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Mais voulez-vous donc, disoit Bucer, que Jésus-Christ soit présent corporellement? et vous-même n'avouez-vous pas que la présence de son corps dans l'eucharistie est spirituelle?

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Luther et les siens ne nioient non plus que les catholiques que la présence de Jésus-Christ dans l'eucharistie ne fût spirituelle quant à la manière, pourvu qu'on leur avouât qu'elle étoit corporelle quant à la substance; c'est-à-dire, en termes plus simples, que le corps de Jésus-Christ étoit présent, mais d'une manière divine, surnaturelle, incompréhensible, où les sens ne pouvoient atteindre spirituelle en cela, que le seul esprit soumis à la foi la pouvoit connoître, et qu'elle avoit une fin toute céleste. Saint Paul avoit bien appelé le corps humain 'ressuscité un corps spirituel, à cause des qualités divines, surnaturelles, et supérieures aux sens dont il étoit revêtu : à plus forte raison le corps du Sauveur mis dans l'eucharistie d'une manière si fort incompréhensible pouvoit-il être appelé de ce nom. Au reste, tout ce qu'on disoit, que l'esprit s'élevoit en haut pour aller chercher Jésus-Christ à la droite de son Père, n'étoit encore qu'une métaphore peu capable de représenter une réception substantielle du corps et du sang; puisque ce corps et ce sang demeuroient uniquement dans le ciel, comme l'esprit demeuroit uniquement uni à son corps dans la terre, et qu'il n'y avoit non plus d'union véritable et substantielle entre le fidèle et le corps de NotreSeigneur, que s'il n'y eût jamais eu d'eucharistie, et que Jésus-Christ n'eût jamais dit : Ceci est mon corps.

Feignons en effet que ces paroles ne soient jamais sorties de sa bouche, la présence par l'esprit et par la foi subsistoit toujours également; et jamais on ne se seroit avisé de l'appeler substantielle. Que si les paroles de Jésus-Christ obligent à des expressions plus fortes, c'est à cause qu'elles nous donnent ce qui ne nous seroit point donné sans elles, c'est-à-dire le propre corps et le propre sang, dont l'immolation et l'effusion nous ont sauvés sur la croix.

Il restoit encore à Bucer deux fécondes sources de chicane et d'équivoque; l'une dans le mot de local, et l'autre dans le mot de sacrement ou de mystère.

Luther et les défenseurs de la présence réelle n'avoient jamais prétendu que le corps de Notre-Seigneur fût enfermé dans l'eucharistie, comme dans un lieu par lequel il fût mesuré et compris à la manière ordinaire des corps: au contraire, ils ne croyoient dans la chair de Notre-Seigneur, qui leur étoit distribuée à la sainte table, que la simple et pure substance avec la grâce et la vie dont elle étoit pleine; mais au surplus dépouillée de toutes qualités sensibles, et 11 Cor., XV. 44, 46.

des manières d'être que nous connoissons. Ainsi Luther accordoit facilement à Bucer que la présence dont il s'agissoit n'étoit pas locale, pourvu qu'il lui accordât qu'elle étoit substantielle; et Bucer appuyoit beaucoup sur l'exclusion de la présence locale, croyant affoiblir autant ce qu'il étoit forcé d'avouer de la présence substantielle. Il se servoit même de cet artifice pour exclure la manducation du corps de Notre-Seigneur, qui se faisoit par la bouche. Il la trouvoit non seulement inutile, mais encore grossière, charnelle, et peu digne de l'esprit du christianisme comme si ce gage sacré de la chair et du sang offert sur la croix, que le Sauveur nous donnoit encore dans l'eucharistie pour nous certifier que la victime et son immolation étoit toute nôtre, eût été une chose indigne d'un chrétien; ou que cette présence cessât d'être véritable, sous prétexte que dans un mystère de foi Dieu n'avoit pas voulu la rendre sensible; ou enfin que le chrétien ne fût pas touché de ce gage inestimable de l'amour divin, parce qu'il ne lui étoit connu que par la seule parole de Jésus-Christ choses tellement éloignées de l'esprit du christianisme, qu'on ne peut assez s'étonner de la grossièreté de ceux qui ne pouvant pas les goûter traitent encore de grossiers ceux qui les goûtent. L'autre source des équivoques étoit dans le mot de sacrement et dans celui de mystère. Sacrement, dans notre usage ordinaire, veut dire un signe sacré ; mais dans la langue latine, d'où ce mot nous est venu, sacrement veut dire souvent chose haute, chose secrète et impénétrable. C'est aussi ce que signifie le mot de mystère. Les Grecs n'ont point d'autre mot pour signifier sacrement que celui de mystère; et les Pères latins appellent souvent le mystère de l'incarnation, sacrement de l'incarnation, et ainsi des autres.

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Bucer et ses compagnons croyoient tout gagner, quand ils disoient que l'eucharistie étoit un mystère, ou qu'elle étoit un sacrement du corps et du sang; ou que la présence qu'on y reconnoissoit, et l'union qu'on y avoit avec Jésus-Christ, étoit une présence et une union sacramentelle et au contraire, les défenseurs de la présence réelle, catholiques et luthériens, entendoient une présence et une union réelle, substantielle, et proprement dite; mais cachée, secrète, mystérieuse, surnaturelle dans sa manière, et spirituelle dans sa fin. propre enfin à ce sacrement: et c'étoit pour toutes ces raisons qu'ils l'appeloient sacramentelle.

Ils n'avoient donc garde de nier que l'eucharistie ne fût un mystère au même sens que la Trinité et l'incarnation, c'est-à-dire une chose haute autant que secrète, et tout à fait incompréhensible à l'esprit humain.

Ils ne nioient pas même qu'elle ne fût un signe sacré du corps et

du sang de Notre-Seigneur; car ils savoient que le signe n'exclut pas toujours la présence au contraire, il y a des signes de telle ́ nature qu'ils marquent la chose présente. Quand on dit qu'un ́ malade a donné des signes de vie, on veut dire qu'on voit par ces signes que l'âme est encore présente en sa propre et véritable substance les actes extérieurs de religion sont faits pour marquer qu'on a en effet la religion au fond du cœur et lorsque les anges ont paru en forme humaine, ils étoient présents en personne sous cette apparence qui nous les représentoit. Ainsi les défenseurs du sens littéral ne disoient rien d'incroyable, quand ils enseignoient que les symboles sacrés de l'eucharistie, accompagnés de ces paroles, Ceci est mon corps, ceci est mon sang, nous marquent Jésus-Christ présent, et que le signe étoit très-étroitement et inséparablement uni à la chose.

Bien plus, il faut reconnoître que tout ce qui est le plus vérité, pour ainsi parler, dans la religion chrétienne, est tout ensemble mystère et signe sacré. L'incarnation de Jésus-Christ nous figure l'union parfaite que nous devons avoir avec la Divinité dans la grâce et dans la gloire. Sa naissance et sa mort sont la figure de notre naissance et de notre mort spirituelle. Si dans le mystère de l'eucharistie il daigne s'approcher de nos corps en sa propre chair et en son propre sang, par là il nous invite à l'union des esprits, et nous la figure. Enfin, jusqu'à ce que nous soyons venus à la pleine et manifeste vérité qui nous rendra éternellement heureux, toute vérité nous sera la figure d'une vérité plus intime : nous ne goûterons Jésus-Christ tout pur en sa propre forme, et dégagé de toute figure, que lorsque nous le verrons dans la plénitude de sa gloire à la droite de son père c'est pourquoi s'il nous est donné dans l'eucharistie en substance et en vérité, c'est sous une espèce étrangère. C'est ici un grand sacrement et un grand mystère, où sous la forme du pain on nous cache un corps véritable; où dans le corps d'un homme on nous cache la majesté et la puissance d'un Dieu; où on exécute de si grandes choses d'une manière impénétrable au sens humain.

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Quel jeu aux équivoques de Bucer dans ces diverses significations des mots de sacrement et de mystère? Et combien d'échappatoires se pouvoit-il préparer dans des termes que chacun tiroit à son avantage? S'il mettoit une présence et une union réelle et substantielle, encore qu'il n'exprimât pas toujours qu'il l'entendoit par la foi, il croyoit avoir tout sauvé en cousant à ses expressions le mot de sacramentel : après quoi il s'écrioit de toute sa force, qu'on ne disputoit que des mots, et qu'il étoit étrange de troubler l'Eglise, et d'empêcher le cours de la réformation pour une dispute si vaine.

Personne ne l'en vouloit croire. Ce n'étoit pas seulement Luther et les luthériens qui se moquoient quand il vouloit faire une dispute de mots de toute la dispute de l'eucharistie: ceux de son parti lui disoient eux-mêmes qu'il trompoit le monde par sa présence substantielle, qui n'étoit au fond qu'une présence par la foi. OEcolampade avoit remarqué combien il embrouilloit la matière par sa présence substantielle du corps et du sang, et lui avoit écrit, un peu avant que de mourir, qu'il y avoit seulement dans l'eucharistie, pour ceux «< qui croyoient, une promesse efficace de la rémission des » péchés par le corps livré et par le sang répandu : que nos âmes en » étoient nourries, et nos corps associés à la résurrection par le » Saint - Esprit; qu'ainsi nous recevions le vrai corps, et non pas >> seulement du pain, ni un simple signe : » (il se gardoit bien de dire qu'on le reçût substantiellement.) « Qu'à la vérité les impies ne re>>cevoient qu'une figure; mais que Jésus-Christ étoit présent aux » siens comme Dieu, qui nous fortifie, et qui nous gouverne'. >> C'étoit toute la présence que vouloit OEcolampade : et il finissoit par ces mots : « Voilà, mon cher Bucer, tout ce que nous pouvons don>> ner aux luthériens. L'obscurité est dangereuse à nos Eglises, Agis»sez de sorte, mon frère, que vous ne trompiez pas nos espé

»rances. »

Ceux de Zurich lui témoignoient encore plus franchement que c'étoit une illusion de dire, comme il faisoit, que cette dispute n'étoit que de mots, et l'avertissoient que ces expressions le menoient à la doctrine de Luther, où il arriva en effet, mais pas si tôt. Cependant ils se plaignoient hautement de Luther, qui ne vouloit pas les traiter de frères; ils ne laissoient pas de le reconnoître pour un excellent serviteur de Dieu; mais on remarqua dans le parti, que cette douceur ne fit que le rendre plus inhumain et plus insolent*.

Ceux de Bâle se montroient fort éloignés et des sentiments de Luther et des équivoques de Bucer. Dans la Confession de foi qui est mise dans le recueil de Genève en l'an 1532, et dans l'histoire d'Hospinien en l'an 1534, peut-être parce qu'elle fut publiée la première fois en l'une de ces années, et renouvelée en l'autre, ils disent que, «< comme l'eau demeure dans le baptême, où la rémission des pé>> chés nous est offerte; ainsi le pain et le vin demeurent dans la » cène, où, avec le pain et le vin, le vrai corps et le vrai sang de » Jésus-Christ nous est figuré et offert par le ministre ". » Pour s'expliquer plus nettement, ils ajoutent « que nos àmes sont nourries du >> corps et du sang de Jésus-Christ par une foi véritable, » et mettent

1 Epist. OEcol. ap. Hosp. an. 1530, 112. — 2 Hosp. 127, an. 1532. — 3 Ep. ad Marc. Brand.. ibid. -4 Hosp., ibid. - — 5 Conf. Bas. 1532, art. 11. Synt. 1. part. 72.

en marge, par forme d'éclaircissement, que « Jésus-Christ est pré>> sent dans la cène, mais sacramentellement, et par le souvenir de la » foi qui élève l'homme au ciel, et n'en ôte point Jésus-Christ. » Enfin ils concluent, en disant « qu'ils n'enferment point le corps na>>turel, véritable et substantiel de Jésus-Christ dans le pain et dans »le breuvage, et n'adorent point Jésus-Christ dans les signes du >>-pain et du vin, qu'on appelle ordinairement le sacrement du corps » et du sang de Jésus-Christ; mais dans le ciel, à la droite de Dieu » son Père, d'où il viendra juger les vivants et les morts. »>

Voilà ce que Bucer ne vouloit point dire ni expliquer clairement, que Jésus-Christ n'étoit qu'au ciel en qualité d'homme, quoique autant qu'on en peut juger il fût alors de ce sentiment; mais il se jetoit de plus en plus dans des pensées si métaphysiques, que ni Scot, ni les plus fins des scotistes, n'en approchoient pas et c'est sur ces abstractions qu'il faisoit rouler ses équivoques.

En ce temps Luther publia ce livre contre la messe privée, où se trouve le fameux entretien qu'il avoit eu autrefois avec l'ange de ténèbres, et où, forcé par ses raisons, il abolit, comme impie, la messe qu'il avoit dite durant tant d'années avec tant de dévotion, sil l'en faut croire 1. C'est une chose merveilleuse de voir combien sérieusement et vivement il décrit son réveil, comme en sursaut, au milieu de la nuit; l'apparition manifeste du diable pour disputer contre lui; « la frayeur dont il fut saisi, sa sueur; son tremblement, » et son horrible battement de cœur dans cette dispute; les pres>> sants arguments du démon, qui ne laisse aucun repos à l'esprit ; » le son de sa puissante voix ; ses manières de disputer accablantes, » où la question et la réponse se font sentir à la fois. Je sentis alors, >> dit-il, comment il arrive si souvent qu'on meure subitement vers » le matin : c'est que le diable peut tuer et étrangler les hommes; et >>.sans tout cela, les mettre si fort à l'étroit par ses disputes, qu'il y >> a de quoi en mourir, comme je l'ai plusieurs fois expérimenté. » Il nous apprend en passant que le diable l'attaquoit souvent de la même sorte ; et à juger des autres attaques par celle-ci, on doit croire qu'il avoit appris de lui beaucoup d'autres choses que la condamnation de la messe. C'est ici qu'il attribue au malin esprit la mort subite d'Oecolampade, aussi bien que celle d'Emser autrefois si opposé au lutheranisme naissant. Je ne veux pas m'étendre sur une matière tant rebattue: il me suffit d'avoir remarqué que Dieu, pour la confusion, ou plutôt pour la conversion des ennemis de l'Eglise, ait permis que Luther tombât dans un assez grand aveuglement pour avouer, non pas qu'il ait été souvent tourmenté par le démon, ce De abrog. Miss. priv., tom. vII. 216.

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