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Qui plaisait fort à l'écuyer;
Il haïssait le chevalier.
On signe donc l'arrangement;
Le damoisel reçoit l'argent
Dont il ressent grande allégresse.
Il va droit chez l'enchanteresse
Qui était bien douce et bien gente,
Et les cent marcs il lui présente.
Elle les prend joyeusement
Et s'habille coquettement.
Puis elle glisse doucement
Sous l'oreiller le talisman :
·- Seigneur, dit-elle, allez au lit. »

Avec bonheur il obéit ;

Mais il se souvenait encore
D'avoir dormi jusqu'à l'aurore,
Tout d'un somme, sans s'éveiller,
L'autre nuit, sur cet oreiller.
Peut-être la plume est trop douce;
Sa main le pousse, le repousse;
Il le remue en tous les sens;
Au milieu de ces mouvements
La plume magique est tombée.

En attendant la fiancée,
Sous les draps alors se blottit,
Et des deux mains ses yeux ouvrit,
Tant il craignait de sommeiller.

Sur sa tête il mit l'oreiller

En faisant semblant de dormir.

Elle vint bientôt et.....

La plume magique étant tombée, le jeune homme ne dormit pas;

La demoiselle l'aima fort.
Il inspirait beaucoup d'envie.
Il avait grande seigneurie,

De l'or, des terres, des vassaux,

Meutes, manoirs, chiens et oiseaux;

Plaisirs suivant son bon vouloir.

Alors il mit en nonchaloir

Les cent marcs dus à l'écuyer.
Celui-ci le fit pourchasser
Devant le roi.

C'est Shylock transformé en écuyer; celui-ci ne se montre pas moins barbare que le Shylock du Négociant de Venise;

Le roi s'approcha près de lui,

Disant: Écuyer, bel ami,

» Prends deux cents marcs! - Ne le ferai;

» Argent ni or je ne prendrai ! »

Tous le prièrent doucement

Mais il jura très-durement

Que pour homme rien ne ferait,
Mais que son poids de chair prendrait.
Le damoisel s'affligeait fort;

Le voyant si près de la mort,

Ses amis pleuraient avec lui.

Sa femme était là, dans la salle,
Vêtue ainsi qu'un chevalier;
Nul ne pouvait le deviner.

C'est encore la Portia de Shakspeare; les deux femmes jouent absolument le même rôle, à l'éloquence près. Voici comment s'exprime la Portia du moine de Hauteselve:

» Eh bien donc, je m'en vais juger
» Comment tu dois ta dette prendre. »
Dans la salle elle fit étendre

Par terre un drap blanc; puis lier
Et pieds et mains au chevalier,

Qui s'y coucha. «→→→ Voyons, dit-elle,
» Écuyer, ta requête est telle:

» Tu veux avoir cent marcs pesant
» Et de sa chair et de son sang?
» Eh bien ! donc; saisis un couteau

» Et fais ton métier de bourreau ;
» Mais fais-le bien exactement.

» Prends le poids des cent marcs d'argent:

» Ni plus ni moins que n'est ton droit,

» Enfin juste ce qu'il te doit.

» Une seule goutte de sang

» Qui tomberait sur ce drap blanc

» De plus qu'il n'en faut pour ton compte,

» Serait ta ruine et ta honte.

>> Par ton col tu serais pendu,

» Et tout ton bien serait vendu.

Le moine de Hauteselve n'a aucun génie, mais seulement cette faconde fluide, cette facilité molle et souple que la France a souvent prise pour du talent. En relisant Shakspeare, on mesure la distance qui sépare le génie de la médiocrité. Le génie analyse, éclaire, approfondit, sert le progrès et dit le dernier mot des choses dont il s'empare.

S IX.

Rôle définitif de la critique littéraire.

Il arrive souvent à la critique de se croire plus impor

tante qu'elle n'est, de se dire, non pas la sœur, mais la mère de la Poésie et de l'Art. Elle se place alors au-dessus des œuvres qu'elle juge. Elle prétend aux honneurs de la création; elle se fait, de son autorité privée, reine et maîtresse. Née uniquement pour juger, la voilà qui gouverne avec insolence et se proclame la source unique et la mère universelle des lettres et des arts. C'est une prétention absurde; n'est-elle pas la dernière venue? Ne profitet-elle pas de toutes les créations? N'est-elle pas le dernier résultat de la civilisation intellectuelle? Et son code est-il autre chose, qu'un résumé des axiomes auxquels les modèles ont donné lieu ?

Quand elle prétend à cette haute et violente suprématie, ne la croyez pas sur parole. Vénérable dans son bon sens, surtout quand elle est vaste et comparative, elle voudrait bien qu'on la crût reine et maîtresse, parce qu'elle est économe, rangée et surveillante. Les trésors qu'elle classe, elle ne les a pas produits. Son essence n'est pas de créer, mais d'ordonner.

Malheur au temps où le système précéderait la création, où l'on serait critique d'abord et poète ensuite, où la pensée ne jaillirait pas des intimités de l'âme, mais s'élaborerait dans l'atelier du commentaire et de la dissertation. Cette élaboration ne produirait qu'une clarté artificielle, pâle reflet de la chaleur vitale. C'est ce qui arrive, quand les arts ont dépensé beaucoup de sève, versé de toutes parts une végétation vigoureuse, et que de nombreux modèles ont obtenu force de loi. Alors s'ouvrent ces écoles alexandrines, qui toisent le bon goût et donnent des recettes pour le génie. Tel attache une extrême importance à la position d'un mot, à la consonnance de deux syllabes, à la désinence du verum esse videatur; tel autre pèse avec une

exquise gravité ses grains de poudre dans ses balances de gaze; tel distille la dernière quintessence des archaïsmes et des étymologies. Un dernier fabrique de nébuleux systèmes et les balance dans le vide. La décadence de la littérature grecque a présenté cet étrange spectacle dans sa naïveté la plus douloureuse. On voyait des hommes célèbres chercher partout des difficultés lexicologiques, donner la chasse aux solécismes et martyriser une phrase claire pour lui arracher un sens obscur. On en voyait qui pâlissaient sur Homère pour y découvrir une gnose mystique et des symboles chrétiens; quelques-uns même qui prouvaient doctement qu'Orphée et Hésiode étaient attachés d'avance aux dogmes de la Trinité et de l'Incarnation. Il y a des lueurs de génie et des traces de puissance dans ces esprits aventureux ou étroits qui se traînent sur le cadavre des arts quand les arts sont morts.

La critique fausse, myope et de second ordre, est nécessairement pédantesque et minutieuse. Elle s'arroge la suprématie intellectuelle; elle se regarde comme plus noble que le talent dont elle fait l'anatomie. Quand on lit Johnson et Blair, Batteux et Beattie, ou Gottsched l'Allemand, on s'étonne du ton d'orgueil qu'ils affectent. Ils traitent le génie avec une dureté inouïe, à peu près comme ces valetsmaîtres qui tyrannisent leurs subalternes, ou comme ce Monsieur Pincé de Destouches, intendant qui se croit maître, serviteur qui se dit propriétaire, régisseur qui s'est mis dans la tête que tout ce qu'il administre lui appartient.

Une autre critique se montre modeste; elle est aussi large, aussi lumineuse, aussi haute, que celle dont nous venons de parler est oiseuse et vaine. La vraie critique n'est qu'un fragment détaché de l'histoire des peuples. Elle tient compte de leurs modifications, de leurs nuances, elle écrit

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