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ONZIEME LEÇON

COMMENT LA FONTAINE UNISSAIT L'ÉTUDE
A L'INSPIRATION

Nous arrivons à l'examen des fables de la Fontaine. Quel ordre suivre? Prendrai-je d'abord la morale, ensuite les caractères, puis l'invention, puis l'expression? ou bien prendrai-je les fables au hasard, comme elles se présentent, sans viser à être plus systématique que la Fontaine, sans chercher à suivre dans cette étude une méthode rigoureuse, qui donnerait aux fables de la Fontaine l'air d'un traité de morale ou de littérature? Je veux rester aussi libre que l'est mon auteur. Il ne faut pas cependant que la liberté que je veux laisser aux fables de la Fontaine fasse croire que le poëte n'avait aucun plan et aucune règle dans la manière de composer; que tout lui venait par inspiration; qu'il ne

travaillait pas ses fables, mais qu'il les trouvait, pour ainsi dire, toutes faites dans son génie. L'idée que les vers de la Fontaine ne lui coûtaient aucun travail et que le tabuliste produisait naturellement des fables, comme la vigne produit du raisin, cette idée fait partie de la légende de la Fontaine. Mais le fabuliste sans travail n'est pas plus vrai que l'idiot de génie. La Fontaine travaillait beaucoup ses ouvrages et les remettait vingt fois sur le métier, suivant en cela le précepte de Boileau. Nous voyons, dans la fable du Loup et le Renard, prise dans les versions que Fénelon donnait à traduire au duc de Bourgogne, nous voyons que la Fontaine nous dit lui-même :

Ce qui m'étonne est qu'à huit ans
Un prince en fable ait mis la chose,
Pendant que, sous mes cheveux blancs,
Je fabrique, à force de temps,

Des vers moins sensés que sa prose1.

La Fontaine ne se dispensait donc pas de temps et de travail. M. Walkenaër, ayant trouvé un premier brouillon de sa fable, le Renard, les Mouches et le Hérisson, en a donné le fac-simile dans son histoire de la Fontaine. La fable, telle que la Fontaine l'a publiée, n'a plus que quelques vers du brouillon primitif, et ce

1 Livre XII, f. IX.

Voir ce brouillon de fable à la fin de ce volume,

qu'il faut remarquer, c'est que la fable refaite, sans être une des meilleures du fabuliste, est bien supérieure à la fable primitive. Ainsi le poëte se corrigeait sans cesse et gagnait en se corrigeant.

Si nous ne croyons plus à la faculté instinctive de la Fontaine, croirons-nous davantage qu'il n'eût pas sa méthode particulière de composer et qu'il ne la défendît pas, comme font les auteurs, dans ses préfaces et dans ses avant-propos, qui sont pour tous les écrivains les coins de prédilection que se réserve la vanité? Le bonhomme est beaucoup moins naïf qu'il n'en a l'air, et il ne manque jamais l'occasion de faire l'apologie de son art et de sa manière d'écrire. N'estce pas par exemple, une apologie, et fort habile, que cette première fable du livre deuxième?

Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope
Les dons qu'à ses amants cette muse a promis
Je les consacrerais aux mensonges d'Esope :
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ses fictions,
On peut donner du lustre à leurs inventions;
On le peut, je l'essaie; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler le loup et répondre l'agneau;
J'ai passé plus avant les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendrait ceci pour un enchantement?

J'admire beaucoup la Fontaine; mais en vérité je ne

puis pas dire de ses fables plus qu'il n'en dit ici luimême. Oui, le charme du poëte, c'est le don admirable qu'il a de sentir la nature et de s'entretenir avec elle; et comme il le dit encore:

C'est ainsi que ma muse, aux bords d'une onde pure,
Traduisait en langue des dieux

Tout ce que disent sous les cieux
Tant d'êtres empruntant la voix de la nature.
Truchement de peuples divers,

Je les faisais servir d'acteurs en mon ouvrage :

Car tout parle dans l'univers;

Il n'est rien qui n'ait son langage,

Plus éloquents chez eux qu'ils ne sont dans mes vers1...

Cet art d'entendre le langage de l'univers et surtout de savoir le rendre, cet enchantement dont la Fontaine a le secret, rappelle, en les surpassant, les enchantements de la mythologie. La mythologie, en effet, comparée à la fable d'Ésope et surtout à celle de la Fontaine, a deux défauts : d'une part, elle se substitue trop à la nature; et de l'autre, elle manque trop souvent de signification morale.

Un mot pour justifier les deux reproches que je fais à la mythologie comparée avec la fable.

Voici une vallée solitaire et charmante, où coule, entre deux bords de fleurs et de gazon, une source limpide et fraîche. Le bel et jeune Hylas y vient puiser de

Épilogue du livre XI.

l'eau. Les nymphes qui folâtrent dans la fontaine voient l'enfant, admirent sa beauté et l'attirent à elles: Gracieux tableau, qui cache l'accident d'un enfant qui tombe à l'eau. J'aime assurément ces belles images dont la mythologie peuple la nature, et, quand je pénètre sous l'ombre majestueuse d'un vieux bois de chênes, je souris à l'idée que, de ces vieux troncs couverts de mousse, vont sortir je ne sais combien de dryades légères, évoquées par l'imagination antique. Mais ôtez un instant les nymphes à la source qui baigne la vallée, est-ce que le vallon n'aura plus rien qui nous plaise? Le murmure du ruisseau qui l'arrose ne nous charme-t-il que lorsque j'y crois entendre la jaserie des naïades? Le vieux bois n'a-t-il pas son mystère et son enchantement, quand bien même chaque chêne ne recélerait pas une dryade prompte à sortir à l'appel du poëte? Tout, grâce à la mythologie, nous dit Boileau,

Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage.

Corps charmant, visage délicieux, je le veux bien; mais l'âme et l'esprit que la mythologie donne aux êtres qu'elle crée, valent-ils vraiment l'âme et l'esprit humain émus et enchantés par le spectacle de la nature? La mythologie substitue, pour ainsi dire, l'idéal de la forme à l'idéal de l'âme. Où est dans la mythologie ce langage de l'univers que la Fontaine se glorifiait d'entendre? Une âme qui a le don d'animer la nature, en

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