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Pierrette entraina George par une porte qui ouvrait sur les dépendances de l'aubergiste, et l'homme que Louise avait vu entra soudain.

C'était Philippe.

Louise s'appuya contre la table pour ne pas tomber. Elle entendait les pas de George et de Pierrette sur les carreaux; son cœur battait lourdement dans sa poitrine; elle était livide.

Philippe se montra comme elle l'avait toujours connu, calme et dédaigneusement ironique. Il la salua comme s'il entrait dans un salon.

Si je ne le savais déjà, madame, votre trouble m'apprendrait assez que M. de Vibray est ici, dit-il. L'indignation empourpra les joues de Mme Champrod; elle leva sur Philippe un regard enflammé.

Ainsi je ne m'étais pas trompée ! s'écria-t-elle. C'est encore vous!

C'est toujours moi. Mais, de grâce, épargnez-vous une colère qui ne peut que nous faire perdre un temps précieux. Vous aviez bien pris vos précautions, madame, lorsque vous avez quitté le château de Balestras ; tandis que je vous faisais chercher au loin, vous étiez cachée, à un quart de lieue à peine, chez de pauvres fermiers où personne ne vous croyait, et vous n'êtes partie qu'un mois après, quand on commençait à vous oublier. Mais vous savez la toute-puissance de l'or; je l'ai prodigué, et, après deux ans de vaines tentatives, enfin je vous ai trouvée. Vous m'avez certes donné assez de peine pour qu'un jour me récompense de tant de fatigues. Vous vous étiez réfugiée sur les grèves de la Normandie, pour être plus près, sans doute, de l'Angleterre où vivait M. de Vibray; remerciez-moi donc, car j'ai voulu vous réunir. Maintenant écoutez-moi bien. Le vicomte est condamné à mort par coutumace; son signalement est partout. Arrêté, il est perdu. Un seul moyen vous reste encore pour le sauver. Il y a, derrière les murs de la chapelle, à une lieue près du rivage, une chaise de poste : c'est la mienne. Le postillon est en selle. Dans ma poche, il y a un passeport : il est en règle. Regardez. Je vous l'ai dit, avec de l'or on peut tout avoir. Ce passe-port est le sien. Sous un nom supposé, il peut quitter la France quand il voudra. Je vais me rendre à la chapelle ; je vous y attendrai une heure. Si vous venez, ce passe-port sera remis aux mains de M. de Vibray, et il est sauvé; si vous restez, dans une heure je signale son arrivée, et vous savez ce qui l'attend. Choisissez.

Mme Champrod ne remua pas. A la pâleur mortelle qui couvrait son visage, à l'immobilité de son corps, on aurait pu croire que la vie s'était retirée d'elle, si un tressaillement nerveux n'avait agité ses mains et ses lèvres. L'affaiblissement de toute sa personne, l'accablement de sa physionomie exprimaient un si profond désespoir, qu'un sentiment de compassion se peignit sur le visage hautain de Philippe Cazal. A la vue du mal qu'il avait fait, une douloureuse pensée contracta son front pâle ct froid comme le marbre; ses yeux semblèrent s'humecter; il s'approcha. Louise frissonna, et se recula avec un geste dont aucun pinceau ne pourrait rendre la souveraine expression de mépris et d'horreur. Philippe se redressa comme un tigre blessé.

-Ah! vous m'avez rappelé ma vengeance quand j'al

lais l'oublier! s'écria-t-il en jetant sur sa victime un regard brûlant. Pour étouffer la dernière pulsation de pitié dans ce cœur, où je la croyais morte, il ne vous a fallu que ce mouvement! Leurs pareils, madame, ont usé mon âme ! J'inspire ou la haine ou l'effroi; on m'a souffleté dès le berceau avec une épithète infamante; je suis le bâtard du prêtre, et vous m'en faites souvenir! Je m'en souviendrai donc, je vous le jure, et je ferai si bien, que vous ne l'oublierez jamais non plus. Ou a brisé mon enfance et flétri ma jeunesse avec ce nom, on a refoulé tous mes instincts nobles et généreux sous le mépris; on m'a nourri d'humiliations, abreuvé d'insultes; on m'a écrasé sous une faute qui n'était pas la mienne; on m'a chassé, repoussé, maudit, et je ne me vengerais pas ! Et c'est lorsque j'allais pardonner peut-être, quand une larme mouillait ces paupières enflammées, que votre geste me rappelle ce que je suis et ce que vous êtes! Vous l'avez donc voulu, vous serez la victime immolée à ma vengeance! Vous êtes belle, vous êtes jeune,toutes les mains se sont tendues vers vous, tous les sourires vous ont accueillic. Eh bien ! de ce piédestal d'honneur, de richesse, de vertu, où vous étiez placée, et que j'ai brisé déjà, il faudra bien que vous arriviez jusqu'à moi. A votre tour, vous me demandercz merci et pitié! Vous savez mes conditions. Encore une fois, madame, choisissez.

La porte intérieure vola en éclats, et George sauta dans l'auberge.

Louise, galvanisée en quelque sorte, se dressa, voulut courir et roula aux pieds du proscrit. Philippe s'était arrêté.

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Vous me connaissez, dit le général au brigadier, je vous confic cet homme; vous m'en répondez. Puis, se tournant vers M. de Vibray, il ajouta : Pas un mot, monsieur, tout ceci me regarde. Avant une heure vous saurez ce que j'ai décidé.

Le général parlait d'une voix sonore et impérative; il y avait dans son geste et dans son regard une autorité qui commandait le silence; toute sa personne était revêtue d'un caractère imposant et terrible dont la puissance magnétique comprimait toutes les volontés; il était calme, mais ce calme était plus effrayant que les orages de la passion et les emportements de la colère.

M. Champrod posa la main sur l'épaule de Philippe comme le commandeur sur l'épaule de don Juan. Philippe frissonna; sous l'épaisseur des vêtements, il sentit, la froideur glaciale de cette main pénétrer jusqu'à sa peau. Tous deux sortirent; la porte se referma derrière eux, et George avec Pierrette, tous deux près du corps de Louise évanouic, restèrent dans l'attente et la terreur.

Le général, on le sait, avait tout entendu de sa cachette; quand il vit s'éloigner George et entrer Philippe, il avait rapidement écrit quelques mots qu'un valet d'éeu- rie s'était chargé de porter au poste le plus voisin de

gendarmerie. Le brigadier avait mission de cerner le hameau et l'auberge. A la vue des uniformes, George, craignant de s'aventurer dans le hameau, retourna sur ses pas. C'est ce que M. Champrod désirait. En s'assurant, en cas de besoin, de la personne de M. de Vibray, il demeurait libre d'en disposer à son gré, ce qu'il n'aurait peut-être pas pu faire si des gens de la force publique s'en étaient emparés sur les indications de Philippe.

Philippe doutait encore que le général sút toute la vérité; l'arrestation de George, dont il ne pouvait comprendre le secret motif, laissait son esprit en suspens; mais comme il s'apprêtait à payer d'audace, un mot du général arrêta le mensonge sur ses lèvres.

Épargnez-vous d'inutiles paroles, lui dit-il, je sais tout. Les premiers douaniers que nous allons rencontrer nous serviront de témoins. Je veux bien vous faire l'honneur de me battre avec vous. Suivez-moi.

Tous deux se dirigèrent vers la côte. Le jour touchait à sa fin; la mer, déjà plus sombre, reflétait les teintes grises du ciel, où la lumière pâlissait; les goëlands s'approchaient du rivage, égratignant du bout de l'aile les lames qui déferlaient à grand bruit ; un voile funèbre s'étendait sur les grèves désertes, et le vent arrachait des plaintes aux vieux chènes dépouillés.

Deux douaniers fumaient leurs pipes dans un creux de rocher. Le général leur fit un signe de la main ; ils se levèrent; quelques paroles dites à voix basse leur apprirent ce qu'il attendait d'eux; ils portèrent la main à leur casquette et le suivirent en silence.

Bientôt tous quatre s'arrêtèrent dans une crique solitaire; le sable humide résistait à la pression du pied; unc enceinte de rochers les défendait de toute surprise.

Le général mit bas son habit; Philippe l'imita silencieusement; et un instant après, les deux adversaires, chacun armé d'un sabre emprunté aux douaniers, croisaient le fer, face à face.

Pas un muscle du visage de M. Champrod n'avait remué; malgré son courage, Philippe frissonnait; on comprenait à le voir que l'orgueil seul le soutenait : dans son âme, il avait peur.

Le général se battait en homme qui consent à mourir à condition de tuer. Philippe, malgré son trouble, se défendait avec une habileté qui aurait prolongé la lutte, s'il avait eu affaire à un ennemi désireux de conserver la vie; mais M. Champrod, qui voulait en finir, se découvrit en feignant de lever son arme; le sabre de Philippe l'atteignit à la poitrine; mais en même temps le fer du général, qui dédaignait de revenir à la parade, disparut tout entier dans le corps du bâtard.

Philippe lâcha son arme, un flot de son sang lui vint aux lèvres, et il s'abattit lourdement sur le sable. Un sourire passa sur les lèvres du général. Les douaniers se penchèrent sur le corps de Philippe.

C'est inutile, leur dit froidement M. Champrod, il est mort; puis, déchirant sa cravate, il la noua sur sa blessure.

Avec une énergie qui puisait toutes ses ressources dans la puissance de sa volonté, il reprit le chemin de l'auberge. Les douaniers se trompèrent à ce saug-froid; ils le suivaient, s'imaginant que la blessure avait à peine effleuré les chairs. Ils ne pouvaient comprendre que ce

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J'ai tué Philippe, lui dit le général. C'était à moi qu'il avait fait le plus de mal, c'était à moi de le punir. - Mais vous! vous! répéta Louise, qui regardait avec épouvante la capote sanglante du général.

- Ce n'est rien, dit M. Champrod; je me connais assez en blessure pour être convaincu que celle-ci n'a pas besoin qu'on l'examine. Écoutez-moi, Louise, ajouta-t-il en lui prenant la main doucement, j'ai eu bien des torts envers vous ; je vous ai punie vous croyant coupable; un misérable vous avait calomniée, et j'ai été assez faible pour l'écouter. Pouvez-vous me pardonner jamais? Louise sanglottait inclinée sur sa main.

Votre éloignement vous a assez vengée; si vous avez souffert, pauvre âme qui avez été frappée dans toutes vos tendresses, peut-être l'avenir réparera-t-il les maux du passé. Quant à vous, monsieur de Vibray, approchez, dit le général en s'adressant au proscrit.

La voix de M. Champrod devenait sourde et gutturale. Si Philippe avait survécu, dit-il, ou si j'avais été tué sur la place, le brigadier que voici avait ordre de vous relâcher; Jean Leguy et le père Landry vous auraient fait passer en Angleterre; vous êtes maintenant libre et vous agirez comme vous l'entendrez, J'ai eu aussi envers vous quelques torts; d'un mot, je vais les réparer tous. Louise va bientôt rester scule; elle a besoin d'un protecteur qui l'estime et qui l'aime; je vous la confie. J'aurais tué votre père, ajouta-t-il plus bas, en pressant la main du vicomte, que ma faute serait rachetée à ce prix ! George tressaillit; deux grosses larmes descendirent lentement le long de ses joues.

Louise, éperdue, les regardait tous deux. Déjà le regard du général se voilait; des ombres livides se jouaient sur sa surface.

Elle sentit sa main, conduite par celle de M. Champrod, s'unir à la main du proscrit.

Mon Dieu! que faites-vous? s'écria-t-elle.

Je meurs, dit le général.

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Vibray trouva sur sa toilette une lettre à son adresse; dans cette lettre il n'y avait que ces quelques mots :

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Vous êtes heureuse, ma chère maîtresse, votre sœur « de lait n'a plus de consolation à vous offrir; je vous quitte pour consacrer à ceux qui souffrent les jours qui me restent encore à vivre. Ma dernière pensée sera pour vous, que je bénis pour la confiante et bonne • amitié que vous m'avez toujours témoignée. J'ai fait • ce que j'ai pu pour la mériter. Je m'efforcerai de donner toutes mes pensées à Dieu; priez aussi pour moi, • ma chère maîtresse, afin qu'elles ne se détournent plus ◄ de lui... »

Mme de Vibray essuya quelques larmes qui filtraient entre ses paupières; mais je crois qu'elle n'a jamais parlé de cette lettre à son mari. Plus tard, elle apprit que Pierrette s'était faite sœur de charité au Mans, où ses vertus ne tardèrent pas à briller du plus pur éclat dans les pénibles fonctions qu'elle s'était choisies. Elle est morte il y a deux ans, lorsque la supérieure de l'ordre la citait pour modèle à la communauté. Si je ne craignais pas de vous faire sourire en usant d'une locution bien surannée, je vous dirais qu'elle est trépassée en odeur de sainteté.

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Le récit qui va suivre est de M. Leontieff, attaché à une mission russe à Pékin.

« Il y a chaque année une grande revue, de vingt-quatre divisions de l'armée day teinienne, réunie à Tsin-Chen (1), et qui a lieu dans la plaine de Yanchen-va, au sudest et à une lieue et demie de la ville. J'appris par un Albazinskquois (2) nommé Erhetchoup, faisant partie de la division mantchouse du Drapeau jaune et Bordure rouge, que la revue était fixée au 3 novembre. Comme je l'avais tenu sur les fonts et que je l'employais à traduire en chinois et en mantchoux les papiers qui m'étaient nécessaires, il demeurait auprès de chez moi, dans la maison de la mission russe : nous convinmes de nous rendre de nuit au lieu de la revue. Qui n'aurait été curieux de voir les troupes day-tsiniennes, qui ne se rassemblent qu'une fois par an en aussi grand nombre ! Après avoir obtenu l'autorisation du chef de la mission, je fis louer une voiture et donnai l'ordre au portier de se tenir prêt à ouvrir la porte pendant la nuit. A minuit, le voiturier entra dans la cour et nous attendit pendant que nous faisions notre toilette et prenions le thé. Nous partimes à deux

(1) Day tasin, nom de la Chine en langue chinoise; Tsin-chen, véritable nom de la capitale de la Chine.

(2) Albazinsk, ville de la Mantchourie, près du fleuve Amour, cé. dée aux Chinois par les Russes,

heures après minuit, et nous nous traînâmes sur la boue gelée des rues sans rencontrer d'abord âme qui vive. Les seuls khon-ouzé-di (gardiens), assis dans leurs guérites à la faible clarté de petites lampes, frappaient des coups avec leurs bâtons en entendant le bruit de la voiture.

«Des soldats allant un à un et des officiers en tché (cabriolet) se rendait au lieu de la revue. Quelques soldats avaient des flèches et des arcs à la main; d'autres portaient sur l'épaule de très-petits fusils; et d'autres, qui sans doute n'y allaient que pour faire nombre, n'avaient point d'armes du tout. A la porte de la ville, qui n'était ouverte qu'à moitié, la garde examinait, à l'aide de lanternes en papiers, ceux qui se présentaient pour sortir. De cette sorte, nous suivimes des rues étroites par lesquelles nous parvinmes à la plaine de Yan-chen-ya.

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« Dans cette plaine découverte se trouvait une longue file, s'étendant de l'est à l'ouest, de lanternes sur lesquelles étaient collées des feuilles de papier rouge, portant des inscriptions qui indiquaient les noms des divisions qui y étaient réunies. Ces lanternes étaient suspendues à des perches devant chaque division, à partir de l'est de la division du Drapeau rouge. Les militaires qui se pressaient autour de ces lanternes paraissaient occupés à se rassembler et à se placer à leur rang. Notre voiture s'arrêta à l'ouest d'un tertre sur lequel étaient de grandes lanternes suspendues à de longues perches et qui servaient à éclairer la tente; au midi, à l'est et à l'ouest de cette grande tente, de plus petites avaient été dressées pour le doutoune et le fou-deu-toune-ove (chefs militaires). Après avoir examiné ce qui se passait sur le tertre, nous nous dirigeåmes vers les troupes, et nous n'eùmes pas fait une centaine de pas, que nous approchâmes des canons. J'étais curieux d'examiner ces pièces, qu'actuellement encore, personne dans tout l'empire day-tsinien n'est en état de fondre, attendu que l'artillerie day-tsinienne (si tant est qu'on puisse lui donner ce nom pompeux) emploie les pièces enlevées aux Hollandais dans la Petite-Boukharie, ou bien celles qui ont été coulées sous la direction des missionnaires il y a plus d'un siècle. Je les examinai et vis qu'elles étaient montées sur des affûts en bois à quatre roues, et fixées par des cordes remplies de nœuds. Jugez de mon étonnement! Je passe à d'autres pièces, et ma surprise redouble, en voyant que les affûts eux-mêmes ne devaient leur solidité qu'aux cordes avec lesquelles on les avait noués. Les canons en bronze et en fonte, qui n'avaient au plus que dix décimètres de longueur, étaient braqués sur le tertre. Trois de ces pièces étaient préparées pour le tir, et les autres, placées des deux côtés, étaient cachées par des abris en nattes. Était-ce pour dissimuler leur état de dégradation ou bien pour les garantir de l'humidité? C'est ce que je laisse à apprécier à d'autres. Il est vrai pourtant que je n'osai pas prolonger davantage l'examen, pour ne pas éveiller l'attention. Il y avait également là de grandes timbales qui sont portées par quatre hommes sur des bâtons disposés en croix. Les soldats commencèrent alors à se placer par rangs devant des tentes en toile bleue, destinées aux chefs militaires.

« Je retournai à ma voiture, et j'attendis l'arrivée des chefs. A l'orient le ciel commençait à pâlir; la lune perdit de son éclat, et, s'inclinant vers l'occident, disparut.

Les lanternes devant les rangs furent toutes descendues et éteintes. Enfin ceux que le gouandi (l'empereur) avait désignés pour inspecter les troupes arrivèrent en palanquin et entrèrent dans la tente qui était sur le tertre. Le principal d'entre eux donna l'ordre de descendre les lanternes suspendues sur les côtés de la tente. Les troupes étaient alors rangées en trois lignes très-longues s'éten dant de l'est à l'ouest. Le singulier son des bourènes, qui partit de dessus le tertre, retentit aussi parmi elles; puis les trois canons dont j'ai parlé firent chacun et successivement une décharge. Le récit que je vais faire, aussi bizarre en lui-même qu'il sera nouveau pour tout militaire, surprendra sans doute.

« Pour charger un canon, on y met une certaine quantité de da-yao (poudre grossière composée principalement de charbon mêlé à de petites partics de nitre et de soufre). On remplit la lumière d'une poudre plus fine où le nitre domine, et au moment de tirer, on y met le feu avec une mèche de papier tordu; le feu s'étant communiqué à la charge, le da-yao commence à pétiller, le canon avance et recule, et ce n'est qu'une minute après que le coup part. Je n'ai point été témoin oculaire de ce que je rapporte là, mais je le tiens des canonniers eux-mêmes. D'après ce que j'ai pu voir de loin, et à en juger par la fumée, les canons devaient être inclinés à un angle de vingt degrés et audelà. Au tir au canon succéda l'exercice à feu, mais un 20e sculement des soldats tiraient en commençant par le milicu des rangs, et finissant les extrémités ; chaque rang tirait à son tour, en faisant préalablement un mouvement en avant, au son désordonné des timbales dont il a été fait mention. Cette sorte de fusilla le se répéta six fois. Après cela, chaque rang effectua un mouvement de retraite accompagné d'une fusillade semblable à la précédente, pour reprendre ensuite sa première position. Là commença un feu de file général dans lequel les soldats des derniers rangs tiraient en l'air pour blesser leurs camarades, et de crainte aussi que la ne pas charge ne se répandit par terre, car les Chinois ne savent pas bourrer leurs fusils et ignorent l'usage des baguettes. C'est ainsi que l'infanterie, au nombre de 20,000 hommes, termina ses évolutions.

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l'eût-il dit? Non ; eût-il été certain de la vérité, il l'aurait combattue par patriotisme, et, comme le docteur Tast, il aurait réfuté de toute la force de ses petites brochures cette insolente assertion, cette prétention étrangère, et il aurait traité de conte absurde ce que je vais vous dire, d'après la duchesse de Perth et ses Mémoires manuscrits.

Quand Haëndel passa par la France pour se rendre en Angleterre, à la cour de George Ier, ancien électeur de Hanovre, et à ce titre son premier patron, il visita la maison de Saint-Cyr, et à un des offices auxquels il assista i entendit un très-bel air du sieur Lully ་ que, dit Mme de Perth, lorsque le roy très-chrétien entrait dans la chapelle, tout le chœur desdites demoiselles nobles y chantoist à chaque fois sur les parolles suyvantes :

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Haëndel fut ravi de cet air, son rhythme et sa mélodie le charmèrent, si bien qu'il demanda et obtint la permission de le copier musique et paroles. Quand il fut à Londres, comme il avait besoin d'un morceau capital lui devant servir d'introduction et de compliment, il ne trouva rien de mieux que d'offrir sur des paroles sculement traduites cet air de Lully qui avait si bien le rhythme et l'allure de l'emploi. Ce fut de la gloire toute faite pour Haëndel et toute volée qu'elle était de la gloire de bon alci. En bon homme, et voyant ce qu'il lui rapportait, il s'accoutuma à se dire sans honte l'auteur du God save the King, et à l'entendre sans remords retentir à son oreille. En tout cela il fit comme notre célèbre maëstro Rossini, se trouvant en Italie à Notre-Dame de Lorette,—l'église inspire les larrons d'harmonie, et faute de morale dans le cœur leur laisse des accords dans la tête. Il entendit la Litanie della santa Casa du musicien florentin Barroni, et du même coup il le vola, c'est le di tanti palpiti de Tancrède.

Le God save the King, pour en revenir à lui, s'impatronisa bientôt en Angleterre, il devint le national anthem par excellence. On le mit partout, on le joua aux revues des princes, on le chanta aux théâtres. Aux théâtres, grand Dieu ! Le chœur des innocentes colombes de Saint-Cyr, le chant des pupilles de Mme de Maintenon. Quel sacrilége mieux vaudrait le Domine, salvum à l'Opéra. La reine Victoria a sans doute compris cette inconvenance, et par bienséance, d'autres diraient par ennui, elle a fait demander qu'on la dispensât d'entendre le God save the Queen à son entrée au théâtre et à sa sortie. Les Italiens, Queen's Theatre par excellence, ont dû eux-mêmes ne plus le faire entendre, et cela avec justice et raison, car Mme Pasta n'étant plus là pour le chanter, personne n'est digne de l'entonner après elle.

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- D'abord te demander ton bachot pour rentrer à l'université avant le couvre-feu; puis...

Vous me direz le reste en route, interrompit la jeune fille;

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venez.

Et elle se mit à marcher devant, d'un air si calme, si digne et si naturel, que bien que l'écolier se sût seul avec elle dans cet endroit, il ne lui vint pas à l'idée d'abuser de cette circonstance. Il se contentait de la regarder, et il y trouvait du plaisir, car elle était bonne et belle à voir.

Sa robe blanche sans ceinture dessinait une taille un peu frêle, peut-être, mais si souple et si gracieuse dans le balancement de sa marche, que le jeune saule ne se pliait pas au caprice du vent avec plus de mollesse qu'elle; ses beaux chevaux noirs, formant un bandeau sur son large front, venaient se réunir par derrière en une natte qui, semblable à une couronne, entourait sa jeune tête; à cette parure naturelle s'en joignait une autre, empruntée aussi à la nature c'étaient de petites branches de bruyère blanche mêlées artistement à sa coiffure, et qui lui donnaient un charme et un attrait des plus originaux ; des colliers de prix et des bracelets enrichis de pierres précieuses entouraient son cou et ses bras.

Si le jeune écolier regardait sans se lasser cette belle jeune fille qui marchait si insouciamment imprudente devant lui, elle, à son tour, et sous le vain prétexte de lui indiquer sa route, jetait de temps en temps et à la dérobée, quelques regards furtifs et curieux derrière elle. A quinze ans la jeune fille, enorgueillie d'être sortie de l'enfance, regarde ordinairement comme indigne de son attention l'écolier de dix-huit ans : c'était l'âge respectif de nos deux jeunes gens; de sorte que peu à peu, et rassurée par l'extrême jeunesse de son compagnon, la jolie habitante de l'ile aux Vaches finit par l'examiner, elle aussi à son tour.

Gautier de Metz, ainsi qu'il s'était nommé, accoutré comme les étudiants du treizième siècle, d'une cape de gros drap brun fermée par-devant, et d'un camail fermé devant et derrière, n'était pas beau au premier aspect. Grandi trop vite, son corps, comme s'il n'eût pu se soutenir lui-même, se voûtait en marchant; de grands cheveux blonds retombaient lisses le long de ses joues, dont la pâleur studieuse faisait remarquer la maigreur; ses lèvres, flétries par les veilles, avaient perdu le rose incarnat de la jeunesse; ses yeux seuls, de grands yeux bleus, le plus souvent ternes, brillaient cependant parfois d'un éclat fébrile et inaccoutumé.

Tout en marchant l'écolier avait à plusieurs reprises et inutilement essayé de saisir la main de la jeune fille.

Laissez-moi donc, vous êtes un enfant, lui dit-elle enfin, en riant de ce rire qui est presque une insolence sur les lèvres d'une jeune fille; car elle a l'air de dire : - Je ne vous crains pas, vous ne valez pas la peine que je me fâche.

L'écolier comprit si bien cette pensée que, saisissant brusquement et serrant à la briser la main de l'imprudente, il lui dit à son tour, les joucs animées et l'œil sérieux et sévère :

- C'est vous qui êtes une enfant !

Soit qu'à cette étreinte convulsive la jeune fille eût compris qu'elle venait de trouver un maitre, soit qu'elle

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