Obrazy na stronie
PDF
ePub

chacune d'elles, et que savaient bien démêler les observateurs attentifs !

Nous ne parlerons ici que des Normands, dont l'humeur originale, énergique et constante, ne se démentit pas tant qu'ils eurent une existence à part, et qu'aussi l'on reconnaît tout d'abord dans les portraits sans nombre que les historiens en ont faits en des temps bien divers. Lors donc que le moine Gaguin vint, au XVe siècle, montrer la Normandie jalouse à l'excès des lois qui lui sont propres, et, à toute force, n'en voulant point endurer d'autres1, c'était dire ce qu'avaient été les Normands avant lui, et montrer, en même temps, ce qu'ils devaient être toujours. Pierre Lestoile, au XVIe siècle, nous les peint << mal aiséz à ranger à choses nouvelles'.» Papire Masson, ce voyageur clairvoyant, les visitant sous Louis XIII, les retrouve toujours entêtés de leurs institutions, toujours prêts à repousser les lois étrangères 3. En 1731, encore, le chancelier D'Aguesseau, dont le Parlement de Rouen n'a point accueilli les ordonnances, s'étonne devant « ces Normands, accoutumés (dit-il) à respecter leur Coutume comme l'évangile », et assure plaisamment a qu'un changement de religion seroit, peut-être, plus aisé à introduire en Normandie qu'un changement dejurisprudence.» Tant la Normandie avait sa coutume à cœur! En sorte qu'au milieu même des engouements de 1789, n'ayant pu s'en déprendre encore, et la voulant garder toujours, on la verra la défendre, et s'efforcer de la maintenir, aux

' Robert Gaguin, Histor., lib. VII.

⚫ Lestoile, Journal de Henri III, ann. 1584, et Journal de Henri IV, 1607, 1608.

3 Papirii Massoni Descriptio fluminum Galliæ. Parisiis, 1618, 8°, p. 308, 309.

4 Lettres inédites de D'Aguesseau, publiées par M. Rives, édit. 8°, t. II, p. 225, 226.

chefs même où elle deshérite un sexe au profit de l'autre, et ruine les cadets pour enrichir les aînés 1 !

A ces Normands, non moins vigilants gardiens de leur bien que de leur loi, et, d'ailleurs, si jaloux de l'une, parce qu'elle les aidait à conserver l'autre, deux institutions surtout étaient chères, leurs tribunaux pour les juger, et des États provinciaux pour défendre leur avoir contre les prétentions, toujours apres, du fisc. Sous les ducs, les jugements étant rendus suivant leurs lois, par les barons et les prélats de la province, et les impôts librement votés en des assemblées où sont représentés le clergé, la noblesse et le peuple, tout va bien, jusqu'au temps où le roi de France Philippe-Auguste, devenu maître de la Normandie, la malmène, quoi qu'il lui ait pu promettre; surpassé, au reste, dans son despotisme et ses exactions, par les rois venus après lui, saint Louis seul excepté, vrai et loyal chrétien, en qui les autres nations révèrent un juge équitable, et ses sujets un tendre père qui les veut voir heureux. Mais qui dira ce qu'avant et après ce grand roi la Normandie eut à souffrir? Ses lois lui devant demeurer, disaient les traités, il avait bien fallu lui laisser son Echiquier. Mais, dans cet Echiquier, au-dessus des barons et des prélats normands, ses seuls juges autrefois, on voyait, aujourd'hui, siéger, influents, de nombreux commissaires du roi de France, membres, la plupart, du Parlement de Paris, imbus des lois de France, étrangers, trop souvent, à celles de la province. Le Parlement de Paris, pour tout dire, venu là en Normandie, par députation, jugeait maintenant les Normands; encore ne daigna-t-il pas se déplacer toujours.

'Moniteur des 12 et 13 mars 1790.

2 Chronique de Normandie, dans le Recueil des Historiens des Gaules et de la France, par D. Bouquet, t. XIII, p. 224, 225.

Les Échiquiers, à certaines époques, devenant rares, force alors était au Normand d'aller à Paris, à grands frais, demander justice à des magistrats mal informés de sa Coutume, que souvent ils durent violer par leurs arrêts. Grand déplaisir pour une province qu'on a vue jugée si à l'aise sous ses ducs; pour les bourgeois de Rouen surtout, eux en possession antique d'être jugés dans leur ville, ou, au plus loin, à Oissel et à Sahurs, leurs ducs eux-mêmes ne leur pouvant faire dépasser ces limites; ainsi l'avaient décidé vingt chartes ducales! De plus, notre province, sans juges, étant aussi sans États, et les impôts l'accablant, il ne faut pas demander si ses habitants murmuraient, ni s'étonner non plus si l'on vit des émeutes. En l'une de ces rencontres, Rouen avait, le même jour, assiégé, dans le château, les commissaires du roi, venus de Paris tenir l'Échiquier de Normandie, puis avait renversé les bureaux des préposés du fisc, agents subalternes de la maltote; manifestant ainsi, tout ensemble, et son horreur pour des juges étrangers, et son indignation contre des levées de subside, que n'avaient point consentis ses États".

Les édits rendus, après cela, par Philippe-le-Bel, pour assurer à la Normandie deux sessions d'Échiquier, chaque année, touchèrent peu, mal exécutés qu'ils furent ; ces Échiquiers, de plus, étant toujours tenus par des magistrats de Paris, et l'arbitraire continuant, d'ailleurs, de tyranniser et de ruiner la province.

Au reste, il en allait ainsi par tout le royaume, où, aussi, en tous lieux, les grands et les peuples, à la fin, devaient perdre patience. Sous ce règne, l'un des plus fiscaux qu'eût vus la France, peuple, clergé, noblesse,

Concilia Rothom. D. Pommeraie, in-4°, p. 148. 2 Chron. de Nangis, ann. 1294.

[ocr errors]
[ocr errors]

étant foulés outre mesure, faut-il s'étonner si tous s'émouvant à l'envi, se liguant, se mettant sur la défensive, on vit paraître tant d'actes d'association, et les bons esprits même en recherche de ce milieu si désirable entre l'insolence des peuples et le despotisme des rois! Alors, donc, en Bourgogne, en Languedoc, en Bretagne, en Picardie (mais pourquoi ne pas dire en tous lieux)? furent publiquement rédigés de hardis manifestes, où, exposant les torts du passé, peuple, prélats et barons demandaient des garanties pour l'avenir. Que si la Normandie avait naguère exigé de tels pactes de ses ducs, les maîtres de son choix, que fut-ce sous Philippe-le-Bel, après des exactions, des excès, des violences, que ceux-là seuls qui les avaient endurés pouvaient essayer de redire!

Aussi les avaient-ils bien su peindre dans les actes qu'eux aussi dressèrent en ce temps-là; plaintes véhémentes, où ils dénonçaient franchement au roi, le roi lui-même. Force fut à Philippe-le-Bel de les ouïr en son Louvre; et ce roi, peu après, venant à mourir, Louis X les vit, en son château de Vincennes, lui présenter leurs énergiques doléances, lui demander pour l'avenir des garanties qu'il ne pouvait dénier, et lui exposer enfin leurs antiques libertés, que force lui fut bien de leur rendre.

Barons, prélats, bourgeois, la province était là tout entière, représentée par ceux qu'elle avait choisis. Leurs énergiques doléances, poignantes pour Philippe, dont tant de misère avait été l'ouvrage, n'étaient plus, pour un roi de vingt-cinq ans, innocent de tant d'excès, qu'une instante supplique, à laquelle il se dut rendre. Et, à la vérité, quoi de plus sérieux que leurs griefs! les Échiquiers toujours rares, quoi que l'édit de 1304 eût pu promettre ;

Histoire de l'ancien Gouvernement de la France, par M. de Boulainvilliers, édit. 1727; t. II, p. 93, 105.

dans ces Échiquiers, des magistrats étrangers; des procès sans nombre enlevés aux juges normands, portés au Parlement de Paris, même après qu'en Normandie des arrêts souverains les avaient jugés; les impôts pleuvant sur la province, sans l'octroi de ses États, et à un tel excès qu'on n'y pouvait plus vivre; point de bornes aux ruineuses exigences du fisc, et nulle propriété qui s'en pût défendre, les siècles, maintenant, n'étant pas plus comptés qu'un jour; toutes les lois normandes foulées aux pieds; et mille plaintes semblables, qu'on n'aurait jamais fini de redire !

Que si la chancellerie de Louis-le-Hutin avait pu, avec des actes équivoques, des clauses ambiguës, de vagues et fallacieuses promesses, apaiser quelque temps le Languedoc, la Bourgogne et d'autres provinces, le moyen d'abuser la Normandie si avisée, si défiante, si imbue de ses antiques lois, qu'à toute force elle voulait ravoir; si voisine, d'ailleurs, de l'Angleterre, à qui, dans son désespoir, elle se pouvait donner! Aussi, un premier acte, incomplet encore, ne l'ayant pu contenter, et le Conseil de Louis-leHutin, comprenant « qu'il falloit fournir la carrière tout entière',» de nouvelles Lettres lui furent enfin données, sinon telles, de tous points, qu'elle les aurait pu souhaiter, propres, quoi qu'il en soit, à la contenter un peu et à lui faire prendre patience. Ses lois, qu'elle regrettait si fort, allaient revivre ; car, à son Échiquier, reconnu Cour suprême et indépendante de toute autre, devaient ressortir dorénavant tous les appels des sentences rendues par les sept bailliages de Normandie, sans pouvoir être portés au Parlement de Paris; défense même était faite d'y assigner jamais, sous quelque couleur que ce pût être, aucun habitant de la province. Plus de levées (en sus des charges

'De Boulainvilliers, loco citato.

« PoprzedniaDalej »