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CHAPITRE IV

Explication de la seconde partie de la règle générale. Que les philosophes ne l'observent point, et que M. Descartes l'a fort exactement observée.

On vient de faire voir dans quelles erreurs on est capable de tomber, lorsqu'on raisonne sur les idées fausses et confuses des sens, et sur les idées vagues et indéterminées de la pure logique. Par là l'on reconnait assez que, pour conserver l'évidence dans ses perceptions, il est absolument nécessaire d'observer exactement la règle que nous venons de prescrire, et d'examiner quelles sont les idées claires et distinctes des choses, afin de ne raisonner que suivant ces idées.

Dans cette même règle générale qui regarde le sujet de nos études, il y a encore cette circonstance à bien remarquer, savoir, que nous devons toujours commencer par les choses les plus simples et les plus faciles, et nous y arrêter même longtemps avant que d'entreprendre la recherche des plus composées et des plus difficiles. Car, si l'on ne doit raisonner que sur des idées distinctes, pour conserver toujours l'évidence dans ses perceptions, il est clair qu'il ne faut jamais passer à la recherche des choses composées, avant que d'avoir examiné avec beaucoup de soin et s'être rendu fort familières les simples dont elles dépendent; puisque les idées des choses composées ne sont point claires et

ne peuvent l'être, lorsqu'on ne connaît que confusément et qu'imparfaitement les plus simples qui les composent.

On connaît les choses imparfaitement, lors qu'on n'est point assuré que l'on en a considéré toutes les parties; et on les connait confusément, lorsqu'elles ne sont point assez familières à l'esprit, quoique l'on soit assuré que l'on en a considéré toutes les parties. Lorsqu'on ne les connaît qu'imparfaitement, on ne fait que des raisonnements vraisemblables. Lorsqu'on les aperçoit confusément, il n'y a point d'ordre ni de lumière dans les déductions; on ne sait souvent où l'on est et où l'on va. Mais lorsqu'on les connaît imparfaitement et confusément tout ensemble, ce qui est le plus ordinaire, on ne sait jamais clairement ni ce qu'on recherche, ni les moyens de le rencontrer. De sorte qu'il est absolument nécessaire de garder cet ordre inviolablement dans ses études de commencer toujours par les choses les plus simples, en examiner toutes les parties, et se les rendre familieres avant que de passer aux plus composées dont elles dépendent.

Mais cette règle ne s'accorde point avec l'inclination des hommes, ils ont naturellement du mépris pour tout ce qui paraît facile; et leur esprit, qui n'est pas fait pour un objet borné et qu'il soit aisé de comprendre, ne peut s'arrêter longtemps à la considération de ces idées simples, qui n'ont point le caractère de l'infini pour lequel ils sont faits. Ils ont, au contraire, et par la même raison, beaucoup de respect et d'empressement pour les choses grandes et qui tiennent de l'infini, et même pour celles qui sont obscures et mystérieuses. Ce n'est pas dans le fond qu'ils aiment les ténèbres; mais c'est qu'ils espèrent trouver dans les ténèbres le bien qu'ils désirent, et qu'au grand jour ils reconnaissent qu'il ne se trouve point ici-bas.

La vanité donne aussi beaucoup de branle aux es

prits pour les jeter d'abord dans le grand et l'extraordinaire, et une sotte espérance de bien rencontrer les y fait courir. L'expérience apprend que la connaissance la plus exacte des choses ordinaires ne donne point de réputation dans le monde, et que la connaissance des choses peu communes, quelque confuse et imparfaite qu'elle puisse être, attire toujours l'estime et le respect de ceux qui se font volontiers une haute idée de ce qu'ils n'entendent pas. Et cette expérience détermine tous ceux qui sont plus sensibles à la vanité qu'à la vérité, et par conséquent la plupart des hommes, à une recherche aveugle de ces connaissances spécieuses et imaginaires de tout ce qui est grand, rare et obscur.

Combien de gens rejettent la philosophie de M. Descartes par cette plaisante raison que les principes en sont trop simples et trop faciles ! Il n'y a point de termes obscurs et mystérieux dans cette philosophie; des femmes et des personnes qui ne savent ni grec ni latin, sont capables de l'apprendre; il faut donc que ce soit peu de chose, et il n'est pas juste que de grands génies s'y appliquent. Ils s'imaginent que des principes si clairs et si simples ne sont pas assez féconds pour expliquer les effets de la nature qu'ils supposent obscure et embarrassée. Ils ne voient point d'abord l'usage de ces principes, qui sont trop simples et trop faciles pour arrêter leur attention, autant de temps qu'il en faut pour en reconnaître l'usage et l'étendue. Ils aiment donc mieux expliquer des effets dont il ne comprennent point la cause, par des principes qu'ils ne conçoivent point, et qu'il est absolument impossible de concevoir, que par des principes simples et intelligibles tout ensemble. Car ces philosophes expliquent des choses obscures par des principes qui ne sont pas seulement obscurs, mais entièrement incompréhensibles. Lorsque quelques personnes prétendent expliquer

par des principes clairs et connus de tout le monde des choses extrêmement embarrassées, il est facile de voir s'ils y réussissent, parce que, si l'on conçoit bien ce qu'ils disent, l'on peut reconnaitre s'ils disent vrai. Ainsi, les faux savants ne trouvent point leur comple, et ne se font point admirer comme ils le souhaitent, lorsqu'ils se servent de principes intelligibles; parce que l'on reconnaît évidemment qu'ils ne disent rien de vrai. Mais lorsqu'ils se servent de principes inconnus, et qu'ils parlent des choses fort composées, comme s'ils en connaissaient exactement tous les rapports, on les admire; parce qu'on ne conçoit point ce qu'ils disent, et que nous avons naturellement du respect pour ce qui passe notre intelligence.

Or, comme les choses obscures et incompréhensibles semblent mieux se lier les unes avec les autres, que les choses obscures avec celles qui sont claires et intelligibles, les principes incompréhensibles sont d'un plus grand usage que les principes intelligibles dans les questions très-composées. Il n'y a rien de si difficile dont les philosophes et les médecins ne prétendent rendre raison en peu de mots par leurs principes; car leurs principes étant encore plus incompréhensibles que toutes les questions que l'on peut leur faire, lorsqu'on suppose ces principes pour certains il n'y a point de difficulté qui puisse les embarrasser.

Ils répondent, par exemple, hardiment et sans hésiter à ces questions obscures ou déterminées: D'où vient que le soleil attire les vapeurs, que le quinquina arrête la fièvre quarte, que la rhubarbe purge la bile, et le sel polychreste les phlegmes? et à d'autres questions semblables. Et la plupart des hommes sont assez satisfaits de leurs réponses, parce que l'obscur et l'incompréhensible s'accommodent bien l'un avec l'autre. Mais les principes incompréhensibles ne s'accommodent pas

facilement avec les questions que l'on expose clairement, et qu'il est facile de résoudre; parce qu'on reconnaît évidemment qu'ils ne signifient rien. Les philosophes ne peuvent, par leurs principes, expliquer comment des chevaux tirent un chariot, comment la poussière arrête une montre, comment le tripoli nettoie les métaux et les brosses les habits. Car ils se rendraient ridicules à tout le monde, s'ils supposaient un mouvement d'attraction et des facultés attractrices, pour expliquer d'où vient que les chariots suivent les chevaux qui y sont attelés, et une faculté détersive dans des brosses pour nettoyer des habits, et ainsi des autres questions. De sorte que leurs grands principes ne sont utiles que pour les questions obscures, parce qu'ils sont incompréhensibles.

Il ne faut donc point s'arrêter à aucun de tous ces principes, que l'on ne connaît point clairement et évidemment, et que l'on peut penser que quelques nations ne reçoivent pas. Il faut considérer avec attention les idées que l'on a d'étendue, de figure et de mouvement local, et les rapports que ces choses ont entre elles. Si on conçoit distinctement ces idées, et si on les trouve si claires qu'on soit persuadé que toutes les nations les ont reçues dans tous les temps, il faut s'y arrêter et en examiner tous les rapports; mais si on les trouve obscures, il en faut chercher d'autres, si l'on en peut trouver. Car si, pour raisonner sans crainte de se tromper, il est nécessaire de conserver toujours l'évidence dans ses perceptions, il ne faut raisonner que sur des idées claires et sur leurs rapports clairement

connus.

Pour considérer par ordre les propriétés de l'étendue, il faut, comme a fait M. Descartes, commencer par leurs rapports les plus simples, et passer des plus simples aux plus composés, non seulement parce que

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