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autres, et d'aller contre l'ordre qu'on s'est prescrit, lorsque cet ordre n'apporte que de la confusion, comme il arrive nécessairement en quelques rencontres. Cependant avec tout cela il n'est jamais possible de faire sentir aux autres tout ce qu'on pense. Ce que l'on doit prétendre pour l'ordinaire, c'est de mettre les lecteurs en état de découvrir tout seuls, avec plaisir et facilité, ce que l'on a découvert soi-même avec beaucoup de peine et de fatigue. Et parce qu'on ne peut rien découvrir sans attention, l'on doit principalement s'étudier aux moyens de rendre les autres attentifs. C'est ce qu'on a tâché de faire, quoique l'on reconnaisse l'avoir assez mal exécuté; et l'on avoue sa faute d'autant plus volontiers, que l'aveu qu'on en fait doit exciter ceux qui liront ceci à se rendre attentifs par euxmêmes pour y remédier, et pour pénétrer à fond des sujets qui méritent sans doute d'être pénétrés.

Les erreurs où nous jette l'inclination que nous avons pour les plaisirs, et généralement pour tout ce qui nous touche, sont infinies; parce que cette inclination dissipe la vue de l'esprit, qu'elle l'applique sans cesse aux idées confuses des sens et de l'imagination, et qu'elle nous porte à juger de toutes choses avec précipitation par le seul rapport qu'elles ont avec nous.

I. On ne voit la vérité que lorsque l'on voit les choses comme elles sont, et on ne les voit jamais comme elles sont, si on ne les voit dans celui qui les renferme d'une manière intelligible. Lorsque nous voyons les choses en nous, nous ne les voyons que d'une manière fort imparfaite; ou plutôt nous ne voyons que nos sentiments, et non pas les choses que nous souhaitons de voir et que nous croyons faussement que nous voyons.

Pour voir les choses comme elles sont en ellesmêmes, il faut de l'application, parce que présentement on ne s'unit pas à Dieu sans peine et sans effort.

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Mais pour voir les choses en nous, il ne faut aucune application de notre part, parce que nous sentons même malgré nous ce qui nous touche. Nous ne trouvons point naturellement de plaisir prévenant dans l'union que nous avons avec Dieu, les idées pures des choses ne nous touchent point. Ainsi l'inclination que nous avons pour le plaisir ne nous applique et ne nous unit point à Dieu; au contraire, elle nous en détache et nous en éloigne sans cesse. Car cette inciination nous porte continuellement à considérer les choses par leurs idées sensibles, à cause que ces idées fausses et impures nous touchent. L'amour du plaisir, et la jouissance actuelle du plaisir qui en réveille et qui en fortifie l'amour, nous éloigne donc sans cesse de la vérité, pour nous jeter dans l'erreur.

Ainsi ceux qui veulent s'approcher de la vérité pour être éclairés de sa lumière doivent commencer par la privation du plaisir. Ils doivent éviter avec soin tout ce qui touche et tout ce qui partage agréablement l'esprit; car il faut que les sens et les passions se taisent, si l'on veut entendre la parole de la vérité, l'éloignement du monde et le mépris de toutes les choses sensibles étant nécessaires, aussi bien pour la perfection de l'esprit que pour la conversion du cœur.

Lorsque nos plaisirs sont grands, lorsque nos sentiments sont vifs, nous ne sommes pas capables des vérités les plus simples, et nous ne demeurons pas même d'accord des notions communes, si elles ne renferment quelque chose de sensible. Lorsque nos plaisirs ou nos autres sentiments sont modérés, nous pouvons connaitre quelques vérités simples et faciles mais s'il se pouvait faire que nous fussions entièrement délivrés des plaisirs et des sentiments, nous serions capables de découvrir avec facilité les vérités les plus abstraites et les plus difficiles que l'on sache. Car à proportion

que nous nous éloignons de ce qui n'est point Dieu, nous nous approchons de Dieu même; nous évitons l'erreur et nous découvrons la vérité. Mais depuis le péché, depuis l'amour déréglé du plaisir prévenant, dominant et victorieux, l'esprit est devenu si faible qu'il ne peut rien pénétrer, et si matériel et dépendant de ses sens, qu'il ne peut trouver de prise à ce qui n'a point de corps, se rendre attentif aux vérités abstraites et qui ne le touchent pas. Ce n'est même qu'avec peine qu'il aperçoit les notions communes ; et souvent il juge, faute d'attention, qu'elles sont fausses ou obscures. Il ne peut discerner la vérité des choses d'avec leur utilité, le rapport qu'elles ont entre elles d'avec le rapport qu'elles ont avec lui; et il croit souvent que celleslà sont les plus vraies, qui lui sont les plus utiles, les plus agréables, et qui le touchent le plus. Enfin cette inclination infecte et trouble toutes les perceptions que nous avons des objets, et par conséquent tous les jugements que nous en faisons: voici quelques exemples.

II. C'est une notion commune que la vertu est plus estimable que le vice, qu'il vaut mieux être sobre et chaste qu'intempérant et voluptueux. Mais l'inclination pour le plaisir brouille si fort cette idée en de certaines occasions, qu'on ne la fait plus qu'entrevoir, et qu'on ne peut en tirer les conséquences qui sont nécessaires pour la conduite de la vie. L'âme s'occupe si fort des plaisirs qu'elle espère, qu'elle les suppose innocents et qu'elle ne cherche que les moyens de les goûter.

Tout le monde sait bien qu'il vaut mieux être juste que d'être riche, que la justice rend un homme plus grand que la possession des plus superbes bâtiments, qui souvent ne montrent pas tant la grandeur de celui qui les a fait bâtir que la grandeur de ses injustices et de ses crimes. Mais le plaisir que des gens de néant

reçoivent dans la vaine ostentation de leur fausse grandeur, remplit suffisamment la petite capacité de leur esprit pour leur cacher et leur obscurcir une vérité si évidente. Ils s'imaginent sottement qu'ils sont de grands hommes, parce qu'ils ont de grandes mai

sons.

L'analyse ou l'algèbre spécieuse est assurément la plus belle, je veux dire la plus féconde et la plus certaine de toutes les sciences. Sans elle l'esprit n'a ni pénétration ni étendue; et avec elle il est capable de savoir presque tout ce qui se peut savoir avec certitude et avec évidence. Tout imparfaite qu'ait été cette science, elle a rendu célèbres tous ceux qui en ont été instruits, et qui ont su en faire usage; ils ont découvert par son moyen des vérités qui paraissaient comme incompréhensibles aux autres hommes. Elle est si proportionnée à l'esprit humain que, sans partager sa capacité à des choses inutiles pour ce qu'on recherche, elle le conduit infailliblement à son but. En un mot, c'est une science universelle et comme la clef de toutes les autres sciences. Cependant quelque estimable qu'elle soit en elle-même, elle n'a rien d'éclatant ni de charmant pour la plupart des hommes, par cette seule raison qu'elle n'a rien de sensible. Elle a été tout à fait dans l'oubli durant plusieurs siècles. Il y a encore bien des gens qui n'en connaissent pas même le nom; et de mille personnes à peine y en a-t-il un ou deux qui en sachent quelque chose. Les plus savants qui l'ont renouvelée en nos jours ne l'ont point encore poussée fort avant, et ne l'ont point traitée avec l'ordre et la netteté qu'elle mérite. Étant hommes, comme les autres, ils se sont enfin dégoûtés de ces vérités pures que le plaisir sensible n'accompagne pas, et l'inquiétude de leur volonté corrompue par le péché, la légèreté de leur esprit qui dépend de l'agitation et de la

circulation du sang, ne leur a pas permis de se nourrir davantage de ces grandes, de ces vastes et de ces fécondes vérités, qui sont les règles immuables et universelles de toutes les vérités passagères et particulières, qui se peuvent connaitre avec exactitude.

La métaphysique de même est une science abstraite qui ne flatte point les sens, et à l'étude de laquelle l'âme n'est point sollicitée par quelque plaisir prévenant; c'est aussi par la même raison que cette science est fort négligée, et que l'on trouve souvent des personnes assez stupides pour nier hardiment des notions communes. Il y en a même qui nient que l'on puisse et que l'on doive assurer d'une chose ce qui est renfermé dans l'idée claire et distincte qu'on en a; que le néant n'a point de propriétés; qu'une chose ne peut être réduite à rien sans miracle; qu'aucun corps ne se peut mouvoir par ses propres forces; qu'un corps agité ne peut communiquer aux corps qu'il rencontre plus de mouvement qu'il en a, et d'autres choses semblables. Ils n'ont jamais considéré ces axiomes d'une vue assez fixe et assez nette, pour en découvrir clairement la vérité; et ils ont fait quelquefois des expériences qui les ont faussement convaincus que quelques-uns de ces axiomes n'étaient pas vrais. Ils ont vu qu'en certaines rencontres les corps qui se choquaient avaient plus de mouvement après qu'avant le choc, et que dans d'autres ils en avaient moins. Ils ont vu souvent que le simple attouchement de quelque corps visible a été subitement suivi de grands mouvements. Et cette vue sensible de quelques expériences dont ils ne voient point les raisons leur a fait conclure que les forces naturelles se pouvaient et augmenter et détruire. Ne devraient-ils pas considérer que les mouvements peuvent se répandre des corps visibles aux invisibles, lors

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