Ne cherchez donc pas dans les poèmes de l'Inde l'économie et l'ordonnance des Grecs ou la science des Romains; mais fécondité, gravité pour ainsi dire pontificale, quelque chose de primitif et de grand, de doux et d'éthéré. Dans le drame indien règnent une atmosphère tiède et une lumière pure, une lueur de grâce calme qui en adoucissent les contours. Là, comme dans le poème épique indien, les détails frivoles se mêlent aux évènements majeurs; l'incident fortuit de deux chars échangés décide du sort des rois. Matériellement, il ressemblait au théâtre hellénique : en plein air, dans une vaste enceinte, qui offrait à la fois une perspective animée et laissait plonger l'œil du spectateur dans l'intérieur de plusieurs maisons, se jouaient les grands drames de Bavhabouti, de Soudraka et de Calidasa (1). Des incidents variés, des caractères vrais, de la grâce, de la tendresse, souvent de l'émotion étaient exprimés dans un dialogue facile. C'est du théâtre espagnol que le théâtre de l'Hindoustan se rapproche le plus par la rapidité et la facilité. Il y a dans les œuvres des Hindous un sentiment délicat et vierge d'amour pour la solitude, le monde végétal et la nature inanimée; on dirait la première extase de l'homme; la lumière du jour sourit à sa naissance. La confusion d'un luxe qui ne sait pas se borner caractérise ce sublime et confus éveil de la poésie et de l'art. (4) V. les Drames hindous, traduits en anglais par Wilson, S III. Développement de l'esprit humain chez les autres peuples de l'Orient. Où trouver le premier germe des théories platoniques et aristotéliques, qui, devenues chrétiennes, ont remué l'Occident? dans l'Inde. Ces contes dont l'Arabie a fait ses délices, et que l'Europe a recueillis, sont le fruit de l'imagination hindoue. Les dogmes pythagoriques émanent de l'Inde. Le dogme du Dieu Homme, qui fait la base du christianisme, y était professé lorsque Alexandre la conquit. On a retrouvé naguère les racines de nos langues dans la langue sacrée des Brahmanes. La mythologie égyptienne et la mythologie hindoue coïncident singulièrement. La théogonie des deux peuples est la même ; les castes établies chez les Hindous et chez les Égyptiens sont soumises aux mêmes subdivisions. Mais la Théocratie s'affermit en Égypte, au lieu d'être sans cesse combattue, comme dans l'Inde. Les dogmes égyptiens sont mystérieux, immobiles et rigides; la science égyptienne se cache sous les voiles du sanctuaire; un petit nombre de théocrates dominent une population esclave. Devenus des instruments vivants, les peuples érigent ces monuments immenses dont l'hiérophante avait tracé le plan. Cette civilisation à la fois matérielle et colossale nous a laissé les pyramides, symboles de religion et de servitude. La Chaldée, l'Assyrie, Babylone cultivèrent les arts manuels avec succès; le luxe orna le palais des rois et le tem ple des prêtres. La poésie et l'art furent étouffés par le triomphe de l'autel, l'oppression du symbole et du mythe, la prépondérance des classes dominantes, et le règne de ces mages parmi lesquels on choisissait les rois. Cependant la science morale des Égyptiens, les connaissances astronomiques de la Chaldée, les perfectionnements industriels des empires babylonien et assyrien, le commerce de la Phénicie, accomplissent leurs conquêtes; et l'alphabet phénicien, issu des hiéroglyphes qui l'ont précédé, fait la conquête du monde. : Un grand progrès s'est opéré chez les Persans: ils s'éloignent du panthéisme matériel des Égyptiens et des Hindous la Théocratie cesse d'être écrasante; la monarchie devient patriarchale. Autour de cette monarchie persane règne comme une auréole de grâce et de majesté morale, répandue dans les souvenirs poétiques de cette nation;. souvenirs qui se réduisent d'ailleurs à des fragments trèsincomplets. Les chants modernes du mahométan Ferdousy en ont conservé quelques traces, comme les métopes brisées de la Persépolis antique révèlent aux voyageurs un souvenir de la vieille architecture persane, chaînon intermédiaire entre l'art hindou et l'art hébraïque. S IV. Hébraïsme. C'est un second point de repos dans l'histoire intellectuelle. Les Hébreux allient le monothéisme à la Théocratie; les premiers, ils professent le culte d'un seul dieu, annoncé et adoré par des prêtres tout-puissants. Déjà la Perse avait soulevé une partie du voile et remplacé le panthéisme primitif, non par une doctrine secrète, comme l'Égypte, mais par l'adoration d'un dieu créateur, le Soleil. Les Hébreux reculent la limite; ils font leur Dieu matériel et Tout-puissant. Le panthéisme de l'Hindoustan avait produit une merveilleuse variété de forme et de couleur. L'hébraïsme se concentre dans l'unité; sa poésie est rigide, une et su→ blime. Moins imaginatifs que les Persans, moins subtils que les Hindous, moins versés dans la science des choses naturelles que les Chaldéens, les Hébreux triomphent par l'énergie de l'enthousiasme monothéique. Dans les poèmes hé→ breux vous voyez ces âmes sauvages et pleines de croyance s'élancer vers Dieu et l'avenir. L'espoir, grand mobile de la poésie hébraïque, y est mêlé de terreur. Pour cette race, pas de présent elle marche vers un but sublime et in connu. Sa croyance en un seul Dieu la rendait hostile au genre humain courbé devant les faux-dieux. Elle fut punie. L'esprit de prosélytisme et de propagande, essentiel à la Théocratie, est étranger aux mœurs patriarchales; les peuples, voués à la vie de famille, ne cherchent ni à éten dre leur pouvoir, ni à propager leurs doctrines. Aussi l'influence des Chinois sur le monde a été nulle. Il n'y a que deux choses en Chine, la famille et l'état. La famille est sacrée, l'état est sacré; l'un et l'autre se restreignent dans leurs limites. Chacun, son office ou son métier accompli, rentre dans la sphère de la famille, isolée profondément de toutes les autres familles. Ajoutez à cette organisation un idiôme immuable renfermé dans un certain nombre d'idées par un certain nombre de signes. Condamnés à l'esclavage le plus fatal, celui de l'intelligence, les Chinois ont fait tous les progrès qu'il leur était permis de faire en agriculture et en architecture. Ils ont eu des philosophes qui ont indiqué avec précision les rapports et les devoirs des hommes entre eux (1). Un bon sens fin, souvent mêlé d'astuce, constitue la puissance intellectuelle de ce peuple singulier. L'esprit chinois est privé d'indépendance par le système même de cette écriture, combinaison de figures hiéroglyphes isolées, dont la position est réglée par un cérémonial impérieux, comme la société même. La connaissance des signes compose la littéra ture, la connaissance de l'étiquette est la science sociale. Innover un contour dans l'écriture, c'est être révolutionnaire. Minutie de détails, sécheresse et prosaïsme, peinture déliée des plus légers incidents, ce sont les caractères des romans chinois; l'intrigue en est amusante, les nuances en sont délicates. Les coquettes et les coquins y sont peints exactement; nulle grâce, nulle chaleur. La poésie chinoise n'offre pour ainsi dire que des formes pétrifiées; pour la douleur, une image; pour l'amour, la joie, le respect, la crainte ou l'espoir, toujours la même figure. C'est l'immo (1) Voyez plus haut, p. 24. |