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de même de toutes les idées générales. Ainsi elles sont entièrement inutiles pour résoudre aucune question.

Mais si l'on sait que le feu n'est autre chose que du bois dont toutes les parties sont en continuelle agitation, et que c'est seulement par cette agitation qu'il excite en nous le sentiment de chaleur; si l'on sait en même temps que la mollesse de la boue ne consiste que dans un mélange de terre et d'eau : comme ces idées ne sont point confuses et générales, mais distinctes et particulières, il ne sera pas difficile de voir que la chaleur du feu doit durcir la boue; parce qu'il n'y a rien de plus facile à concevoir qu'un corps en peut remuer un autre, si étant agité il le rencontre. On voit sans peine que, puisque la chaleur que l'on ressent auprès du feu est causée par le mouvement des parties invisibles du bois qui heurtent contre les mains; si l'on expose de la boue à la chaleur du feu, les parties d'eau qui sont jointes à la terre étant plus déliées, et par conséquent plutôt agitées par le choc des petits corps qui sortent du feu que les parties grossières de la terre, elles doivent s'en séparer et la laisser sèche et dure. On verra de même évidemment que le feu ne doit point durcir la cire, si l'on sait que les parties qui la composent sont branchues et à peu près de même grosseur. Ainsi, les idées particulières sont utiles à la recherche de la vérité; et nonseulement les idées vagues et indéterminées n'y peuvent de rien servir, mais elles engagent au contraire insensiblement dans l'erreur.

Car les philosophes ne se contentent pas de se servir de termes généraux et d'idées vagues qui y répondent; ils veulent, outre cela, que ces termes signifient certains êtres particuliers. Ils prétendent qu'il y a quelque substance, distinguée de la matière, qui est la forme de la matière, et une infinité de petits êtres distingués réellement de la matière et de la forme; et ils en supposent

d'ordinaire autant qu'ils ont de différentes sensations des corps et qu'ils pensent que ces corps produisent d'effets différents.

Cependant il est visible à tout homme capable de quelque attention que tous ces petits êtres distingués du feu, par exemple, et que l'on suppose y être contenus pour produire la chaleur, la lumière, la dureté, la fluidité, etc., ne sont que des fictions de l'imagination qui se révolte contre la raison; car la raison n'a point d'idée particulière qui représente ces petits êtres. Si l'on demande aux philosophes quelle sorte d'entité c'est que la faculté qu'a le feu d'éclairer, ils ne répondront autre chose sinon que c'est un être qui est la cause que le feu est capable de produire la lumière. De sorte que l'idée qu'ils ont de cette faculté d'éclairer n'est pas différente de l'idée générale de la cause et de l'idée confuse de l'effet qu'ils voient. Ils n'ont donc point d'idée claire de ce qu'ils disent, lorsqu'ils admettent de ces êtres particuliers. Ainsi, ils disent ce qu'ils ne conçoivent même pas, et ce qu'il est même impossible de concevoir.

CHAPITRE III

De l'erreur la plus dangereuse de la philosophie des anciens.

Non-seulement les philosophes disent ce qu'ils ne conçoivent point, lorsqu'ils expliquent les effets de la nature par de certains êtres dont ils n'ont aucune idée particulière; ils fournissent même un principe dont on peut tirer directement des conséquences très-fausses et très-dangereuses.

Car si on suppose, selon leur sentiment, qu'il y a dans les corps quelques entités distinguées de la matière; n'ayant point d'idée distincte de ces entités, on peut facilement s'imaginer qu'elles sont les véritables ou les principales causes des effets que l'on voit arriver. C'est même le sentiment commun des philosophes ordinaires; car c'est principalement pour expliquer ces effets qu'ils pensent qu'il y a des formes substantielles, des qualités réelles et d'autres semblables entités. Que si l'on vient ensuite à considérer attentivement l'idée que l'on a de cause ou de puissance d'agir, on ne peut douter que cette idée ne représente quelque chose de divin. Car l'idée d'une puissance souveraine est l'idée de la souveraine divinité; et l'idée d'une puissance subalterne est l'idée d'une divinité inférieure, mais d'une véritable divinité, au moins selon la pensée des païens, supposé que ce soit l'idée d'une puissance ou d'une cause véritable. On admet donc quelque chose de divin dans tous

les corps qui nous environnent, lorsqu'on admet des formes, des facultés, des qualités, des vertus, ou des êtres réels capables de produire certains effets par la force de leur nature; et l'on entre ainsi insensiblement dans le sentiment des païens par le respect que l'on a pour leur philosophie. Il est vrai que la foi nous redresse; mais peut-être que l'on peut dire que si le cœur est chrétien, le fond de l'esprit est païen.

De plus, il est difficile de se persuader que l'on ne doive ni craindre ni aimer de véritables puissances, des êtres qui peuvent agir sur nous, qui peuvent nous punir par quelque douleur ou nous récompenser par quelque plaisir. Et comme l'amour et la crainte sont la véritable adoration, il est encore difficile de se persuader qu'on ne doive pas les adorer. Tout ce qui peut agir sur nous comme cause véritable et réelle est nécessairement au-dessus de nous, selon saint Augustin et selon la raison; et selon le même saint et la même raison, c'est une loi immuable que les choses inférieures servent aux supérieures. C'est pour ces raisons que ce grand saint reconnait que le corps ne peut agir sur l'âme1, et que rien ne peut être au-dessus de l'âme que Dieu 2.

Dans les saintes Écritures, lorsque Dieu prouve aux Israélites qu'ils doivent l'adorer, c'est-à-dire qu'ils doivent le craindre et l'aimer, les principales raisons qu'il apporte sont tirées de sa puissance pour les récompenser et pour les punir. Il leur représente les bienfaits qu'ils ont reçus de lui, les maux dont il les a châtiés, et qu'il a encore la même puissance. Il leur défend d'adorer les dieux des païens, parce qu'ils n'ont

1 Mus., livre 6, ch. 5.

2 Voyez le trente-quatrième chapitre de S. Aug., De quantitate

animæ.

aucune puissance sur eux et qu'ils ne peuvent leur faire ni bien ni mal. Il veut que l'on n'honore que lui, parce qu'il n'y a que lui qui soit la véritable cause du bien et du mal, et qu'il n'en arrive point dans leur ville, selon un prophète1, qu'il ne fasse lui même; parce que les causes naturelles ne sont point les véritables causes du mal qu'elles semblent nous faire, et que, comme c'est Dieu seul qui agit en elles, c'est lui seul qu'il faut craindre et qu'il faut aimer en elles: Soli Deo honor et gloria.

Enfin, ce sentiment qu'on doit craindre et qu'on doit aimer ce qui peut être véritable cause du bien et du mal, paraît si naturel et si juste qu'il n'est pas possible de s'en défaire. De sorte que, si l'on suppose cette fausse opinion des philosophes, et que nous tâchons ici de détruire, que les corps qui nous environnent sont les véritables causes des plaisirs et des maux que nous sentons, la raison semble en quelque sorte justifier une religion semblable à celle des païens, et approuver le déréglement universel des mœurs.

Il est vrai que la raison n'enseigne pas qu'il faille adorer les oignons et les poireaux, par exemple, comme la souveraine divinité, parce qu'ils ne peuvent nous rendre entièrement heureux lorsque nous en avons, ou entièrement malheureux lorsque nous n'en avons point. Aussi les païens ne leur ont jamais rendu tant d'honneur qu'au grand Jupiter, duquel toutes leurs divinités dépendaient; ou qu'au soleil, que nos sens nous représentent comme la cause universelle qui donne la vie et le mouvement à toutes choses, et que l'on ne peut s'empêcher de regarder comme une divinité, si l'on suppose avec les philosophes païens qu'il renferme dans son être les causes véritables de tout ce qu'il semble produire non-seulement dans notre corps et sur notre

1 Amos, c. 3, 6.

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