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L'égalité entre les grands seigneurs, les riches et les gens de lettres en France n'a pas seulement commencé avec Voltaire la Fontaine l'a déjà, et je lui sais un gré infini de son égalité, car il était pauvre. Il n'avait pas, comme Voltaire, un château, un grand état de maison, toutes choses qui rendent facile le plain-pied avec les grands seigneurs de la cour ou de la finance. La Fontaine ne prenait les causes de son égalité avec les grands que dans son génie, et peut-être aussi dans l'insouciance de son caractère, qui, le rendant incapable de tout joug, non par orgueil, mais par paresse, faisait que ceux qui voulaient l'avoir et jouir de son génie devaient le chercher. La bonne et la vraie égalité est celle qui est prise, et non celle qui est donnée; prise, non point par violence, mais naturellement et sans causer d'effort ni d'étonnement à ceux qui la prennent et à ceux qui la cèdent.

Avant la Fontaine, d'ailleurs, Voiture avait déjà eu ce ton d'égalité et de familiarité avec les grands seigneurs. L'esprit en France a toujours été une puissance. C'est la dynastie la plus durable, quoique la sottise fasse de temps en temps contre elle des insurrections victorieuses pour un jour. J'aurais, à ce propos, un beau sujet d'études et de recherches littéraires

proposer à quelques-uns de mes jeunes auditeurs : Histoire de l'influence des gens de lettres en France depuis le seizième siècle jusqu'à nos jours. Je ne pus

que lire en courant la table des chapitres de ce livre dont je ne voudrais faire ni une apologie de la littérature ni une satire de la société.

Premier chapitre : Comment les lettrés, au seizième siècle, firent pendant quelque temps pencher la balance en France vers la réforme, et comment plus tard, avec l'école de Ronsard et le parti des politiques, ils ramenèrent la France au catholicisme tempéré par le gallicanisme.

Deuxième chapitre : Comment Richelieu trouve qu'il ne faut pas en France laisser la littérature et les hommes de lettres hors du cercle du gouvernement; comment, dans cette idée, il essaye d'en faire un corps, créant pour cela l'Académie française, qui, malgré son origine et son institution despotique, est restée libérale par la vertu propre aux lettres1.

Troisième chapitre : Comment sous Louis XIV la littérature, partout reçue et partout accréditée, s'est préparée par la gloire à prendre rang dans la société, et comment les gens de lettres, la Fontaine surtout, ont pris l'égalité avec les grands seigneurs sans prétention et sans orgueil.

Quatrième chapitre : Comment, au dix-huitième siècle, les gens de lettres sont devenus des philosophes bientôt des publicistes, et comment leur puissance, ar

Voir l'Histoire de l'Académie, par M. Mesnard.

rivée à être plus grande que celle des corps de l'État, a péri avec ces corps mêmes dans le naufrage de la Révclution. La littérature, la controverse, la presse, ne peuvent avoir qu'une force de contre-poids: ôtez-leur l'obstacle qu'elles combattent, elles perdent leur pouvoir et trouvent leur faiblesse dans ce qu'elles appellent le ur victoire.

A mesure que j'approche de nos jours, cette table des matières devient plus difficile à faire.

Cinquième chapitre: Sous l'Empire, de 1800 à 1814, la littérature s'exerce à revivre plutôt qu'à parler : elle cherche la voie qu'elle doit suivre, et, ne la trouvant pas par elle-même, elle prend la consigne du pouvoir pour une inspiration. La consigne fait d'excellents soldats et de très-mauvais écrivains. La littérature sous l'Empire n'a de liberté et de force que dans l'exil ou dans la disgrâce, témoins madame de Staël, M. de Chateaubriand, M. Benjamin Constant.

Sixième chapitre : ou l'histoire de la littérature et des gens de lettres, de 1814 à 1848. Je ne veux ni faire ni même esquisser ce chapitre, j'y prendrais trop de plaisir; on le verrait, et je ne paraîtrais pas impartial, quoique étant juste.

Enfin vient le dernier chapitre de cette histoire de l'influence des gens de lettres, le chapitre d'aujourd'hui. Comment le faire? dans quels sentiments? Il y a des personnes qui le feraient morose et mélancolique,

plein de désappointements et de dépits. Je ne les blâme pas. Seulement, si j'avais à rédiger ce chapitre, je le ferais tout différent; je le ferais en beau, tel que je le vois, au lieu de le faire en laid. Il serait plein d'idées et d'exemples de recueillement, de retraite, de dignité et d'indépendance, sans aucun mélange de rancune, de colère, de conspiration, sans aucun désaveu non plus d'affection et d'espérance.

Voilà le sujet d'études que je propose à mes jeunes auditeurs, dussent-ils même changer quelque peu mon programme.

La Fontaine a sa place dans cette histoire, comme ayant su, un des premiers, prendre avec les grands seigneurs le ton d'égalité qui convient aux gens de lettres; et cela par le goût naturel que la cour, au dixseptième siècle, avait pour l'esprit et que l'esprit avait pour la cour, les deux supériorités, celle du rang et celle du talent, se rapprochant volontiers. On croit que la Fontaine était une espèce d'ours de génie, qu'il ne cherchait pas le monde et qu'il n'était pas recherché par le monde grande erreur! il aimait le monde, et le monde l'aimait. Non qu'il y allât par ambition ou par intérêt, ou par vanité; non qu'il s'en fît une obligation et une chaîne : c'était pour lui un plaisir, celui que le gens d'esprit et la bonne compagnie se procurent entre eux. Lisez ses lettres et ses épîtres; voyez-en le ton aimable familier, quoique s'adressant aux plus

grands seigneurs de la cour. Voltaire n'est pas plus à son aise, et j'ajoute que Voltaire veut y être et le montrer. La Fontaine y est sans s'en occuper et s'en enivrer. Il s'entretient, de cette manière familière et gracieuse, avec madame la duchesse de Bouillon, avec madame de Thiange, sœur de madame de Montespan, avec Turenne, avec le prince de Conti, avec Vendôme.

Eh qu, Seigneur, toujours nouveaux combats'

dit-il à Turenne.

Toujours dangers! Vous ne croyez donc pas
Pouvoir mourir? Tout meurt, tout héros passe.
Cloton ne peut vous faire d'autre grâce
Que de filer vos jours plus lentement;
Mais Cloton va toujours étourdiment,
Songez-y bien, si ce n'est pour vous-même,
Pour nous, seigneur, qui, sans douleur extrême,
Ne saurions voir un triomphe acheté

Du moindre sang qu'il vous aurait coûté 1.

Parle-t-il à Vendôme des inquiétudes qu'il a eues, le voyant malade, voyez quel ton de familiarité aimable:

Il semblait, à me voir, que je fusse aux abois.

Fieubet auprès de Gros-Bois,

Tient contenance moins contrite 2;

Ilistoire de l'Académie, par M. Mesnard, p. 541.

2 Gaspard de Fieubet, conseiller au parlement, chancelier de la reinc, et conseiller d'État ordinaire du roi, né en 1626, mort en 1694. Il se retira aux Camaldules de Gros-Bois cn 1691, après la mort de sa femme.

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