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CHAPITRE IX

Comment l'inclination que l'on a pour les dignités et les richesses porte à l'erreur.

Les dignités et les richesses aussi bien que la vertu et les sciences dont nous venons de parler, sont les principales choses qui nous élèvent au-dessus des autres hommes, car il semble que notre être s'agrandisse et devienne comme indépendant par la possession de ces avantages, de sorte que l'amour que nous nous portons à nous-mêmes se répandant naturellement jusqu'aux dignités et aux richesses, on peut dire qu'il n'y a personne qui n'ait pour elles quelque inclination petite ou grande. Expliquons en peu de mots comment ces inclinations nous empêchent de trouver la vérité et nous engagent dans le mensonge et dans l'erreur.

Nous avons montré en plusieurs endroits qu'il faut beaucoup de temps et de peine, d'assiduité et de contention d'esprit pour pénétrer des vérités composées, environnées de difficultés, et qui dépendent de beaucoup de principes de là il est facile de juger que les personnes publiques qui sont dans de grands emplois, qui ont de grands biens à gouverner et de grandes affaires à conduire, et qui désirent ardemment les dignités et les richesses, ne sont guère propres à la recherche de ces vérités, et qu'ils tombent souvent dans

l'erreur à l'égard de toutes les choses qu'il est difficile de savoir lorsqu'ils en veulent juger.

1° Parce qu'ils ont fort peu de temps à employer à la recherche de la vérité.

2o Parce qu'ordinairement ils ne se plaisent guère dans cette recherche.

3° Parce qu'ils sont très-peu capables d'attention, à cause que la capacité de leur esprit est partagée par le grand nombre des idées des choses qu'ils souhaitent, et auxquelles ils sont occupés même malgré eux.

4° Parce qu'ils s'imaginent tout savoir et qu'ils ont de la peine à croire que des gens qui leur sont inférieurs aient plus de raison qu'eux; car's'ils souffrent bien qu'ils leur apprennent quelques faits, ils ne souffrent pas volontiers qu'ils les instruisent des vérités solides et nécessaires, ils s'emportent lorsqu'on les contredit et qu'on les détrompe.

5° Parce qu'on a de coutume de leur applaudir en toutes leurs imaginations, quelque fausses et éloignées du sens commun qu'elles puissent être, et de railler ceux qui ne sont pas de leur sentiment, quoiqu'ils ne défendent que des vérités incontestables. C'est à cause des lâches flatteries de ceux qui les approchent qu'ils se confirment dans leurs erreurs et dans la fausse estime qu'ils ont d'eux-mêmes, et qu'ils se mettent en possession de juger cavalièrement de toutes choses.

6° Parce qu'ils ne s'arrêtent guère qu'aux notions sensibles, qui sont plus propres pour les conversations ordinaires et pour se conserver l'estime des hommes, que les idées pures et abstraites de l'esprit, qui servent à découvrir la vérité.

7° Parce que ceux qui aspirent à quelque dignité táchent autant qu'ils peuvent de s'accommoder à la portée des autres, à cause qu'il n'y a rien qui excite si fort l'envie et l'aversion des hommes que de paraître avoir

des sentiments peu communs. Il est rare que ceux qui ont l'esprit et le cœur occupé de la pensée et du désir de faire fortune, puissent découvrir des vérités cachées; mais lorsqu'ils en découvrent, ils les abandonnent souvent par intérêt et parce que la défense de ces vérités ne s'accorde pas avec leur ambition. Il faut souvent consentir à l'injustice pour devenir magistrat; une piété solide et peu commune éloigne souvent des bénéfices, et l'amour généreux de la vérité fait très-souvent perdre les chaires où l'on ne doit enseigner que la vérité.

Toutes ces raisons jointes ensemble font que les hommes qui sont beaucoup élevés au-dessus des autres par leurs dignités, leur noblesse et leurs richesses, ou qui ne pensent qu'à s'élever et à faire quelque fortune, sont extrêmement sujets à l'erreur et très-peu capables des vérités un peu cachées. Car entre les choses qui sont nécessaires pour éviter l'erreur dans les questions un peu difficiles, il y en a deux principales qui ne se rencontrent pas ordinairement dans les personnes dont nous parlons, savoir : l'attention de l'esprit, pour bien pénétrer le fond des cho-es; et la retenue, pour n'en pas juger avec trop de précipitation. Ceux-là même qui sont choisis pour enseigner les autres, et qui ne doivent point avoir d'autre but que de se rendre habiles pour instruire ceux qui sont commis à leurs soins, deviennent d'ordinaire sujets à l'erreur aussitôt qu'ils deviennent personnes publiques; soit parce qu'ayant très-peu de temps à eux, ils sont incapables d'attention et de s'appliquer aux choses qui en demandent beaucoup; soit parce que, souhaitant étrangement de paraître savants, ils décident hardiment de toutes choses sans aucune retenue, et ne souffrent qu'avec peine qu'on leur résiste et qu'on les instruise.

CHAPITRE X

De l'amour du plaisir par rapport à la morale. - I. Il faut fuir le plaisir, quoiqu'il rende heureux. II. Il ne doit point nous

porter à l'amour des biens sensibles.

Nous venons de parler dans les trois chapitres précédents de l'inclination que nous avons pour la conservation de notre être, et comment elle est cause que nous tombons dans plusieurs erreurs. Nous parlerons présentement de celle que nous avons pour le bienêtre, c'est-à-dire pour les plaisirs et pour toutes les choses qui nous rendent plus heureux et plus contents, ou que nous croyons capables de cela; et nous tâcherons de découvrir les erreurs qui naissent de cette inclination.

Il y a des philosophes qui tâchent de persuader aux hommes, que le plaisir n'est point un bien, et que la douleur n'est point un mal; qu'on peut être heureux au milieu des douleurs les plus violentes, et qu'on peut être malheureux au milieu des plus grands plaisirs. Comme ces philosophes sont fort pathétiques et fort imaginatifs, ils enlèvent bientôt les esprits faibles et qui se laissent aller à l'impression que ceux qui leur parlent produisent en eux; car les stoïques sont un peu visionnaires, et les visionnaires sont véhéments; ainsi ils impriment facilement dans les autres les faux sentiments dont ils sont prévenus. Mais comme il n'y

IV.

a point de conviction contre l'expérience et contre notre sentiment intérieur, toutes ces raisons pompeuses et magnifiques, qui étourdissent et éblouissent l'imagination des hommes, s'évanouissent avec tout leur éclat aussitôt que l'âme est touchée de quelque plaisir ou de quelque douleur sensible; et ceux qui ont mis toute leur confiance dans cette fausse persuasion de leur esprit se trouvent sans sagesse et sans force à la moindre attaque du vice; ils sentent qu'ils ont été trompés et qu'ils sont vaincus.

1. Si les philosophes ne peuvent donner à leurs disciples la force de vaincre leurs passions, du moins ne doivent-ils pas les séduire ni leur persuader qu'ils n'ont point d'ennemis à combattre. Il faut dire les choses comme elles sont : le plaisir est toujours un bien, et la douleur toujours un mal; mais il n'est pas toujours avantageux de jouir du plaisir, et il est quelquefois avantageux de souffrir la douleur.

Mais pour faire bien comprendre ce que je veux dire, il faut savoir:

1° Qu'il n'y a que Dieu qui soit assez puissant pour agir en nous, et pour nous faire sentir le plaisir et la douleur car il est évident à tout homme qui consulte sa raison, et qui méprise les rapports de ses sens, que ce ne sont point les objets que nous sentons qui agissent effectivement en nous, puisque le corps ne peut agir sur l'esprit; et que ce n'est point non plus notre âme qui cause en elle-même son plaisir et sa douleur à leur occasion, car s'il dépendait de l'âme de sentir la douleur, elle n'en souffrirait jamais;

2o Qu'on ne doit donner ordinairement quelque bien que pour faire faire quelque bonne action ou pour la récompenser; et qu'on ne doit ordinairement faire souffrir quelque mal que pour détourner d'une méchante action ou pour la punir: et qu'ainsi Dieu agis

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