un, que les seigneurs fussent à leur tour laquais de leurs laquais; «l'autre, qu'on supprimât la pluie et la gelée, qu'on réformât le soleil, et qu'on trouvât le moyen de voler comme les oiseaux. » (Toutes ces rêveries, fièvres périodiques de l'humanité, percent dans les brochures philosophiques de la Fronde.)

La délibération allait dégénérer en coups de poing, si Deboile, usant déjà de son autorité, n'eût imposé fermement le silence, et passé à l'énumération des combattants et des armes.

Tout compte fait, il se trouva qu'on disposait de quarante mille hommes, et d'autant d'arquebuses, pistolets, épées, poignards, et autres instruments de destruction; que les tonneaux, les chaînes et les bras étaient prêts pour les

barricades, et qu'elles surgiraient par centaines, du PontNeuf à la Bastille, au premier signal donné par Guillaume. -Ce signal, dit-il pour conclusion, sera le drapeau fleurdelisé du Parlement, que j'arborerai de mes mains sur les tours de Notre-Dame, en attendant que le nôtre sc déroule au sommet de l'Hôtel-de-Ville!

En même temps, il tira de sa poitrinc le médaillon de la belle Joconde, le portrait de la charmante nièce de Broussel; et sur ce talisman sacré, tous, étendant la main, jurèrent avec lui de vaincre ou de mourir...

Quelques jours après, le 27 août, la moitié des prédictions de Guillaume était réalisée... Paris, soulevé tout à coup, et semblable à un camp retranché, se trouvait hérissé de douze cents barricades...

Mais avant de raconter cette formidable explosion, allons en chercher l'explication chez la reine, où nous trouverons M. le comte d'Amalby, sans lequel maître Deboile avait compté.

(La suite au prochain numéro.) PITRE-CHEVALIER.

GÉOGRAPHIE, MOEURS ET HISTOIRE D'ALLEMAGNE (1).

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I.

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Enfants hongrois sortant de l'école, aux environs d'Orsova.

LES VILLES ET LES PRODUITS (SUITE).

Le pont de Bude à Pesth.. Une révolution. - Les glaces fou-
droyées. Bude, l'été et l'hiver. - Edifices.
Bains com-
muns.- - Pesth. Le Casino. Le Muséum. - Villages de
40,000 habitants.- Enfants hongrois.- Belgrade.- Orsova.
Produits bestiaux, bergers, leurs mœurs; troupeau de
4,000 têtes.- Vin de Tokay.

Naguère un pont de bateaux, enlevé pendant l'hiver, (1) Voyez la Table des dix premiers volumes, et les tables des cinq derniers, notamment: aux Bords du Rhin, t. XIV, p. 65, 170. (2) Voyez le numéro de septembre dernier.

était le seul moyen de communication entre Bude et Pesth. L'étranger y voyait, non pas sans indignation, le maintien du plus odieux des priviléges octroyés à la noblesse, le droit de ne point contribuer au payement de l'impôt. Tandis que l'équipage du riche magyar passait libre et fringant, le paysan était arrêté sur le seuil, et rançonné pour lui, pour sa charrette et pour ses maigres chevaux. Le comte Széchény proposa à la diète de 1836 d'établir un pont de pierre, et, pour subvenir aux frais de construction, nobles et paysans seraient soumis au péage.

Cette proposition était grosse d'une révolution. Les magnats le sentirent. Mais que purent leurs efforts contre le mouvement des esprits? Le projet fut adopté.

-Moi, du moins, s'écria, les larmes aux yeux, le chef de la justice, je ne passerai jamais sur ce pont, dont l'érection doit signaler la ruine de la noblesse !

Il est pour les habitants des deux rives un moment plein d'anxiété, c'est celui du départ des glaces dont le Danube est couvert du mois de novembre au mois de mai. Quand des chaleurs soudaines ont occasionné une fonte de neige trop rapide, les eaux, arrivant avec impétuosité, font voler au loin, par une explosion terrible, des blocs de glace énormes. Afin de prévenir ces dangers, on échelonne des factionnaires sur les bords du fleuve; à l'approche des eaux, ils répandent l'alarme par des coups de canon; l'artillerie de Pesth accourt, hâte le départ des glaçons et foudroie ceux qui arrêteraient la débâcle.

C'est aussi pour conjurer ces désastres que se font, d'une ville à l'autre, les processtons de pèlerins hongrois, -spectacles religieux d'une imposante solennité.

Parlons de Bude. La ville a trois parties distinctes. Ses rues sont étroites, mal pavées; ses maisons basses et presque toutes en bois. Le château du palatin, placé sur un mamelon, domine la ville de tous côtés; c'est dans sa chapelle qu'est conservée la couronne de saint Etienne, ce palladium de la Hongrie. Une ceinture de murailles règne autour de la montagne; elle renferme d'assez beaux édifices et des hôtels qui s'élèvent dans une position ravissante. Bude, si triste pendant la belle saison, change d'aspect et s'anime au milieu de l'hiver; un grand nombre de familles très-distinguées viennent alors l'habiter et en font le centre de toute la société aristocratique. Les Romains et les Turcs ont laissé à Bude des traces de leur passage; elle leur doit l'établissement thermal de Kaisser

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bad. C'est là qu'hommes et femmes du peuple se baignent aux mêmes heures, sans se soucier des lois de la décence. Ce spectacle serait curieux, s'il n'inspirait le dégoût. Pesth n'a pas de monuments anciens. Mais son Casino est, pour l'étendue et la beauté, unique en Europe. Les étrangers y sont admis avec un empressement plein de cordialité.

Il y a deux théâtres, l'un pour les pièces allemandes, l'autre destiné aux productions des artistes hongrois. L'esprit français règne sur les deux scènes. Le muséum, fondé

par le père du comte Széchény, possède une belle collection de médailles et de manuscrits.

Pesth est par-dessus tout une ville commerçante. Quoique ancienne, elle ne date que du règne de Joseph II. Mais depuis elle a détrôné Presbourg. Récemment encore, elle lui enlevait sa diète. Pesth aspire à devenir tout à la fois la tête et le cœur de la Hongrie.

Avant d'arriver à Belgrade, le Danube traverse des prairies vastes, riches, mais désertes; point de villages sur ses bords. C'est que le paysan magyar redoute les

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bienfaits de ce fleuve dont il connaît trop les fréquentes inondations. Cet abandon provient aussi d'une autre cause. Les villages sont clairsemés en Hongrie, mais ils renferment quelquefois trente à quarante mille habitants. J'emprunte ce chiffre au duc de Raguse. Inquiétés par les excursions des Mongols et des Turcs, les cultivateurs ne trouvaient de sûreté que dans une agglomération, nuisible en temps de paix aux progrès de l'agriculture. Les villages hongrois ont d'ailleurs une physionomie qui leur est propre. Les maisons, à façade blanche, s'étendent sur une seule ligne, comme un camp. Heureusement, ces agglomérations s'accroissent si lentement, à en juger par le peu d'enfants qu'on y rencontre. Ces enfants sont surtout curieux à voir sortir des écoles, offrant toutes les variétés des types et des costumes nationaux. Ils rappellent leurs voisins, les enenfants turcs, si vivement dépeints par la brosse de M. Decamps.

Belgrade, tour à tour aux chrétiens et aux Turcs, est plein de souvenirs. Mais à la vue de ses minarets et de ses maisons, qui semblent sortir chacune d'un bosquet délicieux, et que dore un beau soleil, vous oubliez les assauts sanglants dont cette ville fut tant de fois le théâtre, pour ne plus songer qu'aux merveilles de l'Orient dont vous approchez, et que vous croirez atteindre en arrivant aux bains de Méhadia, « frais et pittoresque séjour qui n'a rien à envier aux sites les plus visités des Pyrénées et des Alpes. >>

Orsova est la dernière ville du royaume de Hongrie.

Cette contrée, par son climat et par sa végétation, semble appartenir aux pays qui, de côté et d'autre, la limitent; refroidie par les glaces dans la partie septentrionale; chaude au midi, aride sur les montagnes, et dans la plaine, chargée de richesses dont elle ne sait point assez tirer avantage.

Ses bestiaux, ses vignes, ses blés, ses forêts lui fournissent toutes les choses nécessaires à la vie; même au delà. Qu'il soit donc permis à l'orgueil national de conserver ce proverbe: Extra Hungariam non datur vita.

Entre la Theiss et le Danube, de Pesth à Szégédin, sont situés les pustas (ou putzas), pâturages sans limites, où, comme en Espagne, les animaux passent toutes les saisons en plein air, sans jamais entrer dans une étable. Des Grecs et des Arméniens possèdent ces pustas à titre de fermage; en retour, ils s'engagent à monter quelques régiments de cavalerie hongroise.

Dans ces plaines, où, pour retrouver sa route, il faut chercher les étoiles au ciel, les troupeaux vivent sous la garde de bergers appelés guylas et julaz. Les mœurs de ces derniers frappent par leur rudesse. Ils gardent les moutons et partagent avec eux les variations et les incommodités du temps. Quinze à seize chiens, compagnons inséparables, surveillent les troupeaux la nuit et le jour. Les julaz se montrent rarement parmi les hommes. On les dit féroces. La peinture qu'en ont faite les voyageurs n'est pas attrayante. Une chemise et un pantalon de grosse toile, enduite de graisse et noircie par l'usage, préservent leurs corps de la piqûre des mouches qui abondent en ces contrées. Leur chaussure n'est qu'une semelle de cuir et de paille fixée par des courroies autour de la jambe. Ils ornent leurs chapeaux de rubans, et suspendent à leurs épaules un manteau de laine blanche (kepeneck) chargé de boutons d'un métal luisant. Tel est leur goût pour cet ornement qu'ils se le procurent quelquefois par le crime. Ils graissent leurs cheveux et les relèvent en nœuds au-dessus des orcilles.

Malgré le peu de soin donné à l'entretien de ses bes

tiaux, la Hongrie ne le cède sur ce point qu'au comté de Kent en Angleterre. Le bœuf hongrois est grand et bien fait; son poil court est luisant; sa couleur, la plupart du temps, blanche ou grisâtre.

La Hongrie possède de fort beaux moutons dont les propriétaires ont varié l'espèce en la croisant avec des mérinos; il y a aussi une race à cornes fourchues, qu'on n'élève dans aucun autre pays, excepté sur les montagnes d'Ida et dans quelques îles de l'Archipel. Quelques magnats, à l'instar des grands d'Espagne, entretiennent des milliers de moutons de race supérieure et en tirent chaque année un profit considérable. Le troupeau du prince Charles Esterhazi est évalué à 3 ou 4 mille têtes.

Les chevaux hongrois sont de petite taille et de faible complexion; défauts qu'ils rachètent par une élégance de formes remarquable. Marie-Thérèse et Joseph II se sont vivement intéressés à la multiplication des haras; mais ils n'ont été que faiblement secondés dans leur entreprise.

La culture des vignes n'est pas une branche de commerce moins importante en Hongrie. Qui n'a point en effet entendu célébrer le tokay, dont la généreuse liqueur, dit une chanson hongroise, a la couleur et le prix de l'or? Les vignes qui le fournissent croissent sur une montagne dépendant des Carpathes et qui n'a pas quatre lieues de longueur, le Hegy-Allya. Le soleil y concentre toute sa force, et ses rayons, par la réverbération des sables, doublent leur intensité. Transplanté, le cep du tokay change de nature. Bientôt il n'est plus reconnaissable.

On compte trois qualités de tokay: les larmes qui se distillent d'elles-mêmes des raisins secs donnent la première; la seconde est due à une légère pression des grappes; la troisième à une beaucoup plus forte.

Chose étrange! Le propriétaire et le vigneron du tokay ne tirent aucun avantage de leur heureuse position. Ils abandonnent le tonneau de vin pour une somme qui compense à peine leurs frais et leurs peines; et l'on a vu la bouteille se payer trente florins à Londres. N'est-ce pas le « Sic vos non vobis » de Virgile?

Les vins rouges de Menès, de Rust et d'OEdenbourg sont aussi fort estimés. On les cultive sur les côtes occidentales du lac Neusield, dont l'élévation et la direction sont telles que les rayons du soleil tombent obliquement sur les vignes. La France est la seule contrée d'Europe qui produise autant de vins que la Hongrie.

Mais il n'est aucun pays qui puisse rivaliser avec sa partie méridionale pour le blé, le seigle, le maïs, et toutes sortes de plantes; non-seulement les comtés du Nord, mais l'Allemagne et l'Italie, dans les années stériles, y trouvent un véritable magasin. La grande île de Selmt, à qui sa fertilité a valu le surnom de Jardin d'or, produit en en abondance le froment le plus recherché du royaume.

Toutefois, il faut bien le dire, les habitants de la partie méridionale mettent beaucoup de négligence à profiter de toutes ces richesses dont la nature se montre si libérale envers eux. Dans les montagnes le paysan est plus actif.

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