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nière vive et ardente, comme s'il les eût expérimentés et qu'il fût revenu de l'enfer. Il disait même souvent, au rapport du Saint, que, par un juste châtiment du Ciel, ceux qui, pendant leur vie, ne se disposaient point à la mort, n'avaient pas le temps de penser à Dieu quand la mort les surprenait.

L'ambassadeur et tous ses gens ne doutèrent pas que les mérites du saint homme n'eussent sauvé l'écuyer; mais Xavier croyait que c'était un effet de la piété de l'ambassadeur; et c'est ce qu'il manda au père Ignace : << Notre-Seigneur a bien voulu exaucer les prières fer>> ventes que son serviteur Mascaregnas lui a faites, les >> larmes aux yeux, pour la vie de ce misérable, dont nous n'espérions plus rien, et qui a été délivré de » la mort par un miracle manifeste ».

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Au passage des Alpes, le secrétaire de l'ambassadeur ayant mis pied à terre en un chemin difficile que les neiges empêchaient de reconnaître, le pied lui manqua sur une pente assez raide; il roula dans un précipice, et il aurait été jusqu'au fond, si, en tombant, ses habits ne se fussent pris à des pointes de rocher, où il demeura suspendu, sans pouvoir se dégager ni remonter de luimême. Ceux qui le suivaient coururent à lui; mais la profondeur de l'abîme effraya les plus hardis. Xavier, qui survint, ne balança pas un moment; il descendit dans le précipice, et, tendant la main au secrétaire, l'en retira peu à peu.

Etant sortis de France, et ayant passé les Pyrénées du côté de la Navarre, lorsqu'ils approchaient de Pampelune, Mascaregnas fit réflexion que le père François (c'est ainsi qu'on appelait Xavier communément) ne parlait point d'aller au château de Xavier, qui était peu éloigné de leur chemin il l'en avertit, et l'en pressa même, jusqu'à lui représenter que, quittant l'Europe pour n'y revenir peut-être jamais, il ne pouvait pas se dispenser honnêtement de rendre une visite à sa famille et de dire un dernier adieu à sa mère qui vivait encore.

Les remontrances de l'ambassadeur ne firent aucun effet sur un homme qui, depuis qu'il eut abandonné tout pour Dieu, ne crut plus avoir rien au monde, et qui d'ailleurs était persuadé que la chair et le sang sont

ennemis de l'esprit apostolique. Il suivit le droit chemin, et dit seulement à Mascaregnas, qu'il se réservait à voir ses parents au ciel, non en passant et avec le chagrin que les adieux causent d'ordinaire, mais pour toujours et avec une joie toute pure.

Mascaregnas avait déjà une haute idée de la vertu du père François : ce détachement si étrange augmenta encore l'estime qu'il avait pour lui; de sorte qu'avant de gagner le Portugal, il envoya un courrier exprès au roi Jean III, pour l'informer de la sainteté du second missionnaire des Indes.

Ils arrivèrent à Lisbonne vers la fin du mois de juin. Xavier se retira à l'hôpital de tous les Saints, où Rodriguez, qui était venu par mer, avait pris son logement. Il le trouva fort abattu de sa fièvre quarte qui ne l'avait point quitté, et il l'embrassa sur le point que l'accès lui allait prendre. Mais, soit que l'extrême joie qui saisit Rodriguez en ce moment-là dissipât l'humeur que causait son mal, ou que les embrassements de Xavier eussent dès lors une vertu salutaire, l'accès ne vint point, et le malade n'eut depuis aucun ressentiment de fièvre. Trois ou quatre jours après, ils furent appelés tous deux à la cour. Le roi et la reine, qui étaient ensemble, reçurent Xavier comme un saint, sur le rapport de Mascaregnas, et lui témoignèrent toute la bienveillance possible. Ils lui firent diverses questions touchant leur genre de vie, par quelle rencontre leur nouvelle société s'était formée, et ce qu'elle s'était proposé d'abord pour le but de ses desseins: ils lui demandèrent enfin des nouvelles de la grande persécution excitée dans Rome contre eux, et qui avait éclaté dans toute l'Europe. Xavier répondit à tout en peu de mots, mais d'une manière qui contenta le roi et la reine. « L'un et l'autre » approuvèrent fort, dit-il lui-même, en écrivant de >> Lisbonne au père Ignace, ce que nous leur dîmes de » la discipline de nos maisons, de la qualité de nos mi»nistères, de l'esprit et du plan de tout l'Institut. »>

Au milieu de l'entretien, le roi fit venir l'infant don Juan son fils, et l'infante Marie sa fille, pour les faire voir aux deux missionnaires des Indes. A l'occasion du prince et de la princesse, il leur raconta, par un

excès de bonté, combien Dieu lui avait donné d'enfants, combien il lui en était mort et ce qui lui en restait. La conversation tourna ensuite sur l'éducation de la jeunesse ; et avant que les Pères se retirassent, le roi les pria de prendre soin de cent jeunes gentilshommes qui étaient nourris à la cour.

Quoique un officier du palais eût ordre de préparer, pour Xavier et pour Rodriguez, un logement honnête et commode, ils retournèrent à leur hôpital et y demeurèrent toujours. Ils ne voulurent pas même recevoir ce qui leur fut assigné de la cour pour vivre; ils allaient demander l'aumône par la ville à certaines heures réglées, et vivaient en pauvres selon la manière de vie qu'ils s'étaient prescrite.

Comme l'embarquement ne se devait faire qu'au printemps de l'année suivante, et que les hommes apostoliques ne savaient ce que c'est que d'être oisifs, Xavier ne se contenta pas d'instruire dans la piété les jeunes gens dont le roi l'avait chargé; il se donna lui-même de l'emploi, et fit à Lisbonne ce qu'il avait fait à Venise, à Bologne et à Rome, pendant plus de deux années. Mais outre qu'il assistait jour et nuit les malades de l'hôpital, qu'il visitait tous les jours les prisonniers, et qu'il faisait, plusieurs fois la semaine, le catéchisme aux enfants, il traitait souvent avec les principales personnes de la cour, et les engageait aux exercices spirituels du père Ignace.

Il ne voulut pas prêcher d'abord dans les églises, jugeant que les ministres de l'Evangile devaient commencer par des actions moins éclatantes : il ne monta en chaire qu'à la sollicitation du roi, qui, l'ayant fait venir un jour au palais, lui témoigna souhaiter de l'entendre, et lui dit que l'évêque de Lisbonne était d'avis qu'il ne différât pas davantage à faire des prédications publiques.

Le père Simon Rodriguez travaillait, de son côté, au service du prochain, avec la même méthode et le même esprit.

Cependant Martin d'Azpilcuète, surnommé le docteur Navarre, qui était oncle de Xavier du côté maternel, et qui tenait la première chaire de théologie dans

l'université de Coimbre, ayant appris l'arrivée de son neveu, écrivit au roi des lettres très fortes, par lesquelles il suppliait Sa Majesté de lui envoyer le père François. Il ajoutait que, si on voulait le lui laisser jusqu'au départ de la flotte, il s'obligerait à deux leçons nouvelles, sans autres appointements que les siens, l'une de droit canon, l'autre de théologie mystique; que même, dans peu d'années, il irait joindre Xavier et prêcher l'Evangile avec lui aux idolâtres de l'Orient.

Ces lettres furent inutiles. Un homme qui n'avait pas voulu se détourner du chemin pour rendre une visite à sa mère, n'eut garde de faire un voyage et de quitter des Occupations importantes pour voir un de ses parents. Le roi retint Xavier dans Lisbonne, à la prière de Xavier même, et le Père écrivit une lettre d'excuse au docteur Navarre, qui lui en avait écrit deux pleines d'amitié. Comme le docteur était en peine de la forme de vie que son neveu avait embrassée, Xavier lui répondit de la sorte sur ce point : « Pour ce qui est de ce que vous » ajoutez qu'on dit bien des choses de notre Institut, » je n'ai présentement qu'un mot à vous dire là-dessus. Il importe peu, illustre docteur, d'être jugé des hom» mes, principalement de ceux qui jugent avant que » d'entendre et que de connaître ».

Du reste, il lui conseilla de ne point penser aux Indes, ainsi que Navarre le rapporte lui-même dans son Manuel. J'aurais fini là mes jours, dit ce savant homme, si Xavier, à cause de mon âge, ne m'eût jugé incapable des fatigues de sa mission, et s'il ne m'eût écrit, en partant, que je me consolasse de son absence par l'espérance de nous voir au ciel.

Les deux missionnaires ne travaillèrent pas en vain à Lisbonne. Dès les premiers jours, la dévotion se mit dans le peuple, on vit tout le monde fréquenter les sacrements, dont personne ne s'approchait guère que le carême ; et ce saint usage se répandit insensiblement par toutes les villes. Plusieurs, qui différaient leur conversion de jour en jour, se donnèrent tout d'un coup à Dieu, et renoncèrent même au siècle; les plus mortels ennemis se réconcilièrent de bonne foi, et les fameuses courtisanes quittèrent leur vie libertine.

Mais ce changement de mœurs éclata particulièrement à la cour. Le roi, qui avait un grand fonds de religion et de probité, se déclara le premier contre tous les vices qui infectent d'ordinaire les palais des princes; et, pour réformer peu à peu non seulement sa maison, mais tout son royaume, il obligea les jeunes courtisans de se confesser tous les huit jours; car il disait que, si les gentilshommes et les seigneurs s'accoutumaient, dès leurs plus tendres années, à craindre Dieu et à le servir, ils vivraient chrétiennement dans un âge plus avancé; que, si les gens de condition étaient une fois gens de bien, le peuple, qui se forme toujours sur eux, ne manquerait pas de régler ses mœurs, et qu'ainsi la réformation de tous les ordres de l'Etat consistait principalement dans une bonne éducation de la noblesse.

L'exemple du prince et des jeunes courtisans entraîna le reste, et Xavier écrivit là-dessus au père Ignace en

ces termes :

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<< Il n'y a rien de plus régulier que la cour de Por>>tugal; elle ressemble beaucoup plus à une société religieuse qu'à une cour séculière. Le nombre des >> courtisans qui se confessent et qui communient cons»tamment tous les huit jours, est si grand, que nous >> en sommes dans l'admiration, et que nous en ren>> dons de continuelles actions de grâces à Dieu. Nous sommes tellement occupés à confesser, que, si nous étions deux fois autant que nous sommes, tous auraient abondamment de l'emploi. Nous demeurons >> au confessionnal les jours entiers et une partie de la nuit, quoiqu'on ne laisse venir à nous que les personnes de la cour.

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>> Je me souviens d'avoir remarqué que le roi étant » à Almeda, ceux qui se rendaient auprès du prince, >> de tous les endroits du royaume, pour leurs affaires, » comme c'est la coutume, ne se pouvaient lasser d'admirer une pratique si nouvelle, surtout en des courtisans ; et, lorsqu'ils les voyaient communier, chaque dimanche et chaque fête, avec beaucoup de révé»rence, ils étaient tout hors d'eux-mêmes. Mais la >> plupart, imitant ce qu'ils admiraient, s'approchaient » aussi et du tribunal de la pénitence et de la sainte

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