Obrazy na stronie
PDF
ePub

1

:

que la religion soit une chose où l'on ne peut jamais ôter, ni ajouter, ni changer, en quelque temps que ce soit le ministre impute, au contraire, à aveuglement et à impiété de n'y vouloir point connoître de changement, ni de progrès. Mais afin de mieux comprendre la pensée de Vincent de Lérins, il faut encore entendre ses preuves. Pour combattre toute innovation, ou variation qui pourroit arriver dans la foi, il dit que « les oracles divins ne cessent de crier : Ne remuez point les bornes posées par les anciens 1; et, Ne vous mêlez point de juger par-dessus le juge 2 ; c'est-à-dire, visiblement, par-dessus l'Eglise; et il soutient cette vérité par cette sentence apostolique, « qui, dit-il, à la manière d'un glaive spirituel, tranche tout-à-coup toutes ·les criminelles nouveautés des hérésies: 0 Timothée, gardez le dépôt * ; c'est-à-dire comme il l'explique, « non ce que vous avez dé-couvert, mais ce qui vous a été confié; ce que vous avez reçu par d'autres, et non pas ce qu'il vous a fallu inventer vous-même; une chose qui ne dépend pas de l'esprit, mais qu'on apprend de ceux qui nous ont devancés ; qu'il n'est pas permis d'établir par une entreprise particulière, mais qu'on doit avoir reçue de main en main par une tradition publique; où vous devez être, non point auteur, mais simple gardien; non point instituteur, mais sectateur de ceux qui vous ont précédé; c'est-à-dire non pás un homme qui mène, mais un homme qui ne fait que suivre les guides qu'il a devant lui, et aller par le chemin battu. » Selon la doctrine de ce Père, il n'y a jamais rien à chercher ni à trouver en ce qui concerne la religion : nonseulement elle a été bien enseignée par les apôtres, mais encore elle a été bien retenue par ceux qui les ont suivis ; et la règle, pour ne se tromper jamais, c'est en quelque temps que ce soit, de suivre ceux qu'on voit marcher devant soi. Voilà précisément ma proposition : il n'y a jamais rien à ajouter à la religion parce que c'est un ouvrage divin, qui a d'abord sa perfection. Loin de s'étonner, avec M. Jurieu, de ce qu'on reconnoît cette perfection de la doctrine chrétienne dès les premiers temps, ce grave auteur s'étonne de ce qu'on peut ne la pas reconnoître ; et il n'y a rien, en effet, de plus étonnant que de voir des chrétiens, qu'on veut vous donner pour réformés, qui sont encore à savoir cette vérité, et à qui leur plus célèbre ministre la donne comme un prodige inouï parmi les fidèles.

Mais peut-être que ce qui manque, selon ce ministre, à la religion chrétienne, dans ses plus beaux temps, et dès les premiers siècles du christianisme, ce n'est pas des dogmes, mais des manières de les expliquer, et des termes pour les faire entendre: en sorte que la différence entre les pères et nous, ne soit que dans les expressions; ou, si elle ▲ Prov., XXII. 28. - 2 Eccli., VIII. 17. — 2 Vinc. Lir., ibid. — 3 1 Tim., VI. 20.

est dans les dogmes mêmes, ce ne sera pas dans les dogmes les plus importants. C'est ce que M. Jurieu sembloit d'abord avoir voulu dire, car il n'osoit déclarer tout ce qu'il avoit dans le cœur ; mais il a bien vu que s'en tenir là, ce ne seroit pas se tirer d'affaire sur tant d'importantes variations dont les églises protestantes sont convaincues : c'est pourquoi il est contraint d'aller plus avant. Premièrement, pour les termes, il s'en fait lui-même l'objection par ces paroles1 : « On dira que toutes ces variations n'étoient que dans les termes, et que dans le fond l'Eglise a toujours cru la même chose; » mais il rejette bien loin cette réponse : « Il n'est pas vrai, poursuit-il, que ces variations ne fussent que dans les termes; car les manières dont nous avons vu que les anciens ont exprimé la génération du Fils de Dieu, et son inégalité avec son père, donnent des idées très-fausses et très-différentes des nôtres. » Il ne s'agit donc pas de termes, mais de choses; ni de manières d'expliquer, mais du fond; ni dans une matière peu importante, mais dans la plus essentielle, puisque c'est l'inégalité du Père et du Fils, sur laquelle les anciens avoient des idées si fausses et si différentes des nôtres. C'est, en effet, par ce grand mystère, par le mystère de la Trinité, que le ministre commence à vous montrer les variations de l'Eglise. « Ce mystère, vous dit-il, est de la dernière importance, et essentiel au christianisme : cependant, continue ce hardi docteur, chacun sait combien ce mystère demeura INFORME jusqu'au premier concile de Nicée, et même jusqu'à celui de Constantinople. » Le mystère de la Trinité informe! Mes Frères, je vous le demande; eussiez-vous cru devoir entendre cette parole d'une autre bouche que de celle d'un socinien? Si dès le commencement on a adoré distinctement un seul Dieu en trois personnes égales et coéternelles, le mystère de la Trinité n'étoit pas informe: or, selon votre ministre, il étoit informe, non-seulement jusqu'à l'an 325, où se tint le concile de Nicée, mais encore cinquante ans après, et jusqu'au premier concile de Constantinople, qui se tint en l'an 381. Donc les premiers chrétiens dans la plus grande ferveur de la religion, et lorsque l'Eglise enfantoit tant de martyrs, n'adoroient pas distinctement un seul Dieu en trois personnes égales et coéternelles : saint Athanase lui-même, et les Pères de Nicée n'entendoient pas bien cette adoration; le concile de Constantinople a donné la forme au culte des chrétiens jusqu'à la fin du quatrième siècle, le christianisme n'étoit pas formé puisque le mystère de la Trinité, si essentiel au christianisme, ne l'étoit pas les chrétiens versoient leur sang pour une religion encore informe, et ne savoient s'ils adoroient trois dieux ou un seul Dieu. Pour prouver ce qu'il avance, le ministre fait enseigner aux Pères ▲ Lett, VI. p. 45. -2 Ibid., col. 2.

:

:

des premiers siècles « que le Verbe n'est pas éternel en tant que Fils; qu'il étoit seulement caché dans le sein de son Père, comme sapience, et qu'il fut comme produit, et devint UNE PERSONNE DISTINCTE de celle du Père, peu devant la création, et qu'ainsi la trinité des personnes NE COMMENÇA qu'un peu avant le monde 1. » Il n'y a personne qui n'ait ouï parler de l'hérésie des sabelliens qui ne faisoient du Père et du Fils qu'une seule et même personne, et qui par là anéantissoient jusqu'au baptême; on sait combien cette hérésie fut détestée mais elle étoit véritable jusqu'au moment que le monde fut créé. «< Telle étoit, du moins selon M. Jurieu, la théologie des anciens, celle de l'Eglise des trois premiers siècles sur la Trinité, celle d'Athénagoras, contemporain de Justin, martyr, qui écrivoit quarante ans après la mort des derniers apôtres; celle de Tatien, disciple de Justin, martyr: et il est clair que le disciple avoit appris. cela de son maître; » c'étoit la foi des martyrs, et c'étoit en cette foi qu'ils versoient leur sang.

C'est aussi en conséquence de cet aveu que le ministre est contraint de dire qu'une si insigne variation dans la doctrine de l'Eglise, n'est pas essentielle ni fondamentale 3. Ce n'est pas une erreur fondamentale de dire que le Fils de Dieu n'est pas de toute éternité une personne distincte de celle du Père, et que cette distinction de personnes entre le Père et le Fils, et enfin, pour trancher plus net, la trinité des personnes, non-seulement a commencé, mais encore n'a commencé qu'un peu avant la création du monde; en sorte que l'univers est presque aussi ancien que la Trinité qui l'a fait, et que ce qui est adoré comme Dieu par les chrétiens, est nouveau.

Je n'ai pas besoin de remarquer ici l'avantage que cette doctrine donne aux ariens et aux sociniens le ministre l'a bien senti; mais il s'en sauve d'une étrange sorte: « C'est, dit-il, que les ariens faisoient. le Fils produit du néant, sans rien reconnoître d'éternel en lui, ni l'essence, ni la personne; » et les anciens le faisoient produit de la substance du Père, et de même substance avec lui : « seulement, poursuit le ministre, ils vouloient que la génération de la PERSONNE se fût faite AU COMMENCEMENT du monde ; » et ce monstre de doctrine, selon lui, n'a rien qui combatte l'essence du christianisme; ce n'est pas là une variation essentielle et fondamentale. On peut être un vrai chrétien, et dire qu'une personne divine, et, en un mot, ce qui est Dieu, et vrai Dieu, autant que le Père, a commencé.

Mais la cause qu'il attribue à cette erreur des anciens, est pire que leur erreur même; car leur erreur, poursuit le ministre, «< venoit en partie d'une méchante philosophie, parce qu'ils n'avoient pas une 1 Lett., VI. p. 44. — 2 Ibid., 43, 44. - 3 Ibid., 44. c. 2. - 4 Ibid.

juste idée de l'immutabilité de Dieu. » En effet, puisqu'il survenoit à Dieu quelque chose, et encore quelque chose de substantiel, une nouvelle génération et une nouvelle personne qui n'y avoit point été de toute éternité, la substance de Dieu se changeoit et s'altéroit avec le temps. Ainsi ce qu'on croit Dieu est nouveau, et ne prévient la créature que de quelques heures : ce qui n'est pas seulement, comme l'avoue le ministre, n'avoir pas une juste idée de l'immutabilité de Dieu, mais la détruire en termes formels de sorte que tout le secours que donne votre ministre aux chrétiens des trois premiers siècles, pour les distinguer des ariens, c'est de les faire plus impies; puisque c'est une impiété beaucoup plus grande d'ôter à Dieu l'immutabilité de son être, qui étoit connue même des philosophes, que de lui ôter seulement avec les ariens la personne de son Fils, bien moins nécessaire à connoître la perfection de son être, que son immutabilité, sans quoi on ne peut pas même le concevoir comme Dieu.

L'eussiez-vous cru, mes chers Frères, qu'on dût jamais vous débiter cette doctrine dans des lettres qu'on ose nommer Lettres pastorales? Est-ce un pasteur qui écrit ces choses, ou bien un loup ravissant, qui vient ravager le troupeau ? N'est-il pas temps de vous réveiller, lorsque celui qui fait parmi vous le docteur et le prophète, et à qui vous avez remis la défense de votre cause, en vient à cet excès d'égarement, de ne distinguer les chrétiens des trois premiers siècles, et les martyrs mêmes d'avec les ariens, qu'en les faisant plus impies, qu'en leur faisant rejeter non seulement le dogme le plus essentiel du christianisme, qui est l'éternité du Fils de Dieu, mais encore ce que les païens n'ont pu méconnoître, l'immutabilité de l'Etre divin; de sorte que les saints docteurs, en perdant la foi, n'aient pu même retenir les restes de la lumière naturelle que les philosophes païens avoient conservée ?

Et celui qui vous annonce de tels prodiges, loin d'en rougir, s'en glorifie. « Je me suis, dit-il 1, un peu étendu à expliquer la théologie de l'Eglise des trois premiers siècles sur la Trinité, parce que je n'ai trouvé aucun auteur jusqu'ici, qui l'ait bien comprise. » C'est la lumière de notre siècle : il se vante de découvrir, dans la théologie des trois premiers siècles, ce que personne n'avoit compris avant lui. Mais encore, qu'a-t-il découvert dans leur théologie ? Il y a découvert ce grand mystère, que Dieu n'étoit pas immuable, et qu'an Dieu n'étoit pas éternel. Voilà la belle découverte de ce grand personnage M. Jurieu : c'est pour cela qu'il nous vante sa grande science, et qu'il « avertit l'évêque de Meaux, qu'un évêque de cour 1 Lett. vI. pag. 44.

comme lui, et les autres dont le métier n'est pas d'étudier, devroient un peu ménager ceux qui n'ont point d'autre profession 1. » C'est dommage, en effet, qu'on ne se tait pas par toute la terre, pour laisser M. Jurieu écrire tout seul, afin que toute la chrétienté apprenne cette merveille : que les siècles les plus voisins des apôtres, où est la force et la gloire du christianisme, ne croyoient pas Dieu immuable, ni la génération de son Fils éternelle, et que cette erreur est de celles qui ne sont ni essentielles, ni fondamentales.

Si cette horrible flétrissure du christianisme, si une corruption si manifeste de la foi n'est pas l'accomplissement de ce que dit l'apôtre sur les hérétiques, que leur folie sera connue de tous, je ne sais plus quand il le faut attendre. Mais votre docteur continue: «< et il est vrai, poursuit-il 3, que les anciens, jusqu'au quatrième siècle, ont eu une autre fausse pensée au sujet des personnes de la Trinité : c'est qu'ils y ont mis de l'inégalité. » Ils n'ont donc pas adoré en un seul Dieu trois personnes égales : ils ont adoré le Fils comme Dieu; mais ils ne l'ont pas connu comme étant égal à son Père. Un Dieu n'est pas égal à un Dieu : il y a de l'imperfection, puisqu'il y a de l'inégalité dans ce qui est Dieu : on peut concevoir un Dieu qui n'est pas parfait. Voilà les prodiges qu'on vous enseigne; voilà, dit votre ministre, ce que croyoient les martyrs et les siècles les plus purs. Que reste-t-il à conclure, sinon que les ariens raisonnoient mieux, et avoient une doctrine plus pure sur la divinité, que les docteurs de l'Eglise ?

Mais remarquez, mes chers Frères, que non content d'attribuer de tels prodiges aux siècles les plus purs de la religion, votre docteur est encore contraint de dire, comme vous venez de l'entendre, que ces prodiges ne sont pas contraires aux fondements de la foi; car l'erreur des anciens, dit-il, n'est ni essentielle ni fondamentale : et il faut bien qu'il en parle ainsi, à moins de condamner l'ancienne Eglise, lorsqu'elle enfantoit les martyrs, et de dire qu'elle étoit Eglise sans avoir les fondements de la foi. Triomphez donc, ariens et sociniens on peut, sans blesser l'essence de la piété, dire que la personne du Fils de Dieu n'est pas éternelle, qu'il est engendré dans le temps, qu'ils n'est pas égal à son Père. Mais triomphez en particulier, ô sociniens, qui osez dire qu'il arrive à l'être de Dieu quelque chose de nouveau : M. Jurieu vous donne les mains, puisqu'il avoue qu'on peut croire, sans blesser le fond de la piété, non pas qu'il survient à Dieu des accidents, comme à nous, et de nouvelles pensées, ce qui autrefois faisoit horreur, mais, ce qui est beaucoup pis, qu'il change dans la substance, et qu'une personne divine commence 2 Lett. vIII. pag. 61. — 2 2 Tim., 111. 9. — 3 Lett. vI. p. 45.

« PoprzedniaDalej »