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voyoit dans tout son discours les deux marques d'un orgueil outré, la moquerie et la violence.

On le reprenoit dans la bulle d'avoir soutenu quelques-unes des propositions de Jean Hus: au lieu de s'en excuser, comme il auroit fait autrefois, « Oui, disoit-il en parlant au pape1, tout ce que vous >>> condamnez dans Jean Hus, je l'approuve; tout ce que vous approu» vez, je le condamne. Voilà la rétractation que vous m'avez ordon>> née en voulez-vous davantage? >>

Les fièvres les plus violentes ne causent pas de pareils transports. Voilà ce qu'on appeloit dans le parti hauteur de courage; et Luther, dans les apostilles qu'il fit sur la bulle, disoit au pape sous le nom d'un autre : « Nous savons bien que Luther ne vous cédera pas, » parce qu'un si grand courage ne peut pas abandonner la défense » de la vérité qu'il a entreprise 2. » Lorsqu'en haine de ce que le pape avoit fait brûler ses écrits à Rome, Luther aussi à son tour fit brûler à Vitemberg les décrétales; les actes qu'il fit dresser de cette action portoient, « qu'il avoit parlé avec un grand éclat de belles paroles, >> et une heureuse élégance de sa langue maternelle 3. » C'est par où il enlevoit tout le monde. Mais surtout il n'oublia pas de dire, que ce n'étoit pas assez d'avoir brûlé ces décrétales; et qu'il eût été bien à propos d'en faire autant au pape même, c'est-à-dire, ajoutoit-il pour tempérer un peu son discours, au siége papal.

Quand je considère tant d'emportement après tant de soumission, je suis en peine d'où pouvoit venir cette humilité apparente à un home de ce naturel. Etoit-ce dissimulation et artifice? ou bien estce que l'orgueil ne se connoît pas lui-même dans ses commencements, et que, timide d'abord, il se cache sous son contraire, jusqu'à ce qu'il ait trouvé occasion de se déclarer avec avantage?

En effet, Luther reconnoît, après la rupture ouverte, que dans les commencements il étoit comme au désespoir, et que personne ne peut comprendre « de quelle foiblesse Dieu l'a élevé à un tel cou» rage, ni comment d'un tel tremblement il a passé à tant de force. » Si c'est Dieu, ou l'occasion qui ont fait ce changement, j'en laisse le jugement au lecteur, et je me contente pour moi du fait que Luther avoue. Alors dans cette frayeur, il est bien vrai, en un certain sens, que son humilité, comme il dit, n'étoit pas feinte. Ce qui pourroit toutefois faire soupçonner de l'artifice dans ses discours, c'est qu'il s'échappoit de temps en temps jusqu'à dire, « qu'il ne changeroit >> jamais rien dans sa doctrine; et que s'il avoit remis toute sa >> dispute au jugement du souverain pontife, c'est qu'il falloit garder

Ibid. ad prop. 30. fol. 109. —2 Not. in bull., tom. 11. fol. 56. — 3 Exust, acta, t. 11. fol. 123. - Præf. oper. Luth., tom. 1. fol. 49, 50 et seq.

>> le respect envers celui qui exerçoit une si grande charge1. » Mais qui considérera l'agitation d'un homme que son orgueil d'un côté, et les restes de la foi de l'autre, ne cessoient de déchirer au dedans, ne croira pas impossible que des sentiments si divers aient paru tour à tour dans ses écrits. Quoi qu'il en soit, il est certain que l'autorité de l'Eglise le retint longtemps; et on ne peut lire sans indignation, non. plus que sans pitié, ce qu'il en écrit. « Après, dit-il 2, que j'eus >> surmonté tous les arguments qu'on m'opposoit, il en restoit un >> dernier qu'à peine je pus surmonter par le secours de Jésus-Christ, » avec une extrême difficulté et beaucoup d'angoisses: c'est qu'il » falloit écouter l'Eglise. » La grâce, pour ainsi dire, avoit peine à quitter ce malheureux. A la fin il l'emporta, et pour comble d'aveuglement, il prit le délaissement de Jésus-Christ méprisé pour un secours de sa main. Qui eût pu croire qu'on attribuât à la grâce de Jésus-Christ l'audace de n'écouter plus son Eglise, contre son précepte? Après cette funeste victoire, qui coûta tant de peine à Luther, il s'écrie comme affranchi d'un joug importun: Rompons leurs liens, et rejetons leur joug de dessus nos têtes3; car il se servit de ces paroles, en répondant à la bulle, et secouant avec un dernier effort l'autorité de l'Eglise, sans songer que ce malheureux cantique est celui que David met à la bouche des rebelles, dont les complots s'élèvent contre le Seigneur et contre son Christ. Luther aveuglé se l'approprie, ravi de pouvoir dorénavant parler sans contrainte, et décider à son gré de toutes choses. Ses soumissions méprisées se tournent en poison dans son cœur : il ne garde plus de mesures : les excès, qui devoient rebuter ses disciples, les animent; on se transporte avec lui en l'écoutant. Un mouvement si rapide se communique bien loin au dehors; et un grand parti regarde Luther comme un homme envoyé de Dieu pour la réformation du genre humain.

Alors il se mit à soutenir que sa vocation étoit extraordinaire et divine. Dans une lettre qu'il écrivoit aux évêques, qu'on appeloit, disoit-il, faussement ainsi, il prit le titre d'ecclésiaste ou de prédicateur de Vitemberg, que personne ne lui avoit donné. Aussi ne dit-il autre chose, sinon « qu'il se l'étoit donné lui-même; que tant de >> bulles et tant d'anathèmes, tant de condamnations du pape et de >> l'empereur lui avoient ôté tous ses anciens titres, et avoient effacé >> en lui le caractère de la bête; qu'il ne pouvoit pourtant pas de>> meurer sans titre, et qu'il se donnoit celui-ci, pour marque du >> ministère auquel il avoit été appelé de Dieu, et qu'il avoit REÇU » NON DES HOMMES, NI PAR L'HOMME, MAIS PAr le don de Dieu, et

1 Pio Lect., tom. 1. fol. 212. —2 Præf. oper. Luth., tom. 1. fol. 49. —3 Ps. 11. 3. — 4 Not, in bull., tom. 1. fol. 63. — 5 Ps. 11. 2. — 6 Ep. ad falsò nominat, ordin. Episc., tom. 1. fol. 305.

» PAR LA RÉVÉLATION DE JÉSUS-CHRIST. » Le voilà donc appelé à même titre que saint Paul, aussi immédiatement, aussi extraordinairement. Sur ce fondement, il se qualifie à la tête et dans tout le corps de la lettre, Martin Luther, par la grâce de Dieu ecclésiaste de Vitemberg, et déclare aux évêques, « afin qu'ils n'en prétendent » cause d'ignorance, que c'est là sa nouvelle qualité qu'il se donne >> lui-même, avec un magnifique mépris d'eux et de Satan; qu'il >> pourroit à aussi bon titre s'appeler évangéliste par la grâce de Dieu; » et que très-certainement Jésus-Christ le nommoit ainsi, et le tenoit » pour ecclésiaste. »

En vertu de cette céleste mission, il faisoit tout dans l'Eglise; il prêchoit, il visitoit, il corrigeoit, il ôtoit des cérémonies, il en laissoit d'autres, il instituoit et destituoit. Il osa, lui qui ne fut jamais que prêtre, je ne dis pas faire d'autres prêtres, ce qui seul seroit un attentat inouï dans toute l'Eglise depuis l'origine du christianisme, mais, ce qui est bien plus inouï, faire un évêque. On trouva à propos, dans le parti, d'occuper par force l'évêché de Naümbourg 1. Luther fut à cette ville, où par une nouvelle consécration il ordonna évêque Nicolas Amsdorf, qu'il avoit déjà ordonné ministre et pasteur de Magdebourg. Il ne le fit donc pas évêque au sens qu'il appelle quelquefois de ce nom tous les pasteurs; car Amsdorf étoit déjà établi pasteur: il le fit évêque avec toute la prérogative attachée à ce nom sacré, et lui donna le caractère supérieur que lui-même n'avoit pas. Mais c'est que tout étoit compris dans sa vocation extraordinaire, et qu'enfin un évangéliste, envoyé immédiatement de Dieu comme un nouveau Paul, peut tout dans l'Eglise.

Ces entreprises, je le sais, sont comptées pour rien dans la nouvelle réforme. Ces vocations et ces missions tant respectées dans tous les siècles, selon les nouveaux docteurs ne sont après tout que formalités, et il en faut revenir au fond. Mais ces formalités établies de Dieu conservent le fond. Ce sont des formalités, si l'on veut, au même sens que les sacrements en sont aussi; formalités divines, qui sont le sceau de la promesse et les instruments de la grâce. La vocation, la mission, la succession, et l'ordination légitime, sont formalités dans le même sens. Par ces saintes formalités Dieu scelle la promesse qu'il a faite à son Eglise de la conserver éternellement: Allez, enseignez, et baptisez ; et voilà, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. Avec vous enseignants et baptisants; ce n'est pas avec vous, qui êtes présents, et que j'ai immédiatement élus; c'est avec vous en la personne de ceux qui vous seront éternellement substitués par mon ordre. Qui méprise ces formalités de mission légitime

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et ordinaire, peut avec la même raison mépriser les sacrements, et confondre tout l'ordre de l'Eglise. Et sans entrer plus avant dans cette matière, Luther, qui se disoit envoyé avec un titre extraordinaire et immédiatement émané de Dieu comme un évangéliste et comme un apôtre, n'ignoroit pas que la vocation extraordinaire ne dût être confirmée par des miracles. Quand Muncer avec ses anabaptistes entreprit de s'ériger en pasteur, Luther ne vouloit pas qu'on en vînt au fond avec ce nouveau docteur, ni qu'on le reçût à prouver la vérité de sa doctrine par les Ecritures: mais il ordonnoit qu'on lui demandât, qui lui avoit donné la charge d'enseigner 1. « S'il répond que c'est >> Dieu, poursuivoit-il, qu'il le prouve par un miracle manifeste; » car c'est par de tels signes que Dieu se déclare, quand il veut chan>> ger quelque chose dans la forme ordinaire de la mission. » Luther avoit été élevé dans de bons principes, et il ne pouvoit s'empêcher d'y revenir de temps en temps. Témoin le traité qu'il fit de l'autorité des magistrats en 15342. Cette date est considérable, parce qu'alors quatre ans après la confession d'Augsbourg, et quinze ans après la rupture, on ne peut pas dire que la doctrine luthérienne n'eût pas pris sa forme et néanmoins Luther y disoit encore, « qu'il aimoit >> mieux qu'un luthérien se retirât d'une paroisse, que d'y prêcher » malgré son pasteur; que le magistrat ne devoit souffrir, ni les as>> semblées secrètes, ni que personne prêchât sans vocation légitime; >> que si l'on avoit réprimé les anabaptistes dès qu'ils répandirent leurs >> dogmes sans vocation, on auroit bien épargné des maux à l'Alle>> magne qu'aucun homme vraiment pieux ne devoit rien entre>> prendre sans vocation; ce qui devoit être si religieusement observé, >> que MÊME UN ÉVANGÉLISTE (c'est ainsi qu'il appeloit ses disciples) >> NE DEVOIT PAS PRÊCHER DANS UNE Paroisse d'un papiste ou d'un >> hérétique, sans la participation de celui qui en étoit le pasteur. Ce » qu'il disoit, poursuit-il, pour avertir les magistrats d'éviter ces dis>> coureurs, s'ils n'apportoient de bons et assurés témoignages de >> leur vocation ou de Dieu, ou des hommes; autrement, qu'il ne >> falloit pas les admettre, quand même ils voudroient prêcher le pur >> Evangile, ou qu'ils seroient des anges du ciel. » C'est-à-dire, qu'il ne suffit pas d'avoir la saine doctrine, et qu'il faut outre cela de deux choses l'une, ou des miracles pour témoigner une vocation extraordinaire de Dieu, ou' l'autorité des pasteurs qu'on avoit trouvés en charge, pour établir la vocation ordinaire et dans les formes.

A ces mots, Luther sentit bien qu'on lui pouvoit demander où il avoit pris lui-même son autorité ; et il répondit « qu'il étoit docteur et » prédicateur; qu'il ne s'étoit pas ingéré; et qu'il ne devoit pas ces▲ Sleid., lib. v. edit. 1555, 69. — 2 In Ps. LXXXII. De Magistr., tom. III.

» ser de prêcher, après qu'une fois on l'avoit forcé à le faire; qu'a» près tout, il ne pouvoit se dispenser d'enseigner son Eglise ; et pour » les autres Eglises, qu'il ne faisoit autre chose que de leur commu»niquer ses écrits: ce qui n'étoit qu'un simple devoir de charité. »

Mais quand il parloit si hardiment de son Eglise, la question étoit de savoir qui lui en avoit confié le soin, et comment la vocation qu'il avoit reçue avec dépendance étoit tout-à-coup devenue indépendante de toute hiérarchie ecclésiastique. Quoi qu'il en soit, à cette fois il étoit d'humeur à vouloir que sa vocation fût ordinaire : ailleurs, lorsqu'il sentoit mieux l'impossibilité de se soutenir, il se disoit, comme on vient de voir, immédiatement envoyé de Dieu, et se réjouissoit d'être dépouillé de tous les titres qu'il avoit reçus dans l'Eglise romaine, pour jouir dorénavant d'une vocation si haute. Au reste, les miracles ne lui manquoient pas : il vouloit qu'on crût que le grand succès de ses prédications tenoit du miracle: et lorsqu'il abandonna la vie monastique, il écrivit à son père, qui paroissoit un peu ému de son changement, que Dieu l'avoit tiré de son état par des miracles visibles. « Satan, dit-il 1, semble avoir prévu dès mon en» fance tout ce qu'il auroit un jour à souffrir de moi. Est-il possible >> que je sois le seul de tous les mortels qu'il attaque maintenant ? >> Vous avez voulu, poursuit-il, me tirer autrefois du monastère. >> Dieu m'en a bien tiré sans vous. Je vous envoie un livre où vous >> verrez par combien de miracles et d'effets extraordinaires de sa » puissance il m'a absous des vœux monastiques. » Ces vertus et ces prodiges, c'étoit et la hardiesse et le succès inespéré de son entreprise car c'est ce qu'il donnoit pour miracle, et ses disciples en étoient persuadés.

Ils prenoient même pour quelque chose de miraculeux, qu'un petit moine eût osé attaquer le pape, et qu'il parût intrépide au milieu de tant d'ennemis. Les peuples le regardoient comme un héros et comme un homme divin, quand ils lui entendoient dire qu'on ne pensât pas l'épouvanter; que, s'il s'étoit caché un peu de temps, « le diable savoit bien (le beau témoin!) que ce n'étoit point par >> crainte; que, lorsqu'il avoit paru à Worms devant l'empereur, » rien n'avoit été capable de l'effrayer; et que, quand il eût été assuré » d'y trouver autant de diables prêts à le tirer qu'il y avoit de tuiles » dans les maisons, il les auroit affrontés avec la même confiance. » C'étoit ses expressions ordinaires. Il avoit toujours à la bouche le diable et le pape, comme des ennemis qu'il alloit abattre; et ses disciples trouvoient dans ces paroles brutales une ardeur divine, un in

1 De vot. monast. ad Joannem Luth. parent. suum., tom. 11. fol. 269.-2 Ep. ad Frid. Sax Ducem apud Chytr., lib. x. pag. 247.

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