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ce qui en fera l'unité et ce qui en réglera la rapidité, et cela seul aussi suffira pour le rendre précis et simple, égal et clair, vif et suivi. A cette première règle dictée par le génie si l'on joint de la délicatesse et du goût, du scrupule sur le choix des expressions, de l'attention à ne nommer les choses que par les termes les plus généraux, le style aura de la noblesse. Si l'on y joint encore de la défiance pour son premier mouvement, du mépris pour tout ce qui n'est que brillant, et une répugnance constante pour l'équivoque et la plaisanterie, le style aura de la gravité, il aura même de la majesté. » Qu'on ajoute à ces traits cette chaleur tempérée qui naît du paisible enthousiasme de la science, et le coloris qui tient à l'imagination, on aura Buffon tel que ses ouvrages nous le montrent, méthodique, précis, grave, majestueux, abondant, animé d'un feu contenu, et colorant sa pensée de teintes énergiques et brillantes. Disons encore, pour compléter ce tableau, que lorsque Buffon composait il aimait à mettre le monde extérieur en harmonie avec la dignité de sa pensée. Le cabinet voisin de la tour solitaire de Montbar, où il se retirait dans un majestueux isolement, était comme un sanctuaire dans lequel l'interprète de la nature célébrait les merveilles de la création.

« Il ne manquerait rien à Buffon, dit M. de Châteaubriand, s'il avait eu autant de sensibilité que d'éloquence. »> D'autres critiques lui ont reproché de manquer de simplicité et de variété, et l'on sait que Voltaire, entendant louer l'Histoire naturelle, ne se refusa pas une maligne épigramme, en disant à voix basse : « pas si naturelle. » Ces reproches sont fort exagérés. Buffon n'est pas un écrivain sentimental, mais il est gravement et profondément ému de la majesté de la nature, de ses beautés douces et terribles. Parmi les animaux dont il décrit les mœurs, il y en a qu'il admire, qu'il aime, qu'il redoute, qu'il méprise, et les sentiments divers qu'il éprouve passent dans son langage, qu'ils teignent de couleurs différentes et qu'ils animent d'émotions diverses. Son éloquence, qui est partout, com

munique au lecteur les impressions de l'écrivain. Buffon est toujours noble, mais ce n'est pas à dire qu'il soit uniforme, et moins encore monotone; car il a la noblesse de tous les styles: s'il a la noblesse du sublime, il a aussi celle de la grâce et même de la simplicité; ses couleurs sont toujours pures, son dessin toujours correct, mais aussi combien de nuances et quelle souplesse de contours! Ne lui demandez pas d'être vulgaire et négligé, il s'y refuse: il a trop de respect pour sa pensée. Il n'a point cette variété que produisent les dissonances et les disparates, mais celle qui naît du rapport du langage au sujet qu'on traite, de la convenance des parties et de l'harmonie de l'ensemble. Buffon est un écrivain noble et soutenu, cela est vrai; mais il faut ajouter qu'il a sur sa palette toutes les couleurs et qu'il trouve tous les tons sur son clavier. Faudra-t-il lui imputer à crime de prendre tant de soin pour parler aux yeux et pour plaire à l'oreille?

Ainsi la noblesse qui caractérise le style de Buffon se concilie avec toutes les qualités du langage pour les orner et les tempérer. Elle n'enlève rien à l'énergie du passage suivant : « Qu'on se figure un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquels l'œil s'étend et le regard se perd, sans pouvoir s'arrêter sur aucun objet vivant; une terre morte et pour ainsi dire écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés. » Elle achève la grâce de celui-ci :' « L'instant du péril passé, tout est oublié, et le moment d'après notre fauvette reprend sa gaieté, ses mouvements et son chant. C'est des rameaux les plus touffus qu'elle se fait entendre; elle s'y tient ordinairement couverte, ne se montre que par instants au bord des buissons et rentre vite à l'intérieur, surtout pendant la chaleur du jour. Le matin on la voit recueillir la rosée, et après ces courtes pluies qui tombent dans les jours d'été, courir sur les feuilles mouillées et se baigner dans les gouttes qu'elle secoue du feuillage. » Il n'y

a pas jusqu'à la coquetterie qui ne gagne à ce mélange de noblesse, comme on le voit à ce petit chef-d'œuvre si artistement travaillé, la description de l'oiseau-mouche : «De tous les êtres animés, voici le plus élégant pour la forme et le plus brillant pour les couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art ne sont pas comparables à ce bijou de la nature; elle l'a placé dans l'ordre des oiseaux au dernier degré de l'échelle de grandeur; son chef-d'œuvre est le petit oiseau-mouche; elle l'a comblé de tous les dons qu'elle n'a fait que partager aux autres oiseaux: légèreté, rapidité, prestesse, grâce et riche parure, tout appartient à ce petit favori. L'émeraude, le rubis, la topaze, brillent sur ses habits; il ne les souille jamais de la poussière de la terre, et dans sa vie tout aérienne, on le voit à peine toucher le gazon par instants; il est toujours en l'air, volant de fleurs en fleurs; il a leur fraîcheur, comme il a leur éclat; il vit de leur nectar, et n'habite que les climats où sans cesse elles se renouvellent. >>

Buffon admire les œuvres de la nature; il en est profon dément ému, et c'est pour cela qu'il les décrit avec tant de vérité; mais il n'est pas moins touché des conquêtes de l'homme sur la nature elle-même. Avec quel noble orgueil il montre partout la trace du génie de l'homme : « L'or, et le fer plus nécessaire que l'or, tirés des entrailles de la terre; les torrents contenus, les fleuves dirigés, resserrés; la mer soumise, reconnue, traversée d'un hémisphère à l'autre; la terre accessible partout, partout rendue aussi vivante que féconde.» Avec quelle joie il énumère les travaux et « les monuments de puissance et de gloire qui démontrent que l'homme, maître du domaine de la terre, en a changé, renouvelé la surface entière, et que de tout temps il partage l'empire avec la nature. » Mais que l'homme n'aille pas s'imaginer que cette part d'empire lui soit acquise à jamais, il ne peut la garder que par les moyens qui la lui ont donnée : « Il ne règne que par droit de conquête, il jouit plutôt qu'il ne possède ; il ne conserve que par des soins toujours renouvelés; s'ils cessent, tout languit, tout s'altère, tout

change, tout rentre sous la main de la nature; elle reprend ses droits, efface les ouvrages de l'homme, couvre de poussière et de mousse les plus fastueux monuments, les détruit avec le temps, et ne lui laisse que le regret d'avoir perdu par sa faute ce que ses ancêtres avaient conquis par leurs travaux. » Grande et terrible leçon, qui s'étend de l'ordre matériel à l'ordre moral, qui s'applique aux individus comme aux nations, sanction manifeste de cette loi de la Providence qui met la conquête de tous les biens, de toutes les vertus, et leur durée, au prix du courage et de la persévérance.

On avait osé soupçonner et dire que Buffon, tout entier à la science, absorbé dans l'étude des forces de la nature et des ressources du génie de l'homme, ne s'était pas élevé jusqu'à la source suprême de cette double grandeur. Buffon, qui avait toujours dédaigné de repousser les attaques de ses détracteurs, confondit enfin ces soupçons injurieux lorsque, protégé par sa vieillesse et par sa gloire, il pouvait à son choix continuer de se taire ou s'expliquer. Il rendit hommage à Dieu par cette prière, qui est aussi pour l'humanité un acte d'espérance « Dieu de bonté, auteur de tous les êtres, vos regards paternels embrassent tous les objets de la création ; mais l'homme est votre être de choix; vous avez éclairé son âme d'un rayon de votre lumière immortelle ; comblez vos bienfaits en pénétrant son cœur d'un trait de votre amour le sentiment divin, se répandant partout, réunira les nations ennemies; l'homme ne craindra plus l'aspect de l'homme, le fer homicide n'armera plus sa main; le feu dévorant de la guerre ne fera plus tarir la source des générations; l'espèce humaine, maintenant affaiblie, mutilée, moissonnée dans sa fleur, germera de nouveau et se multipliera sans nombre; la nature accablée sous le poids des fléaux, stérile, abandonnée, reprendra bientôt avec une nouvelle vie son ancienne fécondité; et nous, Dieu bienfaiteur, nous la seconderons, nous la cultiverons, nous l'observerons sans cesse, pour vous offrir à chaque instant un nouveau tribut de reconnaissance et d'admiration. >>

CHAPITRE V.

Déclaration de guerre aux lettres et à la

Jean-Jacques Rousseau. civilisation. La Nouvelle Héloïse. - Manon Lescaut.- Réforme de l'éducation. L'Émile. Réforme de l'État. - Le contrat social.

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- Disciples de Rousseau. Bernardin de Saint-Pierre. seurs de la révolution. - Beaumarchais. Révolution.

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La vie de Montesquieu touchait à son terme, Buffon était dans toute sa gloire, Voltaire avait produit ses plus belles œuvres, lorsqu'un homme de génie, longtemps entravé dans sa marche et trempé par les épreuves mêmes que la destinée lui avait fait subir, entra tardivement, mais avec éclat, dans la carrière littéraire par une double déclaration de guerre aux lettres et à la civilisation. C'est le génevois J. J. Rousseau, le plus éloquent des écrivains de son siècle : apôtre de la vertu, dont le sentiment s'était exalté dans son âme par le contact et la pratique du vice; de l'indépendance, pour avoir connu la gêne et la honte d'une position quelquefois servile, toujours précaire, il parla de la dignité de l'âme immatérielle et même de religion à des matérialistes et à des impies, du devoir de conquérir et de faire respecter ses droits de citoyen à des esclaves qui se contentaient de railler et de harceler leurs maîtres, de la simplicité et des vertus de la nature primitive à des sybarites fiers de leur luxe et infatués de leur corruption: il se fait écouter, parce qu'il étonne; il entraîne, parce qu'il émeut et qu'il commande impérieusement. Le secret de la force de Rousseau n'est pas tout entier dans son éloquence; il est surtout dans son ton d'oracle, dans la véhémence de ses reproches, dans l'assurance de son dogmatisme. Voltaire avait armé les esprits pour la destruction, mais le souffle de sa raillerie avait desséché les âmes; Rousseau les échauffa du feu de sa parole, il les gonfla, il les souleva de terre, il leur donna l'essor sans les diriger, il les vivifia sans les remplir, et il parut les avoir ennoblies.

Jean-Jacques Rousseau n'est pas une âme saine, mais c'est une âme puissante; ce n'est pas un esprit juste, mais

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