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hypothéquée sur les querelles et les dissentimens de la société! Le code ne renferme aucun chapitre pour les indemnités qui sont du fait des révolutions populaires; comment supputer la part qui leur reviendr en compensation? Aussi la panique est au palais; la Justice, désertant ses fleurs de lis, d'un bond s'est jetée dans la rue; et toute la gent à robe noire court après pour la ressaisir; l'Hôtelde-Ville est cerné par les hommes de loi, qui font Grève à la porte Saint-Jean, pêle-mêle avec les ouvriers sans ouvrage; quel sera le maître qui viendra les embaucher à la fois? Lafayette pourrait nous le dire; mais il est cerné et tenu en chartre privée, à son insu; il se croit accessible à tous, il n'est visible que sur un mot d'ordre qui ne vient pas de lui. Le peuple, l'œil grandement ouvert, et les oreilles au guet, attend la réponse de l'oracle; mais l'oracle a de la peine à se prononcer; non pas que la réponse ne soit toute prête et bien arrêtée, mais parce qu'on craint qu'elle ne soit pas du goût de tout le monde; on craint surtout que le populaire, qui ne procède plus d'après les règles du grimoire, ne renverse le trépied avec la crosse de son fusil, qu'il n'a pas encore quitté des mains. Nos libéraux commencent à se reprocher d'avoir mis, à faire la révolution, plus de courage que d'esprit; ils reviennent aux ressources de l'esprit, pour regagner le terrain où s'est logé ce

peuple de bourgeois. Ils pensent que le seul moyen de terminer le différend, c'est de remettre tout sur l'ancien pied, et d'en revenir aux premiers termes. Police, justice, cour, lois, charte, aristocratie, culte, électeurs et éligibles, etc., toutes ces choses seront rétablies en leur lieu et place; il n'y aura qu'un nom de changé; et le peuple s'en ira content, dès que l'ancien ordre de choses, que pendant trois jours il a foulé aux pieds, n'aura plus à se plaindre, et sera rentré en possession de ses droits acquis.

L'œuvre des trois jours était trop belle, madame, elle ne pouvait durer; Dieu ne nous montre sa faveur, depuis quarante ans, qu'en nous châtiant, comme on châtie des enfans d'un esprit fort mobile: à peine nous a-t-il accordé une récompense, qu'il prend acte d'une nouvelle faute pour nous l'arracher des mains.

Ce peuple de héros se laissera mystifier, encore plus facilement que ne le ferait un peuple d'imbéciles et de sournois. Car nous allons passer de l'empire du cagotisme, qui se tient pour bel et bien battu, dans les mains des hommes d'affaires, qui vont chercher leur profit à régler nos comptes. Charles X eut une idée un beau matin, de part à demi avec ses ministres : il s'imagina qu'il serait temps d'élever le trône sur l'autel, en reconnaissance de ce que l'autel avait depuis quinze ans servi

d'étai à son trône; nos libéraux ont eu une idée ce matin entre eux tous : ils ont conçu le projet de rele ver le trône renversé, et de le poser sur un comptoir, parce qu'ils pensent, eux qui n'y étaient pas, que ce sont des marchands qui ont fait place nette. Nous étions menacés de mutisme, on nous façonnera à la duplicité; au lieu du gouvernement d'Ignace de Loyola, nous aurons le gouvernement du directoire : Talleyrand en a conservé la copie, il l'offre au prix coutant, au prix de l'infamie. Nous touchons à une nouvelle crise, mais qui va avoir lieu dans l'ombre. Élevez vos mains pures au ciel, madame, et priez le Dieu de la pudeur et de la vérité qu'il protége la France, cette école séculaire du progrès de l'intelligence, du progrès de l'humanité.

II LETTRE.

8 août 1830.

Nous avons maintenant, madame, un roi de leur choix ; et quoique je me méfie un peu de cet enthousiasme pour un roi quelconque, en pensant qu'il n'existe pas un roi de France, même Charles IX et Louis XI, dont l'avénement n'ait été salué avec enthousiasme, et en me souvenant que ce débordement d'allégresse, qui prend les princes au berceau, les accompagne jusqu'à la tombe; que la foule enthousiaste enfin, la foule officielle, applaudit autant à leur chute qu'à leur intronisation; cependant, je

l'avoue, mes prévisions se trouvent ébranlées par ces vociférations de trente-deux millions d'hommes, qui, d'un bout de la France à l'autre, semblent ratifier, avec ivresse, le pacte qu'on a fait sans les consulter. O mon pays, à qui j'ai sacrifié les plaisirs de ma jeunesse et le gage de mon avenir, je dépose un instant à tes pieds mes profondes antipathies: si un roi seul peut te préserver des maux qui menacent tout peuple devenu trop tôt libre; si lui seul est en état de résumer, en moins de temps et en moins de mots, la volonté nationale; vive la nation! mais aussi vive le roi! Je quitte la rue, j'abdique mon veto; et je retourne, satisfait et tranquille, à ces études chéries, que la défense de nos libertés publiques est seule dans le cas de me faire dé

serter.

III LETTRE.

1er septembre 1830.

Il se passe, madame, d'étranges choses autour de nous, depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire. Alors que nous n'avions ni lois, ni magistrats, ni gouvernement, nous avons vécu tous en bons frères, riches et pauvres, ouvriers et maîtres, militaires et bourgeois : eh bien! cet accord touchant a disparu sans retour depuis que l'ordre a succédé à l'anarchie, depuis qu'un gouvernement régulier a pris la place du gouvernement de tous,

le plus terrible des gouvernemens, s'il faut en croire nos ex-journalistes.

On s'observe, on s'évite, on s'avertit, on se parle à l'oreille, on se dit tout bas le mot d'ordre; on a d'autant plus peur qu'on ne sait pas trop de quoi on a peur. Il y a, sous tout cela, quelque symptôme sinistre, qui a besoin d'exploiter la peur; et ces sortes de symptômes portent un masque de fer; on se brise là main à le leur arracher du visage. Le génie de la révolution de juillet quitte la France pour faire le tour du monde : il faudra plus de huit ans pour que cet astre ait achevé sa période, et qu'il revienne, resplendissant de ses trois jours de gloire, à son point de départ.

Je sortais l'autre jour du corps de garde de la place Saint-Michel, où, pendant vingt-quatre heures bien comptées, j'avais cumulé à moi seul les rôles de sentinelle, de caporal et de patrouille; tant il est difficile de se procurer des gens de bonne volonté pour veiller au salut de la patrie. J'avais appelé au mot d'ordre, et signé, sur le coin de la borne, près de vingt feuilles de route, à des gendarmes et des royaux, qui s'étaient prêtés à ma perquisition de la meilleure grâce du monde ; j'avais confié sans danger, pendant une heure, ma consigne à un jeune homme de douze ans, le fils de l'un de mes meilleurs amis, brave savant qui n'a que les jambes de ses enfans à consacrer au service de la

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