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respect qu'il avoit pour lui. Ce qu'il ajoute à la fin fait aussi connoître. combien il croyoit que Camérarius en seroit ému, puisqu'il dit qu'il avoit voulu le prévenir, «.de peur que dans le désir qu'il avoit que. >> Luther demeurât toujours sans reproche, et sa gloire sans tache, » il ne se laissât trop troubler et décourager par cette nouvelle sur» prenante. >>

Ils avoient d'abord regardé Luther comme un homme élevé audessus de toutes les foiblesses communes. Celle qu'il leur fit paroître, dans ce mariage scandaleux, les mit dans le trouble. Mais Mélanchton console le mieux qu'il peut et son ami et lui-même, sur ce que <«< peut-être il y a ici quelque chose de caché et de divin; qu'il a des » marques certaines de la piété de Luther; qu'il ne sera point inutile » qu'il leur arrive quelque chose d'humiliant, puisqu'il y a tant de » péril à être élevé, non-seulement pour les ministres des choses >> sacrées, mais encore pour tous les hommes ; qu'après tout, les plus » grands saints de l'antiquité ont fait des fautes; et qu'enfin il faut » apprendre à s'attacher à la parole de Dieu par elle-même, et non » par le mérite de ceux qui la prêchent; n'y ayant rien de plus » injuste que de blâmer la doctrine, à cause des fautes où tombent >> les docteurs. »

La maxime est bonne sans doute: mais il ne falloit donc pas tant appuyer sur les défauts personnels, ni se tant fonder sur Luther, qu'ils voyoient si foible, quoiqu'il fût d'ailleurs si audacieux; ni enfin nous tant vanter la réformation, comme un ouvrage merveilleux de la main de Dieu, puisque le principal instrument de cette œuvre incomparable étoit un homme non-seulement si vulgaire, mais encore si emporté.

Il est aisé de juger, par la conjoncture des choses, que le contretemps qui fait tant de peine à Mélanchton, et cette fâcheuse diminution qu'il voit arriver de la gloire de Luther dans le temps qu'on en avoit le plus besoin, regardoient à la vérité ces troubles horribles, qui faisoient dire à Luther lui-même que l'Allemagne alloit périr; mais regardoient encore plus la dispute sacramentaire, par laquelle Mélanchton sentoit bien que l'autorité de son maître alloit s'ébranler. En effet, on ne croyoit pas Luther innocent des troubles de l'Allemagne 1, puisqu'ils étoient commencés par des gens qui avoient suivi son évangile, et qui paroissoient animés par ses écrits; outre que nous avons vu qu'il avoit au commencement autant flatté que réprimé la fureur des paysans soulevés. La dispute sacramentaire étoit encore regardée comme un fruit de sa doctrine. Les catholiques lui reprochoient qu'en inspirant tant de mépris pour l'autorité de

1 Sleid., lib. VII. 109.

l'Eglise, et en ébranlant ce fondement, il avoit tout réduit en questions. Voilà ce que c'est, disoient-ils, d'avoir mis la décision entre les mains des particuliers, et de leur avoir donné l'Ecriture comme si claire, qu'on n'avoit besoin pour l'entendre que de la lire, sans consulter l'Eglise ni l'antiquité. Toutes ces choses tourmentoient terriblement Mélanchton: lui qui étoit naturellement si prévoyant, il voyoit naître dans la réforme une division, qui en la rendant odieuse alloit encore y allumer une guerre irréconciliable.

Il arriva dans le même temps d'autres choses qui le troubloient fort. La dispute s'étoit échauffée sur le franc arbitre entre Erasme et Luther. La considération d'Erasme étoit grande dans toute l'Europe, quoiqu'il eût de tous côtés beaucoup d'ennemis. Au commencement des troubles, Luther n'avoit rien omis pour le gagner, et lui avoit écrit avec des respects qui tenoient de la bassesse 1. D'abord Erasme le favorisoit, sans vouloir pourtant quitter l'Eglise. Quand il vit le schisme manifestement déclaré, il s'eloigna tout à fait, et écrivit contre lui avec beaucoup de modération. Mais Luther, au lieu de l'imiter, publia, un peu après son mariage, une réponse si envenimée, qu'elle fit dire à Mélanchton: « Plût à Dieu que Luther gardât le silence! » J'espérois que l'âge le rendroit plus doux, et je vois qu'il devient >> tous les jours plus violent, poussé par ses adversaires et par les dis>> putes où il est obligé d'entrer : » comme si un homme qui se disoit le réformateur du monde devoit si tôt oublier son personnage, et ne devoit pas, quoi qu'on lui fit, demeurer maître de lui-même. « Cela » me tourmente étrangement, disoit Mélanchton; et si Dieu n'y » met la main, la fin de ces disputes sera malheureuse. » Erasme se voyant traité si rudement par un homme qu'il avoit si fort ménagé, disoit plaisamment : « Je croyois que le mariage l'auroit adouci; » et il déploroit son sort de se voir malgré sa douceur, « et dans sa vieil>> lesse, condamné à combattre contre une bête farouche, contre un » sanglier furieux. >>

Les outrageux discours de Luther n'étoient pas ce qu'il y avoit de plus excessif dans les livres qu'il écrivit contre Erasme. La doctrine en étoit horrible, puisqu'il concluoit non-seulement que le libre arbitre étoit tout à fait éteint dans le genre humain depuis sa chute, qui étoit une erreur commune dans la nouvelle réforme; « mais encore >> qu'il est impossible qu'un autre que Dieu soit libre; que sa pres»cience et la Providence divine fait que toutes choses arrivent par >> une immuable, éternelle et inévitable volonté de Dieu, qui fou>> droie et met en pièces tout le libre arbitre; que le nom de franc

1

1 Ep. Luth. ad Erasm. inter Erasm, epist., lib. v1. 3. 2 Ep. Mel., lib. iv. Ep. 28. xvш. Ep. 11, 28.

-3 Lib.

»arbitre est un nom qui n'appartient qu'à Dieu, et qui ne peut con>> venir ni à l'homme, ni à l'ange, ni à aucune créature 1. »

Par là il étoit forcé de rendre Dieu auteur de tous les crimes, et il ne s'en cachoit pas, disant en termes formels 2, « que le franc arbitre >> est un titre vain; que Dieu fait en nous le mal comme le bien; que » la grande perfection de la foi, c'est de croire que Dieu est juste, >> quoiqu'il nous rende nécessairement damnables par sa volonté, en >> sorte qu'il semble se plaire aux supplices des malheureux. » Et encore : « Dieu vous plaît quand il couronne des indignes; il ne doit » pas vous déplaire quand il damne des innocents. » Pour conclusion, il ajoute, « qu'il disoit ces choses, non en examinant, mais en » déterminant: qu'il n'entendoit les soumettre au jugement de per» sonne; mais conseilloit à tout le monde de s'y assujettir. >>

Il ne faut pas s'étonner que de tels excès troublassent l'esprit modeste de Mélanchton *. Ce n'est pas qu'il n'eût donné au commencement dans ces prodiges de doctrine, ayant dit lui-même avec Luther que «< la prescience de Dieu rendoit le libre arbitre absolument » impossible, » et que « Dieu n'étoit pas moins cause de la trahison » de Judas, que de la conversion de saint Paul. » Mais outre qu'il 'étoit plutôt entraîné dans ces sentiments par l'autorité de Luther, qu'il n'y entroit de lui-même, il n'y avoit rien de plus éloigné de son esprit que de les établir d'une manière si insolente; et il ne savoit plus où il en étoit, quand il voyoit les emportements de son maître. Il les vit redoubler dans le même temps contre le roi d'Angleterre. Luther, qui avoit conçu quelque bonne opinion de ce prince, sur ce que sa maîtresse Anne de Boulen étoit assez favorable au luthéranisme, s'étoit radouci jusqu'à lui faire des excuses de ses premiers emportements 5. La réponse du roi ne fut pas telle qu'il espéroit. Henri VIII lui reprocha la légèreté de son esprit, les erreurs de sa doctrine, et la honte de son mariage scandaleux. Alors Luther, qui ne s'abaissoit qu'afin qu'on se jetât à ses pieds, et ne manquoit pas de fondre sur ceux qui ne le faisoient pas assez vite, répondit au roi << qu'il se repentoit de l'avoir traité si doucement; qu'il l'avoit fait à >> la prière de ses amis, dans l'espérance que cette douceur seroit utile à ce prince; qu'un même dessein l'avoit porté autrefois à » écrire civilement au légat Cajetan, à George, duc de Saxe, et à >> Erasme; mais qu'il s'en étoit mal trouvé : ainsi qu'il ne tomberoit » plus dans la même faute ". »

Au milieu de tous ces excès, il vantoit encore sa douceur extrême.

1 De serv. arb., tom. II. 426, 429, 431, 435.2 Ibid., fol. 444. -3 Ibid., fol. 465.4 Loc. com. 1. edit. Comm. in Ep. ad Rom. 5 Epist. ad Reg. Ang., tom. 2. 92. ‚— 6 Ad maled. Reg.

Anglia Resp., tom. 11. 493; Sleid., lib. vi. pag. 80.

A la vérité, «< s'assurant sur l'inébranlable secours de sa doctrine, il· » ne cédoit en orgueil ni à empereur, ni à roi, ni à prince, ni à » Satan, ni à l'univers entier ; mais, si le roi vouloit se dépouiller de » sa majesté pour traiter plus librement avec lui, il trouveroit qu'il » se montroit humble et doux aux moindres personnes; un vrai >> mouton en simplicité, qui ne pouvoit croire du mal de qui que ce » fût 1. >>

Que pouvoit penser Mélanchton, le plus paisible de tous les hommes par son naturel, voyant la plume outrageuse de Luther lui susciter au dehors tant d'ennemis, pendant que la dispute sacramentaire lui en donnoit au dedans de si redoutables?

En effet, dans ce même temps les meilleures plumes du parti s'élevèrent contre lui. Carlostad avoit trouvé des défenseurs qui ne permettoient plus de le mépriser. Poussé par Luther, et chassé de Saxe, il s'étoit retiré en Suisse, où Zuingle et OEcolampade prirent sa défense. Zuingle, pasteur de Zurich, avoit commencé à troubler l'Eglise à l'occasion des indulgences, aussi bien que Luther, mais quelques années après. C'étoit un homme hardi, et qui avoit plus de feu que de savoir. Il y avoit beaucoup de netteté dans son discours, et aucun des prétendus réformateurs n'a expliqué ses pensées d'une manière plus précise, plus uniforme et plus suivie : mais aussi aucun ne les a poussées plus loin, ni avec autant de hardiesse. Comme on connoîtra mieux le caractère de son esprit par ses sentiments que par mes paroles, je rapporterai un endroit du plus accompli de tous ses ouvrages; c'est la Confession de foi qu'il adressa un peu devant sa mort à François Ier. Là, expliquant l'article de la vie éternelle, il dit à ce prince, « qu'il doit espérer de voir l'assemblée de tout ce » qu'il y a eu d'hommes saints, courageux, fidèles et vertueux » dès le commencement du monde . Là vous verrez, poursuit-il, les » deux Adam, lé racheté et le rédempteur. Vous y verrez un Abel, » un Enoc, un Noé, un Abraham, un Isaac, un Jacob, un Juda, un » Moïse, un Josué, un Gédéon, un Samuel, un Phinées, un Elie, » un Elisée, un Isaïe avec la Vierge mère de Dieu, qu'il a annoncée, » un David, un Ezéchias, un Josias, un Jean-Baptiste, un saint >> Pierre, un saint Paul. Vous y verrez Hercule, Thésée, Socrate, » Aristide, Antigonus, Numa, Camille, les Catons, les Scipions. Vous » y verrez vos prédécesseurs et tous vos ancêtres, qui sont sortis de >> ce monde dans la foi. Enfin il n'y aura aucun homme de bien, >> aucun esprit saint, aucune âme fidèle, que vous ne voyiez là avec » Dieu. Que peut-on penser de plus beau, de plus agréable, de plus » glorieux que ce spectacle? » Qui jamais s'étoit avisé de mettre ainsi 1 Sleid., lib. VI. pag. 494, 495. - 2 Chr. fidei clara exp. 1536. pag. 27.

:

Jésus-Christ pêle-mêle avec les saints; et à la suite des patriarches, des prophètes, des apôtres et du Sauveur même, jusqu'à Numa, le père de l'idolâtrie romaine; jusqu'à Caton, qui se tua lui-même comme un furieux; et non-seulement tant d'orateurs des fausses divinités, mais encore jusqu'aux dieux et jusqu'aux héros, un Hercule, un Thésée qu'ils ont adoré? Je ne sais pourquoi il n'y a pas mis Apollon ou Bacchus, et Jupiter même et s'il en a été détourné par les infamies que les poëtes leur attribuent, celles d'Hercule étoient-elles moindres? Voilà de quoi le ciel est composé, selon ce chef du second parti de la réformation : voilà ce qu'il a écrit dans une Confession de foi, qu'il dédie au plus grand roi de la chrétienté; et voilà ce que Bullinger son successeur nous en a donné1 comme le chef-d'œuvre et comme le dernier chant de ce cygne mélodieux. Et on ne s'étonnera pas que de tels gens aient pu passer pour des hommes extraordinairement envoyés de Dieu, afin de réformer son Eglise ?

Luther ne l'épargna pas sur cet article, et déclara nettement «< qu'il » désespéroit de son salut; parce que, non content de continuer à » combattre le sacrement, il étoit devenu païen en mettant des païens >> impies, et jusqu'à un Scipion épicurien, jusqu'à un Numa, l'or» gane du démon pour instituer l'idolâtrie chez les Romains, au rang » des âmes bienheureuses. Car à quoi nous servent le baptême, les >> autres sacrements, l'Ecriture et Jésus-Christ même, si les impies, >> les idolâtres, et les épicuriens sont saints et bienheureux ? Et cela, >> qu'est-ce autre chose que d'enseigner que chacun peut se sauver >> dans sa religion et dans sa croyance 2? »

3

Il étoit assez malaisé de lui répondre. Aussi ne lui répondit-on à Zurich que par une mauvaise récrimination 3, et en l'accusant luimême d'avoir mis parmi les fidèles Nabuchodonosor, Naaman Syrien, Abimelec, et beaucoup d'autres qui, étant nés hors de l'alliance et de la race d'Abraham, n'ont pas laissé d'être sauvés, comme dit Luther, par une fortuite miséricorde de Dieu *. Mais sans défendre cette fortuite miséricorde de Dieu, qui à la vérité est un peu bizarre, c'est autre chose d'avoir dit, avec Luther, qu'il peut y avoir eu des hommes qui aient connu Dieu hors du nombre des Israélites; autre chose de mettre avec Zuingle au nombre des âmes saintes ceux qui adoroient les fausses divinités : et si les zuingliens ont eu raison de condamner les excès et les violences de Luther, on en a encore davantage de condamner ce prodigieux égarement de Zuingle. Car enfin ce n'étoit pas ici de ces traits qui échappent aux hommes dans la chaleur du discours : il écrivoit une Confession de foi, et il vouloit

Præf. Bulling., Ibid.—2 Parv. Conf. Luth. Hosp., pag. 2. 187. — 3 Apol. Tigur. Hospin., pag. 2. fol. 198.-4 Luth. Hom, in Gen., c. 4 et 20.

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