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la penne (plume) de quoy je escripz, pour rendre la veue à mes yeulx troublez en touchant les lermes dont l'abondance me moille piz et giron, quand je pense ce que diront de toy desoremaiz les renommées. » Ces lamentations nous dévoilent le cœur généreux de Christine, en même temps que le langage qui les exprime annonce par la dimension des mots et des périodes l'ambition de reproduire l'ampleur oratoire de la phrase cicéronienne. Il n'y aurait ni convenance ni utilité à remarquer l'impuissance trop manifeste des efforts littéraires de Christine, quand nous devons être émus de la sincérité de sa douleur et de son amour pour la France. Remarquons d'ailleurs, et sans insister sur cette remarque, que le patriotisme de Christine, comme celui d'Alain Chartier, a ses racines dans l'étude et l'admiration des anciens : ce qui compense et au delà les inconvénients d'une phraséologie ambitieuse.

Christine, qui honorait son sexe par la pureté de ses mœurs, par la science et par le talent, était autorisée à prendre en main la cause des femmes outragées par Jean de Meung. Elle attaqua vivement le roman de la Rose, et elle trouva à ses côtés, pour cette lutte, le chancelier de l'Université Jean Gerson, qui, dans un intérêt plus sérieux encore, signalait les dangers que le même ouvrage faisait courir à la religion. Mais ce n'est qu'une escarmouche dans la vie militante de Gerson, qui eut bien d'autres combats à soutenir. Sa place élevée dans l'Église et dans l'État, son dévouement inaltérable à la justice et à la vérité, le mirent aux prises avec les factions politiques et les partis religieux, et son rôle de médiateur, le seul qui convienne aux esprits droits, aux âmes pures, quand les passions sont déchaînées,

Cum fas atque nefas exiguo fine cupidinum
Discernunt avidi,

attira sur lui les traits lancés de camps opposés. Tel est, à ces époques sinistres, le poste périlleux des gens de bien qui ont du courage. Gerson eut beaucoup à souffrir des Armagnacs et des Bourguignons, parce qu'il aimait la France;

il eut à combattre les fauteurs de l'hérésie et les défenseurs des vices de l'Église, parce qu'il était chrétien sincère. Au concile de Pise, il provoque la destitution d'un pape dans l'intérêt de l'Église, pensant mettre un terme à ce grand schisme d'Occident qui fut comme un sinistre prélude au démembrement de la société chrétienne; à Paris, il expose sa vie pour résister aux violences des exacteurs, et se retranche dans les tours de Notre-Dame, comme dans une forteresse; après l'assassinat de Louis d'Orléans, dont il avait réprouvé les déportements, il prend parti contre le meurtrier, malgré les bienfaits qu'il en a reçus, et il poursuivra avec un zèle infatigable la condamnation de la doctrine homicide professée par le docteur Jean Petit, apologiste impudent et mercenaire de Jean Sans-Peur; enfin, lorsqu'il réclamera au concile de Constance la rétractation authentique ou le supplice de Jean Hus, son ardeur contre l'hérésie aura pour aiguillon la pensée même qui honore le plus sa vie, la réforme de la discipline et des mœurs du clergé. Gerson voyait dans cette réforme la condition du salut de la société catholique, et il comprenait en même temps que Jean Hus, venant compliquer le débat par des attaques contre la doctrine, procurait une diversion favorable au maintien des abus. La présence de cet obstacle imprévu irrita Gerson, troubla sa vue, et l'induisit à prendre sa part dans une de ces mesures de salut public qui ne sauvent rien, et qui sont des attentats aux yeux de l'histoire. Ainsi, comme dit Bossuet, la sagesse des hommes est toujours bornée par quelque endroit. Brisé par tant d'efforts, abattu par tant de mécomptes, troublé sans doute aussi par ce sacrifice sanglant, consenti ou même provoqué en vue de la paix du monde, Gerson chercha le repos dans la solitude; l'intrépide lutteur cessa de combattre, et par la contemplation de Dieu et la vue des enfants, il retrouva la force et la sérénité que son âme avait perdues en luttant vainemeut contre le siècle. Vers le même temps, Christine de Pisan se retirait aussi dans un monastère.

Nous n'avons pas à suivre la pensée de Gerson dans

tous les débats où il fut engagé. Nous laisserons de côté le vaste répertoire de ses œuvres latines pour demander à ses écrits en langue vulgaire l'expression simple et forte de ses sentiments. On aime à retrouver, sous l'appareil imposant du docteur de l'Église, du dignitaire de l'Université, le cœur et, à un certain degré, le langage du paysan champenois, et la brusque familiarité gauloise, relevant par une certaine énergie rustique la peinture des souffrances populaires. Voici, en témoignage, quelques traits tirés des courageuses remontrances faites au nom de l'Université devant le roi Charles VI: « Si payement faut (manque) aux gens d'armes, ils s'excuseront de payer; se ils ne payent, ils pilleront et roberont sur les povres gens très-outrageusement, d'aultruy cuir large courroye. Après que s'ensuyt-il au povre peuple? Il s'en convient fuyr devant eulx, comme brebis font devant les loups; et ne vauldroyt-il pas doncques mieulx au povre peuple estre sans deffence que tels tels protecteurs ou tels pillars avoir? Vrayement il n'est langue qui suffist à descrire la très-misérable indignité de ceste besongne. Las! un povre homme aurat-il payé son imposition, sa taille, sa gabelle, son touage, son quatriesme, les esprons du roi, la saincture de la royne, les treuaiges (tributs), les chaucées, les passaiges: peu luy demeure puis viendra encores une taille qui sera créée, et sergens de venir et engager pots et poilles. Le povre homme n'aura pain à manger, sinon par adventure un peu de seigle ou d'orge; sa povre fame gerra (sera en gésine), et auront quatre ou six petits enfans au fouyer, ou au four, qui par adventure sera chauld, demanderont du pain, crieront à la rage de faim. La povre mère si n'aura que bouter ès dens que un peu de pain où il y ait du sel. Or devroit bien suffire ceste misère viendront ces paillars qui chergeront (chercheront) tout; ils trouveront par adventure une poule avec quatre poussins, que la povre femme nourrissoit pour vendre et payer le demaurant de sa taille, ou une de nouvel créée : tout sera prins et happé, et querez qui paye. Que vous semble-t-il que peult avoir pis le povre homme? Peult pis

avoir. » Et en effet, les derniers coups de pinceau achèvent le portrait de cette effroyable détresse des petites gens. N'est-ce pas là une peinture navrante et faite de main d'ouvrier? De grands mots et des périodes compassées feraientelles un semblable effet?

La tendresse du cœur de Gerson, et son talent pour exciter l'indignation contre la violence, pour apitoyer sur l'oppression des faibles, ne sont pas moins sensibles dans le plaidoyer où il réclame vengeance des voies de fait exercées contre des écoliers par les gens d'un chambellan du roi, Charles de Savoisy, pendant une procession universitaire à l'église de Sainte-Catherine : « Grant bruit, grans cris et grant clameur se va élever, n'estoit pas de merveille: petis et foibles enfans n'avoient aultre manière de se revangier, fors crier aide et miséricorde, et ceulx qui eussent pu reboutter force eurent cette attemprance (modération) qu'il ne vaurent (voulurent) pas prendre à soy la venjance, mais la laisser au roy et à justice. Les petis enfans doncques crioient mercy à eulx; hélas! Ils savoient mal à quels gens ils avoient à faire, car en leur cuer n'avoit quelconque pitié, doulceur ou compassion, ainçois (au contraire) de plus en plus accroissoit leur felonnie perverse, en tant que ils allèrent querir glaives, arcs, sagetes, espées, piles de Flandres et aultres armes invasives, comme s'ils se deussent combattre contre les ennemis du roy et du royaume; je ne sçay s'ils eussent esté tant hardis contre eulx : puis trayoient sagetes à la volée, feroient (frappaient) à tort et à travers, partout, et çà et là, si (tellement) qu'il n'y avoit point de refuge et de seureté. » Comme la peinture de ces avanies exprime bien l'affection du maître pour ses pauvres écoliers, et quel mépris des lâches agresseurs dans ce trait qui les perce à l'improviste Je ne sçay s'ils eussent été tant hardis contre eulx! L'âme tout entière du tendre et courageux Gerson respire dans cette peinture. Nous l'avons déjà dit : cette âme si douce et si énergique tout ensemble sortit brisée de la lutte; l'énergie devint de la résignation, et la douceur, de l'amour. C'est alors qu'il écrivit l'Imitation de Jésus

Christ, où il se trahit aux yeux clairvoyants, malgré les soins qu'il prend pour se cacher: car, ce livre unique, inconnu avant lui, déjà célèbre quelques années après sa mort, n'a pu être composé qu'au temps où l'orage du dehors expirait au pied des murs de son couvent, par un esprit supérieur, une âme d'élite qui, sachant tout du siècle, n'avait plus rien à lui demander comme expérience, rien à en attendre comme espérance. On a beau chercher ailleurs, il n'y a que l'illustre cénobite des célestins de Lyon, celui qui, après avoir été l'oracle et la lumière de l'Église, disait aux enfants qu'il catéchisait : «< Priez pour l'âme du pauvre Jean Gerson, » qui ait pu composer cette œuvre d'humilité profonde, de divine familiarité, de prodigieuse élévation, de consolation souveraine. Qu'on cesse donc de nous opposer comme prétendants et le chimérique Gersen, créé par un accident de plume, et le pieux calligraphe Thomas A-Kempis.

Arrivons au dernier de ceux que nous avons mis à part comme interprètes de la conscience humaine dans cette époque de violence et de corruption, à cet Alain Chartier plus connu aujourd'hui par le chaste baiser que Marguerite d'Écosse déposa sur ses lèvres, et par la laideur de son visage, que par les mots dorés qui lui attirèrent cet hommage d'une jeune et belle princesse, et qui lui firent donner le surnom de Père de l'éloquence. Recueillons au moins quelques-unes de ces nobles paroles dignes d'échapper à l'oubli. Alain Chartier, d'abord attaché comme secrétaire à Charles VI, suivit la fortune de son fils, et pendant que celui-ci faisait tout ce qu'il pouvait pour perdre gaiement son royaume, son loyal conseiller gourmandait les vices de la cour, rappelait les prélats au respect de leurs devoirs, et douloureusement préoccupé des périls de son roi et des malheurs de la France, il cherchait les moyens de conjurer les nouveaux désastres qu'il redoutait. La poésie, qu'il cultivait en même temps, et non sans succès, faisait parfois diversion à ses graves pensées. Mais ce n'est pas comme poëte qu'il a droit à notre attention : c'est surtout comme moraliste et comme écrivain politique.

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