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peinture qu'il a faite des mœurs des vaudois. Il en est d'autant plus croyable, puisqu'il nous dit si sincèrement le bien et le mal. Au reste, on ne peut pas dire qu'il n'ait pas été bien instruit de toutes les sectes de son temps. Il avoit souvent assisté à l'examen des hérétiques; et c'étoit là qu'on approfondissoit avec un soin extrême jusques aux moindres différences de tant de sectes obscures et artificieuses, dont la chrétienté étoit alors inondée. Plusieurs se convertissoient et révéloient tous les secrets de leur secte, qu'on prenoit grand soin de retenir. C'étoit une partie de la guérison, de bien connoître le mal. Outre cela Renier s'appliquoit à lire les livres des hérétiques, comme il fit le grand volume de Jean de Lyon, un des chefs des nouveaux manichéens 2; et c'est de là qu'il a extrait les articles de sa doctrine qu'il a rapportés. Il ne faut donc pas s'étonner que cet auteur nous ait raconté plus exactement qu'aucun autre les différences des sectes de son temps.

La première dont il nous parle est celle des pauvres de Lyon, descendus de Pierre Valdo; et il en rapporte tous les dogmes jusques aux moindres précisions. Tout y est très-éloigné des manichéens, comme on verra dans la suite. De là il passe aux autres sectes qui tiennent du manichéisme; et il vient enfin aux cathares, dont il savoit tout le secret : car outre qu'il avoit été, comme on a vu, dixsept ans entiers parmi eux, et des plus avant dans la secte, il avoit entendu prêcher leurs plus grands docteurs, et entre autres un nommé Nazarius le plus ancien de tous, qui se vantoit d'avoir pris ses instructions, il y avoit soixante ans, des deux principaux pasteurs de l'Eglise de Bulgarie. Voilà toujours cette descendance de la Bulgarie. C'est de là que les cathares d'Italie, parmi lesquels Renier vivoit, tiroient leur autorité; et comme il a été parmi eux durant tant d'années, il ne faut pas s'étonner qu'il nous ait mieux expliqué, et plus en particulier, leurs erreurs, leurs sacrements, leurs céré monies, les divers partis qui s'étoient formés parmi eux avec les rapports aussi bien que les différences des uns et des autres. On y voit partout très-clairement les principes, les impiétés et tout l'esprit du manichéisme. La distinction des élus et des auditeurs, caractère particulier de la secte célèbre dans saint Augustin et dans les autres auteurs, se trouvent ici marquée sous un autre nom. Nous apprenons de Renier que ces hérétiques, outre les cathares et les purs, qui étoient les parfaits de la secte, avoient encore un autre ordre qu'ils appeloient leurs croyants, composés de toutes sortes de gens.

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1 Ren. cont. Val., tom. iv. Bib. PP., part. 2. p. 746; Præf., ibid. 746; Ibid., 756, 757; Ibid., c. 7. pag. 765; Ibid., c. 3. p. 748. -2 Ibid., c. 6. p. 762, 763. - 3 Ibid., c. 5. p. 749 et seq. · 4 Ibid., c. 6. p. 753, 754, 755, 763.- 5 Ibid., 756.

Ceux-ci n'étoient pas admis à tous les mystères; et le même Renier raconte que le nombre des parfaits cathares de son temps, où la secte étoit affoiblie, ne passoit pas quatre mille dans toute la chrétienté; mais que les croyants étoient innombrables: compte, dit-il, qui a été fait plusieurs fois parmi eux.

Parmi les sacrements de ces hérétiques, il faut remarquer principalement leur imposition des mains pour remettre les péchés : ils l'appeloient la consolation : elle tenoit lieu de baptême et de pénitence tout ensemble. On la voit dans le concile d'Orléans dont nous avons parlé dans Ecbert, dans Enervin, et dans Ermengard. Renier l'explique mieux que les autres, comme un homme qui étoit nourri dans le secret de la secte. Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans le livre de Renier, c'est le dénombrement exact des églises des cathares, et de l'état où elles étoient de son temps. On en comptoit seize dans tout le monde, et il range avec les autres l'Eglise de France, l'Eglise de Toulouse, l'Eglise de Cahors, l'Eglise d'Albi; et enfin l'Eglise de Bulgarie et l'Eglise de Dugranicie, d'où, dit-il, sont venues toutes les autres. Après cela, je ne vois pas comment on pourroit douter du manichéisme des albigeois, ni qu'ils ne soient descendus des manichéens de la Bulgarie. On n'a qu'à se souvenir des deux ordres de la Bulgarie et de la Drungarie dont nous a parlé l'auteur de Vignier, et qui s'unirent ensemble dans la Lombardie. Je répète encore une fois qu'on n'a pas besoin de chercher ce que c'est que la Drungarie. Ces hérétiques obscurs prenoient souvent leur nom de lieux inconnus. Renier nous parle des runcariens 3, une secte de manichéens de son temps, dont le nom venoit d'un village. Qui sait si ce mot de runcariens n'étoit pas une corruption de celui de drungariens?

Nous voyons, dans le même auteur et ailleurs, tant de divers noms de ces hérétiques, que ce seroit un vain travail d'en rechercher l'origine. Patariens, poplicains, toulousains, albigeois, cathares; c'étoit, sous des noms divers, et souvent avec quelques diversités, des sectes de manichéens, tous venus de la Bulgarie; d'où aussi ils prenoient le nom qui étoit le plus dans la bouche du vulgaire.

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Cette origine est si certaine que nous la voyons encore reconnue au treizième siècle. « En ces temps, dit Matthieu Paris (c'est en » l'an 1223), les hérétiques albigeois se firent un antipape nommé >> Barthélemi dans les confins de la Bulgarie, de la Croatie et de la >> Dalmatie. >> On voit ensuite que les albigeois alloient le consulter

1 Ren. cont. Val., t. 1v. Bib. PP., part. 2. c. 6. p. 759.—2 Ren., c. 14. t. 1v. Bib. PP., 1 part. P. 1254; 2 part. ibid. 759.— 3 Ib., p. 753, 765.— 4 Matth. Paris, in Henr. III. an. 1223. p. 317.

en foule; qu'il avoit un vicaire à Carcassonne et à Toulouse, et qu'il envoyoit ses évêques de tous côtés : ce qui revient manifestement à ce que disoit Enervin', que ces hérétiques avoient leur pape, encore que le même auteur nous apprenne que tous ne le connoissoient pas. Et afin qu'on ne doutât point de l'erreur de ces albigeois de Matthieu Paris, le même auteur nous raconte que les albigeois d'Espagne, qui prirent les armes en 1234, entre plusieurs autres erreurs nioient principalement le mystère de l'incarnation 2.

Au milieu de tant d'impiétés ces hérétiques avoient un extérieur surprenant. Enervin les fait parler en ces termes : « Vous, disoient>> ils aux catholiques, vous joignez maison à maison, et champ à » champ; les plus parfaits d'entre vous, comme les moines et les >> chanoines réguliers, s'ils ne possèdent point de biens en propre, >> les ont du moins en commun. Nous qui sommes les pauvres de » Jésus-Christ, sans repos, sans domicile certain, nous serons de >> ville en ville comme des brebis au milieu des loups, et nous souf>> frons persécution comme les apôtres et les martyrs. » Ensuite ils vantoient leurs abstinences, leurs jeûnes, la voie étroite où ils marchoient, et se disoient les seuls sectateurs de la vie apostolique; parce que se contentant du nécessaire, ils n'avoient ni maison, ni terre, ni richesses : « à cause, disoient-ils, que Jésus-Christ n'avoit >> ni possédé de semblables choses, ni permis à ses disciples d'en >> avoir. »

Selon saint Bernard, il n'y avoit rien en apparence de plus chrétien que leurs discours, rien de plus irréprochable que leurs mœurs*. Aussi s'appeloient-ils les apostoliques, et ils se vantoient de mener la vie des apôtres. Il me semble que j'entends encore un Fauste le manichéen, qui disoit aux catholiques chez saint Augustin : « Vous >> me demandez si je reçois l'Evangile ; vous le voyez en ce que j'ob» serve ce que l'Evangile prescrit : c'est à vous à qui je dois deman» der si vous le recevez, puisque je n'en vois aucune marque dans >> votre vie. Pour moi j'ai quitté père, mère, femme et enfants, l'or, >> l'argent, le manger et le boire, les délices, les voluptés, content >> d'avoir ce qu'il faut pour la vie d'un jour à l'autre. Je suis pauvre, » je suis pacifique, je pleure, je souffre la faim et la soif, je suis per» sécuté pour la justice; et vous doutez que je reçoive l'Evangile! » Après cela, prendra-t-on encore les persécutions comme une marque de la vraie Eglise et de la vraie piété ? C'est un langage de manichéens.

1 Epist. Enerv. ad S. Bern. Anal. Mabill. 111. — 2 Ibid., an. 1234. pag. 395. - 3 Anal. m. p. 454. — 4 Serm. LXV. in Cant., n. 5.— 5 Serm. LXVI. n. 8. — 6 Lib. v. cont. Faust., cap, i. tom. vii. col. 195.

Mais saint Augustin et saint Bernard leur font voir que leur vertu n'étoit qu'une vaine ostentation. Pousser l'abstinence des viandes jusqu'à dire qu'elles sont immondes et mauvaises de leur nature, et la continence jusqu'à la condamnation du mariage; c'est d'un côté s'attaquer au Créateur, et de l'autre lâcher la bride aux mauvais désirs en les laissant absolument sans remède1. Ne croyez jamais rien de bon de ceux qui outrent la vertu. Le déréglement de leur esprit, qui mêle tant d'excès dans leurs discours, introduit mille désordres dans leur vie.

Saint Augustin nous apprend que ces gens, qui ne se permettoient pas le mariage, se permettoient toute autre chose. C'est que, selon leurs principes, j'ai honte d'être contraint de le répéter, c'étoit proprement la conception qu'il falloit avoir en horreur; et on voit quelle porte étoit ouverte aux abominations dont les anciens et les nouveaux manichéens sont convaincus. Mais comme, parmi les sectes différentes de ces nouveaux manichéens, il y avoit des degrés de mal, les plus infâmes de tous étoient ceux qu'on appeloit patariens 2: ce que je suis bien aise de remarquer à cause de nos réformés qui les mettent nommément parmi les vaudois, qu'ils se glorifient d'avoir pour ancêtres 3.

Ceux qui vantent le plus leur vertu et la pureté de leur vie, sont ordinairement les plus corrompus. On aura pu remarquer comme ces impurs manichéens se sont glorifiés dans leur origine, et dans toute la suite de la secte, d'une vertu plus sévère que les autres ; et pour se faire valoir davantage, ils disoient que les sacrements et les mystères perdoient leur force dans des mains impures. Il importe de bien remarquer cette partie de leur doctrine, que nous avons vue dans Enervin, dans saint Bernard, et dans le concile de Lombez. C'est pourquoi Renier répète par denx fois, que cette imposition des mains qu'ils appeloient la consolation, et où ils mettoient la rémission des péchés, étoit inutile à celui qui la recevoit, si celui qui la donnoit étoit en péché lui - même, quand son péché seroit caché. La raison qu'ils rendoient de cette doctrine, selon Ermengard, est que lorsqu'on a perdu le Saint-Esprit, on ne peut plus le donner, qui étoit la même raison dont se servoient les anciens donatistes.

C'étoit encore pour faire les saints, et s'élever au-dessus des autres, qu'ils disoient que le chrétien ne devoit jamais affirmer la vérité par serment ', pour quelque cause que ce fût, pas même en

1 Bern. serm. LXVI. in Cant. .-2 Ren. c. 16; Ebrard., c. 26. tom. iv. Bibl. PP., 1 part. pag 1178; Ren., c. 6. tom. 1v. Bibl. PP., 2 part. p. 753. — 3 La Roq. hist. de l'Euch., 2 part. c. 18 p. 445. — 4 Ren., c. 6. ibid., p. 756, 759.- 5 Ermeng., c. 14. de imp. Man., ibid., p. 1254. ~ 4 Bern. serm. LXV. in Cant., n. 2.

justice; et qu'il n'étoit permis de punir personne de mort, pas même les plus criminels 1. Les vaudois, comme nous verrons, prirent d'eux toutes ces maximes outrées et tout ce vain extérieur de piété.

Voilà quels étoient les albigeois, selon tous les auteurs du temps, sans en excepter un seul. Les protestants en rougissent, et nous disent pour toute réponse que ces excès, ces erreurs, et tous ces déréglements des albigeois sont des calomnies de leurs ennemis. Mais ont-ils une seule preuve de ce qu'ils avancent, ou un seul auteur du temps, et de plus de quatre cents ans après, qui les justifient? Pour nous, nous produisons autant de témoins qu'il y a eu dans tout l'univers d'auteurs qui ont parlé de cette secte. Ceux qui ont été dans leur croyance nous ont révélé ses abominables secrets après leur conversion. Nous suivons la secte damnable jusqu'à sa source: nous montrons d'où elle est venue, par où elle a passé, tous ses caractères, et toute sa descendance, qui la lie au manichéisme. On nous oppose des conjectures, et encore quelles conjectures? On les va voir, car je veux ici rapporter les plus vraisemblables.

Le plus grand effort des adversaires est pour justifier Pierre de Bruis et son disciple Henri. Saint Bernard, dit-on, les accuse de condamner et la viande et le mariage. Mais Pierre le Vénérable, abbé de Cluni, qui a réfuté presqu'en même temps Pierre de Bruis, ne parle point de ces erreurs, et ne lui en attribue que cinq: de nier le baptême des petits enfants, de condamner les temples sacrés, de briser les croix au lieu de les adorer, de rejeter l'eucharistie, de se moquer des oblations et des prières pour les morts. Saint Bernard assure que cet hérétique et ses sectateurs ne recevoient que l'Evangile. Mais Pierre le vénérable n'en parle qu'en doutant. « La renommée, dit-il, » a publié que vous ne croyez pas tout à fait ni à Jésus-Christ, ni » aux prophètes, ni aux apôtres : mais il ne faut pas croire aisément >> les bruits qui sont souvent trompeurs ; puisque même il y en a qui >> disent que vous rejetez tout le canon des Ecritures. » Sur quoi il ajoute : « Je ne veux pas vous blâmer de ce qui n'est pas certain. Ici les protestants louent la prudence de Pierre le Vénérable, et blâment la crédulité de saint Bernard, qui avoit trop légèrement dé

féré à des bruits confus.

Mais premièrement, à ne prendre que ce que l'abbé de Cluni reprend comme certain dans cet hérétique, il y en a plus qu'il ne faut pour le condamner. Calvin a compté parmi les blasphèmes la doctrine qui nie le baptême des petits enfants. Le nier avec Pierre de

1 Ebrard., c. 14, 15; Erm., c. 18, 19; Ibid., pag. 1134, 1136, 1260, 1261.-2 Petr. Ven. cont Petrob., tom. xxII. Bib. Max., pag. 1034.3 Serm. LXV. in Cant., n. 3.4 Petr. Ven., ibida pag. 1037.—5 Opusc. cont. Servet.

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