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moralité qui a conscience d'elle-même et qui proclame ses principes, n'est plus combattue, dans Racine, que par des habitudes morales; ce frein s'affaiblit dans Voltaire, et les dramaturges modernes l'ont complétement rejeté. Leurs héros ne font pas la distinction du bien et du mal, ils vont toujours dans le sens de leurs passions qui ne rencontrent que de ces obstacles matériels dont on triomphe aisément avec le fer, le poison, les fausses clefs et les échelles de corde. Le principe moral a eu sur notre théâtre le sort de la fatalité chez les anciens, et la tragédie a été moins morale à mesure qu'elle est devenue plus pathétique. Corneille, même lorsqu'il nous émeut le plus vivement, tient toujours notre âme à une grande hauteur, et la remplit du sentiment de la dignité de l'homme. Racine la fait descendre de ces sommets pour l'attendrir, et Voltaire pour la remuer profondément. Le drame moderne la secoue, la bouleverse et la déchire, et va jusqu'à donner des convulsions à ceux qui le prennent au sérieux. Cet excès est la conséquence forcée du système qui prend l'émotion pour mesure du mérite dramatique. C'est ailleurs qu'il faut la chercher. La tragédie doit tendre à ennoblir et à fortifier les âmes et non les torturer et les dépraver par les violentes secousses de la sensibilité. La passion a tout envahi, on veut à tout prix émouvoir des spectateurs blasés, et l'on oublie qu'on ruine ainsi le fondement sur lequel on s'appuie, car la sensibilité, au rebours de nos autres facultés, s'émousse par l'exercice, et demande, lorsqu'elle n'est pas contenue dans de justes limites, des excitations chaque jour plus violentes. Le drame, en continuant de marcher dans la route qu'il a prise, ne tarderait pas à rencontrer les bêtes fauves plus énergiques, plus violentes que ses héros, qui viendraient réclamer son héritage; car, s'étant fait matérialiste, ce serait justice qu'il fût enfin détrôné par la matière. On n'oublie pas impunément le but véritable et la dignité de l'art. Heureusement ces modèles mêmes dont on s'est écarté subsistent toujours et suffisent pour ramener les âmes vers la grandeur et la beauté.

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Descartes. Importance et légitimité de la philosophie.. - Grandeur et simplicité du système de Descartes. Beauté de son style.. Port-Royal. Pascal. Les Provinciales. Travaux de l'école de Port-Royal. Les Pensées de Pascal.

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L'influence littéraire de Richelieu qui donna l'essor aut génie dramatique, tout en aspirant à le discipliner, fut loin, partout ailleurs, de se montrer favorable aux hardiesses de la pensée; mais, en dépit des entraves, la liberté se manifesta dans la théologie par le jansénisme, et dans la philosophie par les travaux de Descartes et de Gassendi. La pensée humaine, une fois en mouvement, ne se laisse point faire sa part, même par un ministre tout-puissant; elle franchit de sa propre autorité les limites qui lui sont tracées arbitrairement, spiritus flat ubi vult; elle se joue des ordonnances, elle brave les menaces ou leur échappe. Le jansénisme entre à la Bastille avec l'abbé de Saint-Cyran, et il se développe au dehors; la philosophie se réfugie avec Descartes en Hollande, et, de cet asile précaire, elle fuit jusqu'en Suède, d'où elle se répand sur l'Europe entière. Le pouvoir ombrageux qui les pourchasse n'a que les torts d'une persécution impuissante. La gloire de Richelieu ne serait pas amoindrie s'il eût vu sans en prendre ombrage Port-Royal naissant, et si Descartes avait philosophé sous la protection de son imposante autorité.

Lorsque Descartes conçut le généreux dessein de chasser l'erreur de sa propre intelligence et de montrer aux hommes la route qui conduit à la vérité, le fanatisme élevait le bûcher d'Urbain Grandier convaincu de magie, et l'ignorance imposait à Galilée la plus cruelle des tortures, le désaveu de l'évidence. Ces avanies, faites à la raison au nom de la tradition, détachèrent violemment du passé l'homme de génie qui, dans l'étude des sciences mathématiques, avait pris le besoin de la clarté et l'habitude de n'admettre,

sans démonstration, que des axiomes, c'est-à-dire les principes qui s'imposent à l'esprit par leur propre lumière. Cette méthode est une révolution dans l'ordre de l'intelligence : elle féconda les grands esprits du dix-septième siècle, qui lui doivent la sûreté, la grandeur, la lucidité qui les distinguent. Il ne faut pas médire de la philosophie; l'hostilité systématique contre la raison est un signe de faiblesse et de passion. La raison a son domaine comme la foi, et, malgré la guerre entretenue à dessein entre ces deux puissances de l'âme, elles sont bien loin d'être contradictoires. Leur titre est le même, et c'est l'évidence. Le cœur a son évidence comme l'esprit : l'évidence du cœur produit la foi, comme celle de l'esprit engendre la science; et la science et la foi sont également irrésistibles, elles ont même puissance sur le jugement. Que la lumière vienne du cœur ou de l'esprit, peu importe, elle est toujours la lumière. La foi, dit excellemment saint Paul, n'est pas une conjecture: elle est la réalité de ce qu'on attend et la démonstration de ce qu'on ne voit pas. Pour que la foi véritable se produise, il faut la pureté du sentiment, purgetur affectus, comme dit saint Bernard. L'esprit, selon Descartes, est soumis à la inême condition pour atteindre la vérité. Ainsi la philosophie et la théologie ne sont pas naturellement inconciliables, et c'est avec justesse et profondeur qu'on a pu dire: <«< il n'y a que la mauvaise philosophie et la mauvaise théologie qui se querellent. » En effet, la foi aveugle n'est pas plus la foi que la raison arrogante et déréglée n'est la raison.

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La philosophie, c'est-à-dire la recherche et l'éclaircissement du vrai par « la lumière qui éclaire tout homme venant au monde, » est un droit naturel et un besoin impérieux de l'esprit humain si elle témoigne de sa faiblesse, elle est aussi l'argument de sa noblesse et de sa force. Lors même qu'elle poursuivrait l'impossible, il faudrait encore la maintenir inviolable et respectée : l'alchimie n'a pas trouvé la pierre philosophale, mais elle a développé le génie de l'expérimentation et mis aux mains de la science l'ins

trument de ses plus belles conquêtes sur la nature. La raison humaine a des bornes; qui en doute? Mais sa gloire est de les reculer chaque jour et de travailler sans relâche à les franchir. Au moyen âge, le grand crime était de dépasser les bornes que les ancêtres avaient posées; l'honneur des temps modernes est de les déplacer et de s'avancer dans une carrière indéfinie. L'esprit philosophique n'a pas besoin, pour se légitimer, de créer une philosophie qui s'impose à toutes les intelligences et qui les satisfasse ; il suffit à son honneur d'exercer ses droits et de garantir la dignité de l'âme humaine par la liberté dans l'obéissance. Obsequium sit rationabile, dit l'Apôtre.

Rien de plus simple et, à tout considérer, de plus solide que le système à l'aide duquel le père de la philosophie française sort du scepticisme volontaire qu'il s'est imposé pour établir dogmatiquement sur le point fixe de la pensée humaine l'existence de Dieu et du monde extérieur. Je pense; la pensée n'est pas l'attribut du néant : ce quelque chose qui pense, c'est un être; cet être, c'est moi, j'existe, un seul homme vaut pour tous, il répond de l'humanité tout entière. Mais, parmi les idées que renferme cette intelligence, il en est une telle qu'elle implique l'existence même de l'objet qu'elle représente. C'est l'idée de l'être nécessaire et infini, de Dieu. Si l'être nécessaire se conçoit, il existe par cela même; or, il arrive que, dans l'inventaire de la pensée, se trouve l'impossibilité de concevoir le néant, et par conséquent la notion de l'être nécessaire : nécessaire partout, car si vous limitez l'existence, vous établissez quelque part l'impossible néant; nécessaire en tout temps, car si vous admettez dans la durée une seule intermittence de l'être, c'est encore le néant. L'être nécessaire et infini existe donc; l'infini comprenant la perfection, l'être nécessaire est véridique il n'a donc pas trompé l'homme par un spectacle chimérique; et puisque l'homme croit invinciblement à la réalité des phénomènes extérieurs, la nature existe, et nous avons tout ensemble Dieu, l'homme et l'univers. Ainsi la conscience donne la pensée humaine; la

pensée, l'idée de Dieu; l'idée de Dieu, son existence; l'existence de Dieu, la réalité de la matière. Telle est la marche de Descartes. Ne méprisons pas trop la faculté qui, élevée au génie, produit de pareils résultats. Descartes ne s'arrête pas à ces hardis et lumineux prolégomènes; il trace quelques règles simples pour guider l'intelligence dans la recherche de la vérité, et il ne reconnaît sa présence qu'à un seul signe irréfragable, l'évidence, c'est-à-dire cette lumière irrésistible qui emporte le jugement et dont l'autorité est celle de Dieu même.

Le Discours de la Methode, qui parut peu de temps après le Cid, et les Méditations, contiennent tout ce qu'il y a de général dans la doctrine de Descartes; nous y apprenons quelle a été la marche de son esprit et quelles sont les vérités fondamentales dont il a reconnu l'évidence. Toute la méthode de Descartes consiste à se connaître soi-même pour arriver à la connaissance de Dieu et de la nature; son but est de voir clair dans son entendement, afin de bien régler sa conduite; il veut savoir pour bien agir. La grandeur de son entreprise ne l'enivre pas : il en parle avec mesure, avec simplicité, bien différent en cela du chancelier Bacon, qui embouche la trompette et qui emprunte des figures à la langue poétique pour annoncer qu'il apporte au monde un instrument nouveau et une lumière nouvelle. Descartes, qui fera plus que Bacon, promet beaucoup moins, et il n'a pas le même dédain pour ceux qui l'ont précédé dans la carrière de la science et de la philosophie. Quoique rien de ce qu'il a appris dans les livres et dans les écoles n'ait satisfait en lui le besoin de connaître la vérité, il se garde bien d'outrager le passé en préparant l'avenir : « Je ne laissais pas d'estimer, dit-il, les exercices auxquels on s'occupe dans les écoles. Je savais que les langues que l'on y apprend sont nécessaires pour l'intelligence des livres anciens; que la gentillesse des fables réveille l'esprit, que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu'étant lues avec discrétion elles aident à former le jugement; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec

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