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il en est un que nous n'hésitons pas à placer ici. Lorsque les Sarrasins approchent, Olivier supplie Roland de sonner du cor pour avertir Charlemagne; il renouvelle par trois fois cette prière, et trois fois il reçoit la même réponse, dont les termes varient, mais dont le sens est toujours le même. Voici la dernière de ces réponses, dont le retour et la symétrie décèlent la main d'un poëte qui connaît ou qui devine les secrets de l'art :

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Cumpainz Rollant, sunez vostre olifan;
Si l'orrat Carles qui est as porz passant;
Je vous plevis, jà returnerunt Franc!
Ne placet Deu, ço li respunt Rollant,
Que ço seit dit de nul hume vivant
Ne pur paien que jà sei-jo cornant!
Jà n'en aurunt reproece mi parent.
Quant jo serai en la bataille grant,
E jo ferrai e mil colps e vII cenz,
De Durandal verrez l'acer sanglent!
Franceis sunt bon, si ferrunt vassalment!

Jà cil d'Espaigne n'auerunt de mort guarant1 ! »

C'est sans doute ce serment de vaincre ou quelque passage analogue que le jongleur Taillefer chantait aux premiers rangs de l'armée de Guillaume, avant la bataille d'Hastings. Rien ne prouve victorieusement, mais aussi rien ne défend absolument de croire que le Turold, auteur du poëme de Roncevaux, n'ait été au nombre de ces Normands qui suivirent leur duc à la conquête de l'Angleterre, et que nous ne possédions le texte même auquel Taillefer empruntait

1. Compagnon Roland, sonnez votre olifant; Charles qui est aux ports passant;

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Je vous (le) garantis, aussitôt retourneront Francs. Ne plaise à Dieu, ce lui répond Roland, - Que cela soit dit par aucun homme vivant - Et surtout pour des païens que jamais j'aie été sonnant du cor! - Jamais n'en auront reproche mes parents. Quand je serai dans la bataille grande - Et (que) je frapperai et mille coups et sept cents, De Durandal (vous) verrez l'acier sanglant, Les Français sont courageux, ainsi frapperont-ils brave- Jamais ceux d'Espagne n'auront contre la mort de garant.

ment;

ses chants guerriers. Ce soupçon seul ajoute à la vénération doit nous inspirer cet antique monument de poésie nationale.

que

Le caractère exclusivement guerrier et religieux de ce poëme, où la galanterie n'a point de place, où le merveilleux se laisse à peine entrevoir; le sentiment de patriotisme qui l'anime et qui ramène si souvent le nom de douce France, et la majesté de Charlemagne toujours respecté, toujours obéi, autorisent la critique à rattacher l'inspiration première de la chanson de Roland au règne même de ce prince, quand l'autorité royale n'avait reçu aucune atteinte, et quand les efforts de l'héritier des Césars pour constituer l'unité d'une grande nation avaient imprimé le patriotisme au cœur des peuples unis sous sa main puissante. C'est le seul qui ait conservé profondément l'empreinte de ce sentiment de nationalité que les divisions féodales devaient altérer si promptement. En effet, la plupart des chansons de gestes qui célèbrent les exploits des pairs de France compagnons de Charlemagne tirent leur intérêt de la lutte du vassal contre le suzerain. Nous n'y voyons plus l'image d'une grande nation soumise avec enthousiasme à un grand empereur, mais le tableau de cette société féodale où l'affaiblissement de la royauté enhardit la résistance. Roland, neveu de Charlemagne et sujet fidèle, est le héros de la France: c'est un Achille national; Renaud de Montauban, l'aîné des quatre fils Aymon, Ogier le Danois, sont les héros de la féodalité. Leur supériorité glorifie la lutte contre l'empire. Aussi Charlemagne est-il bien déchu dans les compositions de ce genre: il y porte la peine de la faiblesse de ses successeurs. Dans les quatre fils Aymon, non-seulement la victoire lui manque souvent, mais il est en butte aux mauvais tours de la sorcellerie de Maugis, et tourne au comique; il y arrive même dans le Voyage à Jérusalem, qui n'est qu'un fabliau de forme épique et qui, tout vieux qu'il est, appartient au genre héroï-comique. Il paraît que le travail de poésie populaire qui éleva si rapidement Charlemagne à des proportions surhumaines s'arrêta brusquement avant la fin du 9° siècle,

et qu'il ne dépassa guère le moment où ce vétéran naïf et enthousiaste des grandes armées racontait, au fond d'un couvent d'Allemagne, les merveilles que le moine de SaintGall a consignées dans sa chronique.

Nous ne pouvons point passer en revue tous les poëmes qui représentent ou qui idéalisent les mœurs féodales. Ce serait presque un dénombrement homérique : le défilé en serait long et fastidieux. Il vaut mieux en choisir un seul dans le nombre et s'y arrêter. Ogier le Danois doit avoir la préférence, puisque la légende qui le célèbre est complète, et que nous pouvons, comme pour la chanson de Roland, remonter à un texte authentique et de date ancienne. Le vers de dix syllabes dans les chansons épiques nous reporte au moins à la première moitié du 12o siècle, puisqu'à partir du poëme d'Alexandre l'hexamètre déjà en usage dépossède entièrement le pentamètre, grâce à la vogue de cette grande composition d'où il a tiré son nom d'alexandrin. L'assonance, au lieu de la rime, est un signe plus certain encore d'ancienneté : or, la Chevalerie Ogier de Danemarche, par Raimbert de Paris, est en vers assonants et de dix syllabes. Ce poëme, tel qu'il a été publié par M. Barrois, se compose de treize mille cinquante-neuf vers, et comprend toutes les prouesses d'Ogier, depuis ses premiers exploits jusqu'à sa mort. C'est ce que les anciens appelaient un poëme cyclique. Nous allons essayer d'en donner une idée.

Expliquons d'abord le nom de Danois donné à un héros du cycle carlovingien et qui semble rattacher nos légendes nationales à la Scandinavie. Il n'en est rien; notre Danois prétendu est un Ardennais. Dane (forêt), are-dane, par l'adjonction de l'article, en formant danemarche ou frontière de l'Ardenne, a donné lieu à cette confusion que la critique moderne a dissipée. Nous tenons donc Ogier pour un guerrier de race germanique, tantôt compagnon, tantôt adversaire de Charlemagne. Le jeune Ogier est retenu en otage à la cour de Charlemagne comme garantie du tribut que doit payer son père, Geoffroy, gardien des marches d'Ardenne. Celui-ci, au lieu d'acquitter sa dette, renvoie

les messagers de Charlemagne la tête rase et la barbe coupée. La vie d'Ogier doit payer cet outrage on l'enferme dans la tour de Saint-Omer; et, malgré les prières de la reine et du duc Naymes de Bavière, le supplice ne se serait pas fait longtemps attendre sans une diversion imprévue. Des envoyés du pape se présentent implorant le secours du roi de France contre les Sarrasins. L'armée se met en marche, et le jeune otage, sous la foi du duc Naymes, prend la route de l'Italie. Au passage des Alpes, il arrache l'étendard royal des mains d'un traître qui prenait la fuite, il rétablit la bataille, et dès lors sa grâce est assurée. Au siége de Rome, ses exploits ne se comptent pas : il tue en combat singulier un chef des infidèles; il y gagne son bon cheval, l'infatigable, l'indomptable Broiefort, et, par surcroît, la faveur de Charlemagne. Tel est le canevas de la première partie du poëme, brillante ouverture d'une longue série de hauts faits.

Plusieurs années se sont écoulées, et la fidélité d'Ogier ne s'est pas plus démentie que son courage. Une partie d'échecs va changer la face des choses. Baudouin, unique fils d'Ogier, né de ses courtes amours dans la tour de SaintOmer, est tué par le fils de Charlemagne, qui lance le lourd échiquier d'or et d'ivoire à la tête de son adversaire trop habile au jeu. Ogier réclame fièrement la tête du meurtrier; on la lui refuse; il jure de se venger et court chercher un asile à Pavie, auprès de Didier, roi des Lombards. Charlemagne demande que son vassal lui soit livré; et sur le refus de Didier, il passe une seconde fois les Alpes pour mettre le siége devant Pavie. La résistance dirigée par Ogier est terrible. Les combats succèdent aux combats; Ogier, partout présent, partout victorieux, repousse les assauts et multiplie les sorties. Au retour d'une de ces excursions, soit hasard, soit trahison, les portes de Pavie se ferment devant Ogier. A ce moment commence une fuite triomphante et une poursuite acharnée dont il est impossible de reproduire tous les incidents. La fuite d'Ogier ne s'arrête par instants que pour ralentir la poursuite de Char

lemagne par de prodigieux exploits, qui laissent sur la trace du fuyard héroïque des monceaux de cadavres. Deux fois Ogier trouve un asile dans des châteaux qui lui sont soumis; il s'y défend presque seul jusqu'à l'épuisement complet de ses ressources. Enfin, sans avoir été vaincu, il est surpris endormi dans la campagne, et tombe aux mains de Turpin, archevêque de Reims, qui reçoit de Charlemagne l'ordre de le mettre à mort. Le pieux et brave prélat feint d'obéir et se contente d'enfermer Ogier dans un cachot voisin de son palais. Charlemagne se croit délivré de son invincible ennemi. Voilà bien un second poëme, mais nous ne sommes pas au terme de cette héroïque légende.

Charlemagne jouit en paix de sa victoire, pendant que la France pleure son héros qu'elle croit mort. Mais bientôt un roi sarrasin envahit la France avec une armée innombrable, portant partout la mort et l'incendie. Ogier seul pourrait écarter le péril. Alors s'élève la voix du désespoir dans un cri formidable trois fois répété : Ogier! Ogier! Ogier! Turpin peut enfin révéler sa désobéissance. Ogier sort de son cachot; mais il ne reparaîtra à la tête des armées que si on lui livre le meurtrier de son fils. Il faut aussi lui rendre son armure et son cheval. Les larmes de Charlemagne ne peuvent attendrir l'inexorable Ogier; sa colère ne cédera que devant le sang du coupable. Charlemagne s'est résigné à ce douloureux sacrifice; le fer est levé, lorsqu'un ange du ciel arrête le bras d'Ogier : encore faut-il que le messager du ciel permette au héros de décharger sa colère par un furieux coup de poing qui fait rouler à terre le fils de Charlemagne. On retrouve ensuite Broiefort parmi les bêtes de somme d'un couvent, et le noble animal, à la vue de son maître et devant l'appareil de guerre qui frappe ses yeux, retrouve sa vigueur première et toute son ardeur. Je laisse à d'autres le soin de compter les nouveaux exploits d'Ogier : on prévoit la défaite du roi sarrasin, l'extermination de son armée, la délivrance de la France, la reconnaissance de Charlemagne; ajoutons qu'Ogier épouse une princesse qu'il a sauvée des mains des mécréants, que ses noces ne

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