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suivant « Un joueur de flûte, ayant apere des por sous dans la mer, joua de la flûte, s'imaginant qu'ils viendraient à terre. Se voyant trompé dans son attente, il prit un filet, enveloppa une grande quantité de poissons qu'il tira sur le bord, et, comme il les vit sauter « Cessez, leur dit-il, cessez maintenant de « danser, puisque vous n'avez pas voulu le faire au « son de la flûte. » Cyrus était victorieux et tout puissant qu'avait-il besoin de cacher sa pensée sous le voile de l'apologue? qui craignait-il de blesser? qui voulait-il ménager? Personne assurément.

Ce jour-là l'apologue n'a point servi pour faire entendre la vérité aux despotes, puisque c'est le despote lui-même qui s'en sert pour se moquer, à son aise, de ses interlocuteurs.

J'ai encore à citer un fabuliste, peu connu sous co titre, et qui n'avait guère non plus le besoin ou l'habitude de ménager personne : c'est l'empereur Tibère. Flavius Josèphe raconte, dans ses Antiques judaïques', que Tibère n'aimait pas à changer les gouverneurs de provinces; il les laissait volontiers longtemps en place, et, quand on lui demandait pourquoi, il racontait l'apologue suivant : « Un jour, un blessé était couché à terre, t il y avait sur ses plaics un grand nombre de mouches. Un voyageur qui pas

Livre XVIII, chap. v.

sans le facher. L'apologue n'est ni d'Esope, ni de Crésus, ni de Lydie : il est de tous les pays, de tous les temps, de tous les genres de gouvernement; il est de l'homme enfin.

Je ne veux pas parler ici de Ménénius Agrippa, cet orateur d'une puissante aristocratie aux abois, racontant au peuple révolté la fable des Membres et de l'Estomac1. On me dirait qu'il n'y a pas de pire despote que le peuple en colère, et que l'apologue était tout à fait de mise en cette occasion. J'y consens. Cependant, si je me souviens bien de mon histoire romaine, le peuple ne fut que médiocrement touché de l'apologue de Ménénius, qui voulait conserser à l'estomac sa vieille prépondérance. Les tribuns furent créés comme des médecins chargés de veiller sur les caprices et les appétits de l'estomac. Croyons donc, si nous le voulons, que l'apologue de Ménénius fut inventé pour faire entendre la vérité à la puissance populaire. Je prendrai dans Hérodote un apologue plus ancien, celui de Cyrus aux Ioniens et aux Éoliens. Cyrus, avant d'attaquer Crésus, roi de Lydie, avait essayé de faire révolter contre lui les Grecs de l'Ionie et de l'Éolie : ceux-ci avaient refusé son alliance. Après la prise de Sardes, ils vinrent eux-mêmes la demander, et Cyrus leur répondit par l'apologue

Tile Live, liv. II, ch. xxx.

Livre Ier, ch. CXLI.

taphore ou une allégorie continuée, et que la métaphore et l'allégorie sont une des manières les plus naturelles de parler. J'irai volontiers jusqu'à dire que l'apologue court les rues, et je suis persuadé que, si chacun de nous voulait rassembler ses souvenirs de conversation depuis seulement une quinzaine, il trouverait dans sa mémoire je ne sais combien d'ébauches et de commencements d'apologues. Dans la conversation ordinaire, l'apologue reste presque toujours à l'état de métaphore et d'image; il va rarement jusqu'à l'allégorie. On sent cependant que, si on voulait pousser un peu plus loin la métaphore ou l'image, elle arriverait bien vite à l'apologue et à la fable.

Je lisais dernièrement un très-spirituel article de M. Philarète Chasles sur les nouvelles lettres de M. de Maistre, ce grand écrivain dont la gloire semble en train de changer de parti, et j'y trouvais un mot charmant de M. de Maistre. On se plaignait devant lui de l'effervescence libérale de l'empereur de Russie, Alexandre Ier, et on s'en prenait à ses conseillers qui, disait-on, étaient trop jeunes : « Il y avait autour de << lui trop de têtes blondes; il faudrait quelques têtes << blanches. Sans poudre,» ajouta M. de Maistre. C'est une pensée fine et profonde, exprimée par un emblème familier; c'est un apologue commencé. La pire sagesse, en effet, est celle qui se prend comme une mode, qui blanchit la tête sans mûrir l'esprit.

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J'assistais par hasard, il y a deux ou trois scmaines, à une conversation entre industriels et spéculateurs. «Mauvaise entreprise, disait l'un de je ne sais « plus quelle affaire: elle n'a eu encore qu'une compa<«< gnie tuée sous elle. Oui, répondait un autre, il <<< faut encore deux ou trois générations d'actionnaires « pour servir d'engrais. » Apologues commencés que cette conversation, dont les interlocuteurs faisaient de l'allégorie sans le savoir. Le soir, ouvrant un de mes vieux livres, je trouvai mon apologue complet et achevé dans une ancienne légende chinoise. « L'inventeur de la <«< porcelaine, ayant allumé ses fourneaux pour la cuire, << ne pouvait pas obtenir le degré de chaleur nécessaire «< à la cuisson. Il avait recommencé plusieurs fois sans « succès. Un jour enfin, désespéré de son impuissance « et pris de folie, il se jeta lui-même la tête la première « dans le four. Il était très-gras. La graisse de son <«< corps anima le feu, et les ouvriers, ce jour-là, trou« vèrent la porcelaine cuite à point. L'inventeur ne

profita pas de son invention. Seulement, en mémoire << de son sacrifice, les Chinois l'ont mis au rang des << dieux. >> Charmant et touchant apologue, qui traduit le proverbe éternellement appliqué dans le monde : Sic vos non vobis.

Et les proverbes! Quelle mine inépuisable d'apologues commencés! Quelles fables presque faites!

Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.

Le drame et les personnages ne sont-ils pas déjà créés et prêts à paraître sur la scène? Vienne le poëte, c'està-dire celui qui sait donner la parole et par conséquent achever la création, l'apologue sera complet.

Adieu paniers, vendanges sont faites. Sots paniers en effet, qui croient qu'ils font la vendange parce qu'ils la portent, et qui veulent qu'on leur sache gré d'avoir été utiles, après qu'on n'a plus besoin d'eux. Ils méritent bien d'être mis en chansons, en fables, en comédies, étant dupes et n'étant pas contents.

Les lisières sont pis que le drap, ce que je traduis par un autre proverbe: Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu'à ses saints. Partout, si je ne me trompe, dans ces exemples l'apologue pointe, pour ainsi dire, sous le proverbe. Ne croyez pas cependant que tout le monde puisse d'un proverbe faire un apologue ou une fable. Cela est aisé assurément, si vous vous en tenez à la moralité la moralité est déjà contenue tout entière dans le proverbe. Mais, si vous voulez faire une fable à la façon de celles de la Fontaine, c'est-à-dire créer une action et des personnages, prêter un caractère à ces personnages et leur donner la parole, voilà ce que la Fontaine a fait seul peut-être parmi tous les fabulistes. Quelle idée, messieurs, devons-nous avoir du génie de la Fontaine ?

On a fait de la Fontaine un personnage singulier moitié grand homme et moitié idiot, distrait, insou

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