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déjà, comme ce fut, paraît-il, le but de sa vie, à imiter leur sainteté et à développer leurs doctrines. Dans sa biographie, elle raconte qu'elle eut, tout enfant, un désir irrésistible de se donner à Dieu. « Vous me mîtes dès lors, ô mon Dieu, s'écrie-t-elle, dans un état très épuré, très ferme et très solide. Vous prîtes possession de ma volonté et vous y établîtes votre trône..; vous me mîtes dans une adhérence continuelle à vous. Je ne pouvais faire autre chose que de vous aimer d'un amour aussi profond que tranquille qui absorbait tout autre chose... Je fus soudain dégoûtée de toutes les créatures tout ce qui n'était point mon amour m'était insupportable.» (Vie, p. 10-12). On conçoit qu'avec de telles dispositions elle voulût entrer en religion et désirât sans doute se vouer à l'ordre de la Visitation afin de suivre son modèle Sainte Chantal; mais ses parents, quoique remplis de la plus solide piété, s'opposèrent énergiquement à ce projet : ils la destinaient au mariage. Comme elle était belle, spirituelle et riche, les partis se présentèrent en foule. Le 18 janvier 1664, elle épousa messire Jacques Guyon, qui devait son titre de noblesse et une fortune considérable à l'entreprise du canal de Briare, faite par son père. Elle n'avait, à cette époque, que seize ans et son mari en avait trente-huit. De cette union naquirent cinq enfants, dont trois seulement ont vécu: deux garçons et une fille qui fut mariée au fils du surintendant Fouquet, si connu par sa disgrâce et ses malheurs.

Les douze ans qu'elle passa dans les liens du mariage ne lui firent rien perdre de ses goûts pour la vie mystique. En 1671, elle fit un premier voyage à Paris et fut reçue, avec grands égards, à l'hôtel de la princesse de Longueville. A ce propos elle se charge elle-même de nous dire qu'elle était fort belle et combien on s'em

pressa autour d'elle. « Je ne puis dire les bontés que l'on me témoigna dans cette maison. Tout le monde à l'envi me rendait service; je ne trouvais partout que des gens qui m'applaudissaient à cause de ce misérable extérieur. J'étais si scrupuleuse à n'écouter personne sur cela, que j'en étais ridicule. » Continuons à la laisser se peindre elle-même et nous traduire ses sentiments puisqu'elle le fait avec tant de complaisance. D'abord c'est Dieu qui prend d'elle des soins continuels; il lui envoie des messagers de salut sous l'extérieur le moins apparent. Elle va, un jour, à Notre-Dame : un homme qui vient on ne sait d'où, et bientôt ne se retrouve plus nulle part, lui parle avec une éloquence apostolique. Pour elle, ce n'était pas un homme; c'était, comme le Raphaël de Tobie, l'apparence d'un homme. Entre elle et la Providence il y a comme un pacte spécial et mystérieux. Après cela où trouver cœur humain à la fois plus pétri d'amour-propre, et d'amour de Dieu plus naïf et plus subtil?

Elle a encore une confiance qui s'explique moins et qui est bien étrange. De retour à la campagne, quand elle prend le parti d'aller à la messe à pied pour ne pas réveiller son mari par le bruit du carrosse sortant du château, la pluie cesse de tomber tant qu'elle chemine, recommence dès qu'elle est à l'église, et se suspend quand elle en sort pour reprendre de plus belle dès qu'elle est rentrée. Et encore une fois, qu'on ne lui objecte pas qu'il ne faut point généraliser ce qui a pu arriver une fois. Elle a prévu le raisonnement; elle le réfute. « Ce qui est surprenant, ajoute-t-elle, c'est qu'en plusieurs années que j'en ai usé de la sorte, il ne m'est jamais arrivé d'être trompée dans ma confiance. » (Vie, t. 1, p. 53). Le sommeil d'un mari, qui ne voulait lui permettre d'entendre la messe si ce n'est les dimanches

et les jours de fête, se mettait lui-même de complicité avec la pluie. « Pour l'ordinaire, ajoute-t-elle avec une étonnante naïveté, les jours que j'allais à la messe, mon mari s'éveillait plus tard. >>

Ce qui édifie moins c'est le soin qu'elle prenait à se cacher de son mari pour visiter parfois la prieure des Bénédictines, Mme Granger, qui continuait à la diriger. Elle avoue ingénuement qu'en sortant pour aller la voir, elle disait aux siens qu'elle allait chez son père. Ce mensonge et cet aveu avaient une gravité qu'elle ne paraît pas avoir comprise.

Mme Guyon devint veuve et libre à l'âge de vingt-huit ans. Son mari, qui mourut le 21 juillet 1676, lui avait en quelque sorte prédit sa destinée en lui disant : « Je crains bien que vos singularités ne vous attirent bien des affaires. » Elle resta encore quatre ans au sein de sa famille; mais, son caractère ne pouvant se faire à la solitude et au repos, elle rêva bientôt un nouveau genre de vie et ne songea qu'au bonheur de faire quelque grand acte de piété. Nouvelle Chantal, elle résolut d'abandonner les embarras du monde pour se livrer tout entière à la conversion des âmes; il lui fallait pour coopérateur un Saint François de Sales, elle crut l'avoir trouvé dans le P. Lacombe.

Dom François Lacombe était un religieux Barnabite, originaire de Thonon, ville du diocèse de Genève. Ses supérieurs l'envoyèrent à Paris et c'est là que Mme Guyon le rencontra en 1671 et le prit pour directeur de sa conscience. En quittant Paris pour se rendre à Rome, le P. Lacombe passa à Montargis, revit Mme Guyon et entretint en elle les sentiments de la piété la plus affective. « Vous allez quérir au dehors, lui répétait-il souvent, ce que vous possédez au dedans de vous : habituez-vous à chercher Dieu dans votre cœur et vous

l'y trouverez. » (Vie, p. 85). Le P. Lacombe avait ainsi un goût particulier pour les idées mystiques et une tendance prononcée vers le quiétisme. Le séjour qu'il fit à Rome au moment où les doctrines de Molinos occupaient le plus les esprits, au lieu de dissiper ses illusions, ne fit que les développer. Il revint dans le diocèse de Genève et se livra à la direction des âmes sans avoir le discernement nécessaire pour un emploi si délicat et si périlleux. C'est de Thonon, où il s'était retiré, que le P. Lacombe mandait à Mme Guyon qu'il avait entendu trois fois une voix d'en haut lui dire, le jour de Sainte Madeleine, 1680: « Vous demeurerez en un même lieu, » et il lui persuadait ensuite d'embrasser un nouveau genre de vie, l'assurant qu'elle était appelée à exercer dans l'Église un ministère extraordinaire. Un pareil dessein trouva aisément faveur dans l'imagination enthousiaste de Mme Guyon. Aussi elle n'hésita plus à commencer ce qu'elle appelait sa mission. Ses parents et ses amis eurent beau s'opposer à un projet si bizarre et si peu convenable à l'état de ses affaires et à ses devoirs de mère de famille, on ne put lui rien faire entendre et elle vint à Paris, en 1680, s'offrir à M. d'Arenthon, évêque de Genève, pour travailler à quelque œuvre de charité et de conversions dans son diocèse. L'évêque de Genève l'accueillit avec beaucoup d'égards et regarda comme une illustration pour son Église qu'une femme qui joignait aux avantages de la naissance et de la fortune, si grands en tout temps, ceux d'une véritable éloquence et d'une rare vertu, vint se faire ainsi la coopératrice de ses œuvres. Il s'empressa de lui donner la direction d'un couvent de Nouvelles-Converties établi à Gex, petite ville sur le versant du Jura. Mine Guyon y arriva au commencement de 1681 et demanda presque aussitôt pour supé

rieur de sa communauté le P. Lacombe, son ancien directeur, qu'elle regardait comme une seconde providence. L'évêque de Genève y consentit, ne se doutant pas du singulier apostolat que l'un et l'autre se préparaient à exercer dans le monde. En effet, se trouvant ainsi rapprochées, leurs imaginations vives et exaltées les portèrent à fonder une espèce d'association mystique sur les principes du pur amour de Dieu. « Ce fut alors, dit Mme Guyon dans sa Vie, que je sentis mon âme marquée d'une mission semblable à celle des apôtres lorsqu'ils reçurent le Saint-Esprit. » (Vie, t. 2, p. 16). Les deux nouveaux apôtres mirent aussitôt grand zèle à se répandre, mais le curé doyen de Gex, homme de vertu et d'esprit, s'opposa de toutes ses forces aux progrès d'une spiritualité qui lui paraissait étrange et il crut devoir avertir l'évêque de Genève de ce qui se passait. Le P. Lacombe reçut l'ordre de quitter Gex et se retira de nouveau à Thonon. C'est alors que Mme Guyon lui écrivit une lettre, datée du 28 février 1682, où elle se pose en prophétesse et raconte ses rêves: « Il y aura, dit-elle, quantité de croix qui nous seront communes; mais vous remarquerez qu'elles nous uniront davantage en Dieu, par une fermeté inébranlable. à soutenir toutes sortes de maux. Il me semble que Dieu veut donner une génération spirituelle et bien des enfants de grâce : que Dieu me rendra féconde en ce monde. Vous aurez des croix, et des prisons nous sépareront corporellement; mais l'union en Dieu sera inviolable. » Puis elle ajoute : « J'ai fait cette nuit un songe et à mon réveil mes sens en étaient tout émus. Il me semble que l'enfer se réunira pour empêcher le progrès de l'intérieur et la formation de Jésus-Christ dans les âmes. » Voici maintenant en quels termes elle se présente comme la femme enceinte de l'Apocalypse:

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