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étoient bien aussi odieuses que les images de Jésus-Christ, de sa sainte Mère et de ses saints, que nos réformés ont abattues.

LIVRE II.

Depuis 1520 jusqu'en 1529.

SOMMAIRE.

Les variations de Luther sur la transsubstantiation. Carlostad commence la querelle sacramentaire. Circonstances de cette rupture. La révolte des paysans, et le personnage que Luther y fit. Son mariage, dont lui-même et ses amis sont honteux. Ses excès sur le franc arbitre, et contre Henri VIII, roi d'Angleterre. Zuingle et OEcolampade paroissent. Les sacramentaires préfèrent la doctrine catholique à la luthérienne. Les luthériens prennent les armes, malgré toutes leurs promesses. Mélanchton en est troublé. Ils s'unissent en Allemagne sous le nom de protestants. Vains projets d'accommodement entre Luther et Zuingle. La conférence de Marpourg.

Le premier traité où Luther parut pour tout ce qu'il étoit, fut celui qu'il composa en 1520, de la Captivité de Babylone. Là il éclata hautement contre l'Eglise romaine, qui venoit de le condamner; et parmi les dogmes dont il tâcha d'ébranler les fondements, celui de la transsubstantiation fut un des premiers.

Il eût bien voulu pouvoir donner atteinte à la réalité; et chacun sait ce qu'il en a déclaré lui-même dans la lettre à ceux de Strasbourg, où il écrit « qu'on lui eût fait grand plaisir de lui donner » quelque bon moyen de la nier, parce que rien ne lui eût été meil» leur dans le dessein qu'il avoit de nuire à la papauté 1. » Mais Dieu donne de secrètes bornes aux esprits les plus emportés, et ne permet pas toujours aux novateurs d'affliger son Eglise autant qu'ils voudroient. Luther demeura frappé invinciblement de la force et de la simplicité de ces paroles: Ceci est mon corps, ceci est mon sang : ce corps livré pour vous, ce sang de la nouvelle alliance, ce sang répandu pour vous et pour la rémission de vos péchés: car c'est ainsi qu'il faudroit traduire ces paroles de Notre-Seigneur, pour les rendre dans toute leur force. L'Eglise avoit cru sans peine que, pour consommer son sacrifice et les figures anciennes, Jésus-Christ nous avoit donné à manger la propre substance de sa chair immolée pour nous. Elle avoit la même pensée du sang répandu pour nos péchés. Accoutumée dès son origine à des mystères incompréhensibles et à des marques ineffables de l'amour divin, les merveilles impénétrables que renfermoit le sens littéral ne l'avoient point rebutée; et Luther ne put jamais se persuader, ni que Jésus-Christ eût voulu obscurcir exprès l'institution de son sacrement, ni que des paroles

1 Epist. ad Argentin., tom. vII. fol. 501.-2 Matth., XXVI. 26, 28; Luc., XXII. 19, 20; 1 Cor., XI. 24.

si simples fussent susceptibles de figures si violentes, ou pussent avoir un autre sens que celui qui étoit entré naturellement dans l'esprit de tous les peuples chrétiens en Orient et en Occident, sans qu'ils en aient été détournés ni par la hauteur du mystère, ni par les subtilités de Bérenger et de Viclef.

Il y voulut pourtant mêler quelque chose du sien. Tous ceux qui jusqu'à lui avoient bien ou mal expliqué les paroles de Jésus-Christ, avoient reconnu qu'elles opéroient quelque sorte de changement dans les dons sacrés. Ceux qui vouloient que le corps n'y fût qu'en figure, disoient que les paroles de Notre-Seigneur opéroient un changement purement mystique, et que le pain consacré devenoit le signe du corps. Par une raison opposée, ceux qui défendirent le sens littéral, avec une présence réelle, mirent aussi un changement effectif. C'est pourquoi la réalité s'étoit naturellement insinuée dans tous les esprits avec le changement de substance, et toutes les Eglises chrétiennes étoient entrées dans un sens si droit et si simple, malgré les oppositions qu'y formoient les sens. Mais Luther ne demeura pas dans cette règle. Je crois, dit-il', avec Viclef, que le pain demeure; et je crois, avec les sophistes (c'est ainsi qu'il appeloit. nos théologiens) que le corps y est. Il expliquoit sa doctrine en plusieurs façons, et la plupart fort grossières. Tantôt il disoit que le corps est avec le pain, comme le feu est avec le fer brûlant. Quelquefois il ajoutoit à ces expressions, que le corps étoit dans le pain et sous le pain, comme le vin est dans et sous le tonneau. De là ces propositions si célèbres dans le parti, in, sub, cum, qui veulent dire que le corps est dans le pain, sous le pain, et avec le pain. Mais Luther sentoit bien que ces paroles, Ceci est mon corps, demandoient quelque chose de plus que de mettre le corps là dedans, ou avec cela, ou sous cela; et pour expliquer Ceci est, il se crut obligé à dire que ces paroles, Ceci est mon corps, vouloient dire, Ce pain est mon corps substantiellement et proprement: chose inouïe, et embarrassée de difficultés invincibles.

Néanmoins pour les surmonter, quelques disciples de Luther soutinrent que le pain étoit fait le corps de Notre-Seigneur, et le vin son sang précieux, comme le Verbe divin a été fait homme : de sorte qu'il se faisoit dans l'eucharistie une impanation véritable, comme il s'étoit fait une véritable incarnation dans les entrailles de la sainte Vierge. Cette opinion, qui avoit paru dès le temps de Bérenger, fut renouvelée par Osiandre, l'un des principaux luthériens. Elle ne put jamais entrer dans l'esprit des hommes. Chacun vit qu'afin que le pain fût le corps de Notre-Seigneur, et que le vin fût son sang, ▲ De Capt. Babyl,, tom. 11.

comme le Verbe divin est homme par ce genre d'union que les théologiens appellent personnelle ou hypostatique, il faudroit que, comme l'homme est la personne, le corps fût aussi la personne, et le sang de même : ce qui détruit les principes du raisonnement et du langage. Le corps humain est une partie de la personne, mais n'est pas la personne même; ni le tout, ou, comme on parle, le suppôt. Le sang l'est encore moins; et ce n'est nullement le cas où l'union personnelle puisse avoir lieu. Ces choses s'entendent mieux qu'elles ne s'expliquent méthodiquement. Tout le monde ne sait pas employer le terme d'union hypostatique : mais quand elle est un peu expliquée, tout le monde sent à quoi elle peut convenir. Ainsi Osiandre fut le seul à soutenir son impanation et son invination. On lui laissa dire tant qu'il voulut, Ce pain est Dieu; car il passa jusqu'à cet excès 1. Mais une si étrange opinion n'eut pas même besoin d'être réfutée: elle tomba d'elle-même par sa propre absurdité, et Luther ne l'approuva point.

Cependant ce qu'il disoit y menoit tout droit. On ne savoit comment concevoir que le pain, en demeurant pain, fût en même temps, comme il l'assuroit, le vrai corps de Notre-Seigneur, sans admettre entre les deux cette union hypostatique qu'il rejetoit. Mais enfin il demeura ferme à la rejeter, et à unir néanmoins les deux substances, jusqu'à dire que l'une étoit l'autre.

Il parla pourtant d'abord avec doute du changement de substance; et encore qu'il préférât l'opinion qui retient le pain à celle qui le change au corps, l'affaire lui parut légère. «Je permets, dit-il 2, >> l'une et l'autre opinion; j'ôte seulement le scrupule. » Voilà comme décidoit ce nouveau pape : la transsubstantiation et la consubstantiation lui parurent indifférentes. Ailleurs, comme on lui reprochoit qu'il faisoit demeurer le pain dans l'eucharistie, il l'avoue : « mais, » ajoute-t-il, je ne condamne pas l'autre opinion: je dis seulement >> que ce n'est pas un article de foi. » Mais il passa bientôt plus avant, dans la réponse qu'il fit à Henri VIII, roi d'Angleterre, qui avoit réfuté sa captivité. « J'avois enseigné, dit-il, qu'il n'importoit pas » que le pain demeurât ou non dans le sacrement: mais maintenant >> je transsubstantie mon opinion; je dis que c'est une impiété et un >> blasphème de dire que le pain est transsubstantié ; » et il pousse la condamnation jusqu'à l'anathème. Le motif qu'il donne à son changement est mémorable. Voici ce qu'il en écrit dans son livre aux vaudois: «< Il est vrai, je crois que c'est une erreur de dire que le » pain ne demeure pas, encore que cette erreur m'ait paru jusqu'ici

↑ Mel., lib. 11. Ep. 447.—2 De Capt, Babyl., tom. 11. fol. 66. — 3 Resp. ad artic. e xtract, ibid. 172.4 Cont. Reg. Angl., tom. II.

>> peu importante: mais maintenant, puisqu'on nous presse si fort » de recevoir cette erreur sans autorité de l'Ecriture, en dépit des >> papistes je veux croire que le pain et le vin demeurent; » et voilà ce qui attira aux catholiques cet anathème de Luther. Tels furent ses sentiments en 1523 : nous verrons s'il y persistera dans la suite; et on sera bien aise dès à présent de remarquer une lettre produite par Hospinien, où Melanchton accuse son maître d'avoir accordé la transsubstantiation à certaines églises d'Italie, auxquelles il avoit écrit de cette matière. Cette lettre est de 1543, douze ans après sa réponse au roi d'Angleterre.

Au reste, il s'emporta contre ce prince avec une telle violence, que les luthériens eux-mêmes en étoient honteux. Ce n'étoit que des injures atroces et des démentis outrageux à toutes les pages : c'étoit un fou, un insensé, le plus grossier de tous les pourceaux et de tous les ânes. Quelquefois il l'apostrophoit d'une manière terrible : Commencez-vous à rougir, Henri, non plus roi, mais sacrilege? Mélanchton, son cher disciple, n'osoit le reprendre, et ne savoit comment l'excuser. On étoit scandalisé, même parmi ses disciples, du mépris outrageux avec lequel il traitoit tout ce que l'univers avoit de plus grand, et de la manière bizarre dont il décidoit sur les dogmes. Dire d'une façon, et puis tout-à-coup dire de l'autre, seulement en haine des papistes; c'étoit trop visiblement abuser de l'autorité qu'on lui donnoit, et insulter, pour ainsi parler, à la crédulité du genre humain. Mais il avoit pris le dessus dans tout son parti, et il falloit trouver bon tout ce qu'il disoit.

Erasme, étonné d'un emportement qu'il avoit vainement tâché de modérer par ses avis, en explique toutes les causes à Mélanchton son ami. « Ce qui me choque le plus dans Luther, c'est, dit-il 3, que >> tout ce qu'il entreprend de soutenir, il le pousse à l'extrémité >> et jusqu'à l'excès. Averti de ses excès, loin de s'adoucir, il » pousse encore plus avant, et semble n'avoir d'autre dessein que » de passer à des excès encore plus grands. Je connois, ajoute-t-il, >> son humeur par ses écrits, autant que je pourrois faire si je vivois >> avec lui. C'est un esprit ardent et impétueux. On y voit partout un » Achile, dont la colère est invincible: vous n'ignorez pas les artifices » de l'ennemi du genre humain. Joignez à tout cela un si grand >> succès, une faveur si déclarée, un si grand applaudissement de >> tout le théâtre il y en auroit assez pour gâter un esprit mo» deste.» Quoique Erasme n'ait jamais quitté la communion de l'Eglise, il a toujours conservé parmi ces disputes de religion un

:

A Hosp., pag. 2. fol. 184.- Cont. Angl. Reg., ibid. 333.-3 Erasm., lib. vi. Epist. 3 ad Luther. lib. xiv. Ep. 1, etc.; Ib., lib. xix. Ep. 3 ad Melancht.

caractère particulier, qui a fait que les protestants lui donnent assez de créance dans les faits dont il a été témoin. Mais il n'est que trop certain, d'ailleurs, que Luther, enflé du succès inespéré de son entreprise, et de la victoire qu'il croyoit avoir remportée contre la puissance romaine, ne gardoit plus aucune mesure.

C'est une chose étrange d'avoir pris, comme il fit avec tous les siens, le nombre prodigieux de ses sectateurs, comme un marque de faveur divine, sans se souvenir que saint Paul avoit dit des héritiques et des séducteurs, que leur discours gagne comme la gangrène, et qu'ils profitent en mal, errant et jetant les autres dans l'erreur. Mais le même saint Paul a dit aussi que leur progrès a des bornes. Les malheureuses conquêtes de Luther furent retardées par la division qui se mit dans la nouvelle réforme. Il y a longtemps qu'on a dit que les disciples des novateurs se croient en droit d'innover, à l'exemple de leurs maîtres : les chefs des rebelles trouvent des rebelles aussi téméraires qu'eux ; et pour dire simplement le fait sans moraliser davantage, Carlostad que Luther avoit tant loué*, tout indigne qu'il en étoit, et qu'il avoit appelé son vénérable précepteur en Jésus-Christ, se trouva en état de lui résister. Luther avoit attaqué le changement de substance dans l'eucharistie; Carlostad attaqua la réalité, que Luther n'avoit pas cru pouvoir entreprendre. Carlostad, si nous en croyons les luthériens, étoit un homme brutal, ignorant, artificieux pourtant et brouillon, sans pitié, sans humanité, et plutôt juif que chrétien. C'est ce qu'en dit Mélanchton, homme modéré et naturellement sincère. Mais, sans citer en particulier les luthériens, ses amis et ses ennemis demeuroient d'accord que c'étoit l'homme du monde le plus inquiet, aussi bien que le plus impertinent. Il ne faut point d'autre preuve de son ignorance que l'explication qu'il donna aux paroles de l'institution de la cène, soutenant que par ces paroles: Ceci est mon corps, Jésus-Christ, sans aucun égard à ce qu'il donnoit, vouloit seulement se montrer lui-même assis à table, comme il étoit avec ses disciples : imagination si ridicule, qu'on a peine à croire qu'elle ait pu entrer dans l'esprit d'un homme.

6

Avant qu'il eût enfanté cette interprétation monstrueuse, il y avoit déjà eu de grands démêlés entre lui et Luther. Car en 1521, durant que Luther étoit caché par la crainte de Charles V qui l'avoit mis au ban de l'Empire, Carlostad avoit renversé les images, ôté l'élévation du saint sacrement, et même les messes basses, et rétabli

12 Tim., II. 17; Ibid., 111. 13. — 2 Ibid., 9. — 3 Tertull. de Præscr., cap. 42. — 4 Ep. dedic. com, in Gal. ad Carlostad.—5 Mel. lib. Testim. Præf. ad Frid. Mycon. -6 Zuing. ep. ad Matt. Alber. Ib. lib. de ver, et fals, relig. Hospin, 2 part., fol. 132.

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