Obrazy na stronie
PDF
ePub

INTRODUCTION.

I.

Diligenter investiga Patrum memoriam; . . . . et ipsi docebunt te; loquentur tibi, et de corde suo proferent eloquia. (Job. vIII, 8, 10.)

Avant d'entreprendre le travail que nous livrons aujourd'hui au public, nous étions loin d'en comprendre toute la portée, et surtout de nous rendre un compte exact et complet de son immense étendue. La vue de l'ensemble suffisait seule pour nous absorber, et elle était trop grande par elle-même pour nous permettre d'embrasser à la fois, et d'un premier coup d'œil, tous les détails. Ce n'est donc qu'à mesure que les magnifiques trésors de la science catholique, accumulés pendant douze siècles dans les archives de l'Eglise, se sont déroulés sous nos yeux, que nous avons commencé à entrevoir quelle mine précieuse nous avions à exploiter, et quels riches filons d'or nous pouvions faire jaillir, pour notre fortune intellectuelle et celle de nos confrères dans le sacerdoce, de ces couches doctrinales et scientifiques que l'étude et le travail des temps y avaient déposées. En effet, réunir en un petit corps de volumes, et présenter, résumées par ordre alphabétique, toutes les sciences ecclésiastiques, c'est-à-dire toutes les sciences humaines des douze premiers siècles de l'Eglise, depuis les plus hautes conceptions de la théologie dogmatique et morale, jusqu'aux plus simples essais de littérature, tentés aux différentes époques de cette période, avec la biographie des auteurs et l'analyse critique et raisonnée de leurs œuvres, n'est-ce pas ouvrir à tous un trésor, et mettre sous la main et à la disposition de chacun une bonne fortune, qu'il n'aurait pu se procurer autrement qu'à la condition de l'aller chercher dans un nombre infini d'ouvrages où toutes ces richesses se trouvent disséminées ?

II.

Cependant, il faut le dire, cet or n'est pas toujours pur ni exempt d'alliage; l'erreur s'y mêle souvent à la foi pour la combattre ; le mensonge à la vérité pour s'efforcer de l'obscurcir; l'esprit de l'homme s'y pose en lutte contre l'esprit de Dieu, et, quoique toujours vaincu, il se relève sans cesse pour recommencer le combat. L'esprit de Dieu, comme le soleil, continue de donner à la fois toute sa lumière; mais l'esprit de l'homme, semblable à cette pâle lune qui a ses phases, c'est-à-dire, ses absences et ses retours, sa lucidité et ses taches, sa plén tude et ses disDICTIONN. De Patrologie. I.

paritions; qui emprunte toute sa lumière des rayons du soleil, et qui pourtant ose les intercepter quelquefois; l'esprit de l'homme

aussi s'inscrit souvent en faux contre la vérité, et pousse de temps en temps le délire de l'audace jusqu'à nier le soleil, en s'efforçant de donner un démenti à la parole du Seigneur. Cela est si vrai que nous en retroules plus beaux génies, et dans ceux-là même vons des exemples déplorables jusque dans la garde de la foi, la défense de la doctrine et que la Providence semblait avoir suscités pour l'honneur éternel du nom chrétien. L'Eglise en effet, depuis tout à l'heure dix-huit siècles, ne tient-elle pas recouverts d'un long crêpe de deuil les grands noms d'Origène et de Tertullien, qui font en même temps sa gloire et sa douleur, et qu'elle cite avec une noble fierté, comme les plus illustres défenseurs de sa doctrine, tout en déplorant amèrement, néanmoins, que les tristes égarements de leurs dernières années la laissent dans une incertitude complète de leur salut et de leur éternité? Et plût à Dieu encore que la foi n'eût jamais rencontré de plus dangereux contradicteurs ! Mais l'Eglise a eu d'autres ennemis à repousser, et a reçu dans le combat de plus profondes blessures.

C'est cet antagonisme impie, c'est cette lutte incessante de l'esprit de l'homme contre l'esprit de Dieu, de la raison individuelle contre la raison de tous, du sens humain et particulier contre le sens catholique et universel, qui ont donné naissance à toutes les erreurs. De là les les fléaux, en un mot, qui ont déchiré le cœur persécutions, les schismes, les hérésies, tous de l'Eglise et ensanglanté de nouveau la robe du Sauveur; mais de là aussi les traités victorieux, les apologies triomphantes, les plaidoyers irréfutables en faveur de l'innocence et de la vérité. Partout où des mains impies et sacriléges se sont efforcées d'ébranler les colonnes de l'Eglise, et de faire crouler sur lui-même l'édifice de la foi catholique; partout aussitôt des mains généreuses et chrétiennes, tendues par la force de Dieu, les ont rétablies sur leurs bases, et maintenues sur cette pierre fondamentale de l'angle qui défiera éternellement tous les efforts de l'impiété et toute la puissance de l'enfer. Si, pendant près de trois siècles, le sang des chrétiens n'a cessé de couler dans les cirques et dans les arènes, par l'ordre des proconsuls et des empereurs; pendant trois siècles aussi, des hommes d'une naissance

1

infime, mais devenus grands par le caractère le chrétiens qu'ils avaient reçu dans le baptême, se sont posés en face de ces maitres du monde, pour leur reprocher le sang répandu, et leur demander, non pas grace, mais justice pour le peuple chrétien. « On vous appelle pieux, philosophes, défenseurs de la justice, amis de la science et de la vérité, leur dit saint Justin dans sa première Apologie; de tous côtés vous vous entendez donner tous ces titres; mais les méritezVous réellement? C'est l'événement qui le fera voir. Ce n'est ni pour flatter, ni pour solliciter des indulgences et des faveurs, que nous nous approchons du tròne. Nous nous présentons pour réclamer la justice qui nous est duc, pour prier qu'on nous juge après examen des fails, et qu'on ne s'écarte point à notre égard des premiers principes de l'équité, dont l'application doit nous être commune avec tous les autres sujets de l'empire. » De même, si pendant douze siècles consécutifs, l'esprit d'erreur et de mensonge n'a laissé à l'Eglise ni trêve ni repos; si tous ses dogmes ont été contestés, toutes ses vérités établies remises en question, tous les feuillets de son Evangile déchirés et jetés au vent, tous les articles de son Symbole altérés, dénaturés, corrompus, par des novateurs d'autant plus audacieux à propager leurs blasphèmes, qu'ils se sentaient souvent soutenus par le glaive de l'autorité séculière; el bien, pendant douze siècles aussi, de tous les points de la chrétienté, des légions de défenseurs se sont empressés d'accourir au secours de la foi; ils se sont groupés autour de ses dogmes attaqués pour les défendre; ils ont ramassé dans la poussière les feuillets épars de son Evangile, pour les rattacher à ce livre de l'éternité; ils ont recueilli un à un tous les articles de son Symbole, et, après les avoir rendus à leur pureté primitive, ils les ont présentés de nouveau à la croyance et à la vénération des peuples, mais alors victorieux et vengés. Ainsi partout la défense a suivi l'attaque et en a triomphé; et, quoique souvent le combat ait été vif, la victoire est toujours restée pour le Seigneur. Des insensés, dans le délire de leur orgueil, avaient cru, en semant un peu de poussière au-dessus de leur tète, obscurcir pour jamais le soleil et replonger le monde dans la nuit; mais un souille sulli pour dissiper le nuage et en faire ressortir, plus lumineuse et plus vive, la vérité catholique et éternelle. Alors il n'y a eu d'égarés que les aveugles qui ont fermé leurs yeux pour ne point voir; et il n'y a eu de perdus, sur les pas de ces imposteurs, que les fils de la perdition qui n'ont pas voulu se sauver.

III.

Sans aucun doute, à la tête de ces défenseurs de la foi, il faut placer en première ligne ceux que l'Eglise appelle ses Pères, et que les siècles suivants ont continué de vénérer jusqu'à nos jours sous le titre de Docteurs; mais dans cette lutte des esprits, comme dans toutes les autres, à la suite des

maîtres viennent les disciples; sur les pas des chefs se pressent à l'envi et marchent les soldats. Comme les héros d'Homère, ils viennent dire leur mot dans la dispute et apporter leur épée dans le combat. Un coup d'œil rapide jeté en courant sur la succession des siècles suffira pour nous donner une idée de ces légions de milice sainte, qui ont combattu tour à tour les combats du Seigneur, et contribué de leur science, de leurs talents et de leur génie, à remporter toutes les grandes victoires de la vérité.

On le conçoit sans peine, la prédication du christian.sme ne pouvait de suite opérer la transformation complète des esprits sur lesquels elle produisait son impression. Toute révolution religieuse a pour effet inévitable de soulever d'autres activités, et de les voir s'élancer loin du but vers lequel elle tend. La religion chrétienne ne pouvait done se répandre sans entrainer à sa suite la superstition et le fanatisme. Au premier bruit de son apparition, ces formes corrompues, ou plutôt ces compagnons pervers de toute institution excellente, ne pouvaient manquer de se présenter. Déjà les apôtres eux-mêmes avaient eu à livrer des combats contre des esprits extravagants et exaltés, qui, profanateurs du don de Dieu dès le commencement, avaient déposé les premiers germes de l'erreur dans le berceau inême du christianisme. Ces germes, en se développant, n'avaient pas tardé à porter leurs fruits. Simon le Magicien avait engendré Ménandre, et tous deux avaient donné naissance à Saturnin et à Basilide, puis, après eux, à toutes les sectes de gnostiques, qui, ressuscitant le dualisme des païens, réussirent à perpétuer pendant longtemps le fameux système des deux principes. L'Evangile, après les apôtres, eut donc plus que jamais besoin de défenseurs. Il les trouva daus les Pères de l'Eglise.

IV.

Mais pour bien faire comprendre les travaux de ces grands hommes, il est nécessaire de rappeler l'état contemporain des discussions philosophiques. D'un côté, la philosophie grecque, impuissante à rien établir de certain, s était perdue dans un vague besoin de chercher sans fin et de disputer toujours. D'un autre côté, des philosophes profondément convaincus de l'impuissance de la raison, avaient entrepris de justifier le paganisme, en montrant son alliance avec les traditions antiques; ce fut le but poursuivi par l'école d'Alexandrie. Donc, pour faire face à ces deux sortes d'adversaires, les Pères de l'Eglise durent développer un double plan de défense. D'abord, aux philosophes grecs il fallait montrer l'impuissance de la raison; et pour cela il suffisait d'exposer ses contradictions perpétuelles, ses erreurs sans nombre et la nullité absolue de ses systèmes. De là, comme conséquence logique au profit de la religion, jaillissait l'indispensable nécessité d'une base plus solide, l'autorité. C'est dans ce sens que

furent dirigés les travaux de saint Justin, d'Arnobe, de Lactance et d'Hermias. Ensuite, aux philosophes qui faisaient appel aux traditions, il fallait montrer que le christianisme seul pouvait revendiquer cet appui, puisqu'il avait la priorité, et que ses dogmes se retrouvaient partout au milieu des ombres de l'idolatrie. Les principaux d'entre les Pères qui entreprirent cette tâche sont Eusèbe, dans sa Préparation évangélique; saint Cyrille, dans ses Livres contre Julien, et saint Clément d'Alexandrie dans son livre des Stromates, « véritable trésor de science antique, dit l'abbé Gerbet, et dont une phrase a conduit, de nos jours, M. Champollion à son importante découverte sur la manière de lire les hiéroglyphes égyptiens. »

Cependant, dans cette lutte entre le paganisme agonisant et le christianisme à son aurore, la partie n'était pas égale. Soutenu de la triple puissance du génie, de la science et de la vertu, l'Evangile triompha; une partie de ses adversaires se convertit; plusieurs même devinrent ses apologistes, et le petit nombre qui refusa de se rendre fut réduit à se réfugier dans les chimères du mysticisme et de la théurgie. Ce furent, entre autres, Porphyre, Julien, Jamblique et Maxime. Désespérés de ne pouvoir plus s'appuyer ni sur l'autorité, ni sur la raison, ils prétendirent que l'homme pouvait entrer en communication immédiate avec Dieu, et apprendre de lui-même la vérité. Là ils disparurent évanouis dans les nuages de leurs propres pensées.

La philosophie païenne était vaincue, mais le dualisme ne l'était pas; il restait infiltré comme un germe de mort dans toutes les veines du corps social, et, comme nous l'avons remarqué plus haut, toutes les sectes gnostiques s'appliquaient de toutes leurs forces à l'entretenir, à le développer et à l'étendre. C'était le cancer dévorant attaché aux entrailles mêmes de la société, et auquel il fallait arracher le monde pour l'empêcher de perir. Telle fut la tâche de la philosophie chrétienne, tâche immense, sublime, seconde création en quelque sorte, dans laquelle le genre humain devait de nouveau puiser la vie. Eh bien, cette seconde création, Dieu l'opéra, comme la première, par quelques mots sortis de la bouche de son Verbe. Paroles de vie, germes puissants de la régénération universelle, les voici: Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel; le Père, le Verbe et le Saint-Esprit, et ces TROIS ne sont qu'vn; et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l'esprit, l'eau et le sang, et ces TROIS ne sont qu'ux (Joan. v, 7 et 8). Père saint, je vous en conjure, qu'ils soient UN, comme nous sommes UN, afin qu'ils soient consommés dans l'UNITÉ (Joan. XVII, 22). Ces paroles, qui, sans porter aucune at

(1) Homil. 9 in Exod., no 3.
(2) Catéch. 4.

(5) Ad Autolyc., lib. m.
(4) Contra Eunom., lib. 1.
15 Serm. 44 in Pentecost.

teinte au grand principe de l'unité, établissent clairement et d'une manière irréfragable la trinité en Dieu et la trinité dans l'homme, furent pour le genre humain des paroles de salut universel. Les Pères en comprirent de suite toute la fécondité, et cette idée de l'unité et de la trinité en toutes choses devint immédiatement la base de leur sublime philosophie. « Nous adorons un Dieu créateur universel. Nous reconnaissons Jésus-Christ comme Fils du vrai et unique Dieu; avec le Père et le Fils, nous adorons le Saint-Esprit qui a parlé par les prophètes,» dit saint Justin dans sa première Apologie. Un autre apologiste, Athénagore, dit également : « Nous faisons profession de croire en un seul Dieu, créateur et souverain de l'univers. Vos accusations d'impiété sont sans fondement elles ne peuvent point s'autoriser de la distinction des personnes Père, Fils et Saint-Esprit, dans le dogme de la Trinité, puisque, dans la croyance des chrétiens, elle n'altère point l'unité de l'essence divine, pas plus que le rayon n'altère le soleil d'où il part. » «Le Dieu que nous adorons, dit à son tour Tertullien, est un; c'est lui qui, pour manifester sa majesté suprême, a tiré du néant cet immense univers avec tout ce qui le composé, les éléments et les esprits. La Parole a commandé, la Sagesse a ordonné, la Puissance a exécuté. » Or, dans le langage de Tertullien, la Parole, la Sagesse, la Puissance, c'est la Trinité. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil sur le chapitre 21 de son Apologie, dont nous ne rapportons que ces paroles pour ne pas trop prolonger les citations. Mais, quelque bornées qu'elles soient, elles sont assez explicites cependant pour nous permettre d'en tirer cette conséquence Dieu est donc unité et trinité. Or l'univers est une manifestation de Dieu, et Dieu ne peut manifester que ce qu'il est. Donc, l'univers aussi est unité et trinité. De même que dans le type immuable, la pluralité des personnes ne rompt pas l'unité de l'essence; de même dans les créatures formées à son image, la pluralité des rapports, la diversité des fonctions ne rompt pas l'unité de nature. Autrement, image de Dieu, le monde, l'homme, l'intelligence, la société périt, si elle perd sa ressemblance avec son type, si elle cesse d'ètre unité et trinité; car, dit Origène, dans sa réfutation des erreurs de Celse: La Trinité est le pivot de l'univers.

Voilà ce que proclament à l'envi toutes ces grandes voix catholiques de l'Orient et de l'Occident. Telle est la magnifique Inconnue que les Origène (1), les Cyrille de Jérusalem (2), les Théophile d'Antioche (3), les Grégoire de Nysse (4) et de Nazianze (3), les Basile (6), les Chrysostome (7), les Hilaire de Poitiers (8) et les Augustin (9), s'efforcent

(6) Homil. in fide. (7) Serm. 3 in Genes. (8) De Trinitate. (9) De Trinitate.

de dégager dans leurs investigations, pour la produire au grand jour. On dirait qu'ils ne peuvent ouvrir leur bouche éloquente sans proclamer d'abord ce dogme fondamental. En effet, tout est là. De l'affermissement de ce principe dépendaient la régénération et l'avenir du monde. Aussi avec quel infaillible instinct le génie du mal l'avait compris! C'est sur ce terrain difficile que dès l'abord il place le combat, et qu'il le soutient pendant six siècles avec un acharnement dont les fastes du monde n'avaient encore et n'ont jamais, depuis, offert d'exemple. Contre les enfants et les vierges du christianisme, l'enfer avait lâché ses tigres et ses lions; contre les Pères et les défenseurs de la foi, il lâche ces gigantesques sectaires dont, plus de quinze siècles après, la puissance, l'astuce et le nom seul font encore pâlir. Depuis Manès, Arius, Macédonius, jusqu'à Elipand et Félix d'Urgel, tous les grands champions de l'erreur tendent à détruire la Trinité. Grâce à la Providence, leurs efforts furent sans succès, et après une lutte de six cents ans, soutenue par nos Pères et nos Docteurs, la Trinité sortit victorieuse, et le genre humain fut sauvé.

V.

Assurés d'avance d'une victoire décisive, ces philosophes chrétiens n'avaient pas attendu la fin du combat pour déduire du principe de la Trinité divine l'existence et la nécessité d'une trinité secondaire dans toutes les œuvres de Dieu. Ils étaient conséquents; l'ordre religieux est le type et le générateur de tous les autres. Image la plus parfaite de la Divinité, l'âme humaine fixa d'abord leur attention. « Nous trouvons en notre âme, dit saint Augustin, le seul que nous citerons après avoir indiqué les autres, trois facultés, la mémoire, l'intelligence, la volonté. Ces trois choses ne sont pas trois vies, mais une vie; ni trois âmes, mais une âme; conséquemment, elles ne sont pas non plus trois substances, mais une seule substance. Considérées en elles-mêmes, la mémoire, l'intelligence, la volonté, sont appelées vie, âme, substance; considérées relativement à leurs fonctions, elles sont appelées mémoire, intelligence, volonté, et ces trois ne font qu'un. Je trouve cette divine trinité, soit dans l'intelligence, soit dans l'amour. Lorsque j'aime quelque chose, il y a trois choses moi, l'objet aimé et mon amour. Il en est de même lorsque je connais quelque chose. » Mais ce n'est pas seulement dans l'âme, c'est encore dans le corps de l'homme et dans chacun de ses sens que se trouve l'image de la Trinité, et que se reproduit cette grande loi qui veut que tout effet soit le résultat de trois principes. « Dans la perception d'un objet, dit encore saint Augustin, il y a trois choses qu'il est facile de connaître et de distinguer: d'abord, l'objet que nous voyons, qui pouvait bien exister avant d'être aperçu; ensuite, la vision, qui n'avait pas lieu avant que le corps qui en est l'objet fut tombé sous notre sens; enfin, ce qui tient notre œil fixé

sur cet objet pendant, tout le temps que nous le regardons, c'est-à-dire, l'attention de l'esprit. Ainsi des autres sens. » Enfin, l'univers tout entier manifeste son auteur, le Dieu unité et trinité. Après avoir dit que le Saint-Esprit, cet amour substantiel du Père et du Fils, est comme le lien de l'univers qui établit l'ordre et l'harmonie entre toutes les créatures, le grand docteur ajoute : « Dans toutes les œuvres de Dieu vous trouvez l'u nité, la forme et l'ordre : l'unité, dans la substance des corps et dans la nature des esprits; la forme, dans la figure ou les qualités des corps et les talents de l'esprit; l'ordre, dans le poids ou la position relative des corps et dans les affections et les puissances de l'âme. Il est donc inévitable que, voyant le Créateur par les choses qu'il faites, nous voyions aussi la trinité dont l'image se révèle, autant que la chose est possible, quomodo dignum est, dans tous les êtres de la création. »

VI.

Malgré notre besoin d'être court, nous avons été obligé d'insister sur cette démonstration, parce qu'en effet ce dogme de la Trinité, ainsi conçu, est comme l'arsenal auquel les Pères de l'Eglise, et avec eux tous les écrivains ecclésiastiques, vont demander des armes pour combattre et repousser toutes les erreurs, pour établir et consolider toutes les vérités. On comprend donc très bien maintenant que tout est dans la trinité, et que tout en ressort : l'unité de Dieu contre les païens et tous les sectaires qui après eux s'efforcèrent de perpétuer la doctrine des deux principes; la trinité des personnes contre les sabelliens et tous ceux qui, à leur exemple, n'admettaient dans la divinité qu'une seule hypostase sous trois noms différents; la divinité de Jésus-Christ contre Arius et tous ses continuateurs, qui prétextèrent l'incarnation du Verbe pour en faire une créature et rejeter toute espèce de consubstantialité entre le Père et le Fils; la divinité du Saint-Esprit contre Macédonius, qui, trouvant les principes des ariens sans force contre la divinité de Jésus-Christ, trop bien établie dans les saints livres, s'en servit pour démontrer que le Saint-Esprit n'est qu'une créature; la pluralité de nature en Jésus-Christ contre Eutychès, qui, en réduisant le Verbe à la seule nature divine, le dépouillait de sa qualité de médiateur, et détruisait la réalité de ses souffrances, les bienfaits de sa mort et les promesses de sa résurrection; l'unité de personne en JésusChrist contre Nestorius, qui, admettant une personne divine engendrée du Père de toute éternité, et une personne humaine issue de Marie dans le temps, introduisait la confusion dans la trinité et niait la maternité divine de la Vierge, en lui refusant l'honneur d'avoir donné naissance à celui qui est Dieu et homme tout ensemble; enfin l'existence du péché originel contre Pélage, la concupiscence qui en est la suite et comme le résidu dans le cœur de l'humanité, la néces

sité de la grâce pour faire le bien et son accord avec le libre arbitre.

Telles furent, en résumé, les grandes erreurs qui agitèrent les six premiers siècles de l'Eglise, et qui maintinrent les portes de l'enfer continuellement ouvertes, pour vomir des nuées d'assiégeants furieux contre cette forteresse de l'éternité. Celles qui s'élevèrent par la suite n'en furent que des dérivés, et comme des ruisseaux infects sortis de ces grands fleuves de corruption. La première par ordre de date est celle des monothélites, qui supposaient la nature humaine tellement absorbée par la nature divine qu'elle ne conservait plus d'action propre, et qui, par conséquent, refusaient de reconnaître en Jésus-Christ autre chose qu'une volonté unique et une seule opération. Les iconoclastes les suivirent de près, et eurent pour chef Léon l'Isaurien. Înstruits à l'école des Juifs et des Sarrasins, et condamnant à leur exemple le culte des images comme une idolâtrie, ils les brisaient partout où ils les rencontraient, et avec d'autant plus d'impunité qu'ils étaient assurés de l'agrément des empereurs. Aussi, pendant plus de cent vingt ans, ils ne cessèrent de jeter le trouble, le désordre et la confusion dans l'empire, et, par contre-coup, dans l'Eglise tout entière. Le siècle suivant fut marqué par la fameuse dispute des Grecs sur la procession du SaintEsprit, sous l'épiscopat de Photius, patriarche intrus de Constantinople, dispute qui finit deux siècles plus tard par leur séparation définitive de l'Église romaine sous l'influence de Michel Cérularius, prélat intrigant et ambitieux, digne à tous égards de consommer un schisme qu'aucun siècle encore n'a vu s'éteindre, et dont la fin, moins que jamais, ne saurait être prévue de nos jours. Le x siècle, un des plus tristes de l'histoire de l'Eglise par son ignorance, sa barbarie et le débordeinent de ses mœurs, vit naître et mourir plusieurs erreurs sur la canonisation des saints, le baptême des cloches, le célibat des prêtres et le culte des reliques; mais elles furent toutes dépassées par l'hérésie que Bérenger publia dans le siècle suivant, sur un des dogmes fondamentaux de la religion, celui qui consomme dès cette vie le chrétien dans la charité, je veux dire la présence réelle de Jésus-Christ au mystère de l'Eucharistie. Cette erreur, adoptée par la plupart des sectaires qui parurent après lui, se transmit d'âge en âge, en passant successivement par les albigeois, Wiclef et les thaborites, pour arriver jusqu'à Luther, qui en fit un des points capitaux de sa réforme. Les vaudois naquirent au x

siècle,

et, sous le nom de pauvres de Lyon, ils devinrent en peu de temps si nombreux, qu'ils remplirent la France et firent trembler l'Eglise, en renouvelant les erreurs de Vigilance sur la liturgie, le culte des saints et la hiérarchie ecclésiastique; les erreurs des donatistes, sur la nullité des sacrements conférés par de mauvais prêtres, et sur la nature même de l'Eglise; les erreurs des iconoclastes sur la vénération des images; et surtout

en ajoutant à toutes ces extravagances, l'inhabileté de l'Eglise à posséder des biens temporels, et le droit pour tous les chrétiens de s'en emparer. Qui ne voit au premier coup d'œil combien de désordres devaient enfanter de telles doctrines? Aussi se propagèrentelles pendant des siècles, et il ne fallut rien moins que des croisades pour les comprimer, sans pouvoir les détruire entièrement, puisque nous les retrouvons encore, vivantes et debout, au moment de la Réforme. C'est au commencement du même siècle qu'Abailard fut condamné pour des erreurs qu'il avait enseignées sur la Trinité, la grâce et l'incarnation, erreurs qu'il rétracta depuis, et dont il fit pénitence. Puisse cette pénitence les lui avoir fait pardonner, en effaçant en même temps tous les autres égarements de sa vie !

VII.

Nous croyons avoir parcouru le cercle qui nous était tracé autour des douze premiers siècles de l'Eglise, et pouvoir arrêter ici cette histoire des aberrations dans lesquelles tombe infailliblement l'esprit humain, quand il ose entrer en lutte avec l'esprit du Seigneur. Donc, quoique cette lutte ait été longue, opiniâtre, animée, terrible, nous sommes en mesure d'affirmer qu'à aucune de ces époques l'Eglise ne fut prise au dépourvu et ne manqua de défenseurs. En effet, autour de ces grands athlètes de la foi dont nous avons déjà cité les noms, et plus tard, en observant la succession des âges, à la suite des saint Césaire d'Arles, des saint Grégoire pape, des saint Jean Damascène, des saint Anselme, des Albert le Grand, des Alexandre de Halez, des saint Thomas, des saint Bonaventure et des saint Bernard, nous voyons se presser en groupes ombreux et les seconder de tous leurs efforts: d'abord, tous les souverains pontifes, depuis le pape saint Corneille jusqu'au pape Pélage, qui clôt cette première période, et depuis saint Grégoire le Grand, qui ouvre la période suivante, jusqu'au pape Innocent II qui condamna Abailard et ses erreurs, après qu'elles eurent été réfutées au concile de Soissons par saint Bernard; ensuite tous les saints évêques, depuis saint Ignace, consacré évêque d'Antioche par saint Pierre jusqu'à saint Grégoire de Tours, et depuis saint Augustin, premier apôtre des Anglais, jusqu'à Fulbert de Chartres, Jean de Salisbury, et le cardinal Matthieu d'Angers; en un mot, tous les saints ministres de l'Eglise, les prêtres, les diacres, les moines, et jusqu'aux pieux laïques que l'EspritSaint anima à sa défense, et à qui il inspira l'intelligence de ses dogmes, pour les soutenir et pour les venger. C'est ainsi que les monothélites, combattus par saint Sophrone, évêque de Jérusalem, par saint Maxime et par son disciple Anastase, se virent condamnés dans plusieurs conciles, et anathématisés définitivement au sixième concile général. Nicolas Ier, Adrien II, Jean VIII, et avec eux saint Méthodius, patriarche de

« PoprzedniaDalej »