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Veuillez ne pas trop redouter ce vieil Homère, que des souvenirs de collége ont si cruellement mutilé dans notre imagination; veuillez le regarder comme un Walter Scott d'autrefois, comme un grand conteur des temps écoulés ; il vous apprendra mille choses que vous ignoreriez toujours sans lui, et que, malgré lui, les commentateurs ont ignorées. Je ne vous permets qu'un seul commentaire. Placez près de vous les gravures au trait de l'Anglais Flaxman : c'est un merveilleux interprétateur que Flaxman. Entrez avec ces deux hommes dans le monde héroïque : vous verrez quelle grandeur avait cette époque des héros aux belles bottes et aux fuseaux chargés de laine violette.

Pour les âges héroïques de l'extrême Orient, il ne nous reste que la Bible et les Védas; pour les âges héroïques de la Grèce, nous n'avons que le bon Homère. Si vous voulez connaître la vie privée des femmes pélasgiques, suivezmoi; nous consulterons cet excellent raconteur des vieux jours, en le dégageant du brouillard vaporeux et préten→ tieux que les scholiastes ont jeté sur lui.

Que la femme héroïque nous apparaît belle chez Homère ! quelle liberté d'action! quelle spontanéité de vie ! Comme dans ses crimes même elle est majestueuse et forte! Chez les Grecs comme chez les Germains, elle prend part à tout le mouvement social; elle n'est pas seulement nécessaire à l'homme comme mère et nourrice, comme ménagère et gardienne de la maison, comme protectrice du ménage. Elle entre en communauté de tout, elle dit son avis, elle exhorte, elle encourage, elle anime, elle vit d'une vie réelle et forte. Ce n'est pas encore l'idéal de la femme chrétienne, la femme de la chevalerie, celle qui se transfigure et s'assied à la droite de Dieu sous les traits divins de Marie; c'est la force

et la douceur de l'âme personnifiées, l'énergie dans la souplesse, le désir d'amour, de tendresse et de volupté. Il est curieux de mesurer le chemin que fait la femme grecque depuis cet âge héroïque peint par Homère, et dont Pindare conserve le souvenir, jusqu'à l'époque de la démocratie. Sous le règne d'Agamemnon et de Ménélas, les femmes sont beaucoup; sous le règne des républiques de Sparte et d'Athènes, elles ne sont rien.

Toutes les femmes d'Homère sont grandes et nobles Calypso la fée, Eurycléa la nourrice, Hélène la perfide, Clytemnestre elle-même la meurtrière. Leur âme vit, elle a son mouvement libre et intense. Plus tard, quand l'agora va s'ouvrir, quand les intérêts virils absorberont tout, vous verrez la femme grecque perdre son âme, sa volonté, sa liberté, devenir une demi-esclave, quelque chose de nécessaire et de méprisé; alors naîtra l'hétaïre, la courtisane adorée; une classe de femmes s'emparera de tout ce qui est art, de tout ce qui est beauté, de tout ce qui est volupté, et laissera l'épouse au coin de son feu, pauvre ménagère, dont Aristophane et ses pareils raillent seulement de temps à autre la gourmandise, la paresse, la fraude, c'est-à-dire les vices d'esclave ou d'enfant.

<< Chez Homère, dit Athénée, les femmes prennent part à tous les banquets; elles reposent sur le même lit que les jeunes gens et les vieillards, que Nestor et Phénix. Le. seul Ménélas, à qui l'on a enlevé sa femme, refuse de donner place près de lui à la race féminine. »

En effet, Hélène et Andromaque, dans l'Iliade, ne cessent de prendre part à la conversation des chefs, des généraux et des guerriers leur place est dans le conseil ; elles sont respectées et écoutées; escortées d'une ou deux suivantes, elles se promènent sur les remparts, comme

leur caprice les guide. L'Iliade, tableau de la vie guerrière, montre la femme sujet de combats, brandon de discorde. C'est Hélène qui cause la prise de Troie ; c'est Briséis qui fait naître la colère d'Achille. Toute coupable que soit Hélène, le conteur jette autour d'elle un charme puissant de volupté tyrannique. Les vieillards d'Homère ne s'écrient-ils pas :

« Ne blâmez pas les Troyens et les Achéens aux belles >> chaussures si pour une telle femme ils ont souffert >> tant de malheurs! Elle ressemble aux déesses immor>> telles ! >>

Le vieux poète a-t-il voulu flétrir Hélène? Non, assurément. Homère lui-même aimait cette femme. Dans l'Odyssée, il faut la voir revenue à la vertu, devenue bonne ménagère, adorée de l'excellent Ménélas. C'est elle, femme habile et qui connaît les hommes, elle seule qui découvre, dans le convive déguisé de son mari, Télémaque, fils d'Ulysse. La scène a lieu dans la salle de banquet, chez le roi Ménélas. Elle descend de sa chambre odoriférante, la chambre aux belles voûtes; tous les regards se tournent vers elle; elle est majestueuse comme Diane aux flèches d'or. Une jeune suivante, Phylo, la précède, tenant dans ses mains une corbeille dont le fond est garni d'argent et dont le contour extérieur est d'or pur. Adrassa prépare pour elle, femme voluptueuse, une couche splendide, qu'elle couvre d'un tapis de laine soyeuse; on place sous ses pieds un tabouret et près d'elle la quenouille chargée de laine violette d'une belle nuance. A peine Hélène a-t-elle reposé ses membres délicats sur ce lit magnifique, elle questionne son mari sur ce qui vient d'arriver. Telle est la situation des femmes grecques sous l'ancienne monarchie héroïque. Elles sont les compagnes de leurs

époux ; à elles appartiennent à la fois le soin du ménage, la grâce, la richesse, le luxe et les arts.

Nausicaa, vierge pure, n'est pas moins admirable que la perfide Hélène, si facilement pardonnée. Toute la scène de sa rencontre avec Ulysse est un chef-d'œuvre d'intérêt. Sans doute elle aime Ulysse à la première vue, ce qui prouve que cette manière d'aimer est vieille comme le monde. Elle l'aime et elle le lui dit avec une délicatesse d'ingénuité ravissante!

Ne me suis pas. Il se trouve parmi ce peuple des hommes à la langue insolente; et peut-être un de ces hommes vulgaires, nous rencontrant, dirait : « Quel est celui qui s'attache aux pas de Nausicaa, cet étranger beau et de taille élevée ? Où l'a-t-il vue? Sans doute il doit être un jour son mari. C'est quelque vagabond qu'elle a rencontré, quelque coureur des mers étrangères, quelque homme des pays éloignés; car il ne ressemble à aucun homme de nos régions. Peut-être est-ce un dieu descendu du ciel, un dieu qu'elle aura supplié de se rendre à ses vœux. C'est lui qu'elle gardera pour mari pendant le reste de ses jours. Elle aurait mieux agi en choisissant un autre époux; car elle nous dédaigne, nous peuple Phéacien, nous qui lui rendons tant d'hommages. >>

N'est-ce pas chose poétique que ce mélange d'ingénuité, de grandeur, de finesse, de barbarie? et n'êtes-vous pas charmé de cette révélation naïve du caractère de la femme dans ces vieux temps?

Mais le grand type de la femme, chez Homère, c'est Pénélope; vertueuse avec majesté et simplicité, comme Clytemnestre est criminelle avec grandeur, elle n'a rien de l'hypocrite et maladroite timidité des Pamélas (1) mo

(1) V. nos Études anglaises, Richardson et Fielding.

dernes. Comme toutes les femmes homériques, elle conserve une admirable dignité, une énergie simple et le développement libre de l'âme.

Pénétrons dans cette grande salle occupée par quarante petites tables de pierre polie; des jeunes filles esclaves les chargent de fruits, de vin et de quartiers d'agneau. Vous êtes chez Pénélope, veuve d'Ulysse. Ces héros barbares, qui couronnent leurs gobelets de fleurs nouvelles, ce sont Antinous, Eurylochus et trente-huit autres, tous amants. de la veuve. Sous le portique, debout, appuyé sur une colonne, le barde Phémius est assis, la lyre à la main. Les prétendants de Pénélope, assis dans la salle du banquet, font retentir les voûtes de leurs chants joyeux, et pendant cette orgie, que le poète décrit si bien, Pénélope ne craint pas de se montrer au milieu d'eux. Elle descend de son appartement solitaire, elle traverse d'un pas noble et tranquille la foule turbulente et ivre, elle s'adresse au chantre Phémius, et lui donne pour récompense de ses hymnes glorieuses de douces paroles. Devant Pénélope, les hommes farouches se taisent; l'orgie s'apaise : point d'insulte, point d'ironie. Cependant la veuve est à leur merci; elle n'a près d'elle qu'un adolescent, son fils Télémaque; elle parle de sa fidélité à la mémoire d'Ulysse, de sa douleur que rien ne peut calmer, des chants de Phémius, qui trouvent dans son propre sein un écho douloureux : et toutes ces mauvaises natures s'adoucissent; le vieux Phémius laisse tomber une larme sur sa lyre aux cinq cordes, et le silence renaît dans cette grande salle de festin et de licence. Les amants de Pénélope attendent le départ de la veuve; ils n'oseront l'insulter qu'en son absence.

Parlerai-je de Calypso, fée de la Grèce, type de la

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