Obrazy na stronie
PDF
ePub

PREFACE

En publiant ce cours sur la Fontaine, que j'ai

fait à la Sorbonne en 1858-59, je n'ai pas la prétention de publier un livre. J'ai récrit, d'après mes notes et celles de quelques-uns de mes auditeurs, ces leçons qui n'avaient d'autre mérite que celui d'entretiens familiers sur le sujet le plus varié du monde, c'est-à-dire sur les Fables de la Fontaine. L'auditoire prenait part à ces entretiens par son attention et par son adhésion. Le professeur y parlait avec une franchise de sentiments qu'il se devait à lui-même devant la jeunesse qui l'écoutait, et que le gouvernement a eu le bon goût de toujours respecter. C'est une justice que je me crois obligé

[ocr errors]

de rendre aux ministres de l'instruction publique auxquels j'ai eu alors affaire.

Je n'ai pas cru devoir changer la forme de ces leçons et leur ôter leur caractère de conversation. Ceux de mes auditeurs qui auront la curiosité de les lire y retrouveront les souvenirs de leur vive et studieuse jeunesse et de leur vieux professcar; ils m'en sauront gré. Quant à moi, comme ces souvenirs de bienveillance, perpétués et renouvelés pendant trente-deux ans de professorat public, à travers bien des générations et deux ou trois révolutions, font le modeste honneur de ma vie, on ne s'étonnera pas que j'aic soigneusement conservé à ces leçons ce qui m'en rend la mémoire douce et précieuse.

Décembre 1866

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Le programme de la Faculté des lettres vous a dit quel serait cette année le sujet de nos entretiens. Nous étudierons les fables de la Fontaine : la Fontaine, c'està-dire le plus original de nos poëtes du dix-septième siècle; les fables de la Fontaine, c'est-à-dire je ne sais combien de petits drames, gracieux ou piquants, et

qui vont tous à l'adresse de quelques-uns de nos travers et de nos vices; étude toute littéraire, fort paisible et fort douce, libre de toute arrière-pensée; qui ne touche à rien et à personne, sinon aux défauts et aux ridicules de l'homme, et dont nous faisons tous bon marché dans les autres; étude enfin, si je ne me trompe, qui ne peut pas gêner le professeur, lequel consent de bon cœur à se faire, au besoin, sa part dans cette comédie à cent actes divers qui s'appelle les fables de la Fontaine.

Je pourrais me dispenser de traiter ici de l'apologue en général. Les fables de la Fontaine sont à part de tout genre littéraire. Le poëte y est tout; le genre n'y est presque pour rien. Je veux cependant dire un mot de ce que j'entends par l'apologue.

On a beaucoup dit que l'apologue avait été inventé pour dire la vérité aux despotes sous le voile de la fiction. Je n'en crois rien. L'apologue a, selon moi, une origine plus haute et plus universelle : il se rattache au don et au besoin qu'a l'esprit humain d'exprimer ses pensées sous des images et des emblèmes différents. La métaphore, l'allégorie, la parabole, l'apologue, la fable sont l'œuvre de la même faculté, l'effet du même besoin que nous avons de donner à nos pensées et à nos sentiments l'éclat ou le voile des images et des allégories L'apologue n'est donc pas l'invention et la . ruse d'un esclave spirituel voulant parler à son maître

sans le facher. L'apologue n'est ni d'Esope, ni de Crésus, ni de Lydie: il est de tous les pays, de tous les temps, de tous les genres de gouvernement; il est de l'homme enfin.

Je ne veux pas parler ici de Ménénius Agrippa, cet orateur d'une puissante aristocratie aux abois, racontant au peuple révolté la fable des Membres et de l'Estomac1. On me dirait qu'il n'y a pas de pire despote que le peuple en colère, et que l'apologue était tout à fait de mise en cette occasion. J'y consens. Cependant, si je me souviens bien de mon histoire romaine, le peuple ne fut que médiocrement touché de l'apologue de Ménénius, qui voulait conserser à l'estomac sa vieille prépondérance. Les tribuns furent créés comme des médecins chargés de veiller sur les caprices et les appétits de l'estomac. Croyons donc, si nous le voulons, que l'apologue de Ménénius fut inventé pour faire entendre la vérité à la puissance populaire. Je prendrai dans Hérodote un apologue plus ancien, celui de Cyrus aux Ioniens et aux Éoliens. Cyrus, avant d'attaquer Crésus, roi de Lydie, avait essayé de faire révolter contre lui les Grecs de l'Ionie et de l'Éolie: ceux-ci avaient refusé son alliance. Après la prise de Sardes, ils vinrent eux-mêmes la demander, et Cyrus leur répondit par l'apologue

Tite Live, liv. II, ch. xxx.

Livre Ier, ch, CXLI.

2

« PoprzedniaDalej »