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INTRODUCTION.

J'essaye, dans ces pages, de présenter au triple point de vue de l'histoire, de la théologie et de la philosophie, l'importante querelle du quiétisme qui divisa les deux plus beaux génies dont s'honore l'Eglise de France au XVIIe siècle, Bossuet et Fénelon.

Ces deux illustres prélats qui furent séparés de leur vivant par une lutte passagère, demeurent unis dans l'admiration de la postérité. La controverse du quiétisme, qui servit à mieux les faire connaître, a ajouté en même temps à leur gloire. Tout intéresse dans la vie et les œuvres de tels hommes. Les questions ellesmêmes qui les divisent attirent religieusement l'attention, et les écrits qu'ils multiplient en s'attaquant et en se défendant tour à tour, restent en même temps comme les plus beaux modèles du genre polémique et comme des monuments impérissables pour l'honneur de la religion et des lettres.

La controverse du quiétisme ne fut pas un vain et stérile débat. Ni l'un ni l'autre des deux nobles adversaires n'étaient hommes à s'émouvoir et à combattre pour peu de chose. Ce ne fut pas à une simple discussion de mots, ni à de vaines subtilités mystiques que Bossuet consacra cinq ans de sa vieillesse, et Fénelon beaucoup plus que la moitié de sa vie et de son œuvre. A qui pénètre le fond du débat, la question apparaît avec une importance réelle et bien digne des grands

esprits qui s'en occupèrent. Il s'agissait en effet de préciser la nature de la charité et de l'oraison qui sont les principes de la vie chrétienne; il fallait déterminer les rapports de l'âme avec Dieu, du fini avec l'infini, examiner les mystères de l'activité humaine sous l'action toute-puissante de la grâce et établir que l'âme ne s'anéantit pas par son union avec la divinité, mais qu'elle subsiste dans ce qu'elle a de meilleur et de plus pur. Ainsi devaient sortir de cette mémorable controverse un plus grand éclaircissement en des matières subtiles et délicates, un plus solide affermissement du dogme chrétien, et avec ce vrai profit pour la foi, un témoignage de plus, certes assez illustre, du double caractère épiscopal dans l'Eglise catholique, à savoir, le zèle pour la doctrine en même temps que l'acquiescement aux infaillibles décrets de l'autorité divinement instituée.

Ces considérations qui relèvent singulièrement l'importance de cette controverse n'ont point été suffisamment appréciées par certains écrivains qui ont répandu, soit en histoire, soit en littérature, les assertions les plus gratuites et les plus fausses sur le sens d'une discussion qu'ils regardent comme peu digne d'avoir occupé si longtemps Bossuet et Fénelon. En vérité, c'est affirmer bien légèrement et montrer peu de déférence et de justice à l'égard de ces profonds esprits que de présenter ainsi une grande partie de leurs œuvres comme un tissu de futilités ou de rêveries.

D'autres écrivains n'ont voulu trouver dans cette querelle que le résultat d'une animosité ou d'une haine, inspirée par la jalousie entre deux hommes qui se disputaient les faveurs de l'opinion publique. La calomnie est inique, car de pareils motifs n'entraînent que les cœurs bas et les esprits faibles; ni l'envie ni la

haine ne sont les passions du génie. Sans doute il put y avoir quelquefois dans la vivacité de la discussion quelques paroles amères, quelques vigoureuses et sanglantes apostrophes, mais de la haine, jamais.

Une autre calomnie non moins grave, et dont quelques tristes échos se font encore entendre, a prétendu trouver un scandale dans cette discussion occasionnée par une femme, entre deux grands hommes d'Eglise. Mais la réponse est facile. D'abord ces hommes d'Eglise ne sont-ils pas ce que les annales de l'esprit humain nous offrent de plus élevé par le caractère, par la science, par le langage, par le génie. Quant au prétendu scandale où le trouve-t-on ? Serait-il dans Bossuet arrivé au terme d'une glorieuse carrière et qui se pose encore comme le défenseur infatigable de la tradition et du dogme? Serait-il dans Fénelon dont le nom seul rappelle toutes les qualités aimables et que Voltaire lui-même appelle « un cœur plein de vertus. » Serait-il enfin dans Mme Guyon à laquelle l'histoire reconnait les intentions d'un zèle étrange et exagéré sans doute mais toujours pur et dont la réputation est demeurée sans atteinte au milieu des plus malignes attaques ?

Dans l'examen de cette controverse l'histoire passera la première. Pour bien s'expliquer les doctrines, il faut d'abord suivre exactement les faits. Il importe principalement ici de faire connaître, dans la vie de Bossuet, de Fénelon et de Mme Guyon, tous les détails qui se rapportent à la querelle du quiétisme. Dans l'exposé de cette lutte grave, profondément tragique et belle, j'apporterai toute l'impartialité possible. Deux siècles déjà nous séparent des faits que j'ai à rapporter, et l'histoire, après un si long temps, a pu se faire jour et porter, en dehors de toute passion et de tout intérêt, des appréciations parfaitement équitables.

Voici en quelques mots l'esquisse des faits : Le SaintSiége avait condamné en 1687 les doctrines quiétistes de Michel Molinos. Or, en cette même année, arriva à Paris, et sous les plus étranges auspices, Mme Bouvier de la Mothe Guyon, une des femmes les plus singulières et les plus mystérieuses que l'histoire nous présente. Exaltée par la lecture de certains auteurs mystiques, cette femme avait pris un rôle qui surprend quelque peu dans un siècle aussi compassé et si éloigné de la naïveté et de la ferveur du moyen âge: elle s'était faite apôtre et prêchait une spiritualité nouvelle. L'abbé de Fénelon, alors supérieur des Nouvelles-Catholiques, lut les ouvrages de Mme Guyon qui produisaient grand bruit dans le monde, il prit part à ses entretiens spirituels, fut surpris de rencontrer dans une femme tant de savoir et tant de vertus; sa piété fut séduite et son admiration le trompa. Devenu précepteur du duc de Bourgogne, Fénelon retrouva sur sa route le piége tendu à sa belle âme, naturellement mystique et portée par inclination vers les choses rares et merveilleuses. Mme Guyon, qui devait de la reconnaissance à Mme de Maintenon, comme à une protectrice, vint la remercier à Versailles. Bientôt elle fut introduite à Saint-Cyr. Parmi les dames de la cour, comme parmi les religieuses du couvent, elle excita un véritable enthousiasme. Partout on admira son talent extraordinaire, son éloquence, ses manières insinuantes et gracieuses. Fénelon, témoin de ce véritable enchantement, s'appliqua à l'entretenir, et fit même partager ses illusions à ses amis, les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse.

Quatre ans s'écoulèrent et Mme Guyon jouissait encore d'un certain crédit à la cour et à Saint-Cyr. Mais le bruit des singulières doctrines qu'elle cherchait à répandre finit par attirer l'attention de l'évêque de

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