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bandonner la vie, parla dans ces termes : « Pères conscrits, on n'accuse que mes paroles, tant mes actions sont innocentes! Mais ces paroles n'attaquent ni le prince, ni sa mère, les seuls qu'embrasse la loi de lèse-majesté. On me reproche d'avoir loué Cassius et Brutus, dont les actions, décrites par plusieurs historiens, ne l'ont jamais été sans éloge... Cicéron, dans un de ses ouvrages, éleva Caton jusqu'aux cieux. Que fit le dictateur César? Il réfuta le livre; il rendit le public juge entre Cicéron et lui. Les lettres d'Antoine, les harangues de Brutus, ne sont que des satires d'Auguste, assurément injustes, mais sanglantes; et dans les vers de Bibaculus et de Catulle, on trouve des invectives contre les Césars. Cependant les Césars eux-mêmes et Jules et Auguste ont enduré, ont dédaigné ces outrages, et je ne sais s'il faut louer en cela leur modération plus que leur sagesse ; car le mépris fait tomber la satire, le ressentiment l'accrédite.

« Je ne parle point des Grecs, dont la liberté, dont la licence même furent impunics; ou, si quelqu'un s'en offensait, il se vengeait d'un mot par un mot. Mais certes, on n'a jamais contesté le droit de parler librement de ceux que la mort a soustraits à la faveur ou à la haine. Croit-on que je veuille, par mes écrits, exciter le peuple à la guerre civile, ramener Cassius et Brutus en armes dans les champs de Philippes? Ou pense-t-on que, bien que morts depuis plus de soixante ans, leur mémoire ne soit point en partie conservée dans l'histoire, comme leurs traits le sont dans leurs images, que le vainqueur même n'a pas détruites? La postérité assigne à chacun sa portion de gloire; et, si l'on me condamne, il ne manquera point de citoyens qui se souviendront de Cassius et de Brutus, et même de moi. » Il sortit ensuite du sé

nat, et se laissa mourir de faim. Les pères condamnèrent son ouvrage à être brûlé par les édiles; mais l'ouvrage est resté. On le cacha, et depuis il reparut. Qu'on rie donc maintenant, ajoute Tacite, de l'aveuglement de ceux qui pensent que leur pouvoir éphémère étouffera la voix même des siècles à venir. Au contraire, le mérite opprimé en acquiert plus de prix; et les rois et tous ceux qui ont employé de pareilles persécutions n'ont fait que préparer la gloire des auteurs et leur propre honte 1. >>

Ainsi que le dit Tacite, les précautions prises contre les Annales de Cordus furent inutiles, car dès les premiers temps du règne de Caligula, « ce prince, rapporte Suétone (c. 16), fit rechercher les ouvrages de Titus Labienus, de Cordus Cremutius et de Cassius Severus, que le sénat avait supprimés; il en permit la copie et la lecture, se disant intéressé lui-même à ce que l'histoire fût fidèlement écrite. >>

Tacite parle ailleurs (liv. vi, c. 29) d'une tragédie de Scaurus qui fut dénoncée à Tibère, et causa la mort de son auteur. Il raconte encore (c. 38) que Trion, avant de se donner la mort, écrivit un testament rempli de traits sanglants contre Macron et les principaux affranchis du prince, sans épargner le prince lui-même. « Les héritiers de Trion voulaient tenir ce testament secret. Tibère le fit lire publiquement, soit pour montrer qu'il savait souffrir la liberté, soit qu'il bravât l'infamie, ou soit qu'ayant ignoré longtemps les crimes de Séjan, il voulût s'en instruire à quelque prix que ce fût, et apprendre au moins par les injures la vérité masquée par l'adulation. >>

Annales, l. iv, c. 34 et suiv. Traduction de la collection Dubochet.

La conduite de Néron fut, à cet égard, bien différente de celle de Tibère.

« Ce qui peut surprendre et mérite d'être remarqué, dit Suétone (Néron, c. 39), c'est qu'il ne supporta rien plus patiemment que les satires et les injures, et qu'il ne se montra jamais plus doux qu'envers ceux qui l'attaquaient dans leurs discours ou dans leurs vers. On publia contre lui beaucoup d'épigrammes, en grec et en latin, qui furent affichées partout... Il n'en rechercha pas les auteurs, et s'opposa même à ce que l'on punît sévèrement ceux qui furent dénoncés au sénat. >>

Constantin et ses fils proscrivirent sévèrement les pamphlets et les libelles.

Ce fut au moyen de pamphlets anonymes qu'on répandit dans le quartier des deux légions gauloises que ces troupes se soulevèrent contre Constance, et proclamèrent Julien empereur.- Valens et son beau-père Petronius furent déchirés par tant de libelles, que le premier rendit un édit par lequel il condamnait à mort non-seulement les auteurs de pareils écrits, mais ceux qui oseraient les publier ou même les garder..

Théodose ordonna, sous des peines sévères, que celui entre les mains duquel tomberait un libelle diffamatoire l'anéantît sur-le-champ, et ne parlât à personne de son contenu. La même peine était appliquée à celui qui l'aurait composé et à celui qui l'aurait communiqué, à moins que ce dernier n'en dénonçât l'auteur.

Le code de Justinien déclarait inhabiles à tester ceux qui auraient été condamnés pour des libelles diffamatoires.

Sous Léon le Philosophe, un de ses favoris, Samonas, composa, avec deux grands officiers de la cour, contre

la personne de l'empereur, un libelle qu'il fit déposer dans une église, à la place que ce prince occupait habituellement. Trahi par un de ses complices, Samonas fut, par ordre de l'empereur, rasé et placé dans un monastère. Alexis Comnène, dans une expédition contre Bohémond, qui assiégeait Durrazo, s'était fait accompagner par sa femme. Quelques officiers, ayant formé une conspiration, et voulant éloigner l'impératrice, qui gênait leurs projets, jetèrent dans son appartement des libelles où elle était attaquée de la manière la plus violente. « Bien que les lois, dit Anne Comnène, défendent expressément de pareils outrages, et qu'elles condamnent les ouvrages au feu et leurs auteurs à des peines fort sévères, cela n'empêcha pas les conjurés de jeter un second libelle dans la chambre de l'empereur, au moment où il sortait de table... Ce libelle était plus sanglant que le premier, et déchirait plus outrageusement l'impératrice, sur ce qu'elle suivait l'armée, au lieu d'être restée dans son palais, à Constantinople... Au bas étaient ces mots : « Ceci a été écrit par un moine que vous ne connaissez pas, et que vous verrez en songe 1. » Peu de temps après, le hasard fit découvrir les conjurés auteurs des libelles; Alexis se borna à les exiler.

Les censures ecclésiastiques ont atteint les livres dès les premiers siècles du christianisme. En 494, dans un concile tenu à Rome, le pape Gélase Ier dressa une liste des livres canoniques et de ceux qui n'étaient pas reconnus tels par l'Église, liste qui peut être regardée comme le premier index connu. - Parmi les nombreuses proscriptions d'ouvrages regardés comme contraires à

Alexiade, 1. x, c. 1.

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la religion, nous citerons la condamnation au feu des livres d'Abailard, en 1141; de ccux d'Arnaud, de Brescia, qui fut brûlé avec eux, en 1155; d'Amaury, de Chartres, en 1215; de l'Évangile éternel, brûlé à Rome, en 1250; des ouvrages de Marguerite de Hannonia, en 1310, etc.

Nous avons vu plus haut (page 129) que, lors de sa fondation, au treizième siècle, l'Université de Paris s'adjoignit des libraires-jurés, qui, par une ordonnance royale de 1275, furent placés sous sa surveillance spéciale, et ne devaient mettre en vente aucun livre qui n'eût été soumis à son approbation.

On connaît un exemple singulier de la suppression d'un livre, à la fin du treizième siècle. Arlotto, notaire à Vicence, ayant publié, à cette époque, une Histoire de la tyrannie exercée par les Padouans contre les Vicentins, les Padouans, vainqueurs de leurs ennemis, condamnèrent Arlotto au bannissement, et prononcèrent la peine de mort contre quiconque lirait, garderait ou traduirait son ouvrage. Cette mesure eut un plein succès; car, lorsque Vicence se fut enfin affranchic de la domination de Padone, Arlotto ne retrouva pas un seul exemplaire de son livre, qu'il ne put ainsi publier de nouveau.

« En 1328, dit une chronique de Metz, furent condamnez du pape Jean XXII deux clercs qui avoient composé ung livre plain de mauvaises erreurs en huit livres. Ils s'efforçoient de prouver que l'empereur pouvoit corrigiere, mettre et desposer le pape selon sa voulenté, et que les biens de l'Esglise sont à la voulenté de l'empereur du tout. >>

En 1327, on brûla vif, à Bologne, un pauvre astrologue septuagénaire, Secco d'Ascoli, qui avait dans des poésies et des traités sur la sphère, débité maintes rêveries.

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