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ses chefs de bureau et de division, les grades étant par rang d'emplois. Le ministère de la justice est sous les armes autour de la colonne Vendôme; celui de la guerre, à Saint-Thomas-d'Aquin; celui de l'intérieur, près des Invalides; celui de l'extérieur, à la porte de l'ambassadeur de Russie; la Liste civile stationne sur le Carrousel; la Poste autour du cheval de Louis XIV; la Ménagerie et le Muséum sur la place de l'Estrapade, aux portes des bonnes études; la Police est dispensée de prendre l'habit, en raison de la nature de ses fonctions; elle prend place où elle veut, et jusque dans les rangs de l'anarchie, selon l'occasion.

Quant à l'anarchie, elle est là-bas; elle est ici, tout près; elle vient de passer en bon ordre et comme un seul homme; c'est une anarchie terriblement bien organisée et disciplinée, et qui a l'air de bien moins trembler que l'ordre public, un peu trop inséparable de la liberté, sa sœur constitutionnelle.

Tout-à-coup le tambour bat la charge! « En avant, marche! Croisez la baïonnette. » Les femmes et les enfans prennent la fuite; le peloton charge et s'avance comme de vrais soldats, et balaie toutes les rues adjacentes. L'anarchie est au Châtelet; elle s'y promène sans mot dire, et assistant les bras croisés au défilé de l'ordre public, comme s'il ne s'était pas agi d'elle-même. « Ayez la main

à la poignée du briquet, » recommande le capitaine d'un air mystérieux; et le peloton serre les rangs et emboîte le pas, au risque de se détalonner, en faisant ses évolutions, ses marches, ses contre-marches, à travers ces flots anarchiques, qui s'ouvrent d'eux-mêmes pour le laisser passer. Et quand enfin l'anarchie se montre trop long-temps stationnaire, une charge de cavalerie arrive à point pour dissiper ces groupes menaçans: piétons, soldats, curieux, qui roulent culbutés les uns par-dessus les autres, gardes nationaux qui courent après leurs bonnets à poil restés dans la mêlée. On s'égorgerait d'une manière véritable, que les cris et les vociférations porteraient moins de terreur dans l'ame de ceux qui écoutent de loin.

Peuple français, peuple de braves!

Pitié maintenant, pitié sur ton pays! Les hommes d'esprit qui te dirigent ne trouvent pas d'autre moyen pour te gouverner! et ils vont user ce stratagème jusqu'à la corde, et te faire boire l'humiliation jusqu'à la lie, en expiation de ta généreuse révolution. Je les vois d'ici, ces hommes d'état de huit jours de date, se pavaner de toute leur petite personne, en écoutant le rapport de ces expéditions de nuit: c'est une victoire qu'ils ont organisée du fond de leur cabinet! Et de ces victoireslà, le calendrier désormais ne sera pas avare; chaque

jour va nous apporter un bulletin glorieux de leur grande armée; le Châtelet, la Grève, le Pont-auChange, la Morgue, la place de la Concorde, la rue de la Paix, le Carrousel vont devenir leur Marengo, leur Wagram, leur Austerlitz, leur léna; et chaque ruisseau de Paris sera à tour de rôle le Waterloo de nos libertés publiques.

Il me serait impossible, madame, de vous décrire ce qui se passe dans tout mon être, à la vue d'un spectable aussi désolant! Ce n'est plus vivre que de vivre de la sorte! La honte et le désappointement vous glacent les sens vingt fois par jour, comme une fièvre intermittente. J'ai été témoin, bien jeune, de notre désastre de 1815; j'ai été enveloppé dans cette proscription terrible, qui frappa, comme d'un même coup, tous les enfans de la révolution et de l'empire. J'ai vu alors les poignards levés sur moi, et mon domicile assiégé comme un place forte; j'ai erré de ville en ville, marqué au front du sceau de la réprobation d'alors; j'ai subi quinze ans de suite, sans rougir et sans me plaindre, la peine attachée à mon inébranlable fidélité envers la cause de mon pays. Je me trouvais fier de souffrir pour une aussi sainte cause; je caressais ma pauvreté comme un titre de gloire; et je n'aurais pas troqué mon vieil habit râpé contre toutes les palmes universitaires des Cuvier et autres illustres valets de l'époque. Mon

parti, à chaque événement, était arrêté comme mes principes; ma foi politique était ferme comme ma résignation; et mes yeux, en se portant sur l'avenir de l'humanité, croyaient toujours voir poindre à l'horizon un rayon de douce espérance. La dernière balle qui sillonna les airs, le 29 juillet, m'avait paru avoir frappé si droit au but, que je ne me serais jamais imaginé que ce but pût désormais échapper à personne; il me prit, le 30, une de ces joies d'enfant que le ciel verse d'aventure dans les cœurs trop long-temps malheureux, comme un gage d'heureux augure. Eh bien! le ciel s'est plu à me mystifier; le 31, je chassai de mon esprit cette mauvaise pensée; aujourd'hui je lutte confus contre elle, ainsi qu'un malade contre le cauchemar qui l'étreint par la poitrine et l'étouffe les yeux ouverts.

Où prendre rang, quand d'un côté sont les fripons et de l'autre les dupes? A quel parti peut-on s'honorer d'appartenir, quand chaque parti également abusé est une fraction du peuple ? Où porter un coup qui ne frappe un frère? Où battre en retraite sans avoir l'air de déserter? La France ici, la France là-bas; nulle part un cosaque; et des baïonnettes croisées partout autour de moi!

A la garde de Dieu! Je vais jeter mon chapeau au vent dans la rue; je dirai ensuite à ma conscience d'aller l'y ramasser. Alors que tout s'agite

dans ce monde, ce n'est pas vivre que de rester les bras croisés, tranquille spectateur de ce combat à outrance entre gens qui sortent de table et qui ne se comprennent plus. Il faut que je démêle, au milieu de cette cohue, le parti des opprimés; ce parti m'a pris en naissant et ne m'a plus quitté ensuite; j'abdique ma part des trois jours de gloire pour reprendre le cilice de l'humiliation; priez Dieu que je ne succombe pas à l'un de ces instans affreux, où l'humiliation semble emprunter les traits de l'infamie. Dans ce cas, je lèguerais à votre cœur le soin de me réhabiliter; et à ces sortes de réhabilitations quarante ans suffisent à peine; car c'est par des révolutions que la justice des peuples prononce ses sentences, et casse des jugemens revêtus des formes de la loi.

IV LETTRE.

1er octobre 1830.

Je vous disais, madame, dans ma dernière lettre, que, dans cette cohue qui jette quatre fois par jour tout Paris dans la rue, je n'entrevoyais que deux camps, celui des dupes, et il est le plus nombreux, mais aussi le moins homogène, et celui des fripons, et il est le plus compacte; je ne comprenais, ni dans l'un ni dans l'autre, une poignée d'hommes d'élite, qui se retirent à l'écart pour émettre de

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