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Une mer bleue et profonde remuait au bas de la falaise dont le flanc crayeux s'en allait en penie fort adoucie. La jeune femme s'était lancée avec délire dans cette terrible descente, effarée, trébuchant, à chaque pas prête à tomber et à rouler dans l'abîme. Enfin elle arriva sur une saillie en forme d'éperon, qui se suspendait au-dessus des flots. Elle fit un signe de croix, et s'élança dans le gouffre.

Une heure après, de Volfart, qui venait d'arracher cette femme aux flots, la saluait après l'avoir fait monter dans sa voiture, à côté d'un vieillard éploré, qui était accouru vers elle au moment où son sauveur la déposait sur le bord.

« Qu'elle est belle! se dit de Volfart, en regardant avec tristesse une figure pâle et souffrante qui, pour le remercier, n'avait que la force d'un sourire.

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Un homme couvert d'une blouse bleue venait de s'arrêter devant la porte d'une petite maison située en dehors de la barrière Saint-Denis ; il était onze heures et demie du soir sur les vitres d'une fenêtre du rez-de-chaussée, on lisait: Ici on loge et mange à la nuit. Un réverbère voisin permettait de lire une seconde enseigne qui se balançait au-dessus d'un portail contigu à la maison.

« Cabriolets et remises... C'est ici, dit l'homme à la blouse, en ouvrant la porte et entrant.

Vincent est-il là ? demanda-t-il à la bourgeoise? Nous l'attendons... Lui et ses chevaux ont dû finir leur journée... Asseyez-vous... Vous ne voulez rien, mon fils?

- Un verre de vin, s'il vous plaît. »

L'hommes'assit devant une table dont la nappe était couverte de larges tâches bleues, ce qui indiquait clairement que, dans le lieu, on buvait d'un certain vin rouge. « En vérité, se dit-il, je possède l'esprit d'aventures; venir ici, dans cet accoutrement... Mais j'ai besoin de cet homme, s'il a vraiment un cœur de bul-dog, je me fais son maître, je me l'attache... car je veux les retrouver, et pour certaines choses un homme seul ne peut rien....... Unus nullus ! » Et il se prit à rire.

Un cocher, le fouet en main, entra dans ce moment : Vive la France! vous monsieur !!... -Chut! interrompit de Volfart en désignant du doigt sa blouse bleue... Je me nomme Jean.

Suffit! motus!... dit Vincent. Eh bien, les bonnes nouvelles, çà ne va donc pas ?... Attendons!-Les bêtes sont fatiguées, la mère, si vous y alliez voir. Comme çà, monsieur Jean, on n'est pas content. Moi, je ne me plains pas... L'ouvrage ne manque pas; les chevaux et le pavé de Paris, çà me connaît; j'ai décidément repris le métier.-Nous allons dire deux mots à l'ancienne bouteille... Deux couverts, la mère.......

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Vincent! dit à voix basse de Volfart avec passion, il faut que je le reconnaisse, moi... si c'est lui. Demain je reviens ici, comme me voici, en blouse... Nous allons le chercher, je monte derrière ta voiture, et je lui tiendrai le marche-pied.

Tout ce que vous voudrez, monsieur de..... monsieur Jean; tuez-le si vous voulez ; moi, je me ferai tuer pour vous.

Le matin approchait quand de Volfart quitta Vincent. A huit heures du soir, le lendemain, le remise de Vincent attendait à Saint-Denis devant une porte, près de la rue des Ursulines, et bientôt M. de Préval s'élançait sur le marche-pied que de Volfart venait d'abattre. « Ah! toi, attends, lui dit M. de Préval avec un air fort préoccupé, dans une heure, comprends bien, porte cette lettre au premier..... il y a vingt sous pour toi. »

Et le remise partit au grand trot.

De Volfart se prit à trembler en lisant sur l'adresse de la lettre « A madame Julie Brémont. » Il monta.

Une bonne lui vint ouvrir : « Une lettre que je dois remettre moi-même à votre maîtresse, dit-il. » La bonne entra dans une pièce ¡voisine, et revint tout de suite: Venez, dit-elle. »

Rabattant sur ses yeux sa casquette en peau de loutre à grande visière, de Volfart entra dans une chambre décorée avec un luxe tout coquet. Julie, dans un négligé charmant, pâle, et les yeux fort rouges, était assise devant un secrétaire, une plume entre les doigts.

Donnez-moi cela, dit-elle,» sans relever la tête. La bonne lui passa la lettre, puis sortit discrètement. La jeune femme se mit à lire avec toutes les marques de la colère et de la douleur. « L'ingrat! l'ingrat ! s'écria-t-elle, oubliant qu'elle n'était pas seule; ah! mon Dieu! après six mois, six mois seulement !... J'en mourrai! j'en mourrai! dit-elle d'une voix nerveuse et rabattant à deux mains sur ses joues ses cheveux à l'anglaise... »

Tout à coup elle se ressouvint que quelqu'un était là, qui attendait.

« Mon brave homme, dit-elle en reprenant vivement sa plume, et écrivant, voilà deux mots à porter tout de suite à Paris... Vous le pouvez, n'est-ce pas... Prenez une voiture... Je vais vous donner dix francs... le double pour vous, demain, si la lettre a été bien remise. »

Et tout en essuyant de grosses larmes elle écrivit, plia, cacheta la lettre. Un petit bruit strident lui fit lever la tête; l'homme à la blouse bleue venait de tirer la targette de la porte. Elle se souleva avec effroi, voulant pousser un cri, mais elle tomba sur son fauteuil, sans force, sans voix, anéantie... Calme, pâle, son mari était devant elle. « Pas un cri, dit-il, c'est votre mort! » Il s'avança d'un pas tranquille vers le secrétaire : la femme tomba à genoux. Il prit la lettre, puis fit deux pas en arrière... Voyons, cela, dit-il, et il lut à voix haute et mesurée: Roger, vous êtes un ingrat! Roger, vous me trompez! Roger, vous ne n'aimez plus ! Vous voyez que je sais où vous vous rendez.... Mon pressentiment me l'aurait-il bien dit! C'est pour voir votre femme... Oh! je ne puis écrire son nom... Je me tuerai, Roger, car souffrir comme je le fais depuis huit jours, n'est pas possible plus longtemps! Quand on a aimé, mon Roger, quand on aime comme je vous aime, il faut avoir tout, ou oublier, oublier, c'est mourir; — mais oublier je ne le pourrais jamais, et mourir, je sens à cette heure que c'est facile.

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Revenez, ou je ne sais si vous me retrouverez.

« Julia BRÉMOND. »

De Volfart haussa les épaules: «< Vraiment, cette femme a un cœur, dit-il... Ceci du cœur? Non! C'est un de ces langages appris dans les romans par les esprits désœuvrés des coquettes, des femmes galantes! Quelle abjection! Que faites-vous done là à genoux? levez-vous, femme Brémond! vous en aurez, mon Dieu! pour quelques huit jours à pleurer et écrire de ces billets, car je pense que vous avez raison de croire que votre amant vous laisse là; une nature fausse et dépravée comme la vôtre ne peut retenir longtemps un homme, ni même un fat; oui, huit jours d'attaques de nerfs, de petits grincements de dents, de lettres mouillées comme celle-ci, et tout cela s'en ira, se séchera; et vous aurez alors oublié comme aujourd'hui on vous oublic, croyez-moi!

Tout à coup Julie, se levant avec toute la folie du désespoir et de la terreur répandue sur ses traits, s'écrie d'une voix sourde :

— M. de Volfart, tucz-moi!...

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- Tuez-moi! tuez-moi !

- Madame, nous nous reverrons. »

Les deux derniers cris poussés par la jeune femme étaient arrivés jusqu'à sa bonne. Celle-ci s'élança vers la porte que de Volfart ouvrait tranquillement. Il disparut.

Le lendemain, Vincent se présentait à l'hôtel de la rue de Vaugirard, que de Volfart lui avait indiqué. On l'introduisit dans un appartement où régnait un luxe tout aristocratique. M. des Sablons, enveloppé dans une robe de chambre d'un style aussi élégant que riche, le reçut en lui adressant ces deux mots : Bonjour, Vincent

l'Ours. »

"

Grand-oncle de de Volfart. M. des Sablons venait de

mourir, en lui laissant ses titres et sa fortune. C'était un de ces hommes qui portent l'entêtement jusqu'à l'héroïsme; il n'avait jamais voulu quitter la France dans ces jours où le chant les Aristocrates à la lanterne » résonnait au coin de chaque rue. Aussi, quand Napoléon succéda à la république, il revendiqua avec une obstination acharnée tous ses biens dans lesquels il rentra bientôt.

Voilà ce que de Volfart apprit à son ex-compagnon : C'était là les bonnes nouvelles! « Vincent, lui dit-il, rappelle-toi bien maintenant que si tu veux rester avec moi, tu seras plus que mon valet, mais moins que mon confident. Puis n'oublie pas que je ne me nomme plus que M. des Sablons. Tu dois concevoir que ce nouveau nom, qui m'est arrivé, est trop précieux pour que je ne m'en serve pas. »

A dater de ce jour, Vincent fut établi à l'hôtel sur le pied d'intendant.

Ainsi que de Volfart se l'était lui-même avoué, il y avait dans son caractère franc et sévère une teinte romanesque. Quatre mois s'étaient écoulés et un changement étrange s'était fait dans ses idées et ses manières. Lancé dans le monde, sous le nom de M. des Sablons, il était devenu, tout à coup, comme on disait alors, un beau. L'ironie austère de son langage s'était métamorphosée en un esprit plaisant et fin; l'éclair de ses grands yeux noirs était adouci par une sérénité toute souriante. Comme un cœur d'enfant venait de renaître et palpiter en lui.

Voilà comme cela était venu :

Dans une soirée, chez la vieille marquise d'Estreil, où la plus haute compagnie se trouvait réunie, de Volfart s'était trouvé tout à coup vis-à-vis d'une femme dont la jeunesse et la beauté étaient relevées par des grâces douces et fières, ainsi que l'imagination en prête aux reines. Quand leurs yeux se rencontrèrent, des deux côtés il y cut un mouvement de surprise: de Volfart avait reconnu cette femme qu'il avait sauvée de son désespoir..... C'était la belle Amélie d'Estours. Bientôt il s'établit entre eux deux une conversation charmante dans laquelle la cérémonie fut mise de côté pour faire place à une façon d'intimité, comme il en existe seulement entre deux connaissances dévouées; cependant ils observèrent une discrétion mutuelle sur l'événement étrange qui, la première fois, les avait mis face à face.

De Volfart devint un assidu du salon de Mme d'Estreil où toujours il se rendait avec l'espérance de voir la belle Amélie, et avec le bonheur de n'être pas trompé dans cet espoir précieux. Coquette, aimable, et cependant boune, Amélie reconnut bientôt qu'elle avait fait naître de doux sentiments dans le cœur de M. des Sablons, son mystérieux sauveur. Elle saisit cela comme un amusement, sa coquetterie s'en fit tout un profit; son cœur lui-même n'était pas sans prendre quelque peu sa part dans ce jeu....... Bientôt de Volfart qui avait oublié son affront, sa vengeance, Julie, de Préval, reconnut que l'amour, un amour ardent, immense, venait de s'emparer de lui tout entier, et que jusqu'alors il n'avait pas su ce que c'était qu'aimer.

D'une nature chérissant le mystère, il avait gardé son rêve d'amour tout en lui, sans en faire part même à la bonne Mme d'Estreil qui l'avait fort bien deviné.

Cependant il tomba malade, et ce ne fut qu'après deux mois de souffrances qu'il put se lever.

Vincent venait de lui apprendre qu'on n'était plus à St.-Denis et qu'il avait su que M. de Préval, envoyé à Rome pour une affaire d'ambassade, était parti depuis deux jours avec Mme Brémond.

Bien, dit froidement de Volfart. Qu'on attelle....... Je me rends chez Mme d'Estreil.

Après quelques mots de cérémonie, il se hâta de demander des nouvelles de Mlle Amélie d'Estours.

- Mon cher M. des Sablons, répondit la vieille dame avec un certain embarras, Amélie est mariée depuis près de meux mois.

De Volfart devint horriblement pâle.

- Avec quel heureux chevalier? dit-il en essayant en vain de donner un tour ironique à sa demande.

Avec un charmant mauvais sujet qu'elle aimait depuis longtemps et pour lequel, à propos d'une infidélité de celui-ci, elle s'est jetée, l'année dernière, du haut d'un petit rocher de Leucade dans la Manche.

-Ah! fit de Volfart, et, sentant la mort entrer toute glacée dans son cœur: Est-elle toujours à Paris, chère dame?...

Elle part dans huit jours pour rejoindre son mari que l'on envoie en mission à Rome.

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La lune venait de se lever sur les Marais-Pontins, grands espaces de terrains épongés d'infiltrations salines, dans la campagne de Rome, et qui s'étendent sur la côte occidentale d'Italie, entre Astura et Terracine, petites villes fameuses par les brigands qui infestent leurs environs. Ces marais, d'où s'élèvent des émanations pestilentielles, et qu'on travaille encore à dessécher pour les rendre à l'agriculture, sont traversés dans une étendue de huit lieues par une chaussée dite la via Pia, du nom de Pie VI, qui la fit construire. Cette chaussée sert de passage entre Naples et Rome.

Dans une gorge de montagnes, sur la gauche de Terracine, un grand feu venait d'être allumé, et douze hommes faisaient cercle autour, les uns assis, les autres debout. Ils portaient le costume de la campagne de Rome : la veste galonnée d'arabesques grossières, et ornée de petits boutons de cuivre argenté; le chapeau conique à larges bords, entouré dans toute sa hauteur de rubans de laine; les pistolets et les poignards passés dans leurs ceintures,

puis ces carabines dont la gueule de canon est largement évasée, et qu'on nomme tromblons, annonçaient une troupe de ces brigands appelés dans le pays les braves de la montagne ou de la forêt.

Le brasier autour duquel ils étaient réunis jetait sur leurs visages durs et réfléchis de grands reflets rouges qui venaient se répercuter jusque sur les parois bouleversées de la gorge, en faisant chanceler de grands accidents de lumière et d'ombre. Puis, sur le haut de la montagne, inondée des pâles et calmes rayons de la lune, se dressait la roide silhouette d'une potence au bout de laquelle se balançait vaguement un cadavre décharné, déjà presque un squelette c'était un brave, pendu là depuis six mois.

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-

Viva Jean Volf capitaine ! répétèrent-ils en voyant Jean de Volfart s'avancer vers eux, portant un costume semblable au leur, mais plus fier, plus sauvage.

Ils arrivent, dit Jean de Volfart. Trois dragons escortent la voiture; nous aurons quelques balles. Il faut attaquer par derrière, pour qu'un seul des dragons ne puisse rebrousser chemin. Tuez! c'est le plus sûr... Mais, pour les voyageurs, il me les faut sains et saufs, vous savez... Vous ne m'amènerez que l'homme. En marche, la carabine sur l'épaule, je commande l'attaque. »

Et, de Volfart en tête, la troupe fut s'embusquer vers les abords de la via Pia.

De Volfart avait comme pressenti la route que de Préval devait prendre. En arrivant à Marseille, il avait pu facilement apprendre que Roger se rendrait à Naples, d'où il devait partir pour Rome; il le suivit. Mme Amélie de Préval, qui de son côté s'était mise à la poursuite de son mari, arrivait à Naples quelques jours après. Pendant ces quelques jours, de Volfart s'était rendu en toute hâte vers Terracine, et, grâce à son or, avait trouvé à louer le bras d'une bande de ces braves qui illustrent l'endroit. On devait l'attendre. En revenant à Naples, il apprit par Vincent, auquel il avait donné ses instructions, que Mme de Préval venait d'arriver. Sur-le-champ, avant qu'Amélie eût eu le temps de s'informer si M. de Préval était encore à Naples, il envoya vers elle Vincent, qui suivant ses ordres, lui dit : « qu'il se rendait à Rome, retrouver son maître dans sa chaise de poste ; qu'étant Français et ayant su qu'une dame française devait prendre le chemin, il venait lui offrir de la conduire, ce qu'il avait déjà offert à un M. de Préval, qui l'avait refusé et venait de partir. Pouvez-vous rejoindre M. de Préval? s'était

soudain écrié Amélie.

Facilement, madame, avait ré

pondu Vincent; avant d'arriver à Terracine, nous aurons devancé la mauvaise carriole napolitaine que ce monsieur a choisie. Dans une demi-heure, venez me prendre et partons, dit Amélie; et si vous rejoignez la voiture de M. de Préval, vous ferez un bon voyage, car je vous paierai grandement ma place.

Quand Vincent revint donner cette nouvelle à de Volfart, celui-ci venait d'apprendre que Julie et de Préval étaient prêts à prendre la route de Rome.

<< Bravo! Vincent, s'écria-t-il... les chevaux à la chaise; va trouver Mme de Préval. Les autres vont partir devant; toi, suis-les en gardant toujours un mille de distance entre eux et vous. Il sera nuit quand vous passerez à l'endroit ; pour t'annoncer, tu allumeras la lanterne rouge de la chaise. Vincent! à toi une fortune! si tout cela est bien conduit, car je pars à l'instant, moi; il me faut aller retrouver les autres!... Mon cheval! un cheval!

Et de Volfart partait à toute bride vers les Marais-Pontins, où ses gens l'attendaient. La distance qu'il avait à parcourir était de près de vingt-deux lieues.

De Préval et Julie s'étaient mis en route tristement; un silence glacé régnait entre eux.

De Préval avait aimé Julie par caprice, puis par habitude; mais il avait aimé la belle Amélie d'Estours avec toute la sainteté d'adoration que pouvait lui permettre sa nature légère et folle. Amélie, en devenant Mme de Préval, avait donné le dernier coup à la passion mourante de Roger pour Julic, et si Roger fuyait ainsi vers Rome avec sa maîtresse, c'était bien moins pour la posséder que pour ne pas lui laisser connaitre trop brusquement son mariage, et arriver à pouvoir le lui annoncer sans craindre que la jalousie la portât à quelque démarche funeste vis-à-vis de Mme de Préval. Aussi Roger soupirait tout bas en songeant à sa belle Amélie, à sa jeune épouse, dont il venait de se séparer avec tant de peine, car il ignorait lui, qu'elle avait formé tout bas le projet d'aller le retrouver à Rome, et cela avant même qu'elle cût reçu le billet anonyme de de Volfart. De son côté, Julie pleurant sous son voile, sentait près de Roger ce vide plein d'amertume que fait naître pour un cœur l'abandon d'un cœur trop aimé.

Depuis un jour et demi ils étaient en route; ils approchaient de Terracine; trois dragons escortaient leur voiture. Il était nuit : une lune glacée s'arrondissait dans un ciel profond.

Tout à coup une détonation terrible se fait entendre; un des dragons frappé à mort tombe du haut de son cheval, les deux autres font feu, pendant que le postillon se précipite à terre et s'enfuit à toutes jambes : quatre bandits se sont élancés devant les chevaux qui s'arrêtent pendant que quatre autres engagent un combat avec les deux dragons, dont l'un est renversé, pendant que l'autre met les éperons au ventre de son cheval et fuit à toute bride du côté de la via Pia.

Julie perd connaissance, pendant que de Préval, qui se débat en vain, est arraché de la voiture. Les bandits qui l'entourent l'entraînent vers un chemin creux débouchant sur une sorte de clairière dans laquelle ils

entrent.

«Eh bien! que voulez-vous, les braves de la montagne! s'écrie de Préval... vous demandez le droit de pas

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Deux hommes de plus sur le chemin, dit de Volfart, et un coup de feu, quand l'œil rouge de la chaise paraîtra! Puis, se tournant vers de Préval: Enfin, dit-il entre ses dents, je t'ai donc là, jeune homme sot et lâche ! » De Préval frémit, releva la tête : « Lâche ! dit-il; ah! si nous avions tous deux une épée............. si ces cordes.......... Une épée! s'écria de Volfart.... La bonne comédie !... Allons! donnez-lui donc une épée! Que non ! tu en rirais trop.... Une épée! une épée! donnez-lui donc une épée à ce lâche, et vous autres, renversez-moi la figure dans la poussière pour qu'il me frappe par derrière, autrement il aurait peur, le lâche, encore! Oh! tu crois peut-être que je viens te ravir la malheureuse qui t'a vendu mon honneur...... Bien vite, détrompe-toi! Je ne veux pas même la voir, je ne veux pas même la tuer! Et bien vite encore, ne tremble plus pour elle, pour toi, vous allez bientôt reprendre ensemble votre voyage. Cependant je ne vous dis pas adieu, mais au revoir !

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Un

Mais, enfin, que veux-tu?....

coup de feu se fait entendre, et une voix éloignée crie: L'œil rouge! l'œil rouge!

Ah! victoire! s'écria de Volfart avec exaltation en se promenant à grands pas... Ce que je veux? mais regarde donc comme le bonheur m'agite!.... c'est du délire, c'est de la haine, c'est de la vengeance, c'est le bonheur, te dis-je! Tu ne vois donc pas dans mon œil qui s'allume, dans ce transport qui m'assiége, qu'une heure terrible sonne pour nous deux.... et tu ne devines pas encore ce que je veux ?

Il y eut un moment terrible de silence. Tout à coup quatre braves parurent, suivis de Vincent, et entraînant une femme échevelée.

Regarde donc, dit de Volfart, ce que je veux! Amélie! s'écria de Préval avec rage et désespoir en cherchant à rompre ses liens et tombant à la renverse. Deux bandits le couchent en joue.

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Le souffle glacé de décembre chassait des torrents de nuages au-dessus de la hauteur de Pistoie, qui domine l'heureux val où s'assied la belle Florence. Une petite maison, d'un aspect désolé, se montrait sur une éminence au milieu d'un champ de tristes oliviers; une de ses fenêtres délabrées s'ouvrit.

« Venez à la fenêtre, » dit Jean de Volfart, s'adressant à une femme assise sur un misérable escabeau, dans l'angle d'une salle entièrement nue.

Couverte d'un vêtement de laine foncée, les poings sous le menton, cette femme ne bougea pas: son front, vraiment magnifique dans sa pâleur, avait le calme effrayant qui succède lentement aux souffrances, aux tortures les plus terribles.

De Volfart vint vers elle; elle attacha sur lui ses grands yeux, dont l'éclat fébrile faisait ressortir la maigreur de sa noble figure.

Nous sommes près de Florence, madame, dit de Volfart d'une voix triste et presque douce; j'ai laissé le capitaine, le brigand Jean Volf, sur la montagne; il n'y a plus devant vous que M. des Sablons... Vous êtes libre, madame...

Libre! répond Amélie d'une voix amère, en tordant ses mains l'une dans l'autre, et levant au ciel ses yeux, qui laissaient fuir deux grosses larmes... Déshonorée par ruse et violence! souillée à jamais, à jamais je suis esclave, lâche esclave de ton crime, lâche!...

Lâche! moi?... et les autres donc! dit sourdement de Volfart.

devais bien cela! Et pour vous, vous aviez joué à la plus belle!... moi j'ai joué au plus fort. On avait fait de moi tour à tour un Dandin de vieille force et un amoureux transi de vaudeville, allons! bien, j'ai voulu changer de rôle et j'ai fait mon ogre, mon brigand de mélodrame!... Voilà... — Hélas! pourtant, ajouta de Volfart d'une voix amère en rompant cette ironie pleine de passion, si l'on eût voulu!... Bonheur ! bonheur! vous ne devez pas revenir !

Une réflexion profonde sembla s'emparer d'Amélie. Elle prit son front dans ses mains et resta longtemps ainsi. Soudain elle se leva, puis s'avança vers la fenêtre ouverte. Que me vouliez-vous ici? demanda t-elle d'une voix glacée à de Volfart qui l'avait suivie. madame, à un demi-mille, Au-dessous de nous, voyez-vous cette villa toute blanche au milieu de ce groupe de sapins noirs?

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Qui donc trouverai-je là?

M. de Préval!

M. de Préval!... Je ne vous reverrai jamais, ditesvous, M. de Volfart? Mais ne savez-vous donc pas qu'avant que je rentre en épouse, comme je le dois, chez mon mari, il faut qu'il vous ait tué.

Qu'il fasse! je n'ai besoin de vie... Oui, il peut me tuer... à moins cependant qu'une idée..... ajouta de Volfart avec son sourire étrange.

Amélie se mit à rêver et sa poitrine fut soulevée douloureusement par une lutte sourde de sanglots.

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Amélie, dit de Volfart d'une voix altérée...

Que voulez-vous encore?...

Et elle le regarda fixement comme semblerait regarder une statue de Niobé.

Adieu!

Amélie, ce soir est sombre et glacé comme la mort !...

Amélie était restée à la fenêtre; bientôt elle aperçut au bas du champ d'oliviers de Volfart et son fidèle compagnon, Vincent, qui passaient à cheval et entraient dans un chemin creux et menant à la hauteur de Pistoie.

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La bourse est vide? demandait de Volfart à Vincent. - Vide... et plus, si c'est possible, monsieur. Alors, les deux domestiques sont à moi... Je pourrai arComme chez vous. river près de Mme de Volfart? presque

Oui, les autres! M. de Préval et la dame de Volfart. Et toi, Amélie d'Estours, et vous aussi, dame de Préval! Il ne faut rien oublier... Écoutez bien tout ce qui s'est fait, tout ce qu'il y a eu. Trompé, trahi, souffleté en mon honneur, frappé à mort en mon affection par une femme misérable et son honteux complice, je veux me venger et puis mourir après... Mais voilà que tout à coup j'oublic affront, vengeance; je veux vivre, j'aime la vie; je me sens redevenir bon, noble, heureux, parce qu'une femme, un ange de bon secours, la belle et douce Amélie d'Estours, a paru devant moi ! elle m'a refait un cœur de vingt ans, donné comme une âme nouvelle en daignant sourire à tous les sentiments qu'elle s'apercevait évoquer en moi... Ah! pourquoi la mer, vous savez, ce soir? ne nous a-t-elle pas pris tous les deux dans son gouffre. Trahison! lâcheté! On se jouait avec le cœur de cet homme stupide qui n'avait pas eu, vis-à-vis des femmes, assez d'une école ! Il vous avait sauvé la vie, on lui donnait la mort; il s'était fait un enfant, en se faisant une coquette, un charmant petit bourreau de salon en jupon! On rit un peu, on jase, on s'amuse quelques jours avec cet honnête soupireur, puis on va donner sa main, son cœur... à qui? à l'homme heureux, au traître, au lâche de Préval! Par Dieu ! je lui

Se trouvant, sans savoir comment cela s'était fait, dans cette maison de ruines, si près de son jeune mari, au milieu de cette âpre solitude, Amélie fut saisie d'un vague effroi plein de mystère. Elle se hâta de descendre et se dirigea vers la villa située dans le bas de la vallée. Elle, Amélie d'Estours de Préval, rejoindre son époux, ainsi à pied, sous ce costume grossier qu'eût dédaigné une pèlerine, c'était une réalité maussade qui dépassait toutes les fantaisies les plus exagérées en tristesse, que les rêves envoient parfois.

Dans une chambre élégante, ornée de tableaux, et dont le parquet était recouvert de tapis à grands dessins, une femme était étendue sur un lit à courtines de soie elle se plaignait tout bas, la tête sur l'oreiller, un bras hors de sa couche.

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