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l'homme reconnoiffe, & la grandeur de fes péchés, & la vanité des excuses qu'il recherche pour les affoiblir.

Ce feroit peu s'il ne faifoit qu'excufer fes fautes; mais malheureusement il les ignore. Il y a deux fortes d'ignorance, l'une eft prefque néceffaire & inévitable, l'autre eft volontaire & affectée : la première eft la fuite & la peine du premier péché. Ce font ces nuages qui s'élèvent dans nous, qui nous cachent ordinairement certains endroits de nousmêmes, quelque foin que nous prenions de nous connoître: certains défirs cachés dans le fond de l'ame, qui font auffi invifibles & auffi imperceptibles que l'ame même, qui les cache & les retient fans qu'elle s'en aperçoive. Ce font ces mystères d'iniquité qui fe paffent en nous, que nous ne découvrirons jamais, fi l'efprit de Dieu n'y entre & n'y porte fa lumière. C'eft pour cela que l'Ecriture, après avoir dt que les voies de Dieu font impénétrables, nous avertit que celles de l'homme le font auffi, parce que comme il Dieu une profondeur de lumière & de fageffe, qui eft impé nétrable aux hommes & aux Anges, il y a auffi dans l'homme, depuis qu'il s'eft déréglé, une profondeur de ténèbres & d'égarement, qui le fait agir d'une manière incompréhenfible aux autres & à lui-même. C'est ce qui faifoit dire au Roi Prophète Seigneur, ne vous fouvenez pas de mes ignorances: Ignorantias meas ne memineris: comme s'il eût dit: Je travaille, Seigneur, à détruire en moi ces grandes paffions qui m'agitent; comme elles fe font fentir, elles fe font pleurer; auffi je m'en défends, & je les combats; mais pour ces paffions inconnues que j'entretiens en moi fans le favoir, c'est à votre miféricorde à les pardonner; c'est à votre grâce & puiffance à détruire ces ennemis cachés qui me peuvent nuire, & dont je ne puis me défendre.

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L'Ecriture-Sainte nous enfeigne qu'il faut gémir dans la vue de ces ignorances, & le Saint-Efprit, dans les Livres de l'ancienne Loi, a prefcrit les règles & la forme des facrifices pour expier ces fautes inconnues avant que Dieu les montre & les puniffe dans fon jugement. Mais il y a une ignorance affectée & volontaire, qui ne vient pas d'un défaut de lumière, mais d'un défaut de foin & de réflexion. C'est cet aveuglement que nous faifons nous-mêmes, quand nous négligeons de connoître nos devoirs, de peur que l'obligation que nous aurons de les accomplir, ne nous

preffe trop quand ils feront une fois connus, & que nous ne foyons contraints de renoncer à nos paffions; ou que nous ne tombions dans un remords incommode qui trouble notre repos & notre plaifir, comme s'il n'y avoit point de jugement, & s'il étoit permis de vivre au hafard.

En effet, qui font ceux qui font réflexion fur leur conduite? Qui font ceux qui ont l'intelligence de leurs péchés : Delicta quis intelligit? Les uns nous échappent, dit faint Auguftin, ou par le peu de précaution que nous avons à les éviter, ou par la facilité que nous avons à les commettre : nous échappons aux autres, en résistant, pour contenter nos paffions, à nos lumières, ou en nous faifant de faux principes, ou pour en diminuer l'injustice, ou pour en effacer le fouvenir. Quelqu'un fonge-t-il aux péchés d'ufage & d'emploi? profite-t-on du temps qu'on a pour gagner une éternité? Quelle partie en donne-t-on à fon falut? le jeu, la converfation, les affaires ne font-ils pas l'occupation de la plupart, je dis des honnêtes gens felon le monde? Toute leur vie fe réduit à des fpectacles quon a vus, à des complimens qu'on a faits, à des vifites qu'on a rendues, à des nouvelles qu'on a, ou apprifes, ou débitées; ils paffent fans scrupule ces années d'amufement qu'interrompent à peine quelques bienséances de Religion, que le monde même demande, quelques remords qu'une réflexion importune aura tirés d'un cœur laffé peut-être de fes plaifirs, & quelques foupirs que le danger d'une mort prochaine arrachera de leur efprit affoibli, & de leur confcience effrayée. Cependant on rendra compte à Dieu de tant de vains & inutiles momens : & fi Jefus-Chrift dans fon Evangile, nous affure qu'une parole oifeufe, fera rigoureufement condamnée & punie; que fera-ce d'une vie qui n'aura été qu'une longue & stérile oifiveté? Quel ufage fait-on des biens du monde ? on s'en fert pour entretenir la vanité, par des dépenfes exceffives, ou pour fatisfaire fon avarice, par des épargnes accumulées. On ne s'informe ni des malheurs du temps, ni de la misère des pauvres. On croit n'être grand & n'être riche que pour foi. Pourvu qu'on ne prenne pas le bien d'autrui, on croit pouvoir innocemment abuser du fien. Tantôt il faut foutenir fa qualité, tantôt il faut amaffer pour fes enfans; ainfi on fe fait de fon avarice une vertu de fa condition, & l'on veut être prudent, quand il faut être charitable. Cepen

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dant tout le jugement semble se réduire à cela : Esurivi, & non dediftis mihi manducare. Perfonne n'y fait réflexion: DeLista quis intelligit? Y a-t-il quelqu'un qui s'examine fur fes péchés de converfation? à quoi aboutiffent tous les entretiens d'aujourd'hui, finon à s'amufer aux dépens d'autrui, & à fe jouer de la réputation les uns des autres. C'est l'agrément de ceux qui parlent, c'est le plaifir de ceux qui écoutent; fans cela les converfations tariffent, le monde n'a plus d'efprit, avec cela chacun plaît, chacun s'infinue, chacun s'exprime heureusement; ce vice eft devenu fi commun, qu'on eft parvenu à ne s'en apercevoir prefque plus: on s'eft fait un point de fincérité & de bonne foi, de ne se rien diffimuler de ce qui eft défavantageux à ceux dont ont parle. Les oreilles fe font accoutumées à cette espèce de langage fi peu charitable & fi peu chrétien; tout confifte aux manières, car encore veut-on dans les péchés même les plus cruels, garder quelque apparence de politeffe. Une médifance groffière & infupportable, c'eft déchirer fans pitié la réputation du prochain, c'eft affaffiner fon frère inhumainement. Un honnête homme fait mieux vivre, il empoisonne avec art tous les traits de fa médifance, il commence un difcours fanglant par une préface flatteufe, & difant d'abord du bien, pour faire mieux valoir le mal qu'il va dire, il pare la victime qu'il veut égorger, & croit qu'il eft plus innocent, quand il jette quelques poignées de fleurs fur l'au tel qu'il veut enfanglanter de fon facrifice.

Ceux mêmes qui fe piquent de piété ne font pas exempts de ce vice. Et cependant l'injure qu'on fait au prochain, la difficulté de la réparer, l'impreffion & le progrès que fait d'ordinaire une médifance, qui fert d'inftrument à la paffion des uns ou de nourriture à la malice des autres, & toutes les conféquences dont on eft refponfable, devroient faire trembler: Delicia quis intelligit? Qui eft-ce, dit faint Chryfoftome, qui connoît ou qui veut connoître les péchés de fon état, & de fa profeffion? foit parce qu'étant plus conformes à nos inclinations, ils nous deviennent plus familiers, foit parce qu'étant plus fouvent réitérés, ils ne fe font prefque plus fentir; foit parce qu'ils ont plus de proportion avec nous, nous les prenons fouvent pour des droits, pour

&

des dépendances de notre emploi. Les magistrats qui ont la justice entre les mains, lorfqu'ils la font pencher du côté du

des

fang, de l'amitié, de la faveur, ou de la brigue, lorsqu'ils donnent un tour favorable, ou pernicieux aux affaires, en les montrant du bon ou du mauvais côté, lorfque par longueurs infinies, ils laffent la patience des malheureux, ils croient que c'est un droit de leur état, & qu'ils font maîtres de la juftice; ils paroîtront devant le tribunal de Jefus-Chrift, & leurs injuftes jugemens retomberont un jour fur eux-mêmes. Combien les perfonnes qui font confacrées à Dieu, font elles de fautes fans qu'elles s'en aperçoivent! Combien d'infidélités à Dieu, combien de déréglemens dans leurs paroles ! combien de fois bleffent-ils la confcience des foibles, par les mauvais exemples qu'ils leur donnent? à quels ufages deftinent-ils les biens dont ils ne font que les difpenfateurs & les économes? quel foin ont-ils d'inftruire les ignorans, & de ramener à Dieu ceux qui s'égarent? ils voient le crédit que leur donne leur dignité, & ne connoiffent pas les devoirs, ni les dangers de leur ministère: Delicta quis intelligit?

Pour confondre tant de fortes de pécheurs, & pour leur faire voir ce qu'ils ont ignoré, Dieu defcendra lui-même, dit le Prophète: Ecce vigil, & fanétus de cœlo defcendit, attribuant au fouverain Juge deux qualités, la vigilance, & la fainteté, pour marquer que ni l'éloignement, ni les ténè bres, ni le filence, ni le fecret n'auront rien pu dérober à fa connoiffance, & que rien de profane, rien de mondain, rien d'injuste n'aura pu être supportable à sa fainteté ; & qu'ainsi il couvrira les impies de confufion, en devenant leur Juge, & les obligeant eux-mêmes à devenir leurs accufateurs; ce qui fera une des plus rigoureuses peines du jugement.

Il n'y a rien de fi trifte que la vue de nos péchés, quand ce n'eft pas la miféricorde de Dieu qui nous les montre pour nous exciter à l'humilité & à la pénitence. Jefus-Chrift nous apprend que tous ceux qui font le mal ne peuvent fouffrir la lumière, parce qu'elle les humilie, & qu'elle leur découvre ce que leur amour propre leur veut cacher: Omnis qui malè agit odit lucem, & non venit ad lucem, ut non manifeflentur opera ejus. Le Roi Prophète protefte qu'il ne peut avoir ni paix ni repos dans fon ame, tant que fes péchés, comme des spectres importuns, lui apparoîtront au milieu même de fes plaifirs: Non ex pax offibus meis à facie peccatorum meorum; & la plus grande menacé que Dieu faffe au pécheur,

c'eft de le représenter à lui-même : Arguam te, & flatuam contra faciem tuam. Auffi qui eft-ce qui ne cherche pas à fe répandre au dehors, & à perdre le fouvenir de foi-même par une vaine application aux chofes extérieures ? D'où vient que les hommes vivent dans une agitation perpétuelle, qu'ils s'occupent d'affaires, de sciences, de jeux, de désirs, d'efpérances? d'où viennent ces foins qu'on a, ou qu'on fe fait, quand on n'en a pas, ces vues qu'on porte toujours hors de foi, de peur de tomber dans la connoiffance de fes défauts, cette avidité de divertiffemens qui diffipent l'imagination, & qui la détournent fur des objets étrangers? D'où vient cette horreur qu'on a de la folitude, parce que n'étant plus frappés de cette grande diverfité d'objets, on fe trouve réduit à vivre avec foi & à penfer à foi? Ces amusemens qu'on cherche, non pas tant pour le plaifir qu'on y trouve, que parce qu'on y perd le chagrin de réfléchir fur fes actions. Enfin, foit que l'ame qui n'eft pas attachée à Dieu ne trouve rien en elle qui la contente, foit qu'elle craigne de perdre fes plaisirs, fi elle fe donne le temps d'en apercevoir le vide, foit qu'ennuyée de fa condition depuis le péché, elle évite le dégoût & l'amertume que lui donneroit l'attention qu'elle feroit fur elle-même : il arrive qu'on fe fait un art de s'oublier, au lieu de fe faire une étude de fe connoître. On croit avoir gagné les jours & les momens qu'on fe dérobe à foi-même, & par une contradiction difficile à comprendre, l'homme qui s'aime tant, ne fe peut fouffrir, lui qui rapporte tout à foi, ne fait aucun retour fur lui-même, il fe cherche & fe fuit, il veut tout favoir, & ne craint rien tant que de fe connoître.

Que fi on a tant de peine à s'examiner quand on peut fe corriger, & quand on jouit toujours du plaifir du péché, quel fupplice fera-ce donc pour les pécheurs, quand ils fe verront tels qu'ils font, lorfqu'une lumière importune leur représentera une idée effrayante d'eux-mêmes, idée qui formera, non pas une humilité de pénitence, mais une humi, liation de défefpoir. Ils verront leurs péchés, non pas comme la matière de leurs plaifirs, mais comme le fujet de leur damnation. La flatterie ne les colorera plus, l'amour propre ne les diffimulera plus, l'impunité ne les affurera plus, l'auto, rité ne les foutiendra plus, les ténèbres ne les couvriront plus, la pénitence ne les réparera plus, le fang de Jesus

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