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nité, celles que fait la guerre surtout, ont des piédestaux douloureux. Il ne faut qu'une bataille gagnée pour faire un maréchal de France. Soit! Mais combien faut-il d'hommes tués et blessés, combien faut-il de mères privées de leurs fils, de femmes privées de leurs maris, de familles privées de leurs pères, pour faire une bataille gagnée! J'entends, il est vrai, le César de Lucain qui ne veut pas que nous nous attendrissions sur tant de soldats obscurs qui périssent pour la gloire de leur général :

Ilumanum paucis vivit genus;...

Parole impie et que le genre humain ne mérite que s'il la laisse trop souvent répéter impunément. Non, la vie du pauvre soldat périssant dans un coin du champ de bataille, ou mourant plus tristement encore sur un lit d'hôpital, n'est pas moins précieuse devant Dieu que la vie d'Alexandre et de César. Quand la Fontaine s'ćcrie avec tristesse :

Ilélas! on voit que de tout temps

Les petits ont souffert des sottises des grands;

voulait-il nous inspirer le mépris ou l'indifférence pour les petits et pour les sacrifiés? Non certes. L'histoire nous montre, il est vrai, la multitude humaine immolée sans scrupule à la gloire des conquérants; mais l'his

1 « Le genre humain ne vit que pour quelques hommes. »

toire nous montre aussi que ces petits, si souvent et si impunément écrasés, savent aussi parfois se défendre et sc venger. Les deux exemples se rencontrent dans l'histoire et dans la fable. Pendant longtemps des milliers de gladiateurs périssent dans les cirques romains pour amuser les loisirs du peuple. Un jour, un de ces gladiateurs, Spartacus, appelle ses compagnons à la révolte et fait trembler Rome. Un autre jour, dans la fable, c'est le moucheron qui déclare la guerre au lion qui l'a vait insulté. Si les petits ici-bas sont écrasés sans cesse par les grands, et si les grands sont, à chaque instant, renversés par les petits, quelle est la leçon à tirer de ce spectacle? Que rien n'est à l'abri des coups de la fortune, ni la petitesse, ni la grandeur; que le pauvre n'est pas plus sûr dans son obscurité que le riche dans sa splendeur. Cette leçon pourrait nous rendre indifférents aux choses de la terre. Mais, puisque Dieu a voulu que nous vivions sur cette terre, il y a une meilleure leçon à tirer de la vue de l'instabilité des choses humaines, c'est de nous secourir les uns les autres dans la lutte que nous avons tous à soutenir contre le malheur, petits ou grands; c'est de nous faire entre nous le plus de bien que nous pouvons, persuadés qu'il y a toujours assez de mal sur la terre et qu'il faut tâcher de le diminuer au lieu de l'augmenter. Or, rien ne peut plus efficacement restreindre la part du mal sur la terre que le support mutuel que nous nous donnons les uns aux

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autres, les grands aux petits et les petits aux grands. La charité des grands envers les petits est facile à concevoir; mais quelle peut être, dira-t-on, la charité des petits envers les grands? Elle est immense elle consiste à supporter sans envie et sans colère la prospérité des grands; ct, outre cette charité, qui est à l'usage de tout le monde, chacun ayant toujours un plus grand que soi, Dieu, dans l'égalité de sa bonté infinie, ménage aussi aux pauvres et aux petits des occasions particulières de charité envers les grands. Que d'exemples j'en pourrais citer dans l'histoire de nos troubles civils! et, comme ils abondent dans l'histoire, la fable n'a pas manqué d'en trouver aussi dans son monde.

Ce monde des animaux plein de rats plus hardis à délibérer qu'à exécuter; de chauves-souris qui changent de cocarde; de lices qui gardent volontiers le bien d'autrui; de grenouilles, pauvres contribuables, écrasées quand les taureaux se battent; de moucherons qui attaquent hardiment les grands et qui périssent sous les coups de plus petits qu'eux; de rats qui secourent les lions, quand ceux-ci ont été bons et charitables; ce monde plein de fautes et de misères, parce qu'il est plein de vices; et plein aussi de patience et de charité, parce qu'il est plein de malheurs également répartis malgré l'inégalité des conditions humaines, n'est-ce pas là vraiment le monde humain, tel qu'il est, en bien et en mal?

Mais quelle est donc la loi de ce monde! qui le gou verne? Est-ce le hasard ou la Providence! Pouvonsnous comprendre le mystère de son existence, soit dans le présent, soit dans l'avenir? Pourquoi est-il fait comme nous le voyons, et ne pourrait-il pas être mieux ordonné? Sont-ce là des questions que la fable puisse traiter? Oui, puisqu'elles nous viennent sans cesse à l'esprit, et que la fable n'est que l'image allégorique de la vie humaine. La philosophie de la Fontaine n'est sur ces divers points ni téméraire ni raffinée. Elle se compose de deux principes contenus et développés dans deux fables : 1° l'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits, 2° le Gland et la Citrouille.

Le premier principe est qu'il ne faut pas chercher à pénétrer l'avenir.

Quant aux volontés souveraines

De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,

Qui les sait que lui seul? Comment lire en son sein?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?

Le second principe est qu'il ne faut pas critiquer la Providence.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Trouve

Dans les citrouilles je la treuve1.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue:

« A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là!

Eh parbleu! je l'aurais pendue

A l'un des chènes que voilà;
C'eut été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé :

Tout en eût été mieux; car pourquoi, par exemple,

Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris. Plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo. »

Cette réflexion embarrassant notre homme,

« On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit. »
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe : le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille, et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage
« Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce donc
S'il fut tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause. »

En louant Dieu de toute chose

Garo retourne à la maison.

(Liv. IX, f. iv.)

J'ai lu des docteurs qui développaient mieux que Garo l'argument des causes finales. Mais que l'argument soit plus ou moins fort, qu'importe, pourvu qu'il

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