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ferme point d'attributs particuliers qui conviennent à la matière. Car si on ôte l'étendue de la matière, on ôte tous les attributs et toutes les propriétés que l'on conçoit distinctement lui appartenir, quand même on y laisserait cette chose qu'ils s'imaginent en être l'essence; il est visible qu'on n'en pourrait pas faire un ciel, une terre, ni rien de ce que nous voyons. Et tout au contraire, si on ôte ce qu'ils imaginent être l'essence de la matière, pourvu qu'on laisse l'étendue, on laisse tous les attributs et toutes les propriétés que l'on conçoit distinctement renfermés dans l'idée de la matière; car il est certain qu'on peut former avec de l'étendue toute seule un ciel, une terre, et tout le monde que nous voyons, et encore une infinité d'autres. Ainsi, ce quelque chose qu'ils supposent au delà de l'étendue, n'ayant point d'attributs que l'on conçoive distinctement lui appartenir, et qui soient clairement renfermés dans l'idée qu'on en a, n'est rien de réel si l'on en croit la raison, et même ne peut de rien servir pour expliquer les effets naturels. Et ce qu'òn dit que c'est le sujet et le principe de l'étendue se dit gra tis, et sans que l'on conçoive distinctement ce qu'on dit, c'est-à-dire sans qu'on en ait d'autre idée qu'une générale et de logique comme de sujet et de principe. De sorte que l'on pourrait encore imaginer un nouveau sujet et un nouveau principe de ce sujet de l'étendue, et ainsi à l'infini, parce que l'esprit se représente des idées générales de sujet et de principe comme il lui plaît.

Il est vrai qu'il y a grande apparence que les hommes n'auraient pas obscurci si fort l'idée qu'ils ont de la matière, s'ils n'avaient eu quelques raisons pour cela, et que plusieurs soutiennent des sentiments contraires à ceux-ci par des principes de théologie. Sans doute l'étendue n'est point l'essence de la matière; si cela est contraire à la foi, on y souscrit. L'on est, grâce à Dieu,

très-persuadé de la faiblesse et de la limitation de l'esprit humain. On sait qu'il a trop peu d'étendue pour mesurer une puissance infinie, que Dieu peut infiniment plus que nous ne pouvons concevoir, qu'il ne nous donne des idées que pour connaître les choses qui arrivent par l'ordre de la nature, et qu'il nous cache le reste. On est donc toujours prêt à soumettre l'esprit à la foi; mais il faut d'autres preuves que celles qu'on apporte ordinairement pour ruiner les raisons que l'on vient de dire, parce que les manières dont on explique les mystères de la foi ne sont pas de foi, et qu'on les croit même sans comprendre qu'on en puisse jamais expliquer nettement la manière.

On croit, par exemple, le mystère de la Trinité, quoique l'esprit humain ne le puisse concevoir; et on ne laisse pas de croire que deux choses qui ne diffèrent point d'une troisième ne diffèrent point entre elles, quoique cette proposition semble le détruire. Car on est persuadé qu'il ne faut faire usage de son esprit que sur des sujets proportionnés à sa capacité, et qu'on ne doit pas regarder fixement nos mystères, de peur d'en être ébloui, selon cet avertissement du Saint-Esprit : Qui scrutator est majestatis opprimetur a gloria.

Si toutefois on croyait qu'il fût à propos pour la satisfaction de quelques esprits d'expliquer comment le sentiment qu'on a de la matière s'accorde avec ce que la foi nous enseigne de la Transsubstantiation, on le ferait peut-être d'une manière assez nelle et assez distincte, et qui certainement ne choquerait en rien les décisions de l'Église; mais on croit se pouvoir dispenser de donner cette explication, principalement dans cet ouvrage.

Car il faut remarquer que les saints Pères ont presque toujours parlé de ce mystère comme d'un mystère incompréhensible, qu'ils n'ont point philosophé pour

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l'expliquer, et qu'ils se sont contentés pour l'ordinaire de comparaisons peu exactes, plus propres pour faire connaître le dogme que pour en donner une explication qui contentat l'esprit; qu'ainsi la tradition est pour ceux qui ne philosophent point sur ce mystère et qui soumettent leur esprit à la foi, sans s'embarrasser inutilement dans ces questions très-difficiles.

On aurait donc tort de demander aux philosophes qu'ils donnassent des explications claires et faciles de la manière dont le corps de JÉSUS-CHRIST est dans l'eucharistie; car ce serait leur demander qu'ils disent des nouveautés en théologie. Et si les philosophes répondaient imprudemment à cette demande, il semble qu'ils ne pourraient éviter la condamnation ou de leur philosophie ou de leur théologie; car si leurs explications étaient obscures, on mépriserait les principes de leur philosophie; et si leur réponse était claire ou facile, on appréhenderait peut-être la nouveauté de leur théologie.

Puis donc que la nouveauté en matière de théologie porte le caractère de l'erreur, et qu'on a droit de mépriser des opinions pour cela seul qu'elles sont nouvelles et sans fondement dans la tradition, on ne doit pas entreprendre de donner des explications faciles et intelligibles des choses que les Pères et les conciles n'ont point entièrement expliquées; et il suffit de tenir le dogme de la transsubstantiation sans en vouloir expliquer la manière; car autrement ce serait jeter des semences nouvelles de disputes et de querelles dont il n'y a déjà que trop, et les ennemis de la vérité ne manqueraient pas de s'en servir malicieusement pour opprimer leurs adversaires.

Les disputes en matière d'explications de théologie semblent être des plus inutiles et des plus dangereuses, et elles sont d'autant plus à craindre, que les person

nes mêmes de piété s'imaginent souvent qu'ils ont droit de rompre la charité avec ceux qui n'entrent point dans leurs sentiments. On n'en a que trop d'expériences, et la cause n'en est pas fort cachée. Ainsi c'est toujours le meilleur et le plus sûr de ne point se presser de parler des choses dont on n'a point d'évidence et que les autres ne sont pas disposés à concevoir.

Il ne faut pas aussi que des explications obscures et incertaines des mystères de la foi, lesquelles on n'est point obligé de croire, nous servent de règle et de principes pour raisonner en philosophie, où il n'y a que l'évidence qui nous doive persuader. Il ne faut pas changer les idées claires et distinctes d'étendue, de figure et de mouvement local, pour ces idées générales et confuses de principe ou de sujet d'étendue, de forme, de quiddités, de qualités réelles, et de tous ces mouvements de génération, de corruption, d'altération et d'autres semblables qui diffèrent du mouvement local. Les idées réelles produiront une science réelle; mais les idées générales et de logique ne produiront jamais qu'une science vague, superficielle et stérile. Il faut donc considérer avec assez d'attention ces idées distinctes et particulières des choses, pour reconnaître les propriétés qu'elles renferment, et étudier ainsi la nature, au lieu de se perdre dans des chimères qui n'existent que dans la raison de quelques philosophes.

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CHAPITRE IX

I. Dernière cause générale de nos erreurs. — II. Que les idées des choses ne sont pas toujours présentes à l'esprit dès qu'on le souhaite. - III. Que tout esprit fini est sujet à l'erreur, et pourquoi. IV. Qu'on ne doit pas juger qu'il n'y a que des corps ou des esprits, ni que Dieu qui soit comme nous concevons les esprits.

I. Nous avons parlé jusqu'ici des erreurs dont on peut assigner quelque cause occasionnelle dans la nature de l'entendement pur, ou de l'esprit considéré comme agissant par lui-même; et dans la nature des idées, c'est-à-dire dans la manière dont l'esprit aperçoit les objets de dehors. Il ne reste maintenant qu'à expliquer une cause que l'on peut appeler universelle et générale de toutes nos erreurs, parce qu'on ne conçoit point d'erreur qui n'en dépende en quelque manière. Cette cause est que le néant n'ayant point d'idée qui le représente, l'esprit est porté à croire que les choses dont il n'a point d'idée n'existent pas.

Il est constant que la source générale de nos erreurs, comme nous avons déjà dit plusieurs fois, c'est que nos jugements ont plus d'étendue que nos perceptions; car lorsque nous considérons quelque objet, nous ne l'envisageons ordinairement que par un côté; et nous ne nous contentons pas de juger du côté que nous avons considéré, mais nous jugeons de l'objet tout en(HAB)(UD Nnous nous trompons.

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