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insultent l'assiégeant, ou poussent des cris de terreur quand l'incendie et la guerre les déchirent. Une piété ascétique, une contemplation douce, un héroïsme gracieux, jamais tragique; une délicatesse naïve, sans idées enthousiastes; telle est cette poésie serbe et polonaise primitive. Lyrique et souple, le génie slave auquel manquent la vigueur passionnée du Midi et la puissante énergie du Nord, a créé des idiomes mélodieux et sonores qui se distinguent par une variété singulière de sons vagues, comme des murmures plaintifs et mélangés, inconnus aux autres langages ; idiomes qui se plient aux accents de l'idylle ou de la valeur guerrière, et qui sont surtout pathétiques et gracieux.

Il a manqué aux Slaves une vraie patrie. S'ils n'avaient pas courbé leur front sous le joug scandinave, allemand et turc, si les mille rameaux de ce grand fleuve ne s'étaient pas égarés dans les domaines soumis à diverses tyrannies, cette langue aurait conquis une place plus haute dans l'histoire de l'intelligence; cette place, l'avenir la lui réserve. Les Lithuaniens, qui semblent se rattacher aux Slaves, et qui parlent cependant un langage différent, ont eu aussi leur poésie humble et domestique; muse triste et pastorale, pleine de modestie et de douceur, féconde en diminutifs et en tendresses caressantes, expression des mœurs d'un peuple timide, que le gantelet de fer des chevaliers teutoniques brisa sans peine et sans pitié.

Les Hongrois, enfin, peuple venu de l'Orient, se vantent d'une littérature et d'un langage qu'eux seuls cultivent, d'accents lyriques pleins de joie et de verve, mêlés d'axiomes et de sentences. Au moyen-âge appartiennent tous ces essais, tous ces efforts qui semblent plutôt des espérances que des résultats. L'avenir appartient à ces peuples.

S XV.

L'Italie catholique.

Le colosse de Rome est tombé. Sa chute est suivie d'une confusion féconde, au sein de laquelle nous avons démêlé plusieurs points d'arrêt et comme plusieurs sources de civilisation ;-le génie du Nord, la féodalité, — la pensée

religieuse et chrétienne, — enfin la chevalerie. Les peuples se classent, les langues modernes sont nées, les littératures et les poésies s'isolent, chaque nationalité se fixe et s'assied.

Après la Provence, l'Italie se dessine la première; la France occidentale n'a encore que des contes gais et mordants, ou des récits de chevalerie. A l'ère de la poésie provençale, chaînon intermédiaire et brillant, composé de chansons, de satires, d'hymnes, d'élégies amoureuses, succède l'Italie moderne.

Non-seulement Rome avait conservé les étincelles du génie antique, mais elle avait reconquis le pouvoir moral. La pensée politique du Latium survivait à l'empire des Césars; réfugiée dans le Vatican, elle fut ressaisie par les pontifes qui disposèrent des royaumes. Le ressort du monde n'était plus le glaive, mais la foi. Dépositaires et juges de la croyance, les papes tinrent la balance de l'Europe. Rome devint le chef-lieu de l'unité chrétienne qui la reconnut pour reine. L'ère du catholicisme était éclose.

Il devait naître, au moyen-âge, un homme qui exprimât cette époque et ses combats. Cet homme qui vit le

jour en Italie, sous l'influence catholique, fut Dante. Un reste de grandeur païenne et de vigueur romaine se mêle chez lui à la philosophie du catholicisme, à la métaphysique des écoles, à l'énergie des passions barbares. Il est Goth, Romain et Chrétien. Dictateur de l'idiome italien, il a donné un corps poétique à la croyance chrétienne, et fait vivre éternellement dans son épopée le triple monde de l'enfer et des ténèbres, de la purification et de la souffrance, de la béatitude et de la lumière. Tout est vision et tout est palpable dans cet étrange chef-d'œuvre, triple fiction transformée en réalité. Unité, variété, sentiment de l'infini; de l'abime aux splendeurs du ciel une chaîne merveilleuse de tortures, de souffrances, de plaintes, de remords, de regrets, d'espoirs, de consolations, de bonheur et d'extases; ce monument sans modèle s'éleva comme les cathédrales du moyen-âge, sans que l'on sût de quelles profondeurs il surgissait.

Dante, c'est le christianisme du moyen-âge, quand la nouvelle nationalité italienne n'était pas encore formée. Pétrarque et Boccace signalent le changement singulier qui précipita les mœurs italiennes de la barbarie dans la mollesse.

Une rare aptitude aux arts qui flattent les sens, trait spécial de l'Italie moderne, se joint chez elle à la persévérance des études classiques. Le mouvement d'imitation grecque que nous avons observé chez les écrivains de l'Italie ancienne, s'est continué en Italie avec moins de virilité et plus de grâce; l'abus de cette grâce imitatrice a produit un style maniéré mêlé de qualités supérieures chez Dante, Pétrarque et Boccace. Pétrarque qui a enrichi son idiome d'admirables plaintes élégiaques, et Boccace, narrateur charmant ; les deux plus ardents promoteurs des études an

tiques; rendirent à l'Europe, plongée dans un énergique désordre, le sentiment du goût et de l'harmonie littéraires. Ils portèrent dans cette réhabilitation de l'antiquité un enthousiasme infatigable. Les canzoni et les sonnets de Pétrarque, élégies dues à l'inspiration des troubadours, œu→ vres mélodieuses et tendres, résument la littérature chevaleresque, symbolique, platonique des poètes provençaux ; nul n'a peint de couleurs plus raffinées cette pudeur passionnée et chrétienne, cet amour de l'âme, cette exaltation morale dont nous avons admiré le premier germe ou plutôt le pressentiment vague dans la Didon de Virgile.

Boccace donne à la prose italienne un beau caractère, trop cicéronien peut-être, rempli de majesté et d'élégance. Le Décameron, modèle des narrations légères, s'élève audessus des œuvres sérieuses de Boccace, tant le caractère en est ingénieux et dramatique, l'intérêt doux et naïf.

Les bourgeois commerçants de l'Italie, au milieu de leurs festins splendides et de leurs fêtes éclatantes, riaient de cette chevalerie bardée de fer que le reste de l'Europe admirait encore. Un érudit spirituel, Pulci, flatta le goût contemporain (1) en parodiant les fictions chevaleresques avec une gravité de raillerie qui fonda l'école d'ironie poétique, spécialement italienne; ironie qui émane de l'imagination, comme celle de la France naît du bon sens. Boïardo le suivit, puis Arioste, le roi de cette école. Chez celui-ci nulle amertume, point de satire. Représentant du génie classique, il raille sans âpreté l'esprit aventureux et les fictions bizarres des nations modernes. C'est la moquerie d'un enfant malin qui suit un géant à la piste, et se joue avec la lance du paladin ou la baguette de la fée. De

(1) V. Mes Études sur le XVIe siècle. (Italie au XVe siècle.)

là un poème dont la folie est délicieuse, et qui, sans parler jamais à la raison, brille comme le prisme aux feux du soleil.

Au XVe siècle, le christianisme qui avait modelé les institutions nouvelles fit éclore des chefs-d'œuvre dans la sphère des arts. Sous le polythéisme, la beauté physique adorée par la Grèce, avait inspiré les artistes. Sous la loi du christianisme, la beauté morale, présentée par l'évangile comme le but commun de l'humanité, leur servit de guide. Ce fut en Italie, siége central de la foi, que ce développement eut lieu, du xve au XVIe siècle. Tout en étudiant la forme et la beauté chez les payens, les artistes chrétiens s'inspirèrent de la Bible et de l'Evangile. On sait que la souffrance et la difformité répugnaient au polythéisme hellénique, qui les avait bannis du domaine des arts. Amoureuse du beau, idolâtre de l'harmonie, la Grèce confondait en un seul mot (kalon), le beau et la vertu; tout au contraire, l'abnégation et le malheur étaient adoptés par le christianisme. La souffrance était la base de cette nouvelle religion dont le Dieu avait expiré sur une croix. L'art des anciens était éminemment fini; leur but était de représenter des formes vivantes, humaines, et de les idéaliser en les précisant. L'art des modernes tendait à représenter ce qui était divin, ineffable et infini. L'art chrétien ouvrait au génie des peintres et des sculpteurs, une voie nouvelle et variée, une immense légende, avec des saints, des esclaves, des rois, des femmes, des vierges, des ascètes, des guerriers. Michel-Ange s'inspira des terreurs de la Bible hébraïque; Raphaël s'environna d'une plus douce lumière, celle de l'Evangile. Une foule de talents secondaires les suivirent. Cette magnificence des arts italiens au XVe siècle est le

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