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la poche; à ce titre, jamais la cause n'a possédé de plus intrépides conspirateurs que dans certains coins de ce pays.

Quelle ombre, madame, que tout ce que nous voyons, au tableau si séduisant de la révolution de juillet! Où allons-nous, sur les petites roulettes sur lesquelles s'appuie le gouvernement prédit par nos écrivains libéraux et conquis malgré eux par le peuple? Quel rachitisme nous ronge, pour nous faire de plus en plus si petits, en face de l'Europe qui nous contemple! Dans quels rangs se jeter, pour rester fidèle à sa cocarde? Quel parti prendre, au moment où chacun doit prendre son parti ? A côté de quel homme de bien se placer, qui n'ait, en avant et en arrière, deux misérables pour acolytes et pour surveillans? Où se jeter tête baissée, pour sauver le plus d'idées et conjurer le plus de maux ?

C'est ici, en cet endroit le plus profond, et où les eaux paraissent le plus troubles, que l'homme de cœur et de principes doit plonger, après avoir laissé ses vêtemens sur le rivage; car c'est dans ce remous si sale que se débat la question d'avenir. Il y a des perles à extraire de ce fumier; il y a de l'or à tamiser de cette boue; il y a une heureuse direction à donner à ce courant qui s'égare. Moi qui ai conspiré quinze ans d'une façon si sérieuse, ma place est parmi les conspirateurs, qui se rient

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au nez en se rencontrant! Au lieu de se laisser aller à la pente si douce que la main de tous avait faite, et qui conduisait si droit et si vite au bien, la sottise a pris la main de la mauvaise foi, pour jeter le char de l'état entre deux précipices; plaçons-nous sur l'arrière, pour couper, à l'instant propice, la longe qui remorque la France, en qui se résume la cause de l'humanité.

La conspiration fut un mot vide de sens du jour où la souveraineté de la nation a été proclamée. Qu'importe que la couronne repose sur une seule tête? par le fait proclamé comme droit, le sceptre n'en a a pas moins passé aux mains de tout le monde. Or, quand on conspire, ce ne peut être que contre quelques-uns. Une société toute entière ne saurait mal faire, elle n'est en état que de se tromper; le sage qui, en certaines circonstances, peut bien avoir raison tout seul, borne son droit à éclairer la société qui l'adopte; il ne conspire alors que par les idées; il conspire à ciel ouvert; son arme est le miroir de la vérité, et ce sont les rayons du soleil qu'il darde sur la foule.

Eh! bien, quelques-uns de nos grands hommes d'état ont peur de ce genre de conspiration, ils préfèrent les autres; ils veulent que l'on conspire contre le présent avec le passé, pour placer l'avenir qu'ils se créent à l'abri de toute crainte sérieuse. Enfans, les uns de la révolution de 89, et

les autres de la restauration de 1814, ils mettent leurs intérêts en commun, pour effrayer la France de 1830 avec les deux plus grands souvenirs de 93: la Vendée et la Convention! souvenirs de dévouement, que l'empire avait tant pris soin d'éteindre dans les prestiges de sa gloire militaire! Je n'insulterai certes pas la Vendée d'alors; le philosophe ne combat pas avec de la boue contre une croyance que la bravoure a scellée avec son propre sang. Mais dans les deux parts que la diplomatie vient de faire au mécontentement, sur lequel elle asseoit ses calculs, mon parti est pris: ma place est sous l'étendard de 93. Je ne permettrai point, je le jure sur ma tête, que le machiavélisme flétrisse la plus sublime page de nos discordes civiles, pour en exploiter les terreurs au détriment des libertés, au sein desquelles la main de Dieu vient de nous régénérer tous. Pour nous façonner à une honteuse docilité, on veut avoir recours à des spectres scéniques, à des évocations sanglantes; on veut traduire, en doctrines menaçantes et incendiaires, des faits accomplis sous l'empire d'une inexorable nécessité. Afin de déjouer les manœuvres occultes qui insultent à l'histoire, dans le but d'enrayer l'avenir, il faut mettre la main à la roue; et de ce gâchis de coupables absurdités, qu'une main cachée jette au même moule, il faut tâcher d'exprimer des idées que nul désormais n'osera plus renier.

M'y voilà j'ai arrêté mon sacrifice, je n'en calcule plus la fin; elle va se perdre dans les desseins de Dieu. Mais, je ne le dissimulerai pas, je ne sache pas de sacrifice plus accablant dans la pensée, que celui pour lequel la verveine de juillet prépare l'autel de la patrie. Tendre la gorge au glaive, sur les dernières marches mêmes du Capitole ou des Catacombes, c'est un rêve suave, c'est une agonie dans les cieux; mais affronter la mort à côté de tels hommes et de telles idées, mais la contempler de sa hauteur au fond de telles Gémonies, c'est jeter sa mémoire aux vents et son corps à l'eau, dans l'une de ces tempêtes immenses, où tout est noir, hormis l'éclair qui brise le navire, où tout mugit à la fois, et la vague et les airs. C'est se noyer avec sa justification dans la poche; il faut quarante ans, peut-être, pour qu'elle revienne audessus de l'eau.

Heureusement pour moi, madame, vous en avez le double entre les mains; et le mot de bronze qui pourrait peser sur ma tombe, vous l'userez en moins de temps.

V LETTRE.

1er Janvier 1831.

Vous me demandez, madame, le mot de l'énigme des événemens de décembre, de cet embrasement général que l'on a vu tout-à-coup

se résoudre en une telle fumée. Je vais vous le confier à cœur ouvert; dans neuf à dix ans d'ici vous pourrez impunément le dire à tout le monde; car il faudra bien tout ce temps pour que les acteurs de ce drame aient chacun trouvé un détour propice, afin de jeter le masque bas, et se soient débarrassés de quelques témoins, avec lesquels il est peu d'accommodemens possibles.

Je ne vous citerai point des noms; ce n'est point avec de pareils noms que l'on écrit l'histoire. Je vous exposerai les faits, tels que je les ai vus, et je les ai vus de très-près; mais, quant aux faits, je n'userai d'aucune réticence.

Ainsi que je vous l'ai déjà écrit, la conspiration en France était un non-sens, depuis qu'il était reçu en droit que le maniement des affaires serait du ressort de tout le monde; quand l'indépendance de l'opposition conserve le droit de jeter son veto dans l'urne des délibérations, ne serait-ce pas une rodomontade ridicule, que de l'y porter au bout d'une pique? On ne conspire pas pour faire rentrer un fait dans le droit acquis et reconnu ; il suffit de le signaler à qui de droit, pour qu'il y rentre sans violence. Toutes les fois donc que, le lendemain du jour où de tels principes ont été proclamés, nous verrons surgir des conspirations sourdes et menaçantes, il n'y a qu'une manière de les expliquer c'est de conclure que c'est le fait établi

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