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Les prédicateurs de la Ligue. — Les pamphlétaires.

nippée. Ses auteurs.

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La Satyre Mé

Son importance littéraire et politique.. Satire morale. - Mathurin Régnier. - Fin du seizième siècle.

Aucune sagesse humaine n'était sans doute capable de prévenir au seizième siècle le choc des partis ; la gravité des intérêts en balance et la vivacité des passions religieuses devaient mettre aux prises ces générations de mœurs rudes encore, pour qui la guerre était comme un besoin et presque une fête. On compte jusqu'à huit prises d'armes, suivies de guerres plus ou moins longues, séparées seulement par des trêves toujours inquiètes, dans une période de trente années. Il faut y ajouter l'épisode de la Saint-Barthélemy, boucherie plus meurtrière que la plus sanglante des batailles. La raison ne put se faire jour que lorsque la lutte eût convaincu d'impuissance les prétentions extrêmes, et qu'aucun des partis n'ayant réussi à exterminer le parti contraire, il fallut enfin transiger. Les calvinistes, qui n'avaient ni voulu abandonner ni pu imposer leur foi, gagnèrent à cette transaction pour eux-mêmes et pour tout le monde la liberté de conscience que ni Rome ni Genève n'auraient proclamée, et que la raison d'État fit seule prévaloir. L'intolérance est si naturelle à l'homme, que non-seulement les croyances se combattent à outrance, mais que le scepticisme même et l'indifférence ne laissent pas la foi se produire librement. Dieu a livré le monde aux disputes de l'homme, et les passions de l'homme se disputent volontiers les armes à la main. Nous ne voulons pas que les autres pensent autrement que nous-mêmes, et toutefois, parmi les hommes qui se donnent la peine de penser, combien peu se trouvent d'accord entre eux ! Il semble donc que la diversité des opinions et des croyances est la condition même de la vie des intelligences, et que

l'ordre qu'on recherche par l'unité absolue et par une complète assimilation soit contraire aux vues de la Providence. Comme l'harmonie dans la nature résulte du jeu régulier de forces opposées, ainsi l'ordre des sociétés doit naître de l'action simultanée de forces contraires que la prudence humaine est chargée de tenir en équilibre. Lorsqu'elle manque à sa tâche, les peuples en sont punis par l'anarchie ou par la servitude.

Nos guerres civiles vérifient bien cette loi de l'histoire. Elles contiennent un autre enseignement qu'il importe de recueillir c'est l'impuissance de tous les crimes tentés comme mesures de salut. Il semble que sur toutes les routes qui conduisent aux abimes, Dieu ait placé devant ceux qui s'y sont engagés la nécessité du crime, comme un avertissement. Que signifie cette nécessité? ne crie-telle pas d'une voix assez haute pour arriver jusqu'à la conscience des gens de bien égarés : « Rebroussez chemin : au delà de cet obstacle il y a un précipice où vous tomberez après avoir perdu l'honneur. » Ainsi Charles IX, conduit par sa mauvaise politique, rencontre la nécessité d'un massacre; il passe outre il n'en est pas moins perdu et il est déshonoré; Henri de Guise qui marchait à l'usurpation, rencontre la nécessité de la révolte et du régicide; il accepte la révolte et recule devant le régicide: il se perd sans se déshonorer; Henri III qui fait mal son métier de roi, rencontre la nécessité du meurtre et du guet-apens; il passe outre il est perdu et déshonoré; la Ligue attente aux droits de l'État, sous prétexte de religion; elle rencontre la nécessité de frapper l'État dans la royauté et dans la magistrature elle n'hésite pas, mais elle se perd, et laisse un souvenir qui serait complétement odieux si on n'y avait pas mêlé le ridicule.

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Avant d'arriver à la Satyre Menippée qui lui infligea ce dernier châtiment, à cet incomparable pamphlet qui est un monument vraiment littéraire, il faut dire quelques mots des discours et des libelles qui fomentèrent la sédition, et des répliques qui leur furent opposées avant celle qui les

fit taire, et qui résume sous une forme durable tout ce que le bon sens avait employé, mais en vain, de raisons solides et d'idées saines pendant la lutte. Tout avait été dit, et rien de sensé n'avait pu prévaloir contre les emportements de la passion. La Ligue, que Henri III avait amortie par une manœuvre indigne de son rang, en devenant chef de parti, de roi qu'il aurait dû être, s'était ranimée avec plus de violence en 1584 après la mort du plus jeune des Valois. Comme Henri III n'avait point d'héritier direct, l'accès du trône était ouvert au roi de Navarre, chef des protestants. Pour détourner son avénement, tout fut mis en œuvre. Le duc de Guise tendit ouvertement à l'usurpation: une généalogie mensongère, rattachant directement les Lorrains à Charlemagne, fut fabriquée et prépara les esprits à reconnaître un nouveau maître quand la race des Valois viendrait à s'éteindre ou à être renversée du trône. Une guerre d'infatigable et implacable diffamation se poursuivit avec acharnement d'abord contre Henri III et plus tard contre le Béarnais. Le Journal de L'Étoile nous tient au courant, jour par jour et presque heure par heure, de ces manœuvres de parti; les Mémoires de Condé et les Mémoires de la Ligue, précieuses compilations, fournissent aussi de nombreux documents polémiques. Manifestes, Remontrances, Conseils, Invectives, les intérêts et les passions s'y montrent sous toutes les formes avec une vivacité et une fécondité qui prouvent l'ardeur des esprits. Il y a dans ces archives quelques morceaux de noble éloquence, entre lesquels on distingue l'Anti-Espagnol, catilinaire patriotique attribuée par les uns à un petit-fils de Lhôpital, Michel Huraut, seigneur de Fay, par d'autres au premier des Antoine Arnauld. Le dépouillement, même sommaire, de ces pièces destinées à être lues, et qui attestent un notable progrès de la langue amené par le besoin d'être compris et de persuader, nous entraînerait trop loin. Il nous suffit de signaler, en passant, cette influence de la polémique sur le langage; nous en trouverons bientôt les meilleurs résultats dans la Menippée.

Quelle qu'ait été l'importance de ces écrits divers, si

Histoire littéraire.

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nombreux alors, l'action immédiate de la parole fut beaucoup plus puissante sur les esprits, dont, par malheur, elle entretenait à dessein l'agitation. L'Espagne, qui fomentait nos séditions parce qu'elle redoutait notre puissance, prodiguait l'or pour tenir en haleine des prédicateurs mercenaires, qui faisaient de la chaire catholique une tribune et de l'église un parlement. Les sermonnaires de la Ligue, dont un écrivain savant et sincère a recueilli de nos jours les faits et gestes oratoires, avaient substitué à la parole de paix des cris de guerre; aux conseils de la morale évangélique, l'injure et la calomnie; à l'enseignement du dogme, l'excitation à la guerre civile et au meurtre. La religion et la patrie gémissaient de ces excès, que l'histoire a flétris par la main courageuse d'Auguste de Thou, et que Bossuet désavoue avec mépris et douleur au nom de l'Église ; mais ces paroles sacriléges étaient avidement accueillies par un zèle aveugle et violent qui de là courait au crime comme à un sacrifice héroïque. Lorsqu'on avait entendu du haut de la chaire cette définition de Henri III donnée par Boucher : « Bref, c'est un Turc par la tête, un Allemand par le corps, une harpie par les mains, un Anglais par la jarretière, un Polonais par les pieds, et un vrai diable en l'âme; » qu'y avait-il de mieux à faire que d'aller incontinent frapper ce roi diabolique. Ainsi fit le jacobin Jacques Clément. Et lorsque Commelet, panégyriste du meurtrier, invoquait plus tard le souvenir d'Aod qui avait tué le roi des Moabites, et qu'il s'écriait d'une voix tonnante: « Il nous faut un Aod, fût-il moine, fût-il berger, fût-il goujat, fût-il huguenot même, n'importe ! » n'aiguisait-il pas le poignard des Barrière et des Châtel?

Au reste, ces doctrines de meurtre et de révolte n'étaient pas le privilége d'un parti. Selon les temps et le besoin de la cause, elles passaient d'un camp à l'autre, et le droit de tuer un adversaire gênant a été tour à tour de théorie et de pratique pour les partis qui divisaient la France. C'est une curieuse et triste histoire que cet échange rapide de maximes et de principes dans les temps de trouble, et qui prouve que

les arguments n'y sont employés que comme des armes de guerre, en dehors de toute raison et de tonte justice. Partout règne entre les factions cette maxime impie de la souveraineté du but qui justifie les moyens par la fin. Bayle nous le dit avec sa pénétration ordinaire : « Les révolutions de France changèrent tellement la scène, que les maximes des deux partis passèrent réciproquement du blanc au noir.» Montaigne, qui s'était mis à l'écart pour mieux voir et bien juger, a également noté ces scandaleuses variations: « Voyez, s'écrie-t-il, l'horrible impudence de quoy nous pelotons les raisons divines, et combien irreligieusement nous les avons rejetées et reprises, selon que la fortune nous a changés de place en ces orages publics. Cette proposition si solennelle: S'il est permis au sujet de se rebeller et armer contre son prince pour defendre la religion, souviennevous en quelles bouches ceste année passée l'affirmative d'icelle estoit l'arc-boutant d'un party; la negative, de quel autre party c'estoit l'arc-boutant; et oyez à present de quel quartier vient la voix et instruction de l'une et de l'autre, et si les armes bruyent moins pour ceste cause que pour celle-là. >>

Il fallait prendre au moins quelque idée de ces impudentes évolutions de la pensée et de ces scandales de la parole au service de l'esprit de faction, pour goûter ensuite, comme il convient, le bon sens assaisonné, la piquante sagesse de ces intelligences saines et gaillardes qui firent expier aux perturbateurs de la France, par la raillerie, les excès dont elles avaient su se préserver. Les auteurs de la Měnippée étaient restés ou devenus catholiques, sans se croire déliés par la Sorbonne du serment de fidélité au prince et aux lois du royaume ; ils furent de bonne foi gallicans en religion, Français en politique; désirant et provoquant la conversion de Henri IV, ils n'en faisaient pas la condition de leur obéissance; sans autre zèle que celui du bien public, sans ambition de dignités ou de pension, car, après le succès, ils ne demandèrent et ne reçurent aucun loyer du service qu'ils avaient rendu, ils se mirent

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