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j'emploie ordinairement pour te recommander Milon (Verbum meum vetus, quum ad te de Milone scripsissem, jure lusisti.) » On croit voir le génie de Cicéron s'abaisser devant le génie de César. Ce dernier raille, protége, effraie, commande, reçoit les éloges; l'autre s'excuse, subit la moquerie et en reconnaît la justesse.

Son grand tort, c'est d'avoir manqué de décision; à parler rigoureusement, toute décision était impossible à l'honnête homme. Il y a des époques où le vice et la calamité se présentent de toutes parts. Qu'était-ce que l'Empire romain lorsque César revint des Gaules? Une société qui vivait de souvenirs et s'appuyait sur un passé détruit.

L'autopsie d'une société qui tombe en dissolution est un des plus tristes spectacles du monde; et c'est aussi l'un des plus instructifs. On a pitié alors des hommes, de leurs institutions, de leur force intellectuelle et physique, de leurs armées, de leurs palais, de leurs empires. Le faisceau est rompu; le centre social se brise. Au lieu d'accomplir leur ellipse et de rouler dans un orbite régulier, tous les éléments du système obéissent à une force destructrice. Chaque individualité s'éloigne du point central, et tend à devenir centre à son tour. Personne n'obéit, et tout le monde veut commander. La grande fiction légale sur laquelle l'association humaine repose s'anéantit toutà-coup. Vous diriez un drame qui s'achève et sur lequel la toile tombe.

Le vulgaire se réjouit de voir ses vieilles illusions détruites, le trône devenu un morceau de bois poli, le sceptre un bâton doré, la toge un morceau d'étoffe mal brodée ; il se réjouit de n'avoir plus ni culte à rendre, ni génuflexions dont il doive s'acquitter, ni vénération à donner à personne. La puissance du respect et de la tradition, grands moteurs

de la scène sociale, a disparu à jamais; il en reste une, une seule ; hélas ! la puissance brute, la force, la supériorité du corps sur le corps; par là commencent les sociétés sauvages; par là finissent les sociétés perdues. Le boucanier le plus hardi et le plus robuste fonde une colonie sur quelque plage inconnue; le soldat du Bas-Empire est un fabricant de rois. Du temps de Cicéron, la société romaine meurt, et l'on voit tous les hommes politiques se précipiter sur la force brutale pour l'accaparer; elle reste au plus heureux, au plus habile, au plus brave, à Jules César. Pompée la lui dispute longtemps, le glaive à la main ; et dès qu'il sera mort, le combat recommencera.

En de telles époques, la force du caractère l'emporte toujours; celui de Cicéron était plein de faiblesses; la plus dangereuse pour lui, celle qui ne l'abandonna jamais, ce fut le stérile et inquiet désir du pouvoir.

La suprême culture du génie romain, modifié par le génie grec est exprimée par Cicéron, symbole définitif non de la civilisation romaine elle-même et dans son essence, mais de cette civilisation mixte et grandiose qui devait naître de la puissance de Rome enrichie, après la conquête des trésors de l'intelligence hellénique. C'est sous ce point de vue que Cicéron donne son nom à l'une des périodes les plus importantes des annales humaines. Il convient donc de le considérer non-seulement comme le personnage le plus éloquent et l'un des plus érudits de l'ancienne Rome, mais comme une sorte d'anneau intermédiaire, entre la société grecque dont il a toutes les lumières, la société romaine qu'il a illustrée, et la civilisation moderne qui a marché longtemps sous sa direction intellectuelle.

Il n'est pas étonnant que les traits les plus originaux du caractère romain se soient effacés chez un tel homme. La forte empreinte des Brutus, des Caton, des Scipion ne vit plus en lui. Les divinités austères et farouches de Latium ne sont plus les siennes. Il ne sacrifie plus à Mars, mais aux muses; il enrichit d'or et de perles l'airain de la vieille statue de Rome. S'il est moins fort, il est aussi plus humain que ses pères. Homme nouveau, Arpinas, né dans un petit municipe, il ne nourrit point contre les patriciens de la ville-reine les haines profondes des tribuns populaires; consul et dictateur, il est plein de bienveil

lance pour le peuple, les clients, les pauvres et les esclaves. Cette humanitas, charitas generis humani, où l'on voit poindre comme un lointain rayon, et une faible lueur du Christianisme est la plus belle partie de son caractère; de même que la clarté, la lucidité, la facile compréhension de toutes les idées est la plus belle partie de son talent. On ne trouve plus en lui, les exclusions, les âpretés ni peut-être aussi les grandeurs du vieux monde romain. Cicéron n'eut ni tracé les énergiques tableaux du poète Lucrèce, ni condamné son fils à mort comme le premier Brutus, ni lutté d'indomptable puissance avec l'âme terrible de Caton. En revanche, il avait quelques-unes des délicatesses du monde moderne et toutes celles du monde ancien ; il n'égorgeait point ses esclaves de sa main, ne se croyait pas, à titre de citoyen de Rome, maître du sang et des richesses de toutes les races vivantes et laissait la débauche à Catilina, la soif du pouvoir à César, la rapacité à Verrès, la cruauté à Sylla.

De même que ses qualités étaient moins altières et plus aimables, ses défauts étaient moins violents et moins atroces; l'élégance raffinée de cet esprit exquis, la douceur sympathique de ce cœur facilement attendri coloraient ses faiblesses d'une teinte charmante et donnaient à ses vertus plus de grâce. On pouvait lui reprocher l'ardeur exagérée des désirs, l'imprudence dans les entreprises, une vanité littéraire, une trop accessible crédulité, de la faiblesse dans les grandes occasions, des colères trop promptes, peu de retenue dans l'exercice de cette ironie où il excellait, enfin, peu de décision personnelle. En revanche, que d'amabilité et d'aménité, d'admiration pour le beau, de véneration pour la vertu, de sensibilité pour ce qui est honnête et grand, même d'héroïsme, quand il était

soutenu par l'espérance de la gloire et les voix consolantes de l'amitié ! Que de douceur dans les relations sociales, de générosité et de candeur dans la vie privée, et d'affabilité dans la vie publique ! Combien cette âme se laissait facilement émouvoir et entraîner aux dévoûments splendides et aux nobles sacrifices de l'intérêt personnel! Si vous ajoutez à cet ensemble de qualités brillantes et de défauts pardonnables, à ce caractère d'homme de lettres ou d'artiste, les dons merveilleux qu'il avait reçus en partage et une extrême activité dans leur emploi ; vous résumerez ainsi toute la vie de cet homme étonnant, qui conservera toujours tant d'attrait pour ceux même qui estiment surtout la force du caractère, et qui sera l'objet d'un culte éternel pour ceux que le génie et le talent enthousiasment.

Sa première éducation fut toute littéraire, et reçut cette impulsion d'un père dont la vie à la fois solitaire et élégante avait été consacrée aux soins d'un domaine assez vaste, et à l'étude de la poésie, des sciences et des arts. C'était l'époque des grands triomphes de Marius. Le vieux génie de Rome résistait encore aux progrès croissants de cette civilisation grecque, qui allait bientôt se venger de ses maîtres en portant la destruction dans les bases même de leur discipline. Marcus-Tullius Cicéron et son frère Quintus, envoyés à Rome, par un père enthousiaste de l'étude, pour y recevoir leur éducation sous la direction de leur oncle Aculéon, jurisconsulte habile, et de l'orateur Crassus, n'adoptèrent point la sévérité antique, mais le culte des lettres. Ils se livrèrent à ce noble goût comme à une passion, et le blâme des hommes austères fut impuissant à les contenir.

Ce fut la poésie qui la première exerça sur l'orateur futur une séduction irrésistible. Il composa plusieurs poè

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