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la terre ferme de Canara. C'était la capitale des Indes, le siége de l'évêque et du vice-roi, et le lieu de tout l'Orient le plus considérable pour le commerce. Elle avait été bâtie par les Mores quarante ans avant que les Européens passassent aux Indes; et l'année 1510, don Alphonse d'Albuquerque, surnommé le grand, l'enleva aux infidèles et la soumit à la couronne de Portugal.

Ce fut alors que se vérifia la célèbre prophétie de l'apôtre saint Thomas, que la foi qu'il avait plantée en divers royaumes de l'Orient y refleurirait un jour; et c'est cette prédiction que le saint apôtre laissa gravée sur une colonne de pierre vive, pour la mémoire des siècles à venir. La colonne n'était pas loin des murs de Méliapor, capitale du royaume de Coromandel ; et on y lisait, en caractères du pays, que quand la mer, éloignée de quarante milles, serait venue au pied de la colonne, il viendrait aux Indes des hommes blancs étrangers qui y rétabliraient la religion.

Les infidèles se moquèrent longtemps de la prophétie, ne jugeant pas qu'elle dût jamais s'accomplir, et y voyant même une espèce d'impossibilité. Elle s'accomplit néanmoins si juste, que, quand don Vasco de Gama aborda aux Indes, la mer, qui usurpe quelquefois sur le continent en mangeant peu à peu les terres, baignait le pied de la colonne dont nous venons de parler.

Mais on peut dire que la prédiction de saint Thomas n'eut tout son effet qu'après la venue du père Xavier, conformément à une autre prophétie du saint homine Pierre de Couillan, religieux de la Trinité, qui, étant allé aux Indes, avec don Vasco de Gama, en qualité de son confesseur, fut martyrisé par les Indiens, le 7 juillet de l'année 1497, quarante-trois ans avant la naissance de la Compagnie de Jésus, et qui, tout percé de flèches, lorsqu'il répandait son sang pour Jésus-Christ, prononça distinctement ces paroles: Dans peu d'années il naîtra en l'Eglise de Dieu une nouvelle religion de clercs qui portera le nom de Jésus; et un de ses premiers Pères, conduit par le Saint-Esprit, pénétrera jusqu'aux contrées les plus éloignées des Indes-Orientales, dont la plus grande partie embrassera la foi orthodoxe par le ministère de ce prédicateur évangélique.

C'est ce que rapporte Jean de Figueras-Carpi, dans l'histoire de l'Ordre de la Rédemption des captifs, sur les manuscrits du couvent de la Trinité de Lisbonne et sur les mémoires de la Bibliothèque du roi de Portugal.

Pour revenir au débarquement de Xavier, en sortant du navire, il alla prendre son logement à l'hôpital, malgré toutes les résistances du vice-roi, qui avait envie de le loger. Mais il ne voulut pas commencer ses fonctions de missionnaire qu'il n'eût rendu auparavant ses devoirs à l'évêque de Goa : c'était don Jean d'Albuquerque, religieux de saint François, homme de très grand mérite et un des plus vertueux prélats que l'Eglise ait peut-être jamais eus.

Le Père, après lui avoir expliqué les raisons pour lesquelles le souverain Pontife et le roi de Portugal l'avaient envoyé aux Indes, lui présenta les brefs de Paul III, et lui déclara qu'il ne prétendait s'en servir qu'avec son agrément; il se jeta ensuite à ses pieds et lui demanda sa bénédiction.

Le prélat, édifié de la modestie du Père, et frappé de je ne sais quel air de sainteté répandu sur son visage, le releva aussitôt et l'embrassa tendrement. Il baisa plusieurs fois les brefs du Pape; et, en les rendant au Père, il lui parla de la sorte: Un légat apostolique, envoyé immédiatement du Vicaire de Jésus-Christ, n'a pas besoin de prendre sa mission d'ailleurs. Usez libre. ment des pouvoirs que le Saint-Siege vous a donnés, et soyez sûr que si l'autorité épiscopale est nécessaire les maintenir, elle ne vous manquera pas.

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Dès ce moment-là ils lièrent amitié, et leur union devint si étroite dans la suite, qu'ils semblaient tous deux n'avoir qu'un cœur et qu'une âme : aussi le père Xavier n'entreprenait rien sans avoir consulté l'évêque. L'évêque, de son côté, communiquait tous ses desseins au père Xavier : on ne peut croire combien une telle correspondance servit au salut des âmes et à l'exaltation de la foi.

Avant que de passer outre, il importe de savoir l'étåt où était alors la religion dans les Indes. Il est vrai que, selon la prophétie de saint Thomas, ceux qui décou

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vrirent les Indes-Orientales y firent renaître en quelques endroits le christianisme, dont il ne restait presque aucune trace nulle part; mais l'ambition et l'avarice refroidirent bientôt le zèle de ces conquérants: au lieu d'étendre le royaume de Jésus Christ et de lui gagner des âmes, ils ne songèrent qu'à pousser plus loin leurs conquêtes et qu'à s'enrichir. Il arriva même que plusieurs Indiens nouvellement convertis, n'étant ni cultivés par des instructions salutaires ni édifiés par de bons exemples, oublièrent insensiblement leur baptême et retournèrent à leurs anciennes superstitions.

Que si quelqu'un d'eux conservait la foi et se déclarait fidèle, les Mahométans, qui étaient en plusieurs endroits maîtres des côtes et fort riches, le persécutaient cruellement, sans que les gouverneurs et les magistrats portugais s'y opposassent, soit que la puissance portugaise ne fût pas encore assez établie, soit que l'intérêt l'emportât sur la religion et sur la justice. Ces traitements tyranniques empêchaient les nouveaux chrétiens de professer Jésus-Christ, et étaient cause que, parmi les infidèles, personne ne pensait plus à se convertir.

Mais ce qui doit paraître plus étrange, les Portugais vivaient eux-mêmes plus en idolâtres qu'en chrétiens ; car, pour dire quelque chose de particulier du déréglement de leurs mœurs, suivant la relation qui fut envoyée des Indes au roi de Portugal Jean III, par un homme d'autorité et digne de foi, peu de mois avant la venue du père Xavier, chacun avait autant de concubines qu'il voulait, et les tenait toutes chez lui en qualité de légitimes épouses. L'on achetait ou l'on ravissait des femmes pour en tirer du service et de l'argent; les maîtres taxaient ces esclaves à une certaine somme par jour, et si elles manquaient à la payer, il n'est point de mauvais traitements qu'on ne leur fît; de sorte que les malheureuses, ne pouvant pas quelquefois assez travailler, et craignant d'être maltraitées, faisaient un commerce infâme de leurs corps, et se prostituaient au public pour contenter l'avarice de leurs maîtres.

La justice se vendait dans les tribunaux, et les crimes les plus énormes n'étaient point punis quand les criminels avaient de quoi corrompre leurs juges. Toutes les

voies étaient permises pour amasser de l'argent, quelque iniques qu'elles fussent, et surtout l'usure se pratiquait publiquement. On comptait pour rien un assassinat. et on s'en vantait comme d'une belle action.

L'évêque de Goa avait beau menacer de la colère du Ciel et fulminer des excommunications pour arrêter ces débordements, les coeurs étaient si endurcis, qu'on se moquait des menaces et des anathèmes de l'Eglise ; ou, pour mieux dire, la privation des sacrements n'était pas une peine à des scélérats et à des impies qui s'en séparaient d'eux-mêmes. L'usage de la confession et de la communion était en quelque sorte aboli; et si quelqu'un, par hasard, touché des remords de sa conscience, voulait se réconcilier avec Dieu au pied d'un prêtre, il n'osait le faire que la nuit et secrètement, tant l'action paraissait extraordinaire et honteuse.

Une si étrange dépravation eut diverses causes. Elle commença par la licence des armes, qui permet et qui autorise les plus grands désordres en un pays de conquête. Les délices de l'Asie et le commerce des infidèles n'aidèrent pas peu à gâter les Portugais, tout austères et réglés qu'ils sont naturellement; le défaut de secours spirituels y contribua encore beaucoup. Il n'y avait pas quatre prédicateurs en toutes les Indes, ni guère plus de prêtres hors de Goa; de sorte que, dans plusieurs forteresses, on n'entendait ni sermons ni messes durant des années entières.

Voilà, à peu près, quelle était la face de la chrétienté du Nouveau Monde, quand le père Xavier y arriva. L'auteur de la relation d'où j'ai tiré ce que je viens de rapporter, avait, ce semble, un pressentiment de sa venue; car, à la fin du mémoire, il prie le Ciel et conjure le roi de Portugal d'envoyer aux Indes quelque saint homme qui y réforme les mœurs des Européens par ses discours apostoliques et par ses vertus exemplaires.

Pour les gentils, la vie qu'ils menaient tenait bien plus de la bête que de l'homme. L'impureté était venue parmi eux au dernier excès, et les moins corrompus étaient ceux qui n'avaient nulle religion. La plupart adoraient le démon sous une figure impudique et avec

des cérémonies que la bienséance empêche de dire. Il y en avait qui changeaient de dieu tous les jours; et la première chose vivante qu'ils rencontraient le matin était l'objet de leur culte, fût-ce un chien ou un pourceau. Chacun, au reste, faisait à ses dieux des sacrifices sanglants, et rien n'était plus commun que de voir égorger de petits enfants par leur propre père devant les idoles.

Tant de sortes d'abominations enflammèrent le zèle du père Xavier. Il eût bien voulu pouvoir en même temps remédier à tout il crut néanmoins devoir commencer par les domestiques de la foi, selon le précepte de saint Paul, c'est-à-dire par les chrétiens; il jugea même qu'il devait s'attacher d'abord aux Portugais, dont l'exemple était très puissant sur les Indiens baptisés ; et voici de quelle manière il s'y prit :

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Pour s'attirer les bénédictions du Ciel dans une si difficile entreprise, il passait la plus grande partie de la nuit avec Dieu, et ne dormait guère que trois ou quatre heures encore ce peu de repos était troublé ordinairement; car, étant logé à l'hôpital et couchant toujours près des plus malades, comme il faisait au Mozambique, il se levait pour les secourir ou pour les consoler dès qu'ils se plaignaient tant soit peu.

Il se remettait en prière à la pointe du jour et disait ensuite la messe. Toute la matinée s'employait dans les hôpitaux, particulièrement dans celui des lépreux, qui était à un faubourg de Goa. Il embrassait ces misérables l'un après l'autre, et leur distribuait lui-même ce qu'il avait mendié de porte en porte pour eux. Il allait de là aux prisons, et rendait aux prisonniers les mêmes devoirs de charité.

En revenant, il faisait un tour par la ville, la clochette à la main, et priait à haute voix les pères de famille d'envoyer, pour l'amour de Dieu, leurs enfants et leurs esclaves au catéchisme. Le saint homme avait dans l'esprit que si, au moins la jeunesse portugaise était bien instruite des principes de la religion et for mée de bonne heure aux exercices de la vertu, on verrait en peu de temps le christianisme revivre à Goa; mais que si elle demeurait sans instruction et sans

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