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NOTICE

SUR FREINSHEMIUS.

La vie d'un poète, d'un savant, d'un artiste, offre, en général, peu d'évènemens dont l'histoire puisse s'emparer. Lors même qu'un érudit paraît au milieu des grands, et que le hasard le conduit à la cour, on se plaît à écarter toute cette pompe royale pour ne considérer que le savant laborieux et modeste c'est ce que nous ferons pour Freinshemius; nous arrêterons moins nos regards sur l'historiographe de la reine Christine que sur l'écrivain patient et consciencieux dont les veilles nous ont rendu une sorte de Tite-Live.

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Jean Freinshemius naquit à Ulm, en Souabe, au mois de décembre 1608, de parens honorables et distingués : son père se nommait Jean-Bartholomée Freinshemius, et sa mère Élisabeth Meyelie. Il annonça, dès l'enfance, les plus heureuses dispositions, les plus belles qualités du cœur et de l'esprit. Son panégyriste, Abraham Freinshemius, nous apprend qu'il avait aussi un physique des plus avantageux : <«< Validus membrorum et decens habitus, vegeti et acres oculi, frons porrecta, nasus regius, magna oris dignitas; prorsus ut cœlesti ac divino animo dignum domicilium contigisse videatur, in quo habitaret, atque tot egregias curas, tot in omne ævum mansura opera perageret. » Rien ne fut négligé pour son édu

cation. A quatorze ans, il avait terminé ses études; pendant plusieurs années, il fréquenta les cours des universités de Marpurg et de Giessen; ensuite il vint à Strasbourg, pour y prendre ses degrés en droit. Quelques pièces de vers qu'il avait composées en allemand, et plusieurs mots dignes d'être cités qui l'ont fait surnommer par un homme d'un rare mérite totus Apophthegmaticus, lui valurent la connaissance précieuse du savant Bernegger. Ce protecteur éclairé des lettres offrit à Freinshemius un logement dans sa maison, l'admit à sa table, l'associa à ses études, et lui ouvrit les trésors de sa bibliothèque. Freinshemius alors s'adonna, jour et nuit, à l'étude : théologie, jurisprudence, histoire, philosophie, poésie, littérature ancienne et moderne, rien ne resta étranger à ses doctes investigations. Bernegger, pour le mettre à l'épreuve, lui présenta un jour un Florus, en le priant de le lire, et d'y faire quelques notes, quelques observations critiques. Feinshemius prit l'auteur qu'il ne connaissait pas encore, et, dans l'espace de six heures, le lut et indiqua plusieurs corrections importantes qui avaient échappé aux commentateurs les plus célèbres. Il joignait à l'érudition la plus variée la connaissance des langues mortes et celle d'un grand nombre de langues vivantes. En effet, outre l'hébreu, le latin et le grec, il savait aussi le français, l'espagnol, le belge, l'italien, l'anglais, le suédois et le danois. Il venait de donner une édition de Florus, lorsqu'il fit un voyage en France; il demeura environ trois ans à Paris, au milieu des savans; il logeait chez le célèbre Michel Marescot. Cependant il revint à Strasbourg en 1637, et Bernegger lui fit épouser sa fille Élisabeth. Alors, s'écrie Abraham Freinshemius : « Sociatis studiis curisque, bone Christe! quot quantosque auctores græcos et latinos illustrarunt! quot notarum silvas confecerunt! quot accuratissimos rerum verborumque indices composuerunt! ut ipsorum incomparabili labore, ita reipublicæ litterariæ inestimabili

bono. »

Sa renommée le fit rechercher de plusieurs nations, et principalement de la Suède, pays déjà fameux par les armes, et qui voulait ajouter à cette illustration l'éclat des palmes littéraires. La reine Christine envoya à Strasbourg le sénateur Skitte, qui appela Freinshemius à l'université d'Upsal. Le savant céda aux offres de la reine : une vocation divine l'appelait en Suède, disait-il, et il s'y rendit. Pendant plusieurs années, il y professa la politique et l'éloquence. Christine, qui avait fait venir à sa cour Descartes, Grotius, Saumaise, Bochart, Huet, Chevreau, Naudé, Vossius, Conring et Meibom; Christine, qui se plaisait à s'entourer de savans, parce qu'elle était savante elle-même, choisit Freinshemius pour son bibliothécaire et son historiographe, et lui donna sa table, un logement dans son palais, et deux mille écus d'honoraires. Ainsi le professeur passa de sa modeste chaire à la cour d'une reine. Mais auprès de Christine, ces places ne furent pas une sinécure : chaque jour, la princesse étuchait avec Freinshemius, le grec principalement; et bientôt, grâce aux soins du docte instituteur, la royale élève put lire dans leur langue Polybe, Platon et Plutarque, et même les traduire en latin avec autant d'élégance que de correction.

On a reproché à Freinshemius les éloges qu'il a prodigués à Christine. Disons, pour le disculper, que la reconnaissance, plus que la flatterie, inspira les louanges qu'il donna à Christine; que jamais il ne loua en elle les actes politiques, mais seulement l'amour qu'elle avait pour les lettres, et que la postérité, juge sévère, a ratifié ces éloges. Ajoutons que Christine n'avait pas encore promené de cour en cour les inégalités de sa conduite, et que le poignard de Sentinelli n'avait pas encore percé, par ses ordres, le cœur du malheureux Monaldeschi. Alors nous pardonnerons à Freinshemius d'avoir reçu cinq cents ducats pour avoir célébré, dans un discours d'apparat, l'anniversaire de la naissance de Christine. Du reste, sa conduite à la cour fut celle d'un homme probe,

vertueux, désintéressé. Il rendit service à tous ceux qui réclamèrent son appui, et il put dire, comme Voltaire l'a dit depuis

J'ai fait un peu de bien; c'est mon meilleur ouvrage.

Cependant le désir de revoir sa patrie, et le mauvais état de sa santé, lui firent quitter la cour de Suède. En 1656, un an après son départ d'Upsal, l'électeur palatin, qui venait de rétablir l'université d'Heidelberg, lui donna dans ce corps une place de professeur honoraire et une charge de conseiller électoral. Il jouit peu de temps de ce loisir mérité par son talent et ses services; il mourut en disant : « La parole me manque, mais je n'éprouve ni la crainte, ni la douleur de la mort. » Après ces mots, il ferma les yeux, et parut s'endormir plutôt qu'expirer.

Tel fut l'homme il nous reste à parler de l'auteur, de ses écrits, de ses travaux. Il tenta avec bonheur un essai hardi; ce fut de s'élever contre l'autorité d'Aristote, qui régnait encore en maître dans les écoles d'Allemagne; il prouva (c'était alors de l'audace littéraire) que la confiance aveugle avec laquelle on admettait les principes du grand maître, était la cause du peu de progrès de la saine philosophie. L'Allemagne, humblement prosternée devant le génie d'Aristote, n'osait débarrasser la philosophic des langes de l'ancienne école, et elle ne pressentait pas encore qu'elle verrait naître Kant. Freinshemius fut donc le premier qui donna l'impulsion à l'école germaine.

Mais la philologie ne lui doit pas moins que la philosophie, et l'on cite surtout les Commentaires et les Supplémens de Freinshemius. Il avait eu le projet de donner une édition de Tacite avec des commentaires, une paraphrase et une table complète; mais il n'en publia qu'un Essai, qui comprend une paraphrase et des notes sur le règne de Tibère, et la comparaison d'une version en cinq langues, latine, italienne,

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