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demain quitter tout cela! Hélas! à cette affreuse pensée qui tomba comme un remords sur son cœur, la pauvre Louise fit le tour de sa chambre en désespérée, prenant et laissant tour à tour chacun de ces objets, les portant à ses lèvres, à ses yeux, sur son cœur, ainsi qu'elle l'aurait fait de la main qui les lui avait donnés.

Tout en marchant, Louise s'approcha de la fenêtre, bien qu'il fit très-froid, et que son feu fût éteint depuis longtemps; ses pensées, qui lui brûlaient le front, la portèrent à ouvrir la croisée, à présenter son visage en feu au contact de l'air glacé de la nuit. La maison formant un angle, de sa chambre Louise pouvait plonger dans celle de sa tante. Que de fois, dans les derniers jours de la maladie de sa tante, lorsque forcée par cette mère tendre à aller prendre du repos, Louise était venuc épier à la place où elle était maintenant, si sa tante en goutait elle-même! et que de fois elle avait vu son ombre, à la lueur de sa lampe de nuit, passer, frêle et lente, à travers les rideaux blancs de ses croisées ! que de fois elle l'avait vue, suivant de l'oeil chaque ondulation de cette ombre, aller, venir, s'agenouiller et lever ses mains vers le ciel, l'implorant ou pour elle, ou pour les deux êtres à elle, qu'elle allait laisser après sa mort sur la terre, hélas! La lampe éclaire encore cette chambre, mais l'ombre qui passait devant la lampe est remontée au ciel; la chambre habitée est devenue solitaire, déserte; la lampe, veilleuse qui brûlait pour un vivant, ne brûle aujourd'hui que pour un mort !

Soudain, ô surprise! ô terreur! Louise vient d'apercevoir à travers les rideaux blancs fermés comme du vivant de sa tante, une ombre se projeter sur ces rideaux, la jeune fille tressaille et ferme les yeux, croyant qu'ils sont la dupe d'une hallucination, puis elle les rouvre, mais elle a beau les refermer encore, les frotter, s'assurer qu'elle est réellement bien éveillée, l'ombre est là, qui va, qui vient et s'agenouille.

Impossible de maîtriser plus longtemps les émotions de cette créature aimante et impressionnable. Louise s'arrache de sa place, s'élance hors de sa chambre, et sans songer qu'elle est sans lumière, s'aventure vers l'appartement de sa tante.

La porte en est ouverte, et dans l'intérieur, Louise voit clairement sa cousine qui tient un papier à la main, et le lit à la lueur de la lampe mortuaire. Louise s'avance dans la chambre; au bruit qu'elle fait en marchant, Nanine se retourne, pâlit et fait un mouvement comme pour cacher le papier qu'elle tient à la main.

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Moi, dit Nanine, qui avait eu le temps de reprendre son assurance, et qui tout en parlant, présentait à la flamme de la lampe le papier qu'elle froissait dans sa main; tu le vois, je brùle des papiers inutiles. Malheureuse! c'est l'écriture de ta mère, cria Louise voulant se précipiter sur la flamme; mais ce mouvement avait été prévu, et pendant que d'une main Nanine continuait à faire brûler le papier, de l'autre, son poignet fort et robuste tenait en échec la jeune et faible

Louise; puis, le papier brûlé, elle en jeta les cendres au

vent.

Bonsoir, dit-elle à sa cousine stupéfaite d'une pareille audace, d'un si grand sacrilége; bonsoir; et désormais tout m'appartient.

Oh! mon Dieu! mon Dieu! Ce fut tout ce que put dire la malheureuse orpheline, en restant debout, scule et désolée, après le départ de Nanine. Elle écouta encore quelque temps les pas de sa cousine qui s'éloignait; puis, quand le bruit eut cessé, elle ouvrit précipitamment le tiroir de la chiffonnière indiquée par Toinon.

Rien, rien dit-elle avec accablement, le voyant vide... Oh! néanmoins, merci, ma tante, d'avoir pensé à moi; et l'orpheline regagna sa chambre, mais ne se coucha pas cette nuit-là, et la passa tout entière à pleurer et à prier.

IV DÉPART.

Douce et naïve dans le cours ordinaire de sa vie, tremblante et craintive même, à l'approche d'un événement qui devait changer son existence, Louise était une de ces âmes exceptionnelles que le malheur durcit. Cet événement, en la frappant, ne l'en trouvait pas moins forte, sublime et debout. Ainsi il en arriva le lendemain de la nuit que vous savez. Au premier rayon de soleil qui vint frapper ses yeux appesantis par la privation de sommeil et ses larmes versées, Louise se releva, elle sécha ses larmes, fit un paquet de ses effets, qui étaient bien à elle, car ils lui avaient été donnés par une personne qui avait le droit de les lui donner, par la sœur de sa mère ; elle prit l'argent qui lui restait, faible somme: sa tante, ne la laissant manquer de rien, lui donnait peu d'argent à la fois, et elle descendait ainsi chargée l'escalier qui conduisait à la rue. Au moment où elle traversait la cour qui séparait le corps de logis de la rue, elle se trouva en face de sa cousine: celle-ci, lâche comme tous les méchants, voulut l'éviter, mais Louise marcha droit à elle et lui barra toute retraite.

Nanine, lui dit-elle d'une voix forte et les yeux secs, tu fais une mauvaise action, et D'eu te punira; quant à moi, je quitte cette maison sans haine et sans colère contre toi, car les méchants sont plus à plaindre que les bons, et je te plains... Adieu, je te pardonne ta cruauté.

Disant ces mots, et sans attendre une réponse, que certes on ne pensait pas à lui faire, Louise s'avança vers la porte de la rue.

Comme elle en touchait le seuil, un cri et son nom prononcé vivement lui firent retourner la tête vers la maison qu'elle quittait: elle vit sortir de la maison Toinon, chargée, elle aussi, d'un paquet. Louise crut d'abord qu'elle avait oublié quelque chose, et que la vieille servante venait réparer cet oubli; mais elle fut vite détrompée par ces mots qui suivirent son nom : Louise! Louise! disait la vieille Toinon,

tends-moi, nous nous en allons ensemble.

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Eh quoi! Toinon, dit Nanine, à qui cette phrase sembla délier la langue; tu t'en vas? tu me quittes? Je suis Louise, répondit froidement Toinon.

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Toinon! Toinon! dit Louise à son tour, et tournant vers la vieille femme son visage baigné de larmes,

tiens, vois, je pleure, je pleure de ton dévouement sublime, tandis que l'action cruelle de ma cousine me laissait les yeux secs, le cœur froid; mais, comme ma cousine, je te dis, reste, reste dans la maison qui accueillit ton enfance; en me suivant, pauvre femme, sais-tu si tu auras un toit pour abriter tes vieux jours?

Mes vieux jours sont venus, dit Toinon tristement, et ils doivent couvrir tes jeunes années, Louise. Viens, ma pauvre enfant exilée, suis-moi; où tu iras, j'irai; où tu mourras, je mourrai. — Viens, Dieu est grand.

Et Toinon, qui avait continué à marcher en parlant, se trouva bientôt hors de la maison. Louise marchait à côté d'elle. Soudain l'une et l'autre se retournèrent aux cris de rage que poussait Nanine sur le pas de la porte.

Seule! criait-elle; Toinon, tu me laisses seule! Les méchants doivent rester seuls, lui dit Toinon en tournant le coin de la rue qui débouchait sur les quais de l'Isère; puis, ayant marché quelques pas, elle regarda sa compagne, qui, pensive et silencieuse, allait toujours devant elle, sans but et sans projet.

Où allons-nous, ma fille? lui dit-elle.

Aussi loin, le plus loin que nous pourrons, ma bonne. Souvenirs charmants, regrets amers, ce serait trop pour mon cœur en restant ici.

Et, tout en marchant, les deux femmes dépassèrent les portes de la ville de Grenoble et se trouvèrent bientôt en rase campagne.

V

AU FIDÈLE BERGER.

A peine le soleil se levait, et Paris se réveillait au bruit des cloches qui annonçaient les funérailles de Louis XIV, roi de France, mort à Versailles le fer septembre 1715; on était au lendemain de ce jour; le temps s'était refroidi, et une jeune fille, qui ouvrit les contrevents d'un magasin situé rue des Lombards, audessus duquel se balançait un écriteau représentant un jeune homme jouant de la flute, avec ces mots écrits dessous: Au fidèle Berger, se vit accostée par une jeune dame ou demoiselle vêtue de noir, et accompagnée d'une vicille bonne portant un paquet.

Vous avez une chambre à louer dans votre maison, mademoiselle, lui dit-elle, montrant un écriteau en papier écrit à la main avec ces mots : Chambre garnie à louer présentement.

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Vous payez sans voir, dit la jeune fille étonnée.

Une chambre est toujours une chambre! s'écria la vieille bonne, qui n'avait pas encore parlé; — autant celle-là qu'une autre; quand même, arrivées seulement de ce matin de Grenoble, notre patric, à Me Serment et à moi, nous n'avons pas de temps à perdre pour chercher des logements... Avec ça qu'il y a de quoi se perdre soimême dans cette grande ville... Ce logement est sous notre main, nous le prenons, quoi!

Tout en parlant, Toinon, que vous avez déjà reconnue, ainsi que sa jeune maîtresse, suivaient les pas de Mlle Bergerette, la plus âgée des filles de Me Berger, veuve et maîtresse du magasin de bonbons. Cette jeune fille les guida à travers un escalier en assez mauvais état jusqu'au haut de la maison, et là, ouvrant une porte, dont les planches mal jointes laissaient par les fentes apercevoir une partie de l'intérieur, elle les introduisit dans une chambre assez grande, mansardée, éclairée par une de ces fenêtres dites à tabatière qui ouvrent sur les toits, et meubléc, ainsi que la jeune propriétaire l'avait dépeinte, d'un lit, d'une table de bois de chêne à pieds tors, et de deux chaises de paille.

C'est bien, dit Louise en jetant uu regard et un soupir autour d'elle, c'est bien; mademoiselle, je suis contente; et congédiant du geste Bergerette, qui se retira en refermant la porte sur elle, Louise tomba à genoux. A Paris! à Paris! dit-elle avec l'enthousiasme de l'artiste qui touche enfin la terre sacrée... à Paris, patrie des arts, des grandes et belles choses... O mon Dieu! mon Dicu! protégez la pauvre orpheline, et faites-là réussir.

– Très-bien, dit Toinon, qui n'avait l'air de comprendre ni l'action ni les paroles de sa jeune compagne, et qu'est-ce que nous y ferons, à Paris?

- Va m'acheter du papier, des plumes, de l'encre, et tu verras...... dit Louise en se relevant, et ranimée, on aurait dit, par cette courte prière.

Ça nous avancera de beaucoup, dit Toinon....... mais j'y vais, se hâta-t-elle d'ajouter, lisant une expression de mécontentement sur le visage de celle pour laquelle elle se dévouait ; j'y vais, ajouta-t-elle en partant.

Une heure après, Louise, avec cette espérance au cœur qui fait le poète, assise sur une des deux chaises de paille, devant la petite table en bois blanc, laissait courir sur le papier sa plume, au bout de laquelle la naïve provinciale voyait honneur, richesse et repos, le plus grand des biens.

Sur l'autre chaise, Toinon, qui n'avait guère confiance dans les rêveries de sa maitresse, avait acheté pour elle des aiguilles, de la laine, et elle tricotait.

Le soir venu, après un très-léger repas dont la crémière avait fait les frais, les deux femmes partagèrent le

lit: Toinon prit la paillasse, sur laquelle eile se coucha presque habillée, et Louise se tourna longtemps avant de s'endormir sur le mince matelas qui lui était échu en. partage. EUGENIE FOA.

(La suite au prochain numéro.)

A Gaëtan Donizetti

sur la première représentation de DON SÉBASTIEN.

Avez-vous remarqué, maestro, ce que devient un collier de perles précieuses dans les mains d'un enfant? C'est en vain qu'on voudrait le lui laisser admirer en son entier; c'est en vain qu'on voudrait l'en parer le barbare le tire, le fatigue dans ses mains, et n'est réellement satisfait que lorsque ce fil se brise, et que toutes les perles vont çà et là éparses sur le sol.

Le collier de perles, c'est l'opéra, un opéra quelconque; l'enfant, c'est le public, qui dénature tout, qui juge chaque chose de son point de vue, isolément, sans chercher à se rendre compte de l'esprit de logique qui a présidé à la réunion du tout, de la couleur générale conservée à l'ouvrage entier, de l'ensemble de la conception souvent si vaste, si énergique pour l'immensité qu'elle embrasse. Le public, pour toucher plus tôt la perle du milieu, brise ce chapelet mélodique.

C'est à la critique, à la critique juste et bienveillante à reprendre chaque perle roulante et égarée, et à reconstruire pour la juger dans son entier l'œuvre du maître.

Vous arrivez, maestro, à notre Opéra, avec trois conditions de succès. La première, vos succès passés; la seconde, la saison d'hiver devant vous au lieu de la saison d'été, qu'avait à braver M. Halévy; la troisième, avec un personnel important et zélé. Mme Stoltz, un peu capricieuse, comme toutes les jolies femmes; un peu entétée, comme tous les grands artistes. Baroilhet, l'homme à la mélodie du cœur, l'un de vos braves de l'armée d'Italie, à vous. Duprez, ce phénomène de la volonté humaine, qui, alors que sa voix de poitrine fléchit, s'improvise une voix de tête admirable. Massol, Janus lyrique, qui a deux faces également lumineuses, tantôt baryton, tantôt ténor. — Et Levasseur, l'artiste dévoué, l'artiste consciencieux et modeste, bon et spirituel, homme que l'on affuble tour à tour des cornes du démon et des robes de l'inquisition terrible. En voilà plus qu'il ne faut pour un succès.

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Ce succès, vous l'avez eu, malgré le poëme, qu'il me soit permis de le dire sans déplaire à M. Scribe, dont je respecte l'état maladif et le talent.

Le public qui vient à l'Opéra, je ne parle pas de ce public de premières représentations, trois mille individus qui se connaissent tous, trois mille artistes, trois mille envieux de Zaadig, mais un public réel; eh bien! ce public-là vient à l'Opéra après avoir diné. Il tient avant tout à faire sa digestion. Voyons comment le poëme de don Sébastien concordera avec son estomac.

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Au premier acte, Zaïdal l'Africain marche à la mort. On chante des paroles d'une gaieté folle, dans le genre de celle-ci :

Céleste justice,

Tu veux son supplice,

Et le saint-office Punit les pervers.

A l'aspect de ce funèbre cortége, le public se sentira oppressé; ce sera comme une barre de fer sur l'estomac. Heureusement que Zaïda a sa grâce. que lui donne don Sébastien. Mais la joie n'est pas de longue durée : Camoens, soldat poëte, prophétise l'issue de la guerre d'Afrique, que le roi va entreprendre. Il dit :

Soldats, défendez votre roi!
Soldats, sauvez votre bannière.
Je la vois encor... Je la vois,

Mais sanglante et dans la poussière.

Et la toile tombe sur le départ du roi que de semblables augures précèdent.

Au second acte, maestro, il y a un relai de gaieté, cela fait du bien au cœur, cela rejouit l'âme, c'est un chœur de jeunes filles arabes, saluant Zaïda l'esclave, qui leur

est revenue:

Les délices de nos campagnes,

La rose des déserts. La plus belle de nos compagues Gémissait dans les fers;

Le ciel a de nos voix plaintives Entendu les soupirs.

Elle revient... et sur nos rives Reviennent les plaisirs,

Prenez garde à vous, maestro, j'ai vu bien des auteurs dramatiques écouter ce charmant chœur ; il sera chanté d'ici à un an dans tous les vaudevilles.

Mais la joie n'est pas de longue durée. Abayaldos, le chef africain, arrive un cimeterre à la main; il arrive avec une smala à rendre Abd-el-Kader jaloux. Il arrive, et comme tous les journaux d'opposition avancée, il demande la tête des tyrans.

Don Sébastien est vaincu........ Son lieutenant, don Henrique, est blessé à la tête; lui-même est blessé au genou... Ce sont des bandelettes tachées de sang à faire frémir l'école de médecine. Les Arabes cherchent le roi. Don Henrique mourant, dit : C'est moi! don Sébastien est sauvé! Il a la liberté, grâce à Zaïda, qui consent à épouser le farouche Abayaldos pour préserver ses jours.

Dans les actes suivants, il y a les funérailles de Sébastien, que l'on croit mort. En vain Sébastien se montre, en vain Camoens le reconnaît, on le jette en prison comme imposteur, et Zaïda, qui cherche à le faire reconnaître, partage sa captivité.

Camoens cherche à les sauver; une échelle de corde est fixée à la tour, mais on la coupe, et les deux amants tombent et meurent dans la mer qui baigne ses bords. Je le répète, ce libretto est triste, mélancolique, tragique, effrayant. Il se consommera bien des tasses de thé dans les loges pour parer à tant d'émotions.

Heureusement, maestro, votre verve a percé ce voile de crêpe qui entoure l'action. Heureusement, M. Léon Pillet, avec ce goût et cette entente rare des détails scéniques, a prodigué l'or, l'argent, le brocard, le velours sur ce fond noir... jamais la douleur n'avait eu une semblable pompe pour escorte, jamais l'Opéra n'avait déployé plus de magnificence.

Que de diamants dans cet écrin! D'abord l'air de Baroilhet Soldat, j'ai cherché la victoire; 2o l'air de Mme Stoltz: O toi qui me pardonnes! 3o le chœur dont j'ai parlé; 4o l'air de Mme Stoltz: Depuis que ta main protectrice; 5o l'air de Massol-Abayaldos: Que le glaive ; 6o le duo de Mme Stoltz et Duprez: Il est tombé parmi ces cadavres sanglants; 7o la ravissante cavaline de Duprez: Seul sur la terre; 8o le duo de Mme Stoltz et Massol: En tous lieux et comme une esclave; 9° la romance de Baroilhet Oma patrie! 10o le duo de Baroilhet et Duprez: C'est un soldat qui revient de la guerre; 11° la marche aux flambeaux: Sonnez, clairons funèbres; 12° le sublime finale du quatrième acte: Que le bûcher s'élève; 15° la cavatine de Mme Stoltz: Mourir pour ce qu'on aime; 14o la barcarolle de Baroilhet, dont les paroles sont charmantes :

Pêcheur de la rive,

La nuit

Te sourit ;

La brise est captive,

Tout dort

Dans le port;

Et, pleins d'espérance, Courbés sur les flots, Ramez en silence,

Braves matelots.

J'oublie le trio à demi-voix : De la prudence et du mystère, et le duo final, et la charmante valse du ballet, et tant d'autres étincelles que ma mémoire n'a pu retenir; mais n'en ai-je pas dit assez pour l'instruction de mes lecteurs et pour votre propre gloire?

Ce n'est pas sans intention que je vous ai écrit ce compte-rendu en forme de lettre. Souffrez que je vous présente à ces dames du monde qui me lisent, et qui sont à elles seules plus influentes que tous les critiques lyriques du monde. Allons, maestro, ne faites pas le timide; vous qui avez été rappelé sur les scènes de Vienne, de Berlin, de Naples et de Paris, avez-vous peur de cette ovation devant une dizaine de mille femmes toutes bonnes, aimables et bienveillantes?

Ah! je comprendrais votre crainte si vous deviez les voir toutes le soir, en personne, si vous deviez braver l'éclat de tant de beaux yeux, les éclairs de tant de beaux esprits; mais c'est en effigie que je vous envoie chez clles; c'est auprès de chacune d'elles isolément que je plaide votre cause, cause brillante et facile à gagner. Que votre modestie se rassure done.

Bientôt vous me direz les bienfaits de cette lettre de recommandation que mon inhabile plume vous signe, car bientôt don Sébastien sera sur tous leurs pianos.

-

---

Encore un mot, maestro... Mais que vois-je? déjà vous n'êtes plus là; vous êtes au Théâtre-Italien, à diriger votre Marie de Rohan. J'y cours; vous êtes parti. - Où? - A Vienne, — pour faire jouer un autre opéra. - Puis vous irez à Madrid, à Saint-Pétersbourg, que sais-je? Je ne puis vous suivre, vous courez trop vite, et mes jambes de soixante ans ne sont pas lestes aujourd'hui. Allez donc, et bonne chance, harmonieux rossignol! continuez à jeter sur le monde ces mélodies charmantes qui stimulent l'âme et consolent l'humanité; mais, par grâce, ne vous pressez pas tant, sinon ma plume se fati

guera comme mes jambes, et je serai forcée de m'écrier. à l'instar de ce flatteur du grand roi :

Ami, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire.
MARQUISE DE VIEUXBOIS.

Conspiration contre Bonaparte.

Première représentation de l'opéra des Horaces, musique de Porta.

Le 18 vendémiaire an IX (10 octobre 1800), une grande conspiration contre la vie de Bonaparte se trame dans le plus grand secret. Le jour de l'exécution est fixé pour le 10 octobre, à la première représentation de l'opéra des Horaces, musique de Porta. Maintenant il faut désigner l'heure et l'instant, l'acte, la scène, le morceau de musique, etc. Les chefs de la conspiration avaient trouvé moyen d'assister à la dernière répétition générale ; ils choisissent le deuxième acte et le moment du serment. Bonaparte, à cette époque, n'avait pas, comme cela s'est pratiqué depuis, une entrée particulière et un escalier dérobé pour arriver à sa loge. I entrait à tous les théâtres par la porte ordinaire, montait le grand escalier, et, par le corridor des premières, se rendait à sa loge.

Voici le plan, j'y étais, je l'ai vu. Les conspirateurs étaient au nombre de soixante au moins. Le premier acte devait se passer avec la plus grande tranquillité. Dès le commencement du deuxième, chacun s'emparait du poste désigné. Deux des conspirateurs étaient placés dans les corridors des premières loges à chaque lanterne, et, au signal donné, ils devaient les éteindre toutes à la fois.

Aux troisièmes et quatrièmes loges, des pelotons de ces messieurs avaient, de bonne heure, pris les places de devant, ayant en poche des pétards, des marrons d'arti fice et pièces chargées, bruyantes et constituées pour effrayer par leur bruit; ils étaient tous chargés d'une boîte phosphorique, de façon à se procurer du feu à volonté ils auraient lancé au parterre, aux loges et au théâtre toutes ces pièces d'artifice, criant: Au feu ! au feu! On assassine! au voleur!

L'effroi se répandait à l'instant dans toute la salle, on se serait foulé, écrasé, culbuté pour fuir; mais alors plus de lumières dans les corridors, tous les passages dans les ténèbres. Qu'on juge d'une scène pareille et du désordre épouvantable qu'elle aurait causé. Au milieu de cette confusion horrible, un peloton de conjurés, ariné de stylets, se portait sur les deux factionnaires à la porte de la loge de Bonaparte; ils étaient assassinés. On pénétrait dans la loge et on lui faisait son compte, ainsi qu'à sa suite. qui se composait de quatre à cinq personnes au plus.

Au milieu de ce tumulte, de l'effroi général, des cris, de la confusion de cette foule s'agitant dans les ténèbres, se précipitant à toutes les issues pour se sauver, le coup était immanquable.

Le jour de la représentation, tous les conjurés sont à leur poste; mais on observe qu'il en manque un, et des plus zélés. Cet homme, dans la nuit qui avait précédé le jour de l'exécution du grand complot, avait été tourmenté de remords et de regrets de tremper dans cet horrible projet. Il se lève, sort, va droit au préfet de police, pénètre avec difficulté dans son hôtel, y est introduit à une

heure après minuit, demande à parler en secret et sans témoins.

Le voilà tête à tête avec le préfet. Il annonce à ce magistrat que l'affaire la plus majeure le conduit près de lui; il entre dans les détails les plus circonstanciés, avoue qu'il est un des principaux conjurés, que le remords de commettre un si noir attentat le décide à le dévoiler, qu'il ne demande en récompense qué sa grâce. Au surplus, monsieur le préfet, ajoute-t-il, pour vous assurer de l'exacte vérité de ma déclaration, gardez-moi en otage, mettez-moi au secret, et agissez. Ce qui fut dit fut fait. Le préfet appelle de suite tous ses subordonnés et les consigne dans ses appartements. A quatre heures du matin, il se présente aux Tuileries, fait connaître à Bonaparte la découverte du complot et les moyens d'exécution des conjurés.

Bonaparte appelle de suite son état-major, ses généraux et tous ses affidés; il tient conseil en présence du préfet de police. On traduit secrètement le conjuré gardé en otage, on entend de sa bouche tous les détails du projet de cette même soirée.

Bonaparte propose de ne point le laisser assister à la représentation des Horaces. Tous ses généraux sont d'un avis contraire, afin de prendre tous les conjurés au poste, s'en emparer et les détruire.

Si l'on n'emploie pas ce moyen, et que la chose s'évente, ce sera un conte bleu, et personne n'y croira.

Laissons aux conjurés toute liberté dans leurs prêparatifs, et, tous réunis, tombons dessus et empoignonsles un quart d'heure avant l'explosion.

Décidé et accepté tout d'une voix.

Bonaparte se rendra donc à l'Opéra. Tous les officiers généraux, tous les militaires en grade élevé sont appelés et reçoivent l'ordre de se trouver en habit bourgeois au foyer de l'Opéra. Les voilà réunis et se promenant, parlant musique, bals, plaisirs de tout genre, bonne table; tenant propos de bons vivants, et ne disant pas un mot qui put donner le plus léger soupçon de leur connaissance du complot.

Voilà le premier acte fini, le second commence; les officiers se divisent par deux, trois et quatre, se mettent en faction à chaque lanterne des escaliers et corridors, une douzaine à la porte de la loge, avec ordre aux factionnaires de laisser approcher tous ceux qui répondraient au mot d'ordre donné exprès pour cette soirée et à l'Opéra seulement.

La police, de son côté, introduit un grand nombre de mouchards, de commissaires de police, de gendarmes déguisés. On se poste aux loges où sont les conjurés; on frappe et on n'ouvre pas. Les ouvreuses arrivent et, bien tranquillement, on prie ces messieurs de sortir. Ils voient la mine éventée. On s'en empare sans que le public s'en aperçoive.

Les officiers généraux en sentinelle à toutes les lanternes sortent chacun leurs pistolets.

Malgré toutes ces précautions, Bonaparte pâlit visiblement, faisant fort peu attention à MM. les Horaces et Curiaces.

A chaque instant, on ouvrait sa loge pour lui dire où l'on en était et le rassurer. Enfin, arrive la scène du serment; les loges des conjurés sont vides, plus personne à

l'extinction des lanternes, et l'on tenait les conjurés pris dans les loges; on les avait barricadés sous les escaliers de la salle, avec dix fusils de chaque côté.

Une autre précaution avait été prise secrètement.

Après le premier acte des Horaces, on fit avancer une nombreuse cavalerie, qui, à double rang, entoura l'Opéra dans ses quatre parties de face. On ne laissa entrer ni sortir personne.

Ce n'est qu'après l'opéra, au mouvement qui se manifestait, qu'on put s'apercevoir qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire. Pendant le 3e acte, on fit avancer des voitures, on mit en cage quatre à quatre ces messieurs, et on les conduisit aux prisons de la préfecture de police.

Une partie de ces conjurés ont été fusillés, d'autres déportés à Cayenne et recommandés à leurs gardiens.

Beaucoup sont morts pendant leur exil, et une partie gardés à Paris, comme impliqués dans d'autres affaires contre Bonaparte. Les condamnés à mort furent fusillés à la plaine de Grenelle. Louis GRÉGOIRE.

UNE BAGUE AU DOIGT.

Il y a bague et bague, doigt et doigt; il y a même plusieurs manières d'avoir une bague au doigt.

La meilleure manière, c'est d'avoir au doigt une bague qui rapporte vingt-cinq mille francs par an; si elle en rapporte cent mille, ça vaut encore mieux. Je connais un receveur général et une danseuse qui sont dans ce caslà, l'un donnant l'autre; la danseuse a pour bague au doigt le receveur général, lequel a pour bague, lui, sa recette; ce qui leur constitue à tous les deux une fort jolie main.

Je pourrais vous citer présentement une ancienne actrice, Mlle M..., qui possède, à son annulaire, un bureau de tabac, accompagné d'un bureau du timbre, augmenté d'un bureau de poste. Il est impossible d'aller à Versailles par la rive droite, sans voir ces trois bureaux briller au doigt de la ci-devant jeune et jolie comédienne.

Une autre comédienne, qui dédaigne peu le tabac à fumer, qui aime à courir la poste et qui débite des choses plus ou moins timbrées, mais sans tenir pour cela aucune espèce de bureau, possédait, elle aussi, plusieurs bagues au doigt, une, entre autres, véritablement portative, ornée de pierres fines, et valant à peu près 600 fr.

D'où lui venait ce bijou? d'un ami bien cher sans doute; car, d'un ami, qu'elle n'eût point aimé passionnément, elle n'eût pas voulu recevoir une bague d'une valeur moindre de 2,000 fr.

L'autre jour, la bague disparut du doigt de l'actrice. L'ami s'en inquiète et demande où diable la chose a passé. Est-elle en gage? Non. L'a-t-on vendue? Encore moins. Prêtée? Ce n'est pas vraisemblable. Donnée ? C'est impossible.

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