Quelques jours après, quand le jeune piston pouvait s'échapper du quartier, on le voyait à la maîtrise mêlé aux jeunes enfants, et faisant comme eux thème et version. II. Réunion pittoresque dans une église souterraine. - Une école militaire où l'on n'apprend pas à être soldat. - Curieuse rencontre. Rendez-vous donné. Cela se passait à Nantes en 1839. Dix ans plus tard, c'est-à-dire l'année qui vient de finir, le maître de chapelle habitait Paris. Il parcourait un soir la rue du Bac. Arrivé devant le séminaire des Missions étrangères, il aperçut de la lumière dans l'église souterraine, et supposant qu'on y faisait quelque cérémonie religieuse, il entra dans la cour et regarda par la serrure. Un singulier spectacle s'offrit à sa vue. Au lieu de prêtres, de surplis et de chapes, il aperçoit des soldats de toutes armes, infanterie, cavalerie, grenadiers, voltigeurs, compagnie du centre, carabiniers, lanciers, chasseurs d'Afrique, etc. Ah çà, se dit-il, est-ce qu'on craint encore une émeute dans ce quartier?... Et comme les balles avaient tant soit peu sillonné les murs et brisé les vitres de la maison qu'il habitait en juin, pour s'assurer du fait, il ouvre sans façon la porte, et se trouve... au milieu de tout ce personnel militaire. Tout était parfaitement calme; pas un seul fusil, pas de munitions de guerre. Un jeune troupier tenait à la main un alphabet, et, tout fier de son savoir, montrait à son voisin, le voltigeur, six lettres qu'il connaissait déjà... A côté d'eux un carabinier étalait son étui de mathématiques, traçait des courbes, des triangles et faisait du dessin linéaire; un autre étudiait sa grammaire, celui-ci traçait de la batarde, celui-là de la fine anglaise. Le maître de chapelle commençait à s'apercevoir qu'il était à l'école, quand il se sentit frapper sur l'épaule. Il se retourna. Je ne vous reconnais pas du tout. Je suis votre jeune piston de Nantes... J'ai réalisé mon projet de dévouement, et, en attendant mon départ pour la Chine, j'ai organisé une classe pour mes anciens camarades, au milieu desquels vous me voyez. Cela se disait au milieu des plus tendres embrassements, et non sans donner bien des distractions aux élèves, qui tous s'apercevaient de leurs émotions réciproques. -Brave ami, dit le maître de chapelle au jeune prêtre, je reviendrai vous voir bientôt. -Dépêchez-vous, alors, car je pars dans quelques jours... Je vous inviterai à la soirée d'adieu... vous m'y chanterez quelque chose! Je le veux bien, mais ce sera peut-être avec accompagnement de larmes. Bonsoir. III. Pieuse et touchante cérémonie. Vieux martyrs. -Jeunes victimes. Nouveau chant du Départ, uon politique.. Déchirements d'un père. Courage d'un fils. - Départ.-Espoir. Enfin arriva le jour du départ, si impatiemment attendu par notre ex-piston. La veille, se faisait la cérémonie des adieux, et je vous assure que ce soir-là, à neuf heures, la chapelle du séminaire des Missions étrangères était complétement remplie. Le vestibule qui la précède ne laissait pas une seule place à prendre, et pourtant les hommes souls avaient eu le privilége de l'admission. Leur Ils étaient quatre debout, à droite de l'autel. attitude, sans être fière, avait quelque chose de grand et de noble, la sérénité et la joie éclataient sur leur visage. En face, était placé le respectable missionnaire émérite, qui devait prononcer l'allocution. Au fond de la chapelle, dans leurs stalles respectives, se trouvaient le bon supérieur et les vénérables directeurs des missions. Presque tous ont passé de longues années dans l'Inde et dans la Chine. Les souffrances, les privations de tout genre ne leur ont pas fait défaut.- Après trente ans de travaux, l'un est revenu presque aveugle, l'autre tourmenté par d'affreuses douleurs; plusieurs gardent encore les traces du martyre, l'empreinte des fers qu'ils ont portés, les cicatrices des cruelles bastonnades, les marques imprimées à leur cou et à leurs épaules par la cangue ou les autres instruments de supplice. Nous ne vous en donnons pas ici le détail déchirant, parce que nous vous ferons un jour la description du Musée chinois, conservé par ces vieilles gloires des missions, comme on conserve aux Invalides les drapeaux et les canons pris aux ennemis de la France. Les missionnaires futurs, les jeunes élèves des missions étaient rangés sur quatre lignes, non dans un ordre bien régulier, car les invités s'étaient emparés de plus d'une place. Dans cette chapelle se pressaient, se coudoyaient le magistrat, l'homme de lettres, le clerc de notaire, l'honnête ouvrier, et surtout bon nombre de militaires, carabiniers, chasseurs, caporaux, sergents, officiers, tous parents ou amis des partants. Deux évêques invités eurent bien de la peine à traverser la foule pour arriver aux siéges qui leur étaient préparés près de l'autel. La blancheur des surplis ne jetait point son éclat sur cette cérémonie à la fois triste et consolante. Tous les séminaristes et leurs chefs vénérables étaient en simple soutane ainsi le veut le cérémonial de la SOIRÉE DES ADIEUX. : Au milieu de cette foule, un homme, d'une assez haute stature, paraissait plus vivement impressionné que les autres. De temps en temps il portait la main à son front, et il la retirait mouillée par la sueur, quoiqu'on fût au mois d'octobre; il jetait un regard vers l'autel, poussait un soupir, et sa tête retombait dans ses mains... C'était le père d'un jeune missionnaire et de la dame que nous avons vue dans le vestibule. Il avait voulu assister à la cérémonie du départ de son fils, comptant sur l'énergie et la force dont, à tort, il se croyait assez pourvu... A un signal donné par le supérieur, tous tombèrent à genoux, et la prière commença. Il y a toujours, mais surtout en de telles circonstances, quelque chose de grand et de sublime dans cette foule qui entre en communication avec son Dieu par l'expression: de sentiments d'autant plus beaux qu'ils sont plus naturels. « Merci, mon Dieu, pour vos bienfaits de cette journée!... >> Puis se fait le silence... Chacun règle son avoir et son débet, suppute ses bonnes actions et ses fautes, et celui qui préside, rompant le silence, sollicite grâce pour tous. Enfin, il demande la protection divine pendant le sommeil, es pèce de mort unie à l'espoir d'une résurrection prochaine. Après cette courte prière, chacun s'assit, et le missionnaire émérite commença son allocution. Elle fut courte; elle se résumait dans ces deux mots: Courage, la force vient du Ciel... Il dit bien un mot du dévouement de l'apôtre des missions, mais avec une grande réserve. On voyait qu'il craignait de faire son propre éloge. Dévouement admirable, disons-le, nous! dévouement à toujours! ce qui fait honneur à notre France; car on nous a assuré que chez les autres nations les missionnaires ne s'engagent que temporairement; et nos quatre voyageurs faisaient la promesse solennelle de rester toute leur vie en Chine, de mourir à la peine, à moins que la voix du chef ne les rappelât pour offrir à leurs successeurs les fruits de leur expérience. Dévouement désintéressé! Ce n'est point l'amour de l'argent qui les excite; ils ne possèdent rien comme propriété, et je vous assure qu'ils ne vendent pas du tout d'opium. Ce n'est point l'amour de la gloire, ils n'ont pas de témoins de leur triomphe, tout spirituel, tout moral. Ce n'est point l'amour du bien-être, du confortable; pour nourriture du riz, encore du riz, toujours du riz; pour breuvage de l'eau ou du thé, rien autre chose que du thé, et puis, la perspective de la prison, des coups de baton, des supplices les plus affreux, de la mort... Aussi, le vénérable orateur ne put terminer sa harangue sans dire ces mots, dispositif de la cérémonie, prononcés moins oratoirement que comme formule. <<< Admirant « le dévouement apostolique, nous allons tous donner à « vos pieds, qui vous porteront dans vos saintes entre<< prises, le baiser du respect..., et puis nous vous embras« serons en signe de notre vive affection, pendant que tous chanteront en chœur: « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui vont annoncer aux nations la paix et les « biens solides de la religion chrétienne!» (Quam speciosi pedes evangelizantium pacem, evangelizantium bona!) A ces mots, un mouvement se fit dans l'assemblée. Le maitre de chapelle avait promis de chanter quelque chose... Un des directeurs alla le dénicher dans un coin, et le conduisit à l'orgue. Il entonna d'une voix émue, sur le ton ordinaire de la psalmodie, les paroles précitées, et pendant qu'on les répétait en chœur, accompagnées par le grand jeu de l'orgue, un jeune séminariste conduisait vers l'autel le vénérable supérieur presque aveugle, et paralysé par ses quatre-vingt-sept ans. Bon vieillard! il se prosterne devant les jeunes partants, leur baise les pieds en les arrosant de ses larmes, puis, presse chacun d'eux affectueusement dans ses bras. Ce spectacle électrise le maître de chapelle, l'orgue murmure sous ses doigts quelques accords, et il chante sur des notes improvisées à l'instant, en prévoyant les resultats de ce dévouement surnaturel : - Videte regiones, jam albæ sunt ad messem. (Voyez les régions infidèles, elles sont prêtes pour la moisson.) Et tout le chœur reprend : « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la bonne nouvelle aux nations! >> Les deux évêques et les directeurs suivent le supérieur, et une longue file monte vers l'autel, et chacun baise les pieds des missionnaires et donne à leur visage le baiser d'amour surhumain. En recevant ces honneurs, les jeunes héros songent au supplice, à la mort, qui en ont moissonné tant d'autres et qui leur sont peut-être réservés. Cette pensée vient au maître de chapelle; aussi ses accords deviennent plus lugubres; un tremolo prélude à ces paroles fortement accentuées «Ils vous traduiront devant leurs juges (leurs mandarins (tradent vos ante præsides); ils vous feront mourir... (morte afficient vos); mais, consolez-vous, vos noms sont écrits dans les cieux. >> Et tous les assistants, à leur tour, se rendent au baiser des pieds, prêtres, laïques, soldats, amis, parents; tous chantent profondément émus: «Qu'ils sont beaux les pieds des héros de cette cérémonie ! » A ce moment, un cri mêlé de sanglots part du chœur, et aussitôt un cri semblable fait écho au bas de la chapelle. C'est le pauvre père qui a compté sur sa force et qui s'est trompé; il a bien pu se violenter, se rendre d'un pas saccadé jusqu'à son fils, se jeter à ses pieds, les baigner de ses larmes; mais là... la nature crie dans ses entrailles, et lui arrache ces sanglots qui glacent d'effroi les assistants. Ils ont pénétré jusqu'à l'âme de sa pauvre fille, qui s'évanouit dans le vestibule. Ils font même couler 'quelques pleurs sur les joues de son courageux enfant, qui le relève et le presse contre son cœur. Pour faire diversion à cette scène de larmes, le maître de chapelle réunit ce qui lui reste de force, et mettant toutes ces douleurs sous la protection de la Reine des apótres et la consolatrice des affligés, il chante: Regina apostolorum, ora pro eis. (Reine des apôtres, priez pour eux.) Et pendant que le chœur répète les paroles tant redites, « Qu'ils sont beaux les pieds, etc. », on reconduit à sa fille, revenue à elle-même, ce pauvre père anéanti, que Dieu seul pourra consoler d'une telle douleur. Le lendemain, la voie de fer et le bateau à vapeur transportaient à Paimbœuf, près Nantes, et notre héros et ses jeunes compagnons. Nantes avait vu naître son dévouement, Nantes le vit se réaliser. Accompagnons-le de nos vœux. Maintenant il vogue à travers l'Océan : puisse la fureur des flots respecter son voyage! Puissions-nous le revoir et entendre un jour de sa bouche l'attachant récit de ses travaux apostoliques! Il y a des choses bien curieuses dans la vie d'un missionnaire de la Chine! N'est-ce pas, lecteurs du Musée des Familles, que vous le suivriez volontiers dans ses excursions aventureuses, dans ses études sur un monde inconnu, dans les dramati ques vicissitudes de ses souffrances et de ses triomphes? L'abbé A.-M. TOUZÉ. QUI GUÉRIT TOUT. L'HERBE QUI Une herbe est ici-bas qui guérit tous les maux. Où fleurit-elle? en Egypte, en Espagne, Fleurit-elle sous les rameaux, Ou sur le chaume des hameaux? Je l'ai cherchée en vain sur le rivage, L'herbe qui guérit tout fleurit sur les tombeaux. ARSENE HOUSSAYE. La Prière du matin (scène de famille au quinzième siècle), de M. Ed. Dubufe. Musée du Luxembourg. Il sort de son berceau pour dire sa prière, Tel que le plus joli de ces anges pieux Que le pinceau du peintre, en des flots de lumière, Il commence, au hasard lève une main timide; Car la main qui repose ou celle qu'on entraîne, Ses petits doigts unis et posés sur sa mère, Il redit; mais bientôt son jeune esprit se lasse: Et la bonne maman bien vite le ramène, Entouré d'un rameau bénit... Alors ses doigts distraits près du coussin de soic Et la jeune maman, s'interrompant à peine -16-DIX-SEPTIÈME VOLUME. II. La papeterie. Chiffons et chiffonniers. 72 millions de kilos. Leurs transformations. La fonderie de caractères. Leur fabrication. L'encre d'imprimerie. Les presses. Le métier d'auteur se relève. L'éditeur, magicien en habit noir. Rudes épreuves. Anecdotes. Samuel Johnson. Feu Ambroise Dupont. L'art de se faire éditer. Une vengeance d'auteur. Voici d'abord la papeterie. Dès les premiers pas, nous sommes arrêtés par un tas impur de ces chiffons que les Diogènes nocturnes de Paris et les chiffonniers des campagnes ont ramassés au coin des rues ou échangés contre des rubans de fil, au seuil des métairies. Cette industrie n'est pas celle qui occupe le moins de bras, car elle consomme, année commune, soixante-douze millions de kilogrammes de chiffons. Ceux que nous venons de voir sont livrés en premier lieu aux délisseuses, qui font le choix et les coupent sur la lame de faux de l'établi. Ils passent ensuite sous les ciseaux des grilleuses, chargées d'enlever les ourlets, les boutons et les agrafes, et tombent de la grille dans le diable qui, dans sa rapide évolution de cent cinquante deux cents tours par minute, en ôte la première couche de poussière. Une fois hlutés, on les jette dans un cuvier rempli d'eau froide, où une colonne de vapeur les foule et délivre le ligneux des matières étrangères. A cette lessive à vapeur en succède une seconde qui achève de les purifier; et après ces deux opérations, le gouverneur ou chef de la batterie s'empresse de les mettre sous le rouleau de la pile. Là, ils sont réduits en une sorte de pâte qu'on appelle défilé; ce défilé, blanchi avec soin au gaz, est repris par la pile raffineuse, trituré, et reçoit les diverses couleurs que veut lui donner le fabricant. Suivez maintenant cette pâte ainsi préparée, encollée et azurée, dans les deux compartiments où la mêlent les agitateurs, sur le tamnis épuratoire, dans les coulisses de la caisse; et voyez-la se répandre sur la toile métallique, dite forme ou table de fabrication, entraînée sous des rouleaux de feutre, de fonte et de cuivre qui la pressent, la foulent, la tendent, la sèchent et l'enroulent sur un dévidoir, où elle se trouve changée en papier, qui est immédiatement divisé et coupé selon les besoins du format, sur la table à rainures. Il s'agit maintenant de transporter ce papier dans la salle d'apprêt et de l'y éplucher, c'est-à-dire d'enlever, à l'aide d'un grattoir, les boutons de pâte qui ont échappé à l'épurateur. D'autres mains l'échangent, ou en d'autres termes établissent l'uniformité que le grain du papier doit offrir à l'œil, en changeant les feuilles. Il est remiş ensuite aux pressiers, qui le disposent par poignées de cinq (1) Voir le numéro d'oetobre dernier. cents à mille feuilles, entre des plateaux de bois. Il ne reste plus, après cette dernière opération, qu'à former les rames et l'envoyer à l'imprimeur. Je n'aurais jamais cru, s'écria le maître de forges, que l'impression d'un livre causât un tel remue-ménage! -Ce n'est rien, répondis-je, en regardant l'écrivain futur du coin de l'œil; nous n'avons encore que le papier, à la fabrication duquel le commerce et la marine concourent même indirectement: car je ne vous ai parlé ni du bleu de Prusse et du cobalt qu'il faut pour l'azurer, ni du chromate de plomb, des bois de Sainte-Marthe et de Campêche, de l'alun et du sel d'étain, indispensables pour le teindre en vert, en jaune, en rouge et en rose; toutes couleurs dont nous ne pouvons nous passer pour nos cou vertures. Il faut entrer dans la seconde usine et voir fondre les caractères. Je suppose que l'un de vos frères nous a fourni les matières premières, c'est-à-dire le plomb et le cuivre; admettez également qu'un Didot ou un Seger a taillé sur l'acier les poinçons en relief, représentant les vingt-quatre lettres de l'alphabet, et que ces poinçons enfoncés dans un carré d'argent ou de cuivrre ont constitué les matrices ou moules de la lettre en creux. Nous entrons dans la fonderie. Une cuiller divisée en compartiments repose sur le fourneau en briques. Six onvriers sont rangés autour du fourneau, que chauffe un feu de bois sec et léger, coupé peut-être dans les forêts de votre frère. Les flots du métal, composé de plomb et de régule d'antimoine, bouillonnent sous l'action des flammes. Chaque ouvrier trempe alors dans la cuiller qui contient le métal en fusion, une cuiller plus petite consistant dans une barre de fer creusée à l'extrémité supérieure, et dont l'autre bout s'enfonce dans un manche de bois. Le liquide enflammé est versé dans le moule et presque aussitôt refroidi, et un mouvement de la main suffit à l'ouvrier pour faire tomber sur un trépied placé à sa gauche la lettre formée dans le moule. La lettre faite, on la rompt aussitôt. Des ouvrières s'en emparent ensuite pour la frotter, ou si vous l'aimez mieux, pour effacer sur une pierre de grès les aspérités du métal; des créneurs, pour l'évider en dessous, si elle paraît trop haute; des coupeurs, pour enlever avec le rabot de cuivre la petite saillie laissée la matière qui était primitivement dans le jet du moule. Cela fait, elle passe dans les mains de l'apprêteur, qui lui donne le dernier coup de lime, et la soumet à une longue et ri goureuse révision, après laquelle les manœuvres la mettent dans les paquets destinés à l'imprimeur. par |